Les hommes du jour : Sir Donald A. Smith


Traduction par Joseph Marmette.
La Compagnie des moulins de papier de Montréal.


SIR DONALD A. SMITH

SIR DONALD A. SMITH



Peu de noms, parmi les Canadiens de distinction, excitent autant d’admiration et de reconnaissance que celui de sir Donald A. Smith. Si sa longue carrière a été constamment marquée par un travail ardu et souvent dangereux, à ses débuts, il n’en a pas moins dépensé d’une main prodigue les fruits de ses labeurs, non pas dans un vain but de gloriole, mais pour le plus grand bien du public. Contrairement à la majorité des gens comblés des biens de ce monde, il aura, lui, généreusement disposé de sa fortune de son vivant, faisant ainsi noblement son devoir et s’assurant du bon usage que l’on fait de ses généreux dons, et cela avec une énergie, un esprit consciencieux qu’il serait bien désirable de voir imiter par le plus grand nombre des heureux de ce monde.

Donald Alexander Smith naquit dans le Morayshire, en Écosse, en 1821, et reçut une bonne éducation anglaise classique, à part l’enseignement primaire qui, dans les écoles écossaises, est d’une nature extrêmement solide et pratique.

Il est passé en proverbe que les hommes qui, dans l’empire britannique, ont atteint les plus hautes cimes du succès et de la fortune sont, en majorité, des Écossais. Nous ne doutons pas qu’il faille attribuer ce succès à leur ténacité native dans leurs entreprises, ainsi qu’à cette éducation sévère puisée chez le « pasteur » ou le maître d’école du village.

Un certain temps, M. Smith étudia aussi la médecine et, s’il ne persévéra pas longtemps dans cette voie, l’expérience qu’il y acquit ne lui servit pas moins par la suite, alors qu’il eut à séjourner dans les solitudes du Labrador et dans les déserts de la grande prairie où les sauvages, pleins de confiance en son art de guérir, avaient l’habitude de l’appeler leur « père. » Souvent ils accouraient de bien loin pour obtenir le bénéfice de ses conseils et de ses soins.

Ce fut en 1838 que M. Smith entra au service de la compagnie de la Baie d’Hudson. Il a été si intimement lié à cette puissante organisation commerciale, que ce ne sera pas un hors-d’œuvre, dans cette notice biographique, d’esquisser rapidement l’histoire de cette corporation. Son territoire consistait en terres s’étendant sur un espace aussi grand que l’Europe et embrassant le Nord et l’Ouest du Canada, depuis la côte du Labrador, à l’est, jusqu’aux Montagnes Rocheuses, au sud-ouest, s’appuyant aux régions arctiques du Nord, pour aller toucher le quarante-neuvième degré de latitude, entre les États-Unis et l’Amérique britannique du Nord. Cet immense territoire, dont la plus grande partie était connue sous le nom de « Terre du prince Rupert, » fut concédé par Charles II, en 1670. Il est dit dans cette charte royale que, « vu que notre cher et bien-aimé cousin le prince Rupert, comte palatin du Rhin, Christophe, duc d’Albermale, et autres personnes y mentionnées, ont, à leurs charges et forts dépens, entrepris une expédition à la Baie d’Hudson, dans la partie nord-ouest de l’Amérique, pour découvrir un nouveau passage vers la mer du sud, et trouver quelque source de commerce dans les fourrures ou les mines, le roi leur a accordé le pouvoir de se constituer en corps commercial et politique, sous les noms de gouverneur et compagnie des aventuriers d’Angleterre, faisant commerce dans la Baie d’Hudson, et d’avoir un sceau commun. » Le roi accordait aussi à la compagnie « le droit exclusif de la traite et du commerce dans toutes ces mers, détroits, baies, rivières, lacs et ruisseaux, sous quelque latitude que ce soit dans les détroits communément appelés d’Hudson, ainsi que le droit de pêcher toutes sortes de poissons, la baleine, l’esturgeon et tout autre poisson royal qui fréquentent ces parages, sans excepter celui d’exploiter toutes mines royales, découvertes comme à découvrir, mines d’or, d’argent ou de pierres précieuses. » La charte constituait aussi le Gouverneur et la Compagnie, ainsi que leurs successeurs, « les seigneurs absolus du dit territoire. »

