Traduction par Edmond Barbier.
Précédé d’une Introduction biographique et augmenté de notes complémentaires par Charles Martins
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Texte établi par Francis Darwin Voir et modifier les données sur WikidataParis : C. Reinwald et C.ie, libreires-éditeurs, 15, rue des Saints-Pères, D. Appleton & Company Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 72-82).

CHAPITRE IV.

effets de la chaleur sur les feuilles.

Nature des expériences. — Effets de l’eau bouillante. — L’eau tiède provoque une inflexion rapide. — L’eau portée à une température plus élevée ne provoque pas une inflexion immédiate, mais ne tue pas les feuilles, ce que prouvent leur redressement subséquent et l’agrégation du protoplasma. — Une température encore plus élevée tue les feuilles et fait coaguler les parties albumineuses des glandes.


Dans le cours de mes observations sur le Drosera rotundifolia je m’aperçus que les feuilles semblaient s’infléchir plus rapidement sur les substances animales et restaient infléchies pendant un laps de temps plus long quand la température était élevée que pendant un temps froid. Ceci me conduisit à rechercher si la chaleur seule cause l’inflexion, et quelle température est la plus efficace. Il se présentait, en outre, un autre point intéressant à élucider : à quel degré de température la vie s’éteint-elle ? Le Drosera, en effet, offre des facilités extraordinaires pour des recherches de cette nature, non pas tant parce que les tentacules perdent la faculté de s’infléchir, mais parce qu’ils perdent la faculté de reprendre subséquemment leur position naturelle et, surtout, parce que le protoplasma ne s’agrège plus quand les feuilles, après avoir été soumises à l’action de la chaleur, sont plongées dans une solution de carbonate d’ammoniaque[1].

Voici quelles furent mes expériences et la façon dont je procède. Je coupe des feuilles, et je dois faire remarquer tout d’abord que cela n’a pas la moindre influence sur leur puissance d’action ; par exemple, j’ai placé des petits morceaux de viande sur 3 feuilles coupées, placées dans un endroit humide ; au bout de vingt-trois heures les tentacules et la feuille elle-même s’étaient complètement infléchis pour embrasser la viande et le protoplasma des cellules était complètement agrégé. Je place dans une capsule de porcelaine 3 onces (93 grammes) d’eau, provenant d’une double distillation, et je plonge obliquement dans cette eau un thermomètre très-sensible ayant un long réservoir. L’eau est portée graduellement à la température requise au moyen d’une lampe à alcool dont je dirige la flamme alternativement sur toutes les parties de la capsule ; dans tous les cas, j’agite les feuilles pendant quelques minutes tout auprès du réservoir du thermomètre. Je plonge ensuite les feuilles dans l’eau froide ou dans une solution de carbonate d’ammoniaque. Dans d’autres cas, je laisse les feuilles dans l’eau, portée à une certaine température, jusqu’à ce que cette eau se soit refroidie. Dans d’autres cas encore, je plonge brusquement les feuilles dans de l’eau portée à une certaine température et je les y laisse pendant un laps de temps déterminé. Si l’on considère que les tentacules sont extrêmement délicats et qu’ils ont des parois très-minces, il n’est guère possible que le liquide contenu dans les cellules ne soit pas porté à la même température que l’eau environnante, ou qu’il y ait tout au plus 4 degré ou 2 de différence. Il m’aurait semblé, d’ailleurs, parfaitement superflu de prendre d’autres précautions, car les feuilles présentent quelques légères différences dans leur sensibilité à la chaleur, selon qu’elles sont plus ou moins âgées, ou qu’elles ont une constitution un peu différente.


Il est indispensable de décrire d’abord les effets d’une immersion pendant trente secondes dans l’eau bouillante. Les feuilles deviennent flasques, les tentacules s’inclinent en arrière, ce qui est probablement dû, comme nous le verrons dans un autre chapitre, à ce que les surfaces extérieures conservent leur élasticité pendant plus longtemps que les surfaces intérieures ne conservent la faculté de se contracter. Le liquide pourpre contenu dans les cellules des pédicelles se transforme en granules très-petits, mais il ne se produit aucune agrégation véritable. Cette agrégation ne se produit d’ailleurs pas davantage quand on plonge subséquemment les feuilles dans une solution de carbonate d’ammoniaque. Toutefois, la modification la plus remarquable est que les glandes deviennent opaques et uniformément blanches ; on peut attribuer ce fait à la coagulation des matières albumineuses qu’elles contiennent.

