Les oiseaux dans les harmonies de la nature/Partie 2/Chapitre 6

J.-B. Baillière, Victor Palmé, Firmin Marchand (p. 203--).

CHAPITRE VI.


Généralités.

§ 1. — QUELQUES OBJECTIONS FAITES AU SUJET DE L’UTILITÉ DES OISEAUX.

De l’étude que nous avons faite résultent les conclusions suivantes :

Nous devons, par les moyens qui sont à notre disposition, favoriser la multiplication des oiseaux de telle sorte : 1o que tous les bienfaits de l’élimination, et par cela même de la production, nous soient assurés ; 2o et que partout et toujours les mystérieux enseignements de la nature puissent se refléter dans la grâce, la beauté et le chant de ces êtres merveilleux.

Il ne faut considérer comme gibier que le plus petit nombre des oiseaux.

Quelques espèces seulement doivent être surveillées et traitées comme nuisibles.

Ce sont là autant de vérités qui nous semblent incontestables.

Et cependant elles sont quelquefois contestées.

Nous croyons avoir fourni soit implicitement, soit explicitement, dans ce présent ouvrage et dans d’autres, la réfutation des objections dont elles sont l’objet ; nous voulons seulement ajouter ici quelques mots.

Que des gourmets entraînés par leur estomac aient soutenu que les oiseaux sont avant tout un gibier ; que, pour satisfaire leur petite passion de bouche, ils soient allés jusqu’à vouloir le faire considérer et traiter comme indifférent et même nuisible à l’agriculture ; que pendant des élections, un candidat ait voulu capter le vote d’un électeur, en lui promettant de combattre certaines restrictions du droit de chasse, tout cela s’est vu très-souvent.

Cependant des hommes honorables, consciencieux et savants ont aussi contesté l’importance des oiseaux : il est vrai qu’ils sont très-peu nombreux.

Or, après mes recherches et mes observations personnelles, je me demande comment ils se sont fait cette opinion et je raisonne ainsi :

Nous avons vu, pages 60 et 61, que, dans notre vallée de la Marne, les éliminateurs donnent lieu à environ 20,000 éliminations distinctes et que chacune de nos 287 espèces d’oiseaux a reçu dans ses attributions la mission de surveiller et de régulariser l’élimination dans des circonstances très-nombreuses, quoique bien déterminées. De plus, la plupart vont en hiver porter leurs services dans le Midi. Plusieurs dépassent même l’équateur.

Or, quel homme serait assez savant dans toutes les sciences naturelles et particulièrement en entomologie, en ornithologie et en agriculture, et assez renseigné, pour dire quel a été seulement dans notre département pendant une année et à chaque heure du temps, le travail de chaque espèce et des milliards d’individus par lesquels elle est représentée, comme aussi quelle a été la nature de ses travaux et quelles en ont été toutes les conséquences immédiates et médiates ?

Pas plus, et moins que d’autres, nous avons la prétention de savoir et d’enseigner tous ces détails ; mais notre théorie de l’élimination montre que tous les éliminateurs, et surtout les oiseaux, sont utiles ou très-utiles ; que, si parfois, mais naturellement, c’est-à-dire en dehors de l’action de l’homme, ils deviennent nuisibles, parce qu’ils sont surabondants ou que la matière à éliminer est trop rare, l’équilibre se rétablit bientôt.

Les faits particuliers que l’on a observés, la détermination exacte que l’on a déjà faite de quelques espèces, confirment ce principe et je suis persuadé que plus la science fera de progrès, plus cette confirmation s’affirmera. Les objections ne seront qu’un bien, en ce sens qu’elles provoqueront de plus savantes réfutations et aussi un progrès plus accentué.

C’est ainsi qu’une brochure d’un entomologiste, M. Perris, vient de donner lieu au rapport suivant :


LES INSECTES ET LES OISEAUX.