La terre du prince Rupert est abondamment arrosée, en comprenant le lac Winnipeg, au sud, superbe nappe d’eau de trois cents milles de long, sur cinquante de large en maints endroits. On y remarque encore le lac Winnipegoosis et le lac Manitoba. La rivière Rouge, qui alimente le lac Minnesota, coule en gagnant le nord jusqu’au lac Winnipeg, et cette partie du pays située entre ce lac et la rivière Rouge, à l’est, la branche sud de la Saskatchewan, à l’ouest, et la ligne frontière, au sud, forme un parallélogramme d’environ 80.000 milles carrés et qui comprend 11.000.000 d’âcres de terres cultivables.

Le sol des bords de la rivière Rouge est riche et produit d’abondantes moissons d’excellent blé. C’est là qu’était situé l’établissement de Selkirk ou de la rivière Rouge, avec lequel M. Smith devait avoir des relations importantes lors de la première rébellion.

À la fin du XVIIIème siècle, le comte de Selkirk, visitant les « Highlands » de l’Écosse, s’aperçut qu’un grand nombre de jeunes gens émigraient aux États-Unis. Jugeant qu’ils feraient d’excellents colons pour les possessions britanniques, il engagea, en 1811, toute une bande de ces émigrants à venir au Canada. Après avoir obtenu une concession de terres de la compagnie de la Baie d’Hudson près de la rivière Rouge, il y établit une colonie écossaise. En dépit de la fertilité du sol, cette colonie ne devait cependant pas vivre, se trouvant trop éloignée des centres commerciaux : aussi la compagnie rachetait-elle cette terre en 1834.

En 1863, un changement survenait dans la propriété de la compagnie de la Baie d’Hudson. À cette époque, son capital était d’un demi-million ; mais, par suite d’arrangements conclus avec l’« International Financial Society, » celle-ci paya £1.500.000 aux actionnaires alors existants, et l’on éleva les nouveaux fonds de la compagnie à deux millions. On ne fit aucun changement dans la charte et tous les droits accordés par Charles II restèrent assurés à la compagnie. Dans le prospectus de la « Société Internationale, » il est dit que le territoire de la compagnie comprend une étendue de 1.400.000 milles carrés, ou plus de 896.000.000 d’âcres de terre. La moyenne des profits annuels des dix années précédentes avait été de seize par cent sur l’ancien capital d’un demi-milion.

M. Smith entra au service de cette organisation puissante et fut envoyé, peu de temps après, sur la côte désolée du Labrador, où la compagnie avait des postes de traite importants. Aujourd’hui même, le Labrador est, pendant plusieurs mois, privé presque entièrement de communication avec le monde extérieur ; et pourtant, à cette époque, l’isolement était encore plus complet. Une tribu sauvage, celle des Montagnais, habitait le pays et vivait depuis les bords du Saguenay en descendant jusqu’à l’Océan Atlantique. Ils traitaient considérablement avec la compagnie de la Baie d’Hudson. Le Labrador abondait en ours, loups-cerviers, carcajous, castors, renards noirs et argentés, et en autres animaux à fourrures de valeur.

M. Smith fut préposé au poste de Mingan. En dépit de son importance, il y avait alors peu de blancs en cet endroit, et sa désolation, pour un esprit aussi actif que celui de M. Smith, devait être, durant les longs mois d’hiver, quelque chose d’effroyable.