Ma première expérience, expérience toute préliminaire, consista à placer 7 feuilles dans une même capsule et à porter lentement l’eau qu’elle contenait à la température de 110° F. (43°,3 centig.). Je retirai une feuille dès que la température se fut élevée à 80⁰ F (26°,6 centig.), une autre à 85° F., une autre à 90° F. et ainsi de suite. Chaque feuille, dès qu’elle était retirée de l’eau chaude, était placée dans de l’eau à la température ambiante ; tous les tentacules de toutes les feuilles s’infléchirent bientôt légèrement, mais irrégulièrement. Je retirai alors les feuilles de l’eau froide et je les disposai dans un endroit humide en plaçant un petit morceau de viande sur le disque de chacune d’elles. Au bout de quinze minutes, la feuille qui avait été exposée à une température de 110° F. s’était infléchie dans de fortes proportions ; au bout de deux heures, tous les tentacules de cette feuille s’étaient complétement recourbés sur la viande. Il en fut de même des 6 autres feuilles, mais après un intervalle un peu plus long. Il semble donc que le bain chaud augmente la sensibilité de la feuille au point de vue de l’excitation par la viande.

J’observai ensuite le degré d’inflexion que subissent les feuilles, pendant une période de temps déterminée, quand on les laisse dans l’eau chaude conservée autant que possible à la même température ; mais je ne relaterai ici que quelques-unes des nombreuses expériences que j’ai faites. Je laissai une feuille pendant dix minutes, dans de l’eau portée à 100° F. (37°,8 centig.) ; aucune inflexion ne se produisit. Toutefois, chez une seconde feuille traitée de la même façon, quelques tentacules extérieurs s’infléchirent très-légèrement au bout de six minutes et plusieurs autres irrégulièrement au bout de dix minutes, mais sans qu’ils fussent fortement infléchis. Une troisième feuille, maintenue. dans de l’eau portée de 105⁰ à 106° F. (40°,5 à 41°,1 centig.), présenta de légères traces d’inflexion au bout de six minutes. Une quatrième feuille, maintenue dans de l’eau à 110° F. (43°,3 centig.) s’infléchit quelque peu au bout de quatre minutes et considérablement au bout de six à sept minutes.

Je plaçai alors 3 feuilles dans de l’eau chauffée assez rapidement ; au moment où la température s’élevait à 115° ou 116° F. (46°,1 à 46°,6 centig.), les tentacules de ces 3 feuilles s’étaient infléchis. J’enlevai alors la lampe et, au bout de quelques minutes, tous les tentacules étaient fortement infléchis. Le protoplasma, à l’intérieur des cellules, n’avait pas été tué, car on le voyait distinctement en mouvement ; d’ailleurs, après une immersion de vingt heures dans l’eau froide, les tentacules de ces trois feuilles se redressèrent. Je plongeai une autre feuille dans de l’eau portée à 100° F. (37°,8 centig.) que je portai ensuite à 120° F. (48°,8 centig.) ; tous les tentacules, sauf ceux du bord extrême, s’infléchirent bientôt fortement. Je plongeai alors la feuille dans l’eau froide et, au bout de sept heures et demie, les tentacules étaient en partie redressés : au bout de dix heures, ils étaient complètement redressés. Le lendemain matin, je plongeai cette feuille dans une faible solution de carbonate d’ammoniaque ; les glandes noircirent rapidement et j’observai une forte agrégation dans les tentacules, preuve que le protoplasma était vivant et que les glandes n’avaient pas perdu leur puissance d’action. Je plongeai une autre feuille dans de l’eau à 110° F. (43°,3 centig.) que je portai à 120° F. (48°,8 centig.) ; tous les tentacules, sauf un seul, s’infléchirent fortement au bout de quelques instants. Je plongeai alors cette feuille dans quelques gouttes d’une forte solution de carbonate d’ammoniaque (1 partie de carbonate pour 109 parties d’eau) ; au bout de dix minutes toutes les glandes étaient devenues noir foncé, et au bout de deux heures le protoplasma des cellules des pédicelles était complètement agrégé. Je plongeai soudainement une autre feuille et je l’agitai, comme à l’ordinaire, dans de l’eau portée à 120° F. ; tous les tentacules étaient infléchis au bout de deux ou trois minutes, mais seulement de façon à faire un angle droit avec le disque. Je plongeai alors la feuille dans la même solution (c’est-à-dire une partie de carbonate d’ammoniaque pour 109 parties d’eau ou 4 grains à l’once, ce que je désignerai à l’avenir sous le nom de forte solution) ; quand j’examinai la feuille au bout d’une heure, les glandes étaient noircies et l’agrégation très-prononcée. Après un autre intervalle de quatre heures, les tentacules étaient beaucoup plus infléchis. Il est bon de remarquer qu’une solution aussi forte que celle que je viens d’indiquer ne cause jamais d’inflexion dans les cas ordinaires. Enfin, je plongeai, brusquement une feuille dans de l’eau portée à 125° F. (51°,6 centig.) et je l’y laissai jusqu’à ce que l’eau fût refroidie ; les tentacules devenus rouge brillant s’infléchirent bientôt. Le liquide des cellules présenta quelque degré d’agrégation qui augmenta pendant trois heures ; toutefois, les masses de protoplasma ne devinrent pas sphériques, contrairement à ce qui arrive presque toujours quand on plonge les feuilles dans une solution de carbonate d’ammoniaque.

