Lettres à sa marraine/4 août 1916

Gallimard (p. 72-73).


4 août 1916
hôpital
du gouvernement
italien


Ma chère amie, votre lettre m’a fait un grand plaisir. Vous ne voudriez point que j’oubliasse l’aimable petite marraine qui est aussi un délicieux poète.

Je ne suis pas de votre avis touchant le lieu où l’on habite et le jour où l’on est. Je n’ai jamais désiré de quitter pour ma part le lieu où je vivais et j’ai toujours désiré que le présent quel qu’il fût perdurât.

Rien ne détermine plus de mélancolie chez moi que cette fuite du temps. Elle est en désaccord si formel avec mon sentiment, mon identité, qu’elle est la source même de ma poésie.

Cette façon d’être content de mon sort ne m’empêche nullement de formuler des souhaits, au demeurant. Souhaits modestes : pouvoir définitivement habiter le Midi, être libre de ne rien faire afin d’être libre de travailler à mon aise. C’est ainsi qu’encore j’aimerais être à Mosset en ce moment, et pouvoir baiser la main de ma jolie marraine.

Mais vous ne m’avez pas donné de nouvelles de Léonard ?

Je vous garde, ma chère amie, la plus vive reconnaissance et en même temps beaucoup d’admiration pour le poète que vous êtes et que je voudrais que l’on connût.

Guillaume Apollinaire.