L’été fournissait toujours des distractions à son esprit aventureux et hardi, en lui permettant de faire des excursions de chasse et de pêche à l’intérieur, où le gibier abondait dans les bois et les rivières sur les rives desquelles s’ébattaient des colonies d’oies sauvages, d’eiders, de ptarmigans et de coqs de bruyère. Mais combien eussent été interminables les longues soirées d’hiver, si M. Smith n’eût aimé l’étude à la passion et n’eût été sans cesse mu du désir d’agrandir le champ de ses connaissances ! Avec sa persévérance habituelle, il lisait tout avec la plus grande attention ; aussi n’eut-il pas lieu de regretter, par la suite, l’isolement forcé auquel l’avait condamné son séjour au Labrador ; car ce genre de vie lui donna l’occasion de se perfectionner dans certaines connaissances qui lui furent si utiles alors qu’il eut à jouer son rôle dans les centres d’affaires de la civilisation du XIXème siècle. Sa facilité à saisir un sujet et à se rendre immédiatement maître de chaque détail s’y rattachant a souvent fait l’admiration des hommes d’expérience ; aussi ne peut-on douter que son séjour au Labrador ait beaucoup contribué à former son esprit et à le rendre apte à réussir dans les grands projets qu’il devait entreprendre plus tard.

Pendant son séjour à Mingan survint un incident qui met vivement en relief cette infaillible persévérance et cet attachement inviolable au devoir qui ont été de tout temps le point remarquable de la carrière de M. Smith. Cet épisode de sa vie montrera aussi à quels dangers ceux qui ont fait le Canada se trouvaient exposés dans le sentier ardu qui devait finir par les mener aux honneurs et aux succès.

Pendant qu’il avait la direction du poste de Mingan, il fut atteint d’ophtalmie, causée par la neige, et se vit en grand danger de perdre la vue. Ce qu’une telle calamité aurait eu d’affreux pour un jeune homme actif et ambitieux, on peut se l’imaginer, et bien peu de gens pourront le blâmer du parti qu’il prit en cette occasion.

Comme il n’y avait pas de bons oculistes avant d’arriver à Montréal, il se décida à entreprendre le long et pénible voyage sur la côte, en compagnie de deux guides métis. C’était l’hiver, et une épaisse couche de neige couvrait la terre et allongeait sans fin sa blancheur monotone et désespérante sur les flancs dénudés de la grande chaîne des Laurentides. Mais, toujours, toujours à travers l’obscurité aveuglante des ouragans de neige marchaient les guides, soutenus par la bravoure et la fermeté inébranlable de leur jeune chef. À la fin, épuisés mentalement et physiquement, ils arrivèrent au misérable petit établissement de Lachine, à peine digne alors du nom de village, car les maisons en étaient clair-semées et d’une construction primitive.

Le premier soin de M. Smith fut de se rapporter à son chef, qui le reçut d’une façon glaciale, lui reprocha vertement d’avoir quitté son poste sans permission, et lui ordonna d’y retourner sans retard.

Naturellement découragé par un aussi dur accueil et épuisé de fatigue et de privations, à ce moment le jeune homme se décida presque à laisser là son emploi et à abandonner le service de la compagnie de la Baie d’Hudson.

Il y a certaines vagues qui, prises à temps dans la marée des affaires humaines, poussent à la fortune. Pour le jeune Smith, c’était l’instant critique, et il sut saisir le flot au passage, heureusement pour lui et pour le Canada. Comment le conduisit-il à la fortune ? C’est ce que tous les Canadiens savent bien aujourd’hui.

Avec la réflexion, la sagesse prévalut chez M. Smith, et il se détermina à retourner à Mingan et se remit immédiatement en route avec ses deux métis. Bien peu, parmi la jeune génération de Canadiens qui voyagent dans nos somptueux wagons Pullman, peuvent se faire la moindre idée de ce qu’était alors un voyage en hiver et des difficultés et des dangers qu’il offrait.

À peine nos voyageurs s’étaient-ils remis en marche que, la neige s’étant mise à tomber en abondance, ils perdaient à chaque instant leur voie.