Ces différentes expériences nous prouvent qu’une température de 120° à 125° F. (48°,8 à 51°,6 centig.) provoquent chez les tentacules des mouvements rapides, mais ne tuent pas les feuilles, ce que prouve le redressement ultérieur des tentacules et l’agrégation du protoplasma. Nous allons voir actuellement qu’une température de 130° F. (54°,4 centig.) est trop élevée pour causer une inflexion immédiate, mais que, cependant, elle ne tue pas les feuilles.

Première expérience. — Je plongeai une feuille, et, comme dans toutes les expériences qui vont suivre, je l’agitai pendant quelques minutes, dans de l’eau portée à 130° F. (55°,5 centig.) ; aucune trace d’inflexion ne se produisit. Je plongeai alors la feuille dans l’eau froide et, au bout de quinze minutes, j’observai un mouvement distinct, mais très-lent dans une petite masse de protoplasma renfermée dans une des cellules d’un tentacule[2]. Au bout de quelques heures tous les tentacules et la feuille elle-même étaient infléchis.

Deuxième expérience. — Je plongeai une autre feuille dans de l’eau portée de 130° à 131° F. (55°,5 à 56°,4 cent.) ; comme dans l’expérience précédente, aucune inflexion ne se produisit. Après avoir maintenu la feuille dans l’eau froide pendant une heure, je la plongeai dans la forte solution de carbonate d’ammoniaque ; au bout de cinquante-cinq minutes les tentacules s’étaient considérablement infléchis. Les glandes, qui avaient d’abord pris une teinte rouge brillant, étaient devenues noires. Le protoplasma des cellules des tentacules s’était nettement agrégé, mais les globules étaient beaucoup plus petits que ceux produits ordinairement par l’action du carbonate d’ammoniaque chez les feuilles qui n’ont pas été soumises à la chaleur. Au bout d’un autre intervalle de deux heures tous les tentacules, sauf 6 ou 7, s’étaient complètement infléchis.

Troisième expérience. — Expérience faite dans les mêmes conditions que la précédente avec des résultats absolument analogues.

Quatrième expérience. — Je plongeai une belle feuille dans de l’eau à 100° F ; (37°,7 centig.) que je portai ensuite à 145° F. (62°,7 centig.). Peu après l’immersion il se produisit, comme on devait s’y attendre, une forte inflexion. J’enlevai alors la feuille et je la plongeai dans l’eau froide ; mais, en raison de la haute température à laquelle elle avait été exposée, les tentacules ne se redressèrent pas.

Cinquième expérience. — Je plongeai une feuille dans de l’eau à 130° F. (55°,5 centig.), puis je portai l’eau à 145° F. (62°,7 centig.) ; l’inflexion ne se produisit pas immédiatement ; je plongeai alors la feuille dans l’eau froide et, au bout d’une heure vingt minutes, quelques tentacules d’un côté de la feuille s’infléchirent. Je mis alors cette feuille dans la forte solution de carbonate d’ammoniaque ; au bout de quarante minutes tous les tentacules sous-marginaux s’étaient bien infléchis et les glandes s’étaient noircies. Après un autre intervalle de deux heures quarante-cinq minutes tous les tentacules sauf 8 ou 10 étaient fortement infléchis et les cellules présentaient quelques traces d’agrégation ; toutefois, les globules de protoplasma étaient très-petits et les cellules des tentacules extérieurs contenaient quelques matières brunâtres pulpeuses ou désagrégées.

