Impr. particulière de la Société d’anthropologie et d’ethnologie comparées (p. 24-26).

Les huis-clos de l’ethnographie, Bandeau de début de chapitre
Les huis-clos de l’ethnographie, Bandeau de début de chapitre


SKOPTZI



À mon retour du Caucase, j’ai vu à Marani, sur les bords de l’ancien Phase, une ville russe peuplée d’eunuques ; presque tous les métiers sont tenus par eux. Portefaix et rameurs sur les barques qui descendent le fleuve jusqu’à Poti, ils sont paresseux, méchants, curieux, avares et joueurs, ils appartiennent, dit-on, à une secte religieuse qui leur impose la castration après avoir produit un enfant.

Chaque fois que l’autorité s’aperçoit de la mutilation d’un de ces sectaires, elle envoie celui-ci comme soldat au régiment de Marani.

C’est ainsi qu’on m’expliqua ce rassemblement d’hommes amaigris, pâles, chez lesquels la barbe devient rare d’abord, puis cesse de pousser, vivant en défiance et en querelles perpétuelles. C’est une variété de la secte des Scoptzis.

En Égypte, lorsqu’on n’enlève que les testicules, comme à ceux dont je viens de parler, le sujet a moins de valeur ; cependant, cette castration simple, fait encore perdre un tiers sur le nombre des opérés.

Nous ajouterons à ce que nous avons dit de l’infibulation pratiquée sur les femmes de certaines régions de l’Afrique, quelques renseignements tirés de sources qui nous paraissent intéressantes. Denon, dans son voyage en Égypte, raconte que, lorsque les Français se furent avancés aux environs de Syène, les Arabes s’enfuirent des villages, dans lesquels on trouva, abandonnées, des jeunes filles venant de subir l’opération barbare d’une couture qui fermait presque complétement les grandes lèvres.

Dans leurs excursions en Égypte et en Nubie, MM. Cadalvène, de Breuvery et Combes nous décrivent aussi cette opération. — C’est à huit ou neuf ans que les jeunes filles sont soumises à l’infibulation, un tube très étroit sert à ménager l’ouverture indispensable aux écoulements naturels. Des matrones préposées à cet usage sont chargées de pratiquer la contre-opération à l’époque du mariage. Ces femmes mettent ordinairement à leurs soins un prix élevé ; aussi advient-il quelquefois que le nouveau marié ne peut, faute d’argent, faire subir à sa fiancée cette opération essentielle ; et, telle douloureuse qu’elle paraisse, beaucoup de femmes sont exposées à la subir plus d’une fois : on dit qu’il arrive rarement qu’un Nubien parte pour un long voyage, sans s’assurer, par ce moyen de couture, de la vertu de sa moitié pendant son absence. Ce qui, du reste, n’empêche pas en Nubie, comme ailleurs, un jaloux d’être trompé : lorsque la femme apprend, par une caravane, le retour prochain de son mari, elle se fait recoudre ; il en est ainsi sur lesquelles l’infibulation a été répétée jusqu’à six ou huit fois.

Après le mariage, et lorsque le moment est venu d’employer le ministère des matrones, c’est le nouveau marié qui donne ses instructions particulières à celles-ci.

Ainsi qu’il arrive souvent, lorsqu’on croit avoir tout prévu, l’infibulation, qui paraissait la meilleure garantie de la virginité des jeunes Nubiennes, produit fréquemment un résultat absolument opposé : bien des femmes, vendues comme esclaves, se refont ainsi une virginité en subissant ce mode de rétrécissement artificiel, qui permet au marchand de tromper l’acheteur sur la valeur réelle de sa marchandise.


Vignette pour Les huis-clos de l’ethnographie
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