Les rues de Paris/Geoffroy-Marie

Bray et Rétaux (tome 1p. 428-430).
GEOFFROY-MARIE


Cette rue fut ouverte en 1842 seulement, sur les terrains dits de la Boule-Rouge, appartenant à l’Hôtel-Dieu de Paris, en vertu d’une donation fort ancienne faite par Geoffroy cordonnier à Paris, et Marie, son épouse, lesquels, d’après le contrat, à la date du mois d’avril 1261[1], ont cédé aux pauvres de l’Hôtel-Dieu une pièce de terre de huit arpents située vis-à-vis la grange qui est appelée la Grange-Bataillière ; plus un arpent et demi de vignes, sis en trois pièces dans la censive de Saint Germain-des-Prés (avec réserve de l’usufruit) ; plus quarante sols parisis de rente annuelle et perpétuelle à prendre sur une maison appartenant auxdits sieur et dame.

« En récompense de quoi, dit le contrat, les Frères dudit Hôtel-Dieu ont concédé à toujours auxdits Geoffroy et Marie la participation, comme ils l’ont eux-mêmes, aux prières et aux bienfaits qui ont été faits et se feront à l’avenir au susdit Hôtel-Dieu. Et aussi ont promis lesdits Frères de donner et fournir, en récompense de ce qui précède, auxdits Geoffroy et Marie, pendant leur vie et au survivant d’eux, tout ce qui sera nécessaire pour la nourriture et l’habillement à la manière des Frères et des Sœurs dudit Hôtel-Dieu, quelle que soit leur manière d’être et dans quelque état qu’ils deviennent et se trouvent. »

Cet acte est intéressant à rappeler sous plus d’un rapport : il fut passé en plein moyen-âge, dans ces temps si fort décriés et souvent calomniés par certains écrivains de peu de science ou de peu de bonne foi. Il montre la sollicitude dont les pauvres, ces membres souffrants de Jésus-Christ, étaient l’objet alors ; car ce n’est pas à l’établissement, c’est aux pauvres mêmes, qu’on y soignait et entretenait en grand nombre, qu’est faite la donation ; les bons Frères ne sont là que leurs représentants ; c’est en leur nom qu’ils acceptent et aux conditions si touchantes qu’on a vues. Cet acte prouve encore que l’aisance, la richesse même, n’étaient point en ce temps, comme on est porté à le croire, le partage uniquement des classes supérieures, de la noblesse en particulier, puisque de petits bourgeois de Paris, en exerçant une industrie assurément des plus modestes, avaient pu acquérir une fortune si considérable même pour l’époque.

Une partie de ces terrains, restés la propriété de l’hospice, fut vendue, au mois de novembre 1840, pour la somme énorme de 3,075,800 fr., à MM. Maufra et Pène ; ce dernier fut autorisé, par ordonnance royale du 10 janvier 1842, à ouvrir sur cet emplacement une rue nouvelle, dite rue Geoffroy-Marie, en souvenir du cordonnier et de sa femme, les anciens et généreux donataires. On ne saurait trop applaudir à cet acte de gratitude pour les deux pauvres bourgeois du treizième siècle, dont le bienfait si considérable, qui n’avait eu d’autre mobile que la charité, remis en lumière et comme rajeuni par la publicité, obtient ainsi après tant d’années sa récompense temporelle, sans préjudice de l’autre bien autrement précieuse et qu’ont reçue dès longtemps sans doute Geoffroy et Marie.


FIN DU PREMIER VOLUME.
  1. Sous le règne de Saint-Louis.