Succombant de froid et de fatigues, les deux guides tombèrent l’un après l’autre et moururent avant d’arriver au but de leur voyage. Rendu à bout de forces, M. Smith arriva plus mort que vif à Mingan, pour raconter la triste histoire de son désastreux voyage d’hiver. Heureusement qu’il avait pu voir un médecin et que son ophtalmie disparut peu de temps après son retour.

Cet incident n’est qu’une des mille et une périlleuses aventures d’une de ces vies très ardues si communes parmi les hardis pionniers à qui le Canada doit tant et que je tiendrai toujours en la plus haute estime. C’est à ces braves caractères que le pays doit sa grandeur, qu’il doit que nous en sommes fiers, que nous vivons et mourrions, au besoin, pour lui. À cette crise de sa vie, et nous ne faisons pas de vaine supposition, si M. Smith n’avait écouté que la voix de l’orgueil et du bien-être, pour avoir été rebuté si durement lors de son voyage à Montréal, l’une des grandes voies de l’Atlantique au Pacifique n’aurait été ouverte, les annales de notre pays ne contiendraient pas cette page glorieuse, et le Canada n’aurait pas atteint cette place enviable qu’il occupe parmi les autres nations du globe.

L’épisode qui vient après, dans la carrière de M. Smith, est presque une question d’histoire, et il nous met en face de la rébellion de la rivière Rouge, en 1869, dans laquelle il se trouva jouer un rôle éminent.

On se rappelle que les principaux membres des gouvernements du Canada, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick avaient tenu conseil dans le but de préparer la confédération de toutes les provinces. Le résultat de cette conférence fut, le 1er juillet, 1867, la proclamation par le gouvernement impérial de la confédération de ces quatre provinces, sous le nom de Dominion du Canada.

L’on désirait aussi annexer les autres provinces au Dominion, et l’on entama les négociations préliminaires pour y faire entrer les Territoires du Nord-Ouest. Pour arriver à ce résultat, il fallait obtenir le consentement de la compagnie de la Baie d’Hudson.

Les principaux habitants du district de la rivière Rouge étaient alors des descendants des premiers pionniers français qui, possédés d’esprit d’aventure et du goût des voyages, s’étaient enfoncés jusque dans les prairies du Nord-Ouest et s’y étaient établis. Avec le temps, ils s’étaient développés et avaient fini par former un petit peuple qui tirait sa subsistance en partie de la chasse, en partie de l’agriculture ; ils avaient gardé la plupart des habitudes et des coutumes de leurs compatriotes de la province de Québec.

Ils s’étaient aussi mariés avec des métis indiennes et, à cette époque, la population comprenait environ cinq mille Français, et le même nombre de métis anglais et écossais, avec quelques Canadiens et Américains.

Le gouvernement canadien envoya en Angleterre sir Georges Cartier et l’honorable William Macdougall, afin de conclure un arrangement avec les directeurs de la compagnie de la Baie d’Hudson, à Londres. Avec la coopération du duc de Buckingham et de Chandos, alors secrétaire colonial, il fut décidé que la compagnie de la Baie d’Hudson céderait à la couronne ses droits de gouvernement, que son territoire de la terre de Rupert serait annexé au Dominion du Canada, la compagnie de la Baie d’Hudson recevant £ 300.000 sterling et retenant un vingtième de toutes les terres situées dans la « zone fertile, » partie du pays s’étendant du lac des Bois jusqu’au sommet des Montagnes Rocheuses.

Ces négociations ne rencontrèrent pas l’approbation générale de la population du territoire, vu qu’elles n’avaient été opérées qu’avec les actionnaires de la compagnie à Londres. Et la conséquence fut que, lorsque le colonel Dennis fut envoyé par le gouvernement fédéral pour arpenter les terres du territoire, avant que le gouvernement impérial n’eût lancé la proclamation du transfert, des murmures éclatèrent, qui annonçaient l’approche de l’orage.

