Lettre 116, 1670 (Sévigné)

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116. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE DE GRIGNAN.

À Paris, mercredi 26e novembre.

Vous avez une lettre de votre chère femme ; n’est-ce pas une folie de se mêler de vous écrire ? Ce n’est aussi que pour vous dire que Mme la duchesse de Saint-Simon est hors de tout danger. Le jour que je vous écrivis, elle avoit reçu tous ses sacrements, et l’on ne croyoit pas qu’elle dût vivre deux jours. Présentement, vous pouvez sentir toute la joie que vous donne la bonne santé de ma fille. Elle a reçu tantôt une nouvelle qui lui donne beaucoup de déplaisir : elle croyoit que le petit de Noirmoutier[1] dût être aveugle ; elle avoit fait là-dessus toutes ses réflexions morales et chrétiennes ; elle en avoit eu toute la pitié que méritoit un tel accident. Tout d’un coup on lui vient dire qu’il verra clair, et que ses pauvres yeux que la fluxion avoit mis hors de la tête y étoient rentrés heureusement comme si de rien n’étoit. Là-dessus, elle demande ce qu’on veut qu’elle fasse de ses réflexions, et dit qu’on lui vient déranger ses pensées ; qu’on a bien peu de considération pour elle de lui dire cette nouvelle avant que les neuf jours soient passés. Enfin nous avons tant ri de cette folie, que nous avions peur qu’elle ne fût malade.

Monsieur le Grand[2] et le maréchal de Bellefonds courent lundi dans le bois de Boulogne sur des chevaux vites comme des éclairs : il y a trois mille pistoles de pari pour cette course.


  1. LETTRE 116. — 1. Antoine-François de la Trémouille, duc de Noirmoutier après la mort de son frère tué en Portugal. La petite vérole le prit à l’âge de dix-huit ans, et lui creva les deux yeux. Il mourut en 1733, sans enfants. Voyez la note 2 de la lettre 45.
  2. 2. Le grand écuyer de France, Louis de Lorraine, comte d’Armagnac, fils aîné du célèbre comte d’Harcourt, frère du chevalier de Lorraine et du comte de Marsan, né en 1641, mort en 1718.