Lettres à l’élue/Préface

L. Vanier / A. Messein (p. i-iv).

PRÉFACE

DE MAURICE BARRÈS


de l’académie française



Mon cher Visan,


Nous sommes bien d’accord sur le moyen de communiquer la vérité. Ce n’est pas d’écrire des fiches, de les classer et de construire d’instructives notices, mais d’envoyer des flèches dans les cœurs, dans certains cœurs prédestinés à s’émouvoir de nos appels.

César, oui, Jules César lui-même a décrit à l’aube des temps, d’une manière saisissante, la nature vraie de nos dieux (auxquels il apportait les formes latines). Les druides, dit-il en substance, ne veulent pas qu’on emprisonne la divinité dans un temple, ce serait l’offenser… Ils enseignent un grand nombre de vers à leurs disciples ; mais défendent de les écrire…

Est-elle assez claire, la pensée des Gaulois ? Leurs chefs spirituels n’admettaient pas qu’on pût mettre la vérité en formule, ni l’acquérir par le raisonnement.

Elle n’est pas un système, elle est une âme, une vie. Et voilà votre opinion évidemment, mon cher ami.

J’aime votre livre où l’on sent fraîchir la vieille fontaine celtique. Loin de son colombier natal un voyageur s’élève et s’oriente en tournant. Je sympathise avec toutes vos directions. Mais un jour prochain vous verra assurer mieux encore vos gestes.

C’est bien, très bien de « revenir à Sassenage par le sentier obscur au pied de la montagne ». Mais chacun, s’il le peut, doit faire, au moins une fois, les saints pèlerinages. J’admire une vie simple et tranquille, pourvu qu’un fil, le plus léger, une prière, un désir l’unissent au centre du monde.

Votre livre s’achève sur une phrase qui s’élance, précède en courrier votre jeune gloire et l’annonce. « Dans trois jours, nous serons à Florence… »

Je vous approuve et je vous presse. C’est là-bas que vous vivrez familièrement avec les maîtres dont la leçon nous est indispensable. Leur univers intérieur qu’ils déployent sous nos yeux a des parfums, de la jeunesse et du chant. Leurs pensées gardent tout l’ineffable de la nature ; on y voit le mouvement des jours et des heures de Toscane. Il faut, Visan, boucler votre valise et courir bien vite à Florence. Une fois de plus, un jeune celte va se mettre à l’école des latins, mais celui-ci connaît tout le prix des beaux trésors de son cœur.


Maurice Barrès,
de l’Académie française.