Lettre 352, 1673 (Sévigné)

Texte établi par Monmerqué, Hachette (3p. 295-297).
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1673

352. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi 1er décembre.

Ce siége d’Orange me déplaît comme à vous. Quelle sottise ! quelle dépense ! La seule chose qui me paroisse bonne, c’est de faire voir, par cette suite de M. de Grignan[1], combien il est aimé et considéré dans sa province. Ses ennemis en doivent enrager ; mais on a beau faire des merveilles, cette occasion n’apportera ni récompense, ni réputation : je voudrois qu’elle fût déjà passée.

J’ai soupé avec l’amie[2] de Quanto. Vous ne serez point attaquée en ce pays-là, que vous ne soyez bien défendue. Cette dame a parlé de vous avec une estime et une tendresse extraordinaires : elle dit que personne n’a jamais tant touché son goût ; qu’il n’y a rien de si aimable ni de si assorti que votre esprit et votre personne. On vous a fort regrettée, et d’un ton qui n’avoit rien de suspect. J’ai causé aussi avec l’archevêque de Reims, qui vous est fort acquis. Son frère n’est point du tout dans la manche de Mme de Coulanges. Volonne a acheté la charge de Purnon[3], maître d’hôtel de Madame : voilà un joli établissement ; voilà où la Providence place Mme de Volonne. Il est certain que Quanto a trouvé que c’étoit une hydre que cette chambre des filles[4] ; le plus sûr est de la couper ; ce qui n’arrive pas aujourd’hui peut arriver demain.

On tient pour assuré que M. de Vivonne a la charge de colonel général des Suisses[5]. On nomme M. de Monaco pour celle de général des galères[6] Je vous ai mandé combien la femme de ce dernier m’avoit bien reçue pour l’amour de vous. On répète souvent la symphonie de l’opéra ; c’est une chose qui passe tout ce qu’on a jamais ouï. Le Roi disoit l’autre jour que s’il étoit à Paris quand’on jouera l’opéra, il iroit tous les jours. Ce mot vaudra cent mille francs à Baptiste[7].

M. de Turenne a son congé. L’armée de votre frère va être mise dans les quartiers d’hiver. J’attends mon fils au premier jour ; et vous arriverez un peu après, si vous me voulez témoigner un peu d’amitié.

L’abbé Têtu ne perd point d’occasion de vous rendre service en bon lieu : c’est encore un de mes hommes que j’ai bien désabusé.

Ma chère enfant, ayez quelque soin de votre santé, tâchez surtout de dormir, et d’éloigner dès le soir toutes les pensées qui vous réveillent.


  1. Lettre 352. — 1. Toute la noblesse distinguée de Provence suivit M. de Grignan dans cette occasion. (Note de Perrin.)
  2. 2. Mme Scarron. (Note du même.) — Quanto, abréviation de Quantova, qui, comme nous l’avons vu, désigne Mme de Montespan.
  3. 3. D’après Saint-Simon, Purnon avait été dans le secret de l’empoisonnement de Madame Henriette et en avait fait l’aveu au Roi. Saint-Simon ajoute que « Purnon, le même Cl. Bonneau, » était demeuré premier maître d’hôtel de Madame de Bavière, mais qu’elle le « tracassa si bien, qu’elle le fit quitter, et qu’il vendit sa charge, sur la fin de 1674, au sieur Viel de Suranne (d’après l'état de la France, ce dernier, Michel de Viel de Suranne, ne fut que maître d’hôtel ordinaire). » Voyez Saint-Simon, tome III, p. 182 et suivantes, et la note de M. Chéruel, p. 448 et suivantes. Madame de Bavière ne parle pas de Purnon. Il est donné par l’état, à partir de 1677, comme premier maître d’hôtel de Monsieur. — Ni dans les Mémoires de Saint-Simon ni dans les Lettres de Madame nous n’avons rencontré le nom de Volonne ; mais il paraît sûr que le Volonne de notre lettre n’est autre que le Morel qui se trouve mentionné, comme premier maître d’hôtel de Madame, dans l’état de 1674 ; puis appelé, dans l’état de 1676, « Antoine de Maurel sieur de Voulonne ; » et qui fut remplacé en 1677. Voici ce qu’en dit Madame de Bavière, tome I, p. 251 : Le chevalier de Lorraine « a envoyé le poison d’Italie par un gentilhomme… qui s’appelait Morell. Pour récompenser celui-ci, on me l’a plus tard donné pour premier maître d’hôtel. Après qu’il m’eut honnêtement volée, ils lui ont fait vendre sa charge à haut prix. Ce Morell avait de l’esprit comme le diable, mais était ce qui s’appelle sans foi et sans loi, etc. » — Sur Volonne, voyez encore les lettres du 12 août 1675 et du 26 janvier 1680, vers la fin.
  4. 4. La chambre des filles de la Reine.
  5. 5. Cette charge, qui étoit vacante par la mort de M. le comte de Soissons, fut donnée, peu de temps après, à feu M. le duc du Maine ; elle a passé depuis à M. le prince de Dombes, son fils. (Note de Perrin.)
  6. 6. Charge qu’avait Vivonne.
  7. 7. Lulli.