Rapport en réponse à la question adressée par M. le Ministre de l’Agriculture et du Commerce au sujet d’une lettre de M. Lambezat, inspecteur général de l’Agriculture, et d’une brochure de M. Perris sur le rôle des oiseaux en agriculture.
société centrale d’agriculture.

M. Émile Blanchard prend la parole en ces termes, au nom de la section d’histoire naturelle agricole :

« Par une lettre en date du 7 octobre dernier, M. le ministre de l’Agriculture et du Commerce a demandé à la Société centrale d’agriculture de lui faire connaître son avis sur l’opinion exposée dans une lettre de M. Lambezat, inspecteur général de l’Agriculture, et sur les faits consignés dans une brochure de M. Perris, vice-président du conseil de préfecture des Landes.

« M. Perris conclut des faits qu’il rapporte dans sa brochure que la conservation des oiseaux n’a pas pour l’agriculture d’intérêt que généralement on lui suppose. Il prétend que, chasseurs d’insectes sans le moindre discernement, les oiseaux détruisent beaucoup d’espèces utiles, parmi un grand nombre d’espèces indifférentes : il croit qu’en fin de compte les oiseaux font plutôt du mal que du bien à l’agriculture, en faisant disparaître certains insectes préservateurs des récoltes, parce qu’ils se nourrissent d’autres insectes et de larves nuisibles. La section d’histoire naturelle agricole, après avoir examiné avec attention et le travail de M. Perris et la lettre de M. Lambezat, qui le résume, ne saurait partager l’opinion qui se trouve soutenue dans ces documents.

« Tous les naturalistes, en France, aussi bien qu’en Belgique, en Suisse, en Allemagne, en Angleterre, s’accordent pour demander, avec une extrême insistance, qu’on prenne des mesures efficaces pour la protection des oiseaux. Partout, en effet, où disparaissent les oiseaux, les insectes nuisibles à l’agriculture se multiplient dans des proportions souvent effroyables. On en a eu des preuves significatives dans les régions où, la culture ayant pris la plus grande extension possible, il ne reste plus ni arbres, ni buissons, ni haies, permettant aux oiseaux de trouver des refuges ou d’établir leurs nids. On ne trouble nulle part l’harmonie de la nature sans causer des perturbations.

« S’il est vrai que les oiseaux ne détruisent pas tous les insectes nuisibles, s’il est réel qu’ils n’atteignent pas certaines espèces, il ne demeure pas moins avéré que les oiseaux contribuent singulièrement à limiter la propagation de beaucoup d’insectes. M. Perris tombe dans une grave erreur, lorsqu’il admet que les oiseaux détruisent autant d’insectes utiles, c’est-à-dire d’espèces carnassières que d’insectes nuisibles, c’est-à-dire d’espèces phytophages. Les premières ont des moyens de se soustraire bien autrement sûrs que les secondes.

« Des recherches poursuivies pendant de longues années ont fourni mille preuves que les oiseaux ne s’emparent que rarement d’insectes carnassiers. Ces preuves, nous les tenons des observations de Florent-Prévost qui, durant près d’un demi-siècle, a ouvert l’estomac d’une multitude d’oiseaux ; nous les tenons encore des recherches plus récentes dues à M. Millet, ancien inspecteur des forêts. Cet habile investigateur, ayant constaté que les oiseaux granivores nourrissent leurs jeunes presque exclusivement d’insectes, sur une quantité d’oiseaux pris au nid, il a été reconnu que l’estomac était surtout rempli de charançons, de chrysomèles, de chenilles, de larves de tenthrèdes, c’est-à-dire d’insectes phytophages. Les mouches figuraient ensuite pour une part sensible ; les espèces carnassières n’ont jamais été rencontrées que d’une façon exceptionnelle. M. Perris se trompe encore, lorsqu’il suppose que les oiseaux ne savent pas découvrir les insectes cachés dans le feuillage ; ce sont des chasseurs très-rusés et très-adroits. Les insectes qui leur échappent sont des carnassiers habituellement à l’abri sous des pierres. Seuls, quelques entomologistes amateurs se plaignent encore des oiseaux qui mangent les insectes.