L’honorable William Macdougall avait été nommé premier gouverneur de la nouvelle province ; mais, comme il arrivait à Pembina, en octobre, il reçut une lettre de Riel, le chef du parti hostile, l’avertissant de ne pas aller plus loin. En novembre, 1869, M. Smith, — probablement à cause de sa connaissance du pays et de son habileté à s’entendre avec les sauvages et les colons, — fut prié par sir John A. Macdonald et le gouvernement canadien de se rendre jusqu’à Fort-Garry, maintenant Winnipeg, et de tâcher d’y régler les difficultés à l’amiable.

La tâche n’était pas facile. Riel, retranché dans le fort Garry avec une bande nombreuse de partisans, s’était emparé des magasins et d’autres propriétés de la compagnie de la Baie d’Hudson, se servait de toutes les munitions que contenait le fort, et se préparait ouvertement aux hostilités. M. Smith éprouva beaucoup de difficultés avec les métis, qui se laissaient fortement influencer par Riel. En sa qualité de commissaire du gouvernement canadien, M. Smith fut cependant admis dans le fort par le chef des rebelles ; mais, un certain temps, il fut retenu prisonnier et empêché de communiquer avec l’extérieur, tandis que Riel tâchait de s’emparer de ses papiers. Heureusement qu’il les avait laissés à Pembina.

Dans cette crise, les ressources diplomatiques de M. Smith eurent un bon effet, et il sut faire preuve du plus grand tact et du coup d’œil sûr d’un négociant avec l’astucieux Riel. Pendant la campagne, le major Boulton fut fait prisonnier par les rebelles et condamné à être fusillé dans les vingt-quatre heures. Ce fut seulement par l’entremise de M. Smith qu’il échappa à l’horrible sort de Scott, et à la condition que le premier se rendrait dans tous les établissements anglais, pour persuader à leurs habitants d’envoyer des représentants, afin de tenir conseil avec Riel, ce qui fut fait. Dans ce mémoire préparé par M. Smith, celui-ci cite les paroles de Riel, qui dit, en toutes lettres, que ce fut sur les instances de M. Smith qu’il épargna la vie du major Boulton.

Pendant tout ce temps, M. Smith déployait la plus grande énergie à persuader aux habitants du district d’élire et d’envoyer au plus tôt leurs délégués au gouvernement fédéral, et à induire la population à entrer paisiblement dans la confédération, ce qu’il devait avant longtemps mener à bonne fin. C’est surtout grâce à son tact et à son zèle que la rébellion se termina sans plus grand désastre et qu’on put en arriver à une conclusion relativement amicale.

En 1870, M. Smith fut le gouverneur résident, ou le gouverneur en chef, de la « terre du prince Rupert, » et le dernier gouverneur résident, nommé par la compagnie de la Baie d’Hudson pour les fins de transférer son gouvernement et la terre du prince Rupert au Dominion. M. Smith devint ensuite commissaire en chef de la compagnie de la Baie d’Hudson, poste qu’il occupa durant plusieurs années. Comme gouverneur résident, c’est lui qui avait présidé la dernière réunion du conseil ayant droit de gouvernement.

Avec sir Francis Johnson et l’honorable M. Brelland, il fut nommé l’un des premiers conseillers exécutifs et législatifs du territoire du Nord-Ouest et, en 1870, il fut élu le premier député pour Winnipeg. En 1871, il fut élu député pour Selkirk, y compris Winnipeg et les comtés adjacents, au parlement du Canada, et continua de représenter cette division jusqu’en 1880, après avoir, lorsque l’on eut aboli le double mandat, en 1874, donné sa démission à la chambre locale. Ayant établi sa résidence à Montréal, il fut élu député pour Montréal-Ouest en 1887, et réélu dans la même division, avec une immense majorité, en 1891.