Sixième et septième expérience. — Je plongeai deux feuilles dans de l’eau à 135° F. (57°,2 centig.) que je portai à 145° F. (62°,7 centig.) ; ni l’une ni l’autre ne présenta aucun signe d’inflexion. Toutefois, l’une de ces feuilles, après avoir été maintenue pendant trente et une minutes dans l’eau froide, présenta quelques traces d’inflexion ; celle-ci s’accrut pendant un autre intervalle d’une heure quarante-cinq minutes au bout duquel temps tous les tentacules, sauf 16 ou 17, étaient plus ou moins infléchis ; mais la feuille avait été si complètement atteinte que les tentacules ne se redressèrent plus. L’autre feuille, après avoir séjourné pendant une demi-heure dans l’eau froide, fut plongée dans la forte solution de carbonate d’ammoniaque, mais aucune inflexion ne se produisit ; toutefois, les glandes noircirent et je remarquai quelques traces d’agrégation dans quelques cellules, mais les globules de protoplasma restèrent extrêmement petits ; dans d’autres cellules, surtout dans celles des tentacules extérieurs, j’observai beaucoup de matière pulpeuse brun-verdâtre.


Huitième expérience. — Je plongeai une feuille et je l’agitai pendant quelques minutes dans de l’eau portée à 140° F. (60° centig.) ; je la plongeai ensuite dans de l’eau froide et je l’y laissai pendant une demi-heure sans qu’il se produisît aucune inflexion ; je la plongeai enfin dans la forte solution de carbonate d’ammoniaque ; au bout de deux heures trente minutes, les tentacules sous-marginaux intérieurs étaient bien infléchis, leurs glandes s’étaient noircies, et je pus observer des traces d’agrégation imparfaite dans les cellules des pédicelles. 3 ou 4 glandes portaient des taches blanches ayant l’aspect de la porcelaine et semblables à celles que produit l’eau bouillante. C’est la seule fois que j’aie observé ce résultat après une immersion de quelques minutes, dans de l’eau portée seulement à 140° F. ; j’ai vu le même résultat, se produire chez une feuille sur quatre après une immersion semblable à une température de 145° F. D’autre part, je plongeai deux feuilles, l’une dans de l’eau portée à 145° F. (62°,7 centig.) et l’autre dans de l’eau à 140° F. (60° centig.) ; je les y laissai jusqu’à ce que l’eau se fût refroidie ; les glandes des deux feuilles blanchirent et prirent l’aspect de la porcelaine. Cette expérience prouve que la durée de l’immersion constitue un élément important.

Neuvième expérience. — Je plongeai une feuille dans de l’eau à 140° F. (60° centig.) que je portai à 150° F. (65°,5 centig.) ; aucune inflexion ne se produisit ; au contraire, les tentacules extérieurs étaient quelque peu inclinés en arrière. Les glandes ressemblaient à de la porcelaine, toutefois, quelques-unes étaient légèrement tachetées de pourpre. La base des glandes était souvent plus affectée que le sommet. Je plongeai cette feuille dans la forte solution de carbonate d’ammoniaque, mais il ne se produisit ni inflexion ni agrégation.

Dixième expérience. — Je plongeai une feuille dans de l’eau portée de 150° à 150°,5 F. (65°,5 centig.) ; elle devint quelque peu flasque ; les tentacules extérieurs s’inclinèrent légèrement vers l’extérieur ; les tentacules intérieurs, mais seulement vers le sommet, s’infléchirent un peu vers l’intérieur ; ce fait prouve que ce n’était pas un mouvement de véritable inflexion, car, dans ce dernier cas, c’est seulement la base qui se courbe. Comme à l’ordinaire, les tentacules prirent une teinte d’un rouge très-brillant ; les glandes étaient presque aussi blanches que de la porcelaine bien que légèrement teintées de rose. Après l’immersion de cette feuille dans la forte solution de carbonate d’ammoniaque, le liquide contenu dans les cellules des tentacules se transforma en une sorte de boue brune, mais sans présenter aucune trace d’agrégation.

