Lettre 111, 1670 (Sévigné)

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111. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN
À MADAME DE SÉVIGNÉ.

À Chaseu, ce 10e juillet 1670.

Je reçus hier votre lettre du 6e de ce mois, ma belle cousine. Je suis bien aise que vous confessiez que vous avez eu tort : cela me marque un bon cœur, et m’oblige de trouver que vous n’en avez pas tant que j’avois d’abord pensé. La lettre que je viens de recevoir de vous est aussi agréable que la précédente l’étoit peu. Votre retour me paroît si plaisant, que je vous permets encore de m’offenser, pourvu que vous me promettiez une pareille satisfaction : aussi bien me mandez-vous que vous m’en devez encore de reste. Hâtez-vous donc de me payer, afin que nous soyons bientôt quittes. Je meurs d’impatience d’être assuré que je n’essuierai jamais de mauvaise humeur de vous.

Je ne vous ai point menti quand je vous ai mandé que je savois que vous aviez des ennemis : premièrement, vous me l’aviez écrit dans votre Épitre chagrine[1] ; mais, outre cela, on me l’a mandé d’ailleurs. Quoique votre modestie vous fasse dire que vous n’êtes ni jeune ni belle, et quoique vous ne vous puissiez sauver par là si vous donniez lieu de parler, ce n’est pas sur cela qu’on a parlé de vous ; mais je suis bien ridicule de vouloir vous apprendre ce qu’assurément vous savez avant moi : on ne manque pas de gens, au pays où vous êtes, qui avertissent leurs amis des calomnies aussi bien que des vérités qu’on dit d’eux. Je ne vous en dirai donc pas davantage, sinon qu’à quelques petits reproches près, dont vous m’avez un peu trop souvent fatigué, je vous trouve vous-même une dame sans reproche, et j’ai la meilleure opinion du monde de vous.

Cependant je vous assure que la mort de Madame m’a surpris[2] et affligé au dernier point. Vous savez combien agréablement j’étois autrefois avec elle. Toutes mes persécutions m’avoient encore attiré de sa part mille amitiés extraordinaires, que je vous conterai un jour. Si quelque chose est capable de détacher du monde les gens qui y sont les plus attachés, ce sont les réflexions que fait faire cette mort. Pour moi, elle me console fort de l’état de ma fortune, quand je vois que ceux qui font enrager les autres, et qui par leur grandeur sont à couvert des représailles, ne le sont pas des coups du ciel. Vivons seulement, ma belle cousine, et nous en verrons bien d’autres.

Je suis tout revenu pour Mme de Grignan, et ce que m’en dira Corbinelli ne peut augmenter la tendresse que j’ai pour elle, à moins qu’il ne m’assurât qu’elle est brouillée avec son mari ; car en ce cas-là je l’aimerois plus que ma vie.

Adieu, ma belle cousine, ne nous tracassons plus. Quoique vous m’assuriez que nos liens s’allongent, de notre race, et qu’ils ne se rompent point, ne vous y fiez pas trop : il arrive en une heure ce qui n’arrive pas en cent. Pour moi, j’aime la douceur : je suis comme le frère d’Arnolphe, tout sucre et tout miel[3].


  1. LETTRE III. — I. Dans la lettre du 17 juin, que Bussy rapproche plaisamment de l’épître burlesque à M. Rosteau, à laquelle Scarron a donné ce titre : voyez les Œuvres de M.  Scarron (1659), p. 24. Ce nom d’Épître chagrine était devenu un terme générique. On en a imprimé à part deux autres du même auteur, adressées au maréchal d’Albret et à M. d’Elbène (Paris, G. de Luynes, 1674,24 pages).
  2. 2. Ici encore les anciennes éditions ont effacé le mot surpris.
  3. 3. Bussy confond Arnolphe de l’École des Femmes, avec Ariste de l’École des Maris. C’est en parlant au dernier que Sganarelle, son frère, dit, acte I, scène ii :
    Hé ! qu’il est doucereux ! c’est tout sucre et tout miel.