Lettre 233, 1672 (Sévigné)

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1672

233. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, le 1er jour de l’an.

J’étois hier au soir chez Monsieur d’Uzés : nous résolûmes de vous envoyer un courrier. Il m’avoit promis de me faire savoir aujourd’hui le succès de son audience chez M. le Tellier, et même s’il vouloit que j’y menasse Mme de Coulanges[1] ; mais comme il est dix heures du soir, et que je n’ai point de ses nouvelles, je vous écris tout simplement : Monsieur d’Uzès aura soin de vous instruire de ce qu’il a fait. Il faut tâcher d’adoucir les ordres rigoureux, en faisant voir que ce seroit ôter à M. de Grignan le moyen de servir le Roi, que de le rendre odieux à la province ; et quand on seroit obligé d’envoyer les ordres, il y a des gens sages qui disent qu’il en faudroit suspendre l’exécution jusqu’à la réponse de Sa Majesté, à laquelle M. de Grignan écriroit une lettre d’un homme qui est sur les lieux, et qui voit que pour le bien de son service il faut tâcher d’obtenir un pardon de sa bonté pour cette fois. Si vous saviez comme certaines gens blâment M. de Grignan, pour avoir trop peu considéré son pays en comparaison de l’obéissance qu’il vouloit établir, vous verriez bien qu’il est difficile de contenter tout le monde ; et s’il avoit fait autrement, ce seroit encore pis. Ceux qui admirent la beauté de la place où il est n’en savent pas les difficultés. Par exemple, n’êtes-vous pas à plaindre présentement ? Le voyage du Roi est entièrement rompu ; mais les troupes marchent toujours à Metz. Sévigné y est déjà ; la Trousse s’en va : tous deux plus chargés de bonnes intentions que d’argent comptant.

Voilà l’archevêque de Reims[2] qui commence par vous faire mille compliments très-sincères. Il dit que Monsieur d’Uzès n’a point vu son père aujourd’hui ; il m’assure encore que le Roi est très-content de votre mari ; qu’il reçoit le présent de votre province ; mais que pour n’avoir pas été obéi ponctuellement, il envoie des lettres de cachet pour exiler des consuls : on ne peut en dire davantage par la poste. Ce qu’il faut faire en général, c’est d’être toujours très-passionné pour le service de Sa Majesté ; mais il faut tâcher aussi de ménager un peu les cœurs des Provençaux, afin d’être plus en état de faire obéir le Roi dans ce pays-là. M. de la Rochefoucauld vous mande, et moi avec lui, que si la lettre que vous lui avez écrite ne vous paroît pas bonne, c’est que vous ne vous y connoissez pas. Il a raison : cette lettre est très-agréable et très-spirituelle ; en voilà la réponse. Adieu, ma chère Comtesse ; je pense à vous jour et nuit. Donnez-moi des moyens de vous servir pour amuser ma tendresse.


  1. Lettre 233. — 1. Mme de Coulanges était nièce de la femme de Michel le Tellier, secrétaire d’État (ministre de la guerre, de 1643 a 1666), et depuis chancelier de France (1677). — Il remit sa charge en 1666 à son fils Louvois ; mais sa démission volontaire ne l’éloigna pas du conseil : « il conserva, dit Moréri, le titre et les emplois de ministre. »
  2. 2. Charles-Maurice le Tellier, archevêque de Reims depuis le 3 août 1671. Voyez la note 1 de la lettre 74.