Onzième expérience. — Je plongeai une feuille dans de l’eau à 145° F. (62°,7 centig.) que je portai à 156° F. (68°,8 centig.) : Les tentacules devinrent rouge brillant et s’inclinèrent quelque peu vers l’extérieur, presque toutes les glandes ressemblaient à de la porcelaine ; les glandes surmontant les tentacules du disque avaient conservé une teinte rosée, celles surmontant les tentacules extérieurs étaient absolument blanches. Je plongeai cette feuille, comme à l’ordinaire, d’abord dans l’eau froide, puis dans la forte solution de carbonate d’ammoniaque ; le liquide des cellules des tentacules se transforma en une boue brun-verdâtre sans que le protoplasma s’agrégeât. Néanmoins, 4 glandes ne prirent pas cette apparence de porcelaine et leurs pédicelles se courbèrent en spirale vers leur extrémité supérieure ; mais on ne peut, en aucune façon, considérer ce mouvement comme un cas de véritable inflexion. Le protoplasma contenu dans les cellules des parties contournées s’était agrégé en globules pourpres distincts, mais très-petits. Cette expérience prouve clairement que le protoplasma, après avoir été exposé pendant quelques minutes à une haute température, conserve encore la faculté de s’agréger quand on le soumet à l’action du carbonate d’ammoniaque, à moins que la chaleur n’ait été suffisante pour causer la coagulation.

Conclusions. — Comme les tentacules piliformes sont très-minces et ont des parois très-délicates, comme les feuilles ont été, dans toutes mes expériences, agitées pendant quelques minutes tout auprès du réservoir du thermomètre, il n’est guère possible que la température des tentacules n’ait pas été presque exactement la même que celle indiquée par l’instrument. Les onze observations précédentes nous enseignent qu’une température de 130° F. (55°,5 centig.) ne produit jamais l’inflexion immédiate des tentacules, bien qu’une température de 120° à 125° F. (48°,8 à 51°,6 centig.) produise rapidement cet effet. Mais la température de 130° F. ne paralyse les feuilles que pendant quelques instants ; car, soit qu’on les plonge ensuite dans l’eau pure ou dans une solution de carbonate d’ammoniaque, les tentacules s’infléchissent et le protoplasma s’agrège. On peut comparer cette grande différence résultant d’une température plus haute ou plus basse, avec les effets produits sur la feuille par l’immersion dans une solution forte ou faible des sels d’ammoniaque ; les solutions fortes, en effet, ne causent aucun mouvement, tandis que les solutions faibles agissent très énergiquement. Sachs[3] appelle rigidité calorifique la suspension temporaire de la faculté du mouvement causée par la chaleur ; chez la sensitive (Mimosa) cette suspension est produite par l’exposition de la plante, pendant quelques minutes, à un courant d’air humide porté à 120° ou 122° F., soit 49° à 50° centig. Il faut remarquer que les feuilles du Drosera, après avoir été plongées dans de l’eau portée à 130° F., se mettent en mouvement sous l’action d’une solution de carbonate d’ammoniaque si forte qu’elle paralyserait des feuilles ordinaires et ne causerait aucune inflexion.

L’exposition des feuilles, pendant quelques minutes, même à une température de 145° F. (62°,7 centig.) ne les tue pas toujours ; en effet, quand on les plonge ensuite dans l’eau froide, ou dans une forte solution de carbonate d’ammoniaque, les tentacules s’infléchissent ordinairement et le protoplasma des cellules s’agrège, bien que les globules formés soient très-petits et que beaucoup de cellules soient remplies en partie de matière trouble brunâtre. Dans deux cas où les feuilles ont été plongées dans de l’eau à une température inférieure à 130° F. (55°,5 centig.) ; portée ensuite à 145° F. (62°,7 centig.), ces feuilles s’infléchirent pendant la première partie de l’immersion, mais, malgré un séjour subséquent très-prolongé dans l’eau froide, les tentacules ne purent pas se redresser. Une exposition de quelques minutes à une température de 145° F. produit quelquefois sur les glandes les plus sensibles des taches ayant tout l’aspect de la porcelaine ; dans un cas, ce phénomène se produisit à une température de 140° F. (60° centig.). Dans une autre occasion, toutes les glandes d’une feuille plongée dans l’eau à cette température peu élevée de 140° F., mais laissée dans cette eau jusqu’à ce qu’elle se soit refroidie, prirent l’aspect de la porcelaine. L’exposition, pendant quelques minutes, à une température de 150° F. (65°,5 centig.) produit ordinairement cet effet ; cependant, beaucoup de glandes conservent une teinte rosée et beaucoup deviennent tachetées. Cette haute température ne cause jamais une véritable inflexion ; les tentacules, au contraire, s’inclinent ordinairement en sens inverse, mais à un degré moindre que quand on plonge la feuille dans l’eau bouillante, effet qui semble dû à leur faculté élastique passive. Après l’exposition à une température de 150° F. le protoplasma soumis à l’action du carbonate d’ammoniaque se désagrège au lieu de s’agréger et se transforme en matières pulpeuses incolores. En un mot, ce degré de chaleur tue ordinairement les feuilles ; mais, grâce à des différences d’âge et de constitution elles varient quelque peu sous ce rapport. Dans un cas anormal, quatre des innombrables glandes d’une feuille qui avait été plongée dans de l’eau portée à 156° F. (68°,8 centig.) ne prirent pas l’aspect de la porcelaine et le protoplasma contenu dans les cellules situées immédiatement au-dessous de ces glandes présenta quelques légères traces d’agrégation imparfaite[4].

