Lettre *373, 1674 (Sévigné)

Texte établi par Monmerqué, Hachette (3p. 382-384).
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1674

*373. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

[À Paris… janvier[1].]

C’est une belle chose que de conserver les cœurs des consuls quand on reçoit ici des chagrins, et que la divine présence de l’Évêque viendroit triompher. Il ne sauroit trop tôt venir après avoir fait une si belle résidence. Je faisois remarquer à M. d’Andilly qu’il n’a pas été quinze jours à Marseille.

J’admire tout ce qu’on m’avoit assuré des chagrins de M. Marin[2], et comme on m’avoit assuré que le mariage de sa fille étoit rompu : tout cela est faux ; on est trompé d’une rue à l’autre, comme de Paris à Aix. Il n’est point vrai que M. de Vivonne veuille changer son gouvernement[3] ; du moins on n’en parle pas. Le Roi ne pouvoit pas ignorer vos brouilleries avec l’Évêque, puisque M. Colbert a écrit pour vous réconcilier, et que Sa Majesté a ordonné à l’Intendant de vous raccommoder[4] ; et puis le Roi voit bien par le procédé de l’Évêque que vous n’êtes pas bons amis. Ah ! quel homme que ce Marseille ! depuis qu’une relation a passé par ses mains, elle n’est plus reconnoissable. La pauvre vérité est altérée de toutes parts, et toujours sous des apparences de sincérité qui font des dupes des plus honnêtes gens du monde, et qui me font sauter aux nues. Je n’ai rien sur ma conscience pour n’avoir pas détrompé qui j’ai pu, et je ne puis pas me reprocher d’avoir perdu aucune version, ni négligé aucun ton, ni aucune rhétorique, pour éclairer les aveugles. Vous couronnerez l’œuvre, et M. de Grignan parlera une bonne fois à Sa Majesté.

J’ai été une heure aujourd’hui avec M. de Pompone. Il m’a parlé de l’affaire du conseil d’Aix ; il voudroit qu’elle ne fût point arrivée présentement. Je crains que l’on ne fasse voir que c’est vous qui poussez partout les restes de la cabale d’Oppède[5] ; et comme on en est encore content, et que c’est avec ce ramassis de sac et de corde qu’on servoit Sa Majesté, on pourroit craindre qu’on ne rétablît le règlement, malgré l’arrêt du parlement, et ce seroit le clouer et le protéger pour toujours. Il ne falloit point toucher à cet article. C’est la Pluie[6] qui dit cela ; et moi je vous ôte cette affaire de dessus le dos tant que je puis, en disant tout ce qu’il faut dire ; mais Dieu sait le beau champ que trouvera l’Évêque à parler là-dessus ! Ce que j’ai obtenu, c’est qu’il vous attendra pour parler de cette affaire, quoiqu’il en soit pressé par plusieurs lettres qu’on lui a écrites de toutes parts. Quand on peut[7] dire que vous n’avez point de part à ce que fait M. de Ragusse, on rit au nez. Enfin venez, ma bonne.


  1. Lettre 373 (revue sur une ancienne copie). — 1. La lettre est sans date dans le manuscrit qui nous l’a conservée. Dans le Recueil de lettres inédites (1827) où elle a paru pour la première fois, on l’a datée du mercredi 6 janvier ; c’est une erreur, pour deux raisons tout au moins : d’abord le 6 janvier en 1674 est un samedi, et non un mercredi ; puis, le duc de Vivonne ne fut nommé que le 10 janvier au gouvernement (de Champagne et de Brie) dont il est parlé dans une des premières phrases du second alinéa. Sans fixer le jour, nous supposons que cette lettre pourrait être de la semaine qui commence au dimanche 14 janvier.
  2. 2. Le premier président du parlement d’Aix. On lit dans la copie : « M. de Marin, »
  3. 3. Voyez la note 1.
  4. 4. Voyez la lettre de Colbert à l’évêque de Marseille du 1er janvier 1674 (Walckenaer, tome V, p. 49), les lettres du comte de Grignan à Colbert (nos 361 et 363), et la note 2 de la lettre 357.
  5. 5. Qui était premier président du parlement d’Aix avant Marin : voyez la Notice, p. 125. — Le baron d’Oppède avait fini par se lier d’amitié avec Mme de Grignan, mais ce n’était pas une raison pour que ses partisans (ce que Mme de Sévigné appelle sa cabale) en eussent fait autant.
  6. 6. Pompone.
  7. 7. C’est la leçon du manuscrit. Ne faut-il pas veut, au lieu de peut ?