« En résumé, le mémoire de M. Perris ne peut que répandre des idées fausses et produire de fâcheux résultats. Aussi votre section d’histoire naturelle vous propose-t-elle de répondre à M. le Ministre de l’Agriculture qu’il ne saurait y avoir lieu de le répandre comme cela est demandé dans les documents soumis à votre examen ».

Ces conclusions sont mises aux voix et adoptées à l’unanimité.


(Bulletin des séances de la Société centrale
d’Agriculture de France.)


Si je reproduis ce rapport, c’est uniquement afin que les mangeurs passionnés de petits oiseaux soient moins fiers de s’appuyer sur les doctrines de M. Perris pour essayer de justifier la chasse excessive des tendues et même le dénichage.

Au très-précieux document que nous devons à la Société centrale d’Agriculture, je dois en ajouter un autre que je trouve dans le Bulletin de la Société centrale d’Insectologie, mars 1878, page 43.

Sur la proposition de M. Millet, l’assemblée émet le vœu suivant :

« Considérant que les oiseaux sont les plus puissants auxiliaires de l’homme pour la destruction des insectes nuisibles, et notamment pour celle de phylloxéra ailé de la vigne, qui, par ses dimensions et ses ailes, échappe complétement à la vue et à l’action de l’homme.

« La Société d’apiculture et d’insectologie émet le vœu que le gouvernement prenne les dispositions nécessaires pour protéger les oiseaux insectivores ».

J’ai lu des articles de journaux dans lesquels les détracteurs des oiseaux prétendent que l’action de ces animaux est, sauf quelques cas, indifférente ou nuisible pour l’agriculture ; mais ils entendent par agriculture simplement la culture des champs ou même celle des céréales. En raison de cela leurs objections n’ont qu’un semblant de raison et reposent sur une équivoque, une confusion, c’est-à-dire sur l’erreur.

Personne n’a prétendu que l’élimination de la plaine incombe au pic, celle des bois à la sarcelle et celle des eaux à l’alouette.

Quand on parle des oiseaux en général, on doit entendre par agriculture toutes les productions de la terre, qu’elles viennent de la plaine, des eaux ou des bois.

Est-il plus rationnel de dire que l’action des oiseaux dans la nature se réduit presque à rien et qu’ainsi elle est indifférente pour l’agriculture ? On aime à ajouter que ces petits oiseaux sont incapables d’arrêter beaucoup d’invasions d’insectes.

D’abord il n’est pas logique de dire qu’il faut tuer : 1o certains oiseaux, comme les rapaces ou même l’alouette, parce qu’ils sont de trop grands destructeurs ; 2o beaucoup d’insectivores, parce que leur action est trop faible. Invoquer, suivant les besoins d’une cause, l’impuissance ou l’excès des éliminations accomplies par l’oiseau, est une contradiction qui prouve qu’il y a là au moins une erreur.

Un fait est que les oiseaux ont dans le mécanisme de l’élimination le rôle que remplissent par rapport à une voiture un enrayoir et un cheval de renfort. C’est comme accessoire et complément d’une force principale qu’ils rendent de grands services. Si le Créateur les avait rendus capables d’arrêter toutes les épidémies et surtout celles que peuvent amener l’incurie ou l’aveuglement de l’homme, ils eussent été dans la nature, en temps ordinaire, c’est-à-dire le plus souvent, des perturbateurs de tout ordre économique.

Il s’en faut que les oiseaux aient été chargés de tous les genres d’élimination. On ne peut donc leur faire un crime de ne pas accomplir la tâche de tous les éliminateurs et surtout de ne pas réparer tous les bouleversements dont l’homme est la cause.

Pour justifier les plaintes que l’on porte contre les oiseaux ou contre quelques-unes de leurs espèces, on ne cite souvent que ceux de leurs actes qui semblent nuisibles ou insignifiants pour les intérêts de l’agriculture.

Or, il est de bonne justice de produire tous les faits qui sont à leur décharge.

Par exemple, en disant que, dans la première quinzaine de septembre, le chardonneret va quelquefois s’attabler sur des salades et du chanvre, il est juste d’ajouter que, pendant plus de onze mois, il n’est occupé qu’à détruire des semences de chardon ou d’autres mauvaises herbes.

Si l’on constate qu’un oiseau détruit des plantes ou des insectes, dont l’existence semble de nulle importance pour l’homme, on en conclut parfois que cet oiseau est sans utilité, et cependant le laboureur ne conserve-t-il pas, dans la morte saison de l’hiver, l’ouvrier qui lui sera indispensable en été pendant les moissons ? Il convient également que l’oiseau, dont l’élimination nous sera très-profitable en certains moments de l’année, ne meure jamais de faim.

Enfin toutes les critiques de l’oiseau ne sont faites qu’au point de vue matériel, comme si le beau pouvait être avec avantage remplacé dans la nature par le laid ou le néant, et comme si la grâce, la beauté et le chant des oiseaux ne devaient compter pour rien.

En résumé si, à l’aide des considérations que nous avons souvent exposées, l’on veut apprécier l’opinion de ceux qui contestent l’utilité des oiseaux et, par cela même, les harmonies providentielles de la création, on trouvera, nous l’espérons, qu’elle n’est pas fondée et que les malignités spirituelles par lesquelles elle s’est quelquefois manifestée ne la rendent pas meilleure.

Aussi constatons-nous qu’à très-peu d’exceptions près, les gouvernements, les sociétés savantes, agricoles et protectrices des animaux, les ornithologistes, etc., font de louables efforts pour mieux faire connaître l’utilité et l’importance des oiseaux.

J’ai reçu au sujet de mes recherches et de mes travaux des centaines de lettres approbatives. Je pourrais avec profit pour le lecteur en citer beaucoup ; mais j’ai été déjà fort long, et je me contenterai de reproduire une communication qui m’a été faite en août 1877.

Il n’est pas de naturaliste qui ne connaisse le P. David. Ce savant missionnaire a passé vingt ans en Chine, et il a tellement étudié ce pays qu’il a enrichi notre science de beaucoup de découvertes et notre muséum d’histoire naturelle de précieuses collections. Or voici ce qu’il m’a dit et ce que je recommande à la méditation de ceux qui tiennent à s’éclairer :

« Un territoire de votre vallée de la Marne, qui nourrit six ou sept cents habitants, en fait vivre dans une grande partie de la Chine de sept à quinze mille ; et ces Chinois ne se livrent qu’à la culture des terres et des eaux ; mais depuis des milliers d’années ils sont les premiers agriculteurs du monde.

« Or, ils ne tuent pas un oiseau ; ils respectent même ce qu’en France on nomme oiseaux gibier et leur longue expérience les a convaincus qu’ils ont plus d’intérêt à les laisser vivre tous qu’à en tuer même quelques-uns ».

À cette communication, j’ajoute un extrait d’une lettre que ce savant Père m’a écrite le 20 septembre suivant :

« Mon cher Monsieur Lescuyer,

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

« Mon grand principe est que la sagesse divine a tellement disposé les choses de ce monde que l’équilibre est maintenu entre ses divers ressorts, malgré les perturbations momentanées, quand l’action surabondante de l’homme n’y met pas obstacle et cela en dépit et même en conséquence de la lutte que se livrent les milliers d’espèces minérales, végétales et animales qui, composent l’univers. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que ce n’est pas le statu quo perpétuel qui est la règle générale, comme les sciences paléontologiques nous le démontrent au clair, mais un changement graduel de toutes choses.

.........................