Enfin, il est très-remarquable que les feuilles du Drosera rotundifolia, qui fleurit sur les landes élevées et froides de toute la Grande-Bretagne, et qui existe, d’après Hooker dans le cercle arctique, puissent supporter, même pendant très-peu de temps, une immersion dans de l’eau portée à une température de 145° F[5].

Il est utile d’ajouter que l’immersion dans l’eau froide ne cause aucune inflexion : j’ai plongé brusquement quatre feuilles, coupées sur des plantes qui avaient été maintenues pendant plusieurs jours à une haute température d’environ 75° F. (23°,8 centig.), dans de l’eau à 45° F. (7°,2 centig.), mais c’est à peine si elles furent affectées ; en tout cas, elles le furent beaucoup moins que d’autres feuilles prises sur les mêmes plantes qui furent au même moment plongées dans de l’eau à 75° F. Ces dernières, en effet, s’infléchirent quelque peu.


  1. Lorsque j’entrepris mes expériences sur les effets de la chaleur, je ne savais pas que ce sujet avait fait l’objet des études attentives de plusieurs observateurs. Sachs, par exemple, est convaincu (Traité de Bot., 1874, p. 772, 854) que les espèces les plus différentes de plantes périssent toutes si on les maintient, pendant dix minutes, dans de l’eau portée à 45° ou 46° centig., soit 113° à 115° F. ; il en conclut que le protoplasma contenu dans les cellules se coagule toujours, s’il est à l’état humide, à une température de 50° à 60° centig., soit 122° à 140°F. Max Schultze et Kühne (cités par le docteur Bastian dans la Contemp. Review, 1874, p. 528) « ont trouvé que le protoplasma des cellules des plantes sur lesquelles ils ont expérimenté a toujours été tué ou a toujours été profondément altéré par une brève exposition à une température de 118°5 F. (48° centig.) au maximum ». Comme mes résultats sont déduits de phénomènes spéciaux, c’est-à-dire l’agrégation subséquente du protoplasma et le redressement des tentacules, il me semble utile de les indiquer. Nous verrons que le Drosera résiste à la chaleur un peu mieux que la plupart des autres plantes. Il n’est pas étonnant que l’on trouve des différences considérables sous ce rapport si l’on considère que quelques organismes végétaux inférieurs croissent dans les sources d’eau chaude ; on peut consulter à cet égard les faits cités par le professeur Wyman (American journal of Science, vol. XLIV, 1867.) Ainsi, le docteur Hooker a trouvé des conferves dans de l’eau à 168° F. (75°,5 centig.) ; Humboldt dans de l’eau à 185° F (85° centig.) et Descloiseaux à 208° F. (97°,7 centig.).
  2. Sachs constate (Traité de Bot., 1874, p. 855) que les mouvements du protoplasma dans les poils d’une courge cessent après une immersion d’une minute dans de l’eau portée à une température de 47° à 48° centig., soit 117° à 119° F.
  3. Traité de Bot., 1874, p. 1034.
  4. L’opacité et l’aspect de porcelaine des glandes étant probablement dus à la coagulation de l’albumine, je puis ajouter, en m’appuyant sur l’autorité du docteur Burdon Sanderson, que l’albumine se coagule à environ 155° F. ; toutefois, en présence d’acides, la température de coagulation est plus basse. Les feuilles du Drosera contiennent un acide ; or, une différence dans la quantité contenue dans chaque feuille explique peut-être les légères différences que présentent les résultats indiqués ci-dessus.
  5. Il paraît que les animaux à sang froid sont, comme on aurait pu s’y attendre d’ailleurs, beaucoup plus sensibles que le Drosera à une augmentation de température. Ainsi le docteur Burdon Sanderson m’apprend qu’un crapaud commence à montrer des signes d’inquiétude dans de l’eau portée à la température de 85° F. (30°,6 cent.) seulement. À 95° F. (35,0 cent.) les muscles deviennent rigides et l’animal meurt en se raidissant.