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CLXIX

Lausanne, 24 août 1857.

J’ai trouvé votre lettre à Berne, le 22 au soir, parce que mes excursions dans l’Oberland se sont prolongées bien au delà du temps que j’avais prévu. Je ne sais trop où vous adresser celle-ci. Vous ne devez plus être à Genève. Je l’adresse à Venise, où, selon toute apparence, vous ferez le plus long séjour. Je trouve que vous auriez pu varier un peu vos tirades d’enthousiasme sur le plaisir de voyager, par quelques compliments flatteurs en manière de consolation pour ceux qui n’ont pas l’avantage de vous accompagner. Je vous pardonne cependant en faveur de votre inexpérience des voyages. Vous comptez n’être que trois semaines en route : cela me paraît à peu près impossible. Je vous accorde un mois. Je vous prie seulement de considérer que le 28 septembre est un anniversaire malheureux pour moi, parce qu’il date de très-longtemps. C’est le 28 septembre que je suis venu au monde. Il me serait très-agréable de passer ce jour-là en votre compagnie ; à bon entendeur salut. J’ai fait ma petite tournée très-agréablement. Je n’ai eu qu’un jour de pluie ; il est vrai que je n’en ai pas perdu une goutte en descendant de la Wingernalp, pendant quatre heures, sur une rosse qui glissait sur les roches et qui n’avançait pas. J’ai bu du vin de Champagne que nous avions apporté sur la Mer de glace et que j’ai frappé à même le glacier. Le guide m’a dit que personne avant moi n’avait eu cette idée sublime. Je suis en face de la Gemmi et de la chaîne du Valais, qui n’a pas les grands profils de la Jungfrau et de ses acolytes. Je pense que nous aurions pu nous rencontrer à Genève et faire ensemble quelque excursion ; tout cela est triste à penser. J’espère trouver une lettre de vous à Paris, où je serai le 28.

Adieu ; amusez-vous bien, ne vous fatiguez pas trop. Pensez quelquefois à moi. Si vous me marquez votre itinéraire avec quelque exactitude, je vous donnerai des nouvelles de Paris. Ici, c’est le diable d’écrire. Les plumes du pays sont ce que vous voyez. Adieu encore. — Voici une petite feuille qui a crû à six mille pieds au-dessus du niveau de la mer.




fin du tome premier.