Lettre 414, 1675 (Sévigné)

Texte établi par Monmerqué, Hachette (3p. 506-508).
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1675

414. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi 5e juillet.

Je veux vous entretenir un moment, ma chère fille, de notre bon cardinal. Voilà une lettre qu’il vous écrit. Conseillez-lui fort de s’occuper et s’amuser à faire écrire son histoire ; tous ses amis l’en pressent beaucoup. Il me mande qu’il se trouve fort bien dans son désert, qu’il le regarde sans effroi et qu’il espère que la grâce de Dieu y soutiendra sa foiblesse. Il me témoigne une extrême tendresse pour vous, et me prie de ne point partir sans achever vos affaires. Il se souvient du temps que vous aviez la fièvre tierce, et qu’il me prioit, pour l’amour de lui, d’avoir soin de votre santé ; je lui réponds sur le même ton. Il m’assure que les plus affreuses solitudes ne seroient pas capables en mille ans de lui faire oublier l’amitié qu’il nous a promise. Il a été reçu à Saint-Mihel avec des transports de joie : tout le peuple étoit à genpux, et le recevoit comme une sauvegarde que Dieu leur envoie. Les troupes qui y étoient sont délogées, et les officiers sont venus prendre ses ordres pour s’éloigner et pour épargner qui il voudra[1]. M. le cardinal de Bonzi[2] m’a assurée que le pape, sans avoir encore reçu sa lettre[3], lui avoit envoyé un bref, pour lui dire qu’il veut et entend qu’il garde son chapeau ; que cette dignité ne l’empêchera pas de faire son salut. Le public ajoute qu’il lui ordonne de ne faire sa retraite qu’à Saint-Denis ; mais je doute de ce dernier, et je vous nomme mon auteur pour l’autre.

Je suis très-persuadée qu’on ne pense plus à la cassolette. Si j’avois prié qu’on ne l’envoyât point, j’en aurois fait souvenir ; j’ai donc mieux fait de n’en point parler.

Il n’y a point de nouvelle importante : on est toujours alerte du côté de M. de Turenne. Il y avoit l’autre jour une Mme Noblet, de l’hôtel de Vitri, qui jouoit à la bassette avec Monsieur ; on lui parla de M. de Vitri, qui est très-malade ; elle dit à Monsieur : « Hélas ! Monsieur, j’ai vu ce matin son visage : il est fait comme un vrai stratagème[4]. » Cela est plaisant : que vouloit-elle donc dire ? Mme de Richelieu a reçu des lettres du Roi, si excessivement tendres et obligeantes, qu’elle doit être plus que payée de tout ce qu’elle a fait[5].

Adieu, ma très-chère et très-parfaitement aimée. J’attends demain de vos nouvelles, et je vous embrasse très-tendrement.


  1. Lettre 414. — 1. Ces derniers mots : « pour s’éloigner, etc., » manquent dans l’édition de 1734, ainsi que le second et le troisième paragraphe de la lettre : « Je suis très-persuadée, etc., » et : « Il n’y a point de nouvelle, etc. »
  2. 2. Sur le cardinal de Bonzi, grand aumônier de la Reine, voyez tome II, p. 517, note 6.
  3. 3. « La lettre du cardinal de Retz. » (Édition de 1754.)
  4. 4. Mme de Sévigné se ressouvint longtemps après de cette expression ridicule. Voyez la lettre du 25 mars 1689.
  5. 5. Elle avait contribué à rapprocher la Reine de Mme de Montespan.