Les filles de Loth et autres poèmes érotiques/24

Le Morpion Pèlerin
Les filles de Loth et autres poèmes érotiques, Texte établi par Bernard, Edmond Dardenne, Imprimerie de la Genèse (Sodome) (p. 125-134).

Les filles de Loth et autres poèmes érotiques, Bandeau de début de chapitre
Les filles de Loth et autres poèmes érotiques, Bandeau de début de chapitre

LE MORPION PÈLERIN


Quand arriva Pierre-l’Hermite,
Il souleva tout à sa voix :
L’Europe alla faire visite
Au mont où s’élève la Croix.
Un morpion célibataire
Vivait dans le cul d’un prélat ;
Voulant aussi voir le Calvaire,
Fatigué de l’Épiscopat,
Il prit le bourdon et la gourde,
Se croisa le ventre et le dos,
Ceignit sa bourse à peu près lourde
D’écus tournois et d’angelots,
Puis, vers la ville trois fois sainte,
Sur les couilles d’un capitan
Il s’en alla, laissant enceinte
Une fille, et trois fois autant

De morpionnes grandes dames
Qu’il engrossa, du premier coup.
Sur les couillons de deux vidames,
Où l’on greluchonnait beaucoup.
Le capitan était bardache :
Godefroy, seigneur de Bouillon,
L’encula dans une patache
Qu’on rencontra d’occasion.
Notre morpion, difficile,
Grand amateur de changement,
Abandonna son domicile
Et transporta son fourniment
Sur la toison hirsute et drue
Du capitaine des Croisés.

Dans Edesse, au coin d’une rue,
Quand les chrétiens désabusés,
Par le Très-Haut et la victoire
Eurent vaincu le musulman,
Godefroy, la nuit, après boire,
Pinça le cul, sournoisement,
À Renaud encore presque imberbe :
Sur qui passa le morpion.

Mais bientôt, las d’un poil en herbe,
Quand le jeune et vaillant champion
Accola là charmante Armide,
Notre pèlerin se hâta
De gagner la forêt humide
Qui devant lui se présenta.

Ô Tasse ! incomparable lyre !
Chantre inspiré venu des cieux,
Après toi comment oser dire
Ces bois, ces jardins merveilleux !…
Qu’il fut heureux dans cette enceinte,
Notre morpion pèlerin !
Qu’il fut heureux, libre de crainte !

Vivant sans souci ni chagrin…
Au milieu de beautés sans nombre,
Ses jours s’écoulaient doucement…
Mais l’Amour le guettait dans l’ombre,
L’Amour avec son doux tourment !

Une morpionne ingénue,
Sur les bords ombreux d’un ruisseau,
Un jour folâtrait, demi nue,
Laissant tremper ses pieds dans l’eau.
Caché parmi le noir feuillage,
Le pèlerin la contemplait,
Admirant son simple corsage,
Sa gorge ronde, qui tremblait
Sous les baisers et les caresses
Du zéphir au souffle amoureux :
Quels reins cambrés ! Dieux ! quelles fesses !
Quel beau cul ! quels contours heureux !
Fuis, imprudent, fuis cette vue !
Tu succombes sous tant d’attraits.
Hélas ! pour toi l’heure est venue ;
L’Amour t’a percé de ses traits !

Ton cœur est pris, et cette image
Longtemps troublera ton sommeil ;
Longtemps tu seras à la nage
Dans ton lit humide au réveil…

À la légion vagabonde
Des insectes, ses jeunes sœurs,
L’enfant alla mêler sa ronde…
Il la suivit, et, sur les fleurs,
À leurs gais ébats, à leur danse,
Il prit part. Faute d’instrument,
Sa voix les guidait en cadence
Sur un air venu d’Occident.
Puis, quand arrivait la nuit sombre
Et que les danseurs étaient las,
Près d’elle il s’asseyait dans l’ombre
Et lui parlait d’amour tout bas.

La pauvre enfant prêtait l’oreille
À ses discours charmants et doux,
Et, plus que la rose vermeille,
Murmurait tout bas : « Cher époux ! »
Mais lui, qui, jadis, intrépide,
Débutait par où l’on finit,
Devenu craintif et timide,
Près d’elle se sent interdit…

Mais, hélas ! tout est éphémère !
La douleur du rire est la sœur !
Bientôt, comme une ombre légère,
S’évanouit tout leur bonheur.

Un jour, jour de deuil et de larmes !
L’intrépide et farouche Argant
D’Armide profana les charmes…
Ce brutal, ce Maure arrogant,
Dans son amoureuse tempête,
S’élance au cul, le dard en main ;
Comme un bélier, d’un coup de tête
Il se fraie un large chemin.
Il entre… Ô Muse du naufrage !
Accorde ta lyre et dis-nous
Ceux qui périrent à la nage
Quand, se ruant tout en courroux,
Le fleuve aux ondes spermatiques
D’Armide inondait le jardin !…
Sur les roupettes granitiques
De l’indomptable Sarrazin
Il pleut… C’est un second déluge…
On dit même qu’un morpion,
Du haut d’un poil, dernier refuge
Laissé par l’inondation,
Cherchait dans l’air la parabole
Qui se peignit à l’horizon
Quand l’arc-en-ciel, divin symbole,
Au monde apporta le pardon.

