Les portes des grands

Recueil de contes populaires grecs
Ernest Leroux, éditeur (Collection de contes et de chansons populaires, I) (p. 53-55).




LES PORTES DES GRANDS





Commencement du conte, etc.

Il était une fois un vieillard qui avait un pommier, et ce pommier produisait des pommes deux fois l’an. Un jour de janvier, il advint que le roi passa par là déguisé ; il aperçut le vieillard qui était assis sous son pommier et le gardait.

Il lui dit : « Que fais-tu là, vieillard ? »

« Seigneur, je garde les pommes de mon pommier. »

« Et où ton pommier a-t-il trouvé des pommes par un temps pareil ? »

« Prenez-en, seigneur, » lui dit le vieillard ; et il cueille des pommes, et les lui donne.

Alors le roi lui laisse un écrit et lui dit de venir le trouver le lendemain dans la plus grande maison de la ville. Après avoir ainsi parlé, il s’en alla. Le lendemain, le vieillard prend le petit billet et se rend au palais, car c’était la plus grande maison de la ville. Quand il y arriva et que le premier soldat le vit si sale et si mal vêtu, il lui dit des injures et le repoussa pour le faire partir. Mais le vieillard lui montra le billet, et alors le soldat le laissa entrer. Bref, il eut à subir les mêmes avanies de la part du second et du troisième soldat ; et, quand il arriva au dernier, qui se tenait à la porte du roi, ce soldat se mit aussitôt à l’injurier, et, levant la crosse de son fusil, il en frappa le pauvre vieillard de telle sorte qu’il lui meurtrit la chair, parce que, disait-il, il avait l’effronterie de salir les escaliers avec ses vilaines chaussures. Alors le pauvre vieux se retira très irrité. Mais le roi, à son réveil, demanda s’il n’était point venu un vieux paysan au palais. On lui dit qu’il était venu et qu’on l’avait chassé. Le roi se mit en colère et envoya des gens lui chercher le vieillard ; mais celui-ci ne voulait pas retourner au palais, et ce ne fut qu’à force de prières qu’on le décida à revenir. Quand le roi le vit, il lui dit de s’asseoir ; ensuite il lui donna un billet à porter à son caissier, pour qu’il lui versât cent florins. Lorsque le vieillard fut sorti, il se perdit dans les corridors du palais, et il allait de porte en porte, et les soldats qui se tenaient aux portes, le voyant sale et mal vêtu, l’injuriaient et le repoussaient de partout. Enfin, il arriva, non sans beaucoup de peine, auprès du caissier. Celui-ci, voyant la lettre du roi, lui donna les cent florins. Quand il les lui eut remis, le vieillard lui dit : « Monsieur le caissier, donnez-moi, s’il vous plaît, une plume, une écritoire et du papier. »

« Pourquoi faire ? » lui dit le caissier.

« C’est pour écrire une recommandation à mes enfants, pour leur dire de ne jamais entrer par de si grandes portes, ni eux, ni leurs enfants, ni les enfants de leurs enfants. »

Je n’étais pas là, ni vous non plus, pour que vous croyiez ceci.