Thérien Frères Limitée (p. 51-58).


AU TEMPS DES FÉES


Je rêve souvent, