Lettres choisies (Sévigné), éd. 1846/Lettre 249

Texte établi par SuardFirmin Didot (p. 519-522).

249. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN. modifier

Aux Rochers, dimanche 25 février 1685.

Ah ! ma bonne, quelle aventure que celle de la mort du roi d’Angleterre[1] ! la veille d’une mascarade !

Au marquis de Grignan.

Mon marquis, il faut que vous soyez bien malheureux de trouver en votre chemin un événement si extraordinaire ! Rodrigue, qui l’eût cru ? — Chimène, qui l’eût dit[2] ?

Lequel vous a plus serré le cœur, ouïe contre-temps, ou quand votre méchante maman vous renvoya de Notre-Dame ? Vous en fûtes consolé le même jour ; il faut que le billard, et l’appartement, et la messe du roi, et toutes les louanges qu’on a données à vous et à votre joli habit, vous aient consolé dans cette occasion, avec l’espérance que cette mascarade n’est que différée. Mon cher enfant, je vous fais mes compliments sur tous ces grands mouvements. mais faites-m’en sur toutes mes attentions mal placées ; j’avais été à la mascarade, à l’opéra, au bal ; je m’étais tenue droite, je vous avais admiré, j’avais été aussi émue que votre belle maman, et j’ai été trompée.

A madame de Grignan.

Ma bonne, je comprends tous vos sentiments mieux que personne : vraiment oui, on se transmet dans ses enfants, et, comme vous dites, plus vivement que pour soi-même : j’ai tant passé par ces émotions ! C’est un plaisir, quand on les a pour quelque jolie petite personne qui en vaut la peine et qui fait l’attention des au très. Votre fils plaît extrêmement ; il a quelque chose de piquant et d’agréable dans la physionomie : on ne saurait passer les yeux sur lui comme sur un autre, on s’arrête. Madame de la Fayette me mande qu’elle avait écrit à madame de Montespan qu’il y allait de son honneur que vous et votre fils fussiez contents d’elle : il n’y a personne qui soit plus aise que madame de la Fayette de vous faire plaisir. Je ne suis pas surprise que vous ayez envie d’aller à Livry : bon Dieu ! quel temps ! il est parfait ; je suis depuis le matin jusqu’à cinq heures dans ces belles allées, car je ne veux point du froid du soir. J’ai sur mon dos votre belle brandebourg qui me pare ; ma jambe est guérie, je marche tout comme une autre. Ne me plaignez plus, ma chère bonne ; il faudrait mourir si j’étais prisonnière par ce temps-là. Je mande à mon fils que je n’ai que faire de lui, que je me promène, et qu’avec cela je l’envoie promener. Ils sont dans les plaisirs de Rennes, d’où ils ne reviendront que la veille du dimanche gras : j’en suis ravie, je n’ai que trop de monde. La princesse vient jouir de mon soleil ; elle a donné d’une thériaque céleste au bon abbé, qui l’a tiré d’un mal de tête et d’une faiblesse qui me faisaient grand’peur. Dites à ce Bien bon combien vous êtes ravie de sa santé. La princesse est le meilleur médecin du monde ; tout de bon, les capucins admiraient sa boutique : elle guérit une infinité de gens ; elle a des compositions rares et précieuses, dont elle nous a donné trois prises qui ont fait un effet prodigieux. Le Bien bon voudrait vous faire les honneurs de Livry ; si c’est le carême, ma bonne, vous y ferez une mauvaise chère, mais songerez-vous à l’entreprendre avec votre côté douloureux ? on ne me parle cependant que de votre beauté ; madame de Vins m’assure que c’est tout autre chose que quand je suis partie. Vous parlez du temps qui vous respecte pour l’amour de moi : c’est bien à vous à parler du temps ! Mais que c’est une plaisante chose que nous nayons pas encore parlé de la mort du roi d’Angleterre ! Il n’était point vieux, c’est un roi, cela fait penser que la mort n’épargne personne : c’est un grand bonheur si, dans son cœur, il était catholique, et qu’il soit mort dans notre religion. Il me semble que voilà un théâtre où il se va faire de grandes scènes ; le prince d’Orange, M. de Montmouth, cette infinité de luthériens, cette horreur pour les catholiques : nous verrons ce que Dieu voudra représenter après cette tragédie ; elle n’empêchera pas qu’on ne se divertisse encore à Versailles, puisque vous y retournez lundi. Vous me dites mille amitiés sur la peine que vous auriez à me quitter, si j’étais à Paris ; j’en suis persuadée, ma très-aimable bonne ; mais cela n’étant point, à mon grand regret, profitez des raisons qui vous font aller à la cour ; vous y faites fort bien votre personnage ; il semble que tout se dispose à faire réussir ce que vous souhaitez. Les souhaits que j’en fais de loin ne sont pas moins sincères ni moins ardents que si j’étais auprès de vous. Hélas ! ma bonne, j’y suis toujours, et je sens, mais moins délicatement, ce que vous me disiez un jour, dont je me moquais : c’est qu’effectivement vous êtes d’une telle sorte dans mon cœur et dans mon imagination, que je vous vois et vous suis toujours : mais j’honore infiniment davantage, ma bonne, un peu de réalité.