« Agréez, mon cher Monsieur, mes meilleurs compliments et l’assurance de mon estime et de mon dévouement.

« A. DAVID ».


§ 2. — LÉGISLATION.


Sous le régime des lois existantes, le nombre des oiseaux a été en diminuant et celui des insectes en augmentant. Il s’en est suivi des réclamations de plus en plus pressantes et il est incontestable que la société française devait modifier sa législation pour sauvegarder les intérêts de l’agriculture.

Aussi, le Sénat est-il en ce moment saisi d’un projet de loi ayant pour objet d’empêcher l’envahissement des insectes et de multiplier les oiseaux.

Telle est la thèse que, dans son rapport, ses exposés et ses répliques aussi complets qu’éloquents, M. de la Sicotière a surtout plaidée les 12, 19 et 22 février dernier.

On ne peut trop méditer ses dernières paroles.

« Maintenant », dit-il, « qu’il me soit permis d’ajouter que, si l’opinion que je défends est appuyée par les autorités graves que je vous ai déjà énumérées, c’est aussi celle de toutes les sociétés savantes, d’un grand nombre de comices ; c’est l’opinion de la Société centrale d’agriculture, qui se compose des hommes les plus considérables de notre pays et les plus compétents sur cette matière, de la Société protectrice des animaux, de celle d’insectologie ; c’est celle des conseillers généraux, du gouvernement, du conseil d’État ; c’est l’opinion d’où sont sorties toutes les législations étrangères et quelles législations, Messieurs ? Celles de pays de lumière et de liberté : de l’Angleterre, de la Suisse et de l’Amérique.

« Quand on vous dit que la loi de 1844 arme les préfets d’un pouvoir suffisant, je réponds que c’est une illusion complète.

« La loi de 1844 existe depuis longtemps, et, sous l’empire de cette loi, nous avons toujours vu décroître le nombre des oiseaux et s’augmenter celui des insectes destructeurs. La loi de 1844 ne suffit pas, parce qu’elle ne donne aux préfet que des pouvoirs facultatifs ; elle ne suffit pas, parce que les préfets se trouvent en présence de certaines exigences locales, de certaines habitudes de plaisir et de distraction auxquelles ils n’osent pas résister, parce qu’ils comptent aussi, — et c’est par là que je termine, — avec ces considérations électorales qu’on évoquait devant vous et que je n’hésite pas à proclamer détestables en cette matière.

« Oui, Messieurs, toutes les fois que des considérations électorales viennent influer sur l’application des lois d’intérêt public, d’intérêt général, comme celle dont nous avons l’honneur de vous proposer l’adoption, elles ne peuvent que fausser toutes les notions du juste et du vrai, peser sur l’administration d’un poids dangereux pour elle-même et compromettant pour les citoyens ; et, pour finir par une citation, je dirai volontiers que ces considérations électorales sont comme les harpies de la fable qui souillent tout ce qu’elles touchent ».

La question de législation est donc solennellement posée, espérons que ce ne sera pas en vain.


§ 3. — CE QU’EST L’ORNITHOLOGIE.


Arrivé au terme de cette étude, d’autant plus sommaire qu’elle embrasse tout ce qui a rapport aux oiseaux, je me demande si je réussirai à faire partager toutes mes convictions à mes lecteurs. Malgré l’insuffisance de mon travail, ils reconnaîtront au moins, j’aime à le croire, que les oiseaux sont dans le mécanisme de la terre ce qu’est un rouage principal dans une horloge : que leur suppression serait la cause de perturbations désastreuses pour l’homme ; que la réduction anormale de leur nombre mène à de grandes misères, tandis qu’en les détruisant avec discernement, sagesse et modération, nous nous assurons des bienfaits de toute espèce ; qu’enfin il est opportun et urgent de prendre ces mesures conservatrices.

S’il en est ainsi, on reconnaîtra encore que l’homme a beaucoup d’intérêt à étudier les oiseaux. J’aurais en grande partie atteint mon but, si j’avais fait naître chez quelques lecteurs le désir d’étudier l’ornithologie, et pour cette raison, j’ajoute encore quelques mots.

L’ornithologie, ainsi que l’indique l’étymologie de ce nom, ὄρνις, ὄρνιθος (oiseau), λόγος (discours, traité), a pour objet l’histoire naturelle des oiseaux. C’est une branche de la zoologie et par conséquent une science. Comme telle, elle recherche les faits et les forces qui se manifestent dans le monde des oiseaux, les détermine et les classe d’après la communauté de leur origine et de leur fin.

Par les principes que j’ai énoncés, on peut entrevoir que l’ornithologie ne manque ni d’étendue, ni de profondeur, ni d’utilité.

Elle a donné lieu aux pages éloquentes de Buffon, à d’autres livres également très-savants, à quelques cours dans les Facultés et au Collége de France ; mais elle ne peut se répandre et se vulgariser de manière à produire quelques fruits, si elle ne prend place dans l’enseignement primaire et secondaire, et surtout dans les écoles d’agriculture, et si on ne crée des livres méthodiques, élémentaires et pratiques.

On doit désirer d’autant plus la diffusion de cette science, qu’elle intéresse les consommateurs, les chasseurs, les sylviculteurs, les horticulteurs, les cultivateurs, beaucoup d’industriels et de commerçants, les législateurs, les conseillers généraux, les préfets, les maires, les gardes champêtres et forestiers, tous ceux qui ne sont pas indifférents aux beautés de la nature, c’est-à-dire à peu près tout le monde.

L’étude de l’ornithologie, indépendamment de son utilité aux points de vue que nous avons examinés, peut être encore avantageuse sous d’autres rapports. Il faut qu’elle soit souvent faite dans les champs, dans les bois et sur les eaux, c’est-à-dire dans le magnifique muséum de la nature, d’où sont sorties toutes les collections, loin de l’air poudreux du cabinet, des vulgarités et des agitations quotidiennes. Elle donne ainsi lieu à des promenades qui sont également utiles au corps et à l’âme.

Elle a pour l’intelligence un attrait particulier qu’elle puise en elle-même et dans ses rapports intimes avec la géologie, la botanique, les différentes branches de la zoologie, l’esthétique, la philosophie, la religion, la législation et l’agriculture.

Les plus grands savants ont laissé des erreurs à rectifier, des lacunes à combler. L’application de leur enseignement général à toutes les localités est encore une tâche très-ardue. Le jeune ornithologiste est donc certain de faire quelques découvertes intéressantes pour sa contrée et même pour la science. Il est assuré de pouvoir goûter ainsi une des joies les plus pures et les plus profondes, la joie de l’homme qui découvre et révèle quelques paillettes de la vérité infinie pour laquelle nous sommes créés et vers laquelle nous aspirons de toutes nos forces. Qui n’a été frappé de l’épanouissement et des transports d’un collectionneur heureux !

L’ornithologie est, pour l’esprit, aussi fortifiante qu’agréable ; elle donne, en effet, à un haut degré, l’esprit d’observation et d’induction. Il est essentiel, assurément, de lire et d’étudier les livres des savants ; mais il est également nécessaire de suivre leur exemple, de chercher à lire dans le grand et magnifique livre de la nature, et à en extraire les principes. Ce travail n’est jamais sans profit pour la vérité, et surtout pour celui qui la cherche. Sans compter d’autres avantages, il développe son imagination, sa perspicacité, l’esprit d’invention.

En finissant, je ne puis donc que répéter ce que plusieurs fois j’ai avancé. L’ornithologie est une science aussi utile qu’agréable ; elle doit prendre rang dans les connaissances usuelles, dans l’enseignement des colléges, des écoles primaires et des écoles d’agriculture.

FIN.
Dédicace
Dédicace