En 1886, Sa Majesté voulut bien conférer à M. Smith le titre de chevalier-commandeur de l’ordre de Saint-Michel-et-Saint-Georges, en reconnaissance des services qu’il avait rendus, à la rivière Rouge, en 1869-70, et non, comme on le croit généralement, à cause du chemin de fer du Pacifique.

En politique, sir Donald Smith est un conservateur indépendant, et il nous semble à propos de citer ses propres paroles touchant ses opinions politiques. « N’ayant aucune faveur personnelle à demander à aucun gouvernement, il ne donnera son appui qu’aux mesures propres à contribuer, d’abord, au progrès du Manitoba et des Territoires du Nord-Ouest, et puis à la prospérité générale du Dominion. »

Conjointement avec sir George Stephens et deux autres messieurs, sir Donald Smith construisit le chemin de fer de Saint-Paul et du Pacifique, aujourd’hui connu sous le nom du chemin de fer de « Saint-Paul, Minneapolis et Manitoba. » Cette voie ferrée fut la première à atteindre le Manitoba, en 1878. En 1880, en société avec sir George Stephens et d’autres, il entreprit la construction du chemin de fer du Pacifique, et eut la satisfaction, quelques années plus tard, de se trouver sur le premier convoi qui traversa le Dominion du Canada d’un océan à l’autre.

On ne saurait faire une notice biographique complète de sir Donald Smith sans parler de ses dons princiers à la ville de Montréal. Le plus important est la fondation de l’hôpital « Royal Victoria. » Le vieil hôpital général de la rue Dorchester, situé dans une partie de la ville où la population est très dense, manque nécessairement d’air frais et vivifiant, et n’était plus, depuis longtemps, à la hauteur des exigences d’une ville comme Montréal.

En juin, 1887, sir George Stephens et sir Donald Smith donnèrent chacun un demi-milion de dollars pour la construction d’un hôpital et d’une école d’apprentissage pour les garde-malade. Cet hôpital devait porter le nom de « Royal Victoria, » en l’honneur du jubilé de Sa Majesté, que l’on célébrait cette année-là. En même temps, la ville de Montréal donnait, comme site du futur hôpital, un terrain situé sur la lisière du parc de la Montagne, en face de l’avenue Pine. Quelques médecins canadiens-français, poussant peut-être trop loin l’esprit critique, prétendirent que la proximité de cet hôpital avec le réservoir de la cité pourrait mettre en danger la santé publique. Sir Donald Smith et sir Gorge Stephens revinrent à la charge, et achetèrent un terrain, voisin de celui que la ville avait donné et plus éloigné du réservoir. Il a coûté $ 86.000. Le terrain donné par la ville reste terrain public. M. Saxon Snell, éminent architecte anglais, fut chargé de fournir les plans du nouvel hôpital, dont on a commencé la construction en juin dernier.

Cet édifice pourra recevoir deux cent cinquante malades, et comprendra une école pour former les garde-malades qui coûtera environ un demi-million de dollars. La construction de cet hôpital avance rapidement, et on espère pouvoir l’ouvrir en 1892. L’édifice est bâti avec cette solide pierre de sable grise qui fait la réputation de Montréal, et est situé au pied de la Montagne. Il commande une vue superbe du fleuve et des campagnes environnantes, et jouit de tous les avantages que lui donne sa position isolée et salubre.

Toujours porté à donner de l’encouragement à l’instruction publique, sir Donald Smith s’est tout spécialement dévoué à développer la haute instruction des femmes et a fait tout en son pouvoir pour aider à ce mouvement, qui a tant pris d’allure en ces derniers temps. En 1884, la société pour l’instruction des femmes, à Montréal, désirait étendre la sphère de ses opérations et jouir des mêmes avantages que les étudiants de l’université McGill. Il se trouva que, la même année, neuf jeunes filles, qui avaient complété leur cours au « High School, » à Montréal, désiraient continuer leurs études, afin d’obtenir le degré de bacheliers ès-arts. Survint à ce moment critique sir Donald Smith, qui fit un don de $ 20.000, pour permettre à ces jeunes filles de suivre un cours spécial, afin de pouvoir subir les examens nécessaires. Ce cours est exactement le même que suivent les jeunes gens, et une étudiante peut assister à toutes les leçons, ou à celles qui lui conviennent davantage. Il porte le nom de cours spécial Donalda. L’année suivante, sir Donald Smith ajouta $ 100.000 à son premier don, pour fonder un collège pour femmes, sous le nom de collège « Royal Victoria. » Afin de démontrer que cette générosité n’a pas été faite en pure perte et qu’elle a produit de bons fruits, nous devons ajouter que nombre de jeunes femmes ont suivi ce cours, et que les candidats ont remporté chaque année un grand nombre de médailles, voire même un premier prix.

