Lettres à Lucilius/Lettre 96

Lettres à Lucilius
Traduction par Joseph Baillard.
../Hachettevolume 2 (p. 338-339).
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LETTRE XCVI.

Adhérer à la volonté de Dieu. La vie est une guerre.

Et tu t’indignes encore de quelque chose, et tu te plains, et ne comprends pas qu’il n’y a dans tout ceci d’autre mal que ton indignation et tes plaintes ! Si tu me demandes mon sentiment, je ne vois de malheureux pour l’homme de cœur que la croyance qu’il y aurait ici-bas quelque malheur pour lui. Je ne me souffrirai plus moi-même, du jour où quelque chose me deviendra insupportable. Je me porte mal ? C’est dans ma destinée. Mes esclaves sont morts, mes rentes compromises, ma maison écroulée, les pertes, les blessures, les tribulations, les craintes fondent sur moi. Choses ordinaires, que dis-je? inévitables, décrets du ciel plutôt qu'accidents.

Si tu veux en croire un ami qui te découvre avec franchise le fond de son cœur, dans tout ce qu'on appelle disgrâces et rigueurs voici ma règle : je n'obéis pas à Dieu, je m'unis à sa volonté[1] ; c'est par dévouement, non par nécessité, que je le suis. Quoi qu'il m'arrive , j'accepterai tout sans tristesse, sans changer de visage; jamais je ne payerai à contre-cœur mon tribut. Or tout ce qui cause nos gémissements, nos épouvantes, est tribut de la vie. Quant à en être exempt, Lucilius, ne l'espère, ne le demande pas. Un mal de vessie t'a ôté le repos; tes aliments t'ont paru amers, ton affaiblissement a été continu : allons plus loin, tu as craint pour tes jours. Eh! ne savais-tu pas que tu souhaitais tout cela en souhaitant la vieillesse ? Tout cela est, dans une longue vie, ce que sont dans une longue route la poussière, la boue et la pluie. « Mais je voulais vivre et n'éprouver aucune incommodité! » Un vœu si lâche n'est pas d'un homme. Prends comme tu voudras celui que je fais pour toi : c'est celui du courage autant que de l'amitié : fassent les dieux et les déesses que tu ne sois jamais l'enfant gâté de la Fortune! Demande-toi à toi-même, si quelque dieu te laissait le choix, lequel tu aimerais mieux de vivre dans les camps ou dans les tavernes. Eh bien, la vie, Lucilius, c'est la guerre 66. Ainsi ceux qui, toujours alertes, vont gravissant des rocs escarpés ou plongent dans d'affreux ravins, et qui tentent les expéditions les plus hasardeuses, sont les braves et l'élite du camp; mais ceux qu'une ignoble inertie, lorsque autour d'eux tout travaille, enchaîne à leur bien-être, sont les lâches qu'on laisse vivre par mépris.


LETTRE XCVI.

66. Milida est vitahominis super terram. (Job, viii, 1. Voir Lettres LI, LIX.)

La vie est un combat dont la palme est aux cieux.
(Delavigne, le Paria.)

  1. Voir Lettre CVII, et De la vie heureuse, XV.