Lettres de Fadette/Deuxième série/36

Imprimerie Populaire, Limitée (Deuxième sériep. 93-96).

XXXVI

L’art de s’accorder


Faites le tour du monde, et partout vous entendrez les femmes dire que la présence d’un homme à la maison y complique et y augmente le travail étrangement : qu’il disparaisse une semaine, c’est un repos, un congé : il semble qu’il n’y ait plus rien à faire ! Toutes ces remarques se résumeraient dans celle-ci : Qu’il est assez difficile de vivre paisiblement avec les hommes : ils sont exigeants, égoïstes, si préoccupés de leurs affaires qu’ils n’ont aucune notion de ce qu’ils demandent aux femmes de temps et d’attention.

Voilà ce que presque toutes les femmes disent : se demandent-elles parfois, si c’est toujours bien facile de vivre avec elles ? Voilà deux grosses questions qui n’en font qu’une et sur laquelle quelques réflexions jetteraient peut-être un peu de lumière.

Dans la lutte pour la vie, l’homme est habitué à chercher inlassablement son propre intérêt et à batailler pour faire triompher son opinion ; cela le prépare mal à déguiser ses impressions et à réprimer ses exigences chez lui où il se sent le maître.

Aussi, la vie avec lui ne peut être facile, que si sa maison lui plaît, et s’il approuve ce qu’on fait pour lui, depuis le dîner qu’on lui sert jusqu’aux sourires qu’on lui dispense.

Ce qui revient à dire, me crient les femmes indignées, qu’il ne sera aimable et facile que si nous sommes parfaites ! À peu de choses près, c’est cela ! Et je ne vois là rien d’impossible à atteindre, car la perfection dont il s’agit n’est pas la vertu transcendante réservée aux saints, mais l’exercice de la bonté et de la finesse féminines dont tant de femmes ont des trésors en réserve. L’homme raisonnable ne demande, en somme, que d’avoir la paix chez lui, de ne pas dépenser plus qu’il ne gagne et de jouir matériellement de l’argent qu’il confie à sa femme pour les dépenses familiales.

Les femmes sont-elles bien préparées à rencontrer ces trois demandes si justes ? Si elles le sont, la vie devient facile et roule doucement. Si elles ne le sont pas, il est possible que deux bonheurs soient brisés avant que l’accord se soit fait.

Quand j’entends parler d’un couple heureux, je sais qu’il y a de fortes et de bonnes qualités chez l’un et chez l’autre.

Les belles choses de ce monde ne s’obtiennent pas sans effort : vivre en paix et heureux avec un autre, c’est très beau : ne nous étonnons pas si c’est un peu difficile ! Il y faut l’effort patient, le sacrifice de soi, la réflexion, la volonté constante d’être agréable à l’autre. Quelques êtres ont ce « don », mais comme pour le génie, ce sont des êtres exceptionnels. En général il faut apprendre l’art de vivre bien avec les autres ; on y arrive après l’avoir gagné, mais n’oublions pas que le résultat en vaut la peine puisque c’est notre bonheur qui s’assure avec celui de l’autre.

Je ne vous apprends rien, n’est-ce pas, en vous disant que pour s’entendre et vivre heureusement ensemble, il ne suffit pas de s’aimer, il faut se comprendre.

Comprendre un être humain, pénétrer le mystère de cette âme qui ne se connaît peut-être pas elle-même, n’allez pas croire que c’est tout simple ! Nous sommes aussi maladroits à nous exprimer qu’à deviner les autres ! Nous sommes à la merci du hasard, de nos nerfs, de nos intentions secrètes, et il est si rare que nous nous sentions assez en confiance pour parler en toute sincérité, qu’il n’est pas étonnant, étant donnée notre légèreté, que nous jugions inexactement et injustement ceux avec qui nous vivons. Dans ce cas, plus d’entente possible.

À tous les malentendus, il n’y a qu’un remède : essayer de se comprendre, sans parti-pris, sans préjugés, sans arrière-pensée, mais honnêtement et loyalement.