Avec sir George Stephens, sir Donald Smith a aussi doté Montréal d’une école de musique, qui est ouverte aux gens de la ville et des environs. Les candidats heureux ont le droit d’aller étudier au collège royal de musique, à South Kensington, les bourses offertes aux élèves couvrant tous les frais occasionnés par ce dernier cours en Angleterre. Ce privilège a déjà été remporté deux fois, par deux jeunes filles, l’une comme pianiste, et l’autre comme chanteuse.

Sir Donald Smith est aussi intéressé dans plusieurs entreprises commerciales. Il est président de la banque de Montréal, président de la commission montréalaise pour l’association d’assurance contre le feu de Londres, président de la commission montréalaise pour l’association d’assurance sur la vie de Londres et du Lancashire. Il est encore président de grand nombre de sociétés charitables et bienfaisantes, premier président de la société Saint-André de Winnipeg, et patron de l’association du tir du Manitoba. Lors de la dernière réunion de la Société Royale à Montréal, il fut élu président du comité de réception, et il est constamment appelé à parler aux banquets, aux réunions et aux réceptions publiques.

Sir Donald Smith a épousé Isabelle, fille de feu Richard Hardesty, autrefois officier dans les troupes de Sa Majesté et, plus tard, au service de la compagnie de la Baie d’Hudson.

Sir Donald Smith se montre le meilleur des hôtes, et ses amis goûtent la plus cordiale hospitalité dans sa belle résidence de Montréal, si admirablement disposée pour recevoir. Il a maintes fois eu l’honneur d’accueillir sous son toit plusieurs membres de la famille royale, et il a étendu sa large hospitalité à la plupart des notabilités du monde scientifique, littéraire ou artistique, qui sont passées par le Canada.

Sa galerie de peintures est l’une des plus belles du Dominion, et contient des toiles de Raphaël, de Rembrandt et de Van Dyck, outre plusieurs œuvres exquises de Henner, de Jules Breton et d’autres peintres modernes. Sa collection de curiosités japonaises à la plus grande valeur : on y remarque surtout les objets décoratifs d’un temple de cette île si intéressante.

Constamment à l’ouvrage et préoccupé d’intérêts si variés, sir Donald Smith mène une vie des plus laborieuses, au point que ses amis ont souvent craint pour sa santé et l’ont maintes fois supplié de se relâcher un peu de ses habitudes de travail ardu. En sa qualité de président de la compagnie de la Baie d’Hudson à Londres, il est obligé de traverser l’Atlantique plusieurs fois par année, et se trouve ainsi toujours en mouvement. Comme il serait regrettable qu’un excès de travail mît en danger une vie aussi utilement remplie ! Aussi souhaitons-nous qu’elle nous soit conservée bien longtemps encore.

Non-seulement une carrière comme celle de sir Donald Smith fait notre orgueil de posséder un tel homme au milieu de nous ; mais sa vie laborieuse et si généreuse sera longtemps, dans l’avenir, l’exemple de la jeunesse canadienne, en lui montrant au prix de quel zèle et de quels sacrifices s’est édifiée la fortune de notre grand Dominion.

MAUD OGILVY.
Montréal, juin, 1891.


(Traduction de Joseph Marmette.)