Lettres à Sophie Volland
Lettres à Sophie Volland, Texte établi par J. Assézat et M. TourneuxGarnierXVIII (p. 398-399).


XIX


9 octobre 1759.


La chaleur d’hier au soir est bien tombée. Je ne sens plus ce matin qu’une chose, c’est que je m’éloigne de vous. Tandis que M. de Montamy[1] et le Baron prennent des arrangements pour la distribution d’un cabinet d’histoire naturelle qui est resté enfermé dans des caisses depuis dix ans, je m’amuse à causer encore un moment avec vous. Ne trouvez-vous pas singulier que l’histoire naturelle soit la passion dominante de cet ami ? qu’il se soit pourvu à grands frais de tout ce qu’il y a de plus rare en ce genre, et que cette précieuse collection soit restée des années entières dans le fond d’une écurie, entre la paille et le fumier ? Les goûts des hommes sont passagers : ils n’ont que des jouissances d’un moment. Ah ! chère femme, quelle différence d’un homme à un autre ! mais aussi quelle différence d’une femme à une autre !

Adieu, ma tendre amie ; vous n’attendiez pas de moi ce billet, il vous en sera plus doux. Je m’en vais, et je souffre ; je ne devinais guère hier au soir mon abattement de ce matin. Que serait-ce donc, si j’allais à mille lieues ? Que serait-ce, si je vous perdais ? mais je ne vous perdrai pas ; il faut bien que je le croie, et que je me le dise pour n’être pas fou. Adieu.



  1. Voir sur M. de Montamy le t. X. (L’histoire et le secret de la peinture en cire.)