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CVI

Avignon, 5 septembre 1845.

Je remercie ces gens malades qui vous retiennent à Paris. Je vous remercie encore plus vous-même, si vous pensez moins à leurs rhumatismes qu’au plaisir que vous me ferez en restant. Suivant toute apparence, je serai de retour dans une quinzaine de jours, ou plutôt je ferai une halte dans mes foyers, entre mon voyage du Midi et celui du Nord ; le second sera, j’espère, des plus courts et vous ne vous en apercevrez sans doute pas. Je me réjouis de vous savoir en si bonne santé. Pour moi, je n’en puis dire autant. Je suis souffrant depuis mon départ ; j’avais compté sur le beau temps et sur le soleil du Languedoc pour me remettre ; mais il est demeuré sans effet. Aujourd’hui, je reviens accablé de fatigue d’une très-longue course, où j’ai fait plus de mauvais sang que je n’en fais ordinairement quand vous ne vous en mêlez pas. Je suis tout étourdi et je vois presque double ; pendant que vous mangez des pêches fondantes, j’en mange de jaunes très-acides et d’un goût singulier qui n’est pas trop déplaisant et que je voudrais vous faire connaître. Je mange des figues de toutes couleurs ; mais je n’ai nul appétit à tout cela. Je m’ennuie horriblement le soir, et je commence à regretter la société des bipèdes de mon espèce. Je ne compte point les provinciaux pour quoi que ce soit. Ce sont des choses à mes yeux souvent fatigantes, mais tout à fait étrangères au cercle de mes idées. Ces Méridionaux sont d’étranges gens : tantôt je leur trouve de l’esprit, tantôt il me semble qu’ils n’ont que de la vivacité. Ce voyage me les fait voir un peu plus en laid qu’à l’ordinaire. Mon seul plaisir, dans le pays assez beau que je parcours, serait de rêvasser à mon aise, et je n’en ai pas le temps. Vous devinez à quoi j’aimerais rêver, et avec qui ? Je voudrais vous raconter quelques histoires dignes d’être envoyées à deux cents lieues : malheureusement, je n’en apprends pas qui se puissent raconter. J’ai vu l’autre jour les ravages d’un torrent qui a noyé cent vingt chèvres, rasé des maisons, et vous avez eu mieux que cela à Paris ; mais ce que vous n’y trouverez jamais, c’est une vue comme celle qu’on rencontre à chaque pas quand on parcourt le Comtat. Venez-y, ou plutôt attendez-moi à Paris et promenons-nous dans nos bois, que je trouverai alors admirables. Écrivez-moi à Vézelay (Yonne).