Chacun tire à soi, plein de crainte.
Nos deux amants sont séparés
Dans le tortueux labyrinthe
Que font les poils enchevêtrés.
L’amant tient bon au cul d’Armide,
Mais, plus faible, la pauvre enfant
Perd pied sur le sol humide

Et se raccroche aux poils d’Argant,
Quand celui-ci, de tant de courses
Tout fatigué, s’échappe enfin,
Emportant, hélas ! à ses bourses
L’amante, qui supplie en vain.

Le mécréant se reculotte
Et regagne ses bataillons.
L’un va pleurer sur une motte,
L’autre gémir sur des couillons.
Oh ! non, ne tentez pas, ô lyre !
De nous peindre ici la douleur,
La rage, le deuil, la fureur,
L’épouvantable frénésie
Qui s’empara du morpion !

Il aurait démangé l’Asie,
Du sud jusqu’au septentrion,
Pour retrouver sa morpionne ;
Il l’aurait rongée à moitié !
L’ardente fureur d’Hermione,
Près de la sienne eût fait pitié…

— Dieu des chrétiens ! je viens de France,
Je trouve ici le vrai bonheur,
Dit-il, et lorsqu’à l’espérance
S’ouvre la porte de mon cœur,
Soudain l’injustice divine
Vient tout briser, tout renverser !
Quoi ! pour me rendre en Palestine,
Je n’ai pas craint de traverser

Maint peuple à la sueur impure,
Et c’est le prix qui m’attendait !
Et je serais chrétien !… J’abjure !…
Plutôt le turban !… Mahomet
Rend à tous ses sujets justice ;
Par lui je saurai retrouver
Celle qu’un odieux caprice
Vient aujourd’hui de m’enlever !…

À ces mots arrachant la croix
Qui lui pendait à la ceinture.
Il la jette au loin et sa voix
Blasphème tout dans la nature.
L’amour en fait un renégat,
Et c’est le vrai Dieu qu’il renie !

Quelques jours après, Herminie
Ayant appris tout le dégât
Qu’Argant avait commis, arrive
Chez Armide, et reste à coucher.
Les draps sortaient de la lessive ;
On les mit bien vite à sécher ;
Mais le temps était fort humide,
Si bien que dans le lit d’Armide
Elles couchèrent toutes deux.

Le morpion change au plus vite,
Résolu de courir toujours
Fût-ce même aux bords du Cocyte,
Sur la trace de ses amours.
D’Hermine il passe à Tancrède,
Puis à Clorinde. Il change encor,

Va sur Acomat au poil raide,
Sur Fatime à la toison d’or,
Sur Ali, sur une sultane,
Sur un eunuque, sur un cheick,
Sur le patron d’une tartane,
Et de là sur le cul d’un Grec.

Le Grec se sauve en Italie ;
Le morpion grimpe au vagin
D’une fillette assez jolie,
Qu’il quitte bientôt pour l’engin
D’un franciscain que sodomise
Un prélat ; et puis, franchissant
Tous les degrés de la prêtrise,
Le pèlerin, toujours grimpant,
Arrive à la couille du pape.

Or, un jour que Sa Sainteté
Solennisait la Saint-Priape
À l’autel de la volupté,
Soudain s’approche une inconnue
Du morpion silencieux…
Ciel ! c’est elle ! il l’a reconnue !
Il en croit à peine ses yeux…
C’est bien elle ! c’est son amante !
Il court vers elle, et sur son cœur
Il l’étreint toute palpitante
D’amour, de joie et de pudeur.

Fuyant la cohue ennuyeuse,
Ils vont sous des poils écartés
Où nulle oreille curieuse

N’écoutera leurs apartés.
L’amant lui fait alors l’histoire
De ses voyages. Comme lui,
De motte blonde en motte noire,
Au hasard traînant son ennui,
Elle a couru toute l’Asie.

— J’étais, dit-elle, au cul l’Ali
Quand j’appris ton apostasie.
Toi renégat ! ô mon ami !
Non, jamais je ne serai tienne
Qu’au jour où tu seras rentré
Au sein de l’église chrétienne…

Le morpion, tout pénétré
Du repentir le plus sincère,
Arrache son turban soudain.
La pénitence fut austère :

Pendant huit jours, soir et matin,
Pieds nus, il montait sur la barbe
Du pape, et là, dévotement,
À sa patronne Sainte Barbe
Il élevait un cœur fervent.
Elle entendit ses patenôtres,

Et le pardon lui fut promis ;
Mais jusqu’au jour des Saints-Apôtres
Leur mariage fut remis.

Ce jour-là, le pape Bazile
Officiait publiquement ;
On en était à l’Évangile…

L’insecte prend le bon moment :
Il mord si dru, qu’à sa braguette
Le Saint-Père porte la main
Et sur son auguste roupette
Du morpion bénit l’hymen.

Les deux époux pendant leur vie
Goûtèrent un bonheur si grand
Qu’à chacun ils faisaient envie.
De nos jours même on se surprend
À dire : « Il vit comme un satrape,
Ayant tout à discrétion ;
Heureux autant qu’un morpion
Collé sur la couille du pape. »


Les filles de Loth et autres poèmes érotiques, Vignette de fin de chapitre
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