Lettre *301, 1672 (Sévigné)

Texte établi par Monmerqué, Hachette (3p. 157-160).
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1672

* 301. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN À MADAME DE SÉVIGNÉ.

Le lendemain du jour que j’eus reçu cette lettre (du 22 juillet, voyez p. 151), j’y fis cette réponse.

À Bussy, ce 29e juillet 1672.

Cette lettre-ci sera un peu hors de saison quand vous la recevrez, Madame ; car il faut qu’elle aille à Paris, et de là en Provence. La date sera vieille, mais acte de mes diligences : j’aurai toujours fait mon devoir.

Voilà, dit-on, la paix faite avec les Hollandois, et le Roi de retour[1]. S’il n’étoit content de sa gloire, il seroit insatiable ; il en a pour le moins pour faire quatre héros.

On me mande que l’Angleterre déclare la guerre à l’Espagne, et que le Roi assiste ses amis les Anglois d’un petit secours qui pourra être d’environ cent mille hommes, commandés par le vicomte, maréchal, prince[2].

Mlles de Bussy apprennent l’italien, et j’en ramasse les miettes.

Quand je n’aurois pas été à Dijon pour le procès du comte de Limoges, je n’aurois pas été à votre passage en l’Autunois ; car je n’en ai rien su que lorsque vous n’y étiez plus. Ceux que vous aviez chargés de me le faire savoir, ne l’ont pas fait. J’en suis bien fâché, car j’y aurois couru, et le procès de ce pauvre garçon n’auroit pas été plus perdu. Si vous voulez tenir la même route en revenant, et que ce soit depuis la Saint-Martin[3] jusqu’au mois de mai, j’aurai la joie de vous voir à Chaseu, quand Jupiter ne le voudroit pas. Vous n’y mangerez pas de si bons morceaux que sur sa montagne ; mais en récompense vous y aurez plus de plaisir. Quand je vous parle ainsi, je vous traite comme moi-même. Vous savez le peu de cas que je fais de la bonne chère.

Vous avez raison de dire que les dehors de Montjeu sont fort embellis depuis seize ans, et que ce temps-là n’a pas fait le même effet en vous. Je n’en sais pourtant rien, mais je m’en doute. Cependant j’ai ouï dire à des gens qui vous ont vue depuis peu, que, comme disoit Benserade de la lune :

Et toujours fraîche et toujours blonde,
Vous vous maintenez par le monde[4].

Ce qui vous tient en cet état, c’est à mon avis le contraire de ce qui embellit les jardins. Il y faut travailler, et si l’on vous cultivoit, vous ne seriez pas si belle que vous êtes ; mais vous avez mis bon ordre à réparer les dommages que les années feront un jour à vos attraits. Vous avez fait une certaine provision d’esprit, outre celui que Dieu vous a donné, que vous n’useriez pas en un siècle. Si nous nous voyions souvent vous et moi, nous nous en porterions mieux ; car rien ne contribue tant à la santé que la joie. Ce sera quand il plaira à Jupiter, puisque Jupiter y a.

Je suis bien aise que vous ayez trouvé la petite Toulongeon à votre gré. C’est un ouvrage de mes mains, aussi bien que Mlles de Bussy ; cela soit dit sans offenser l’honneur de feu Mme d’Epinac[5].

Mes filles sont vos servantes. Elles vous aimeroient fort quand vous ne seriez pas leur tante et leur marraine ; cela ne gâte rien.

Il faut dire le vrai, vous êtes bien tendre de faire plus de trois cents lieues pour voir les gens que vous aimez. Ce ne seroit rien à nous autres galants pour une dame comme Mme de Grignan, qui seroit fort aise de nous voir ; mais pour une mère qui n’a que de la tendresse, c’est quelque chose que cette peine. Ramenez la belle, j’en serai fort aise ; car j’aime à voir finir les exils.


  1. Lettre 301. — 1. Le Roi rentra à Saint-Germain le 1er août ; mais la paix n’était point faite.
  2. 2. Dans la copie autographe de Bussy on a biffé les quatre derniers mots de cette phrase. Une autre main a écrit au-dessus, dans l’interligne : « M. de Turenne. » Voyez plus haut, p. 49, note 6.
  3. 3. Le 11 novembre.
  4. 4. Ces vers, dont Bussy renverse l’ordre, sont tirés de la IIIe partie (2e entrée) du Balet royal de la Nuit, dansé par le Roi en 1653 :

    Ô Lune, sans faire du bruit,
    Vous avez bien rôdé la nuit ;
    Vous vous maintenez par le monde,
    Et toujours fraîche, et toujours blonde :
    Mais comment vos attraits ne sont-ils point usés ?
    Ce n’est pas d’aujourd’hui, Lune, que vous luisez.

    (Œuvres de M. de Bensserade, 1697, tome II, p. 45 et 46.)

  5. 5. Mère de la jeune comtesse de Toulongeon. Voyez la note 5 de la lettre 299, à laquelle celle-ci répond.