Vous me parlez de votre Larmechin, c’est assez pour mon fils ; vous vous en plaignez souvent ; il est peut-être devenu bon ; parlezen à Beaulieu, et qu’il en écrive à mon fils, j’en rendrai de bons témoignages. Celui qu’il avait était bon, il s’est gâté ; il ne gagnerait que ses gages, quarante ou cinquante écus, point de vin, ni de graisse, ni de levure de lard. Je crois que mon fils ne plaindrait pas de plus gros gages pour avoir un vrai bon cuisinier ; je craindrais que celui-là ne fût trop faible. Mais, ma bonne, quelle folie d’avoir quatre personnes à la cuisine ! Où va-t-on avec de telles dépenses, et à quoi servent tant de gens ? Est-ce une table que la vôtre pour en occuper seulement deux ? L’air de Lâchait et sa perruque vous coûtent bien cher. Je suis fort malcontente de ce désordre ; ne sauriez-vous en être la maîtresse ? Tout est cher à Paris, et trois valets de chambre ! Tout est double et triple chez vous. Je vous dirai comme l’autre jour : Vous êtes en bonne ville ; faites des présents, ma bonne, de tout ce qui vous est inutile. N’est-ce point l’avis de M. Enfossy ? M. de Grignan peut-il vouloir cet excès ? Ma chère bonne, je ne puis m’empêcher de vous parler bonnement là-dessus. Après cette gronderie toute maternelle, laissez-moi vous embrasser chèrement et tendrement, persuadée que vous nêtes point fâchée. Ma bonne, il faut que votre mal de côté soit de bonne composition pour souffrir tous vos voyages de Versailles ; songez au moins que le maigre vous est mortel, et que le mal intérieur doit être ménagé et respecté. Bien des amitiés aux grands et petits Grignans. Je veux vous dire ceci. Vous croyez mon fils habile, et qu’il se connaît en sauces, et sait se faire servir ; ma bonne, il n’y eutend rien du tout ; Larmechin[3] encore moins, le cuisinier encore moins : il ne faut pas s’étonner si un cuisinier qui était assez bon s’est entièrement gâté ; et moi, que vous méprisez tant, je suis l’aigle ; on ne juge de rien sans avoir regardé la mine que je fais. L’ambition de vous conter que je règne sur des ignorants m’a obligée de vous faire ce sot et long discours : demandez à Beaulieu.


  1. Le roi Charles II mourut le 16 février 1685, et le roi de France ne voulut point que de toute la semaine il y eût à la cour bal ni comédie. Le petit marquis de Grignan devait faire partie de la mascarade.
  2. Voyez le Cid, acte III, scène iv.
  3. Valet de chambre de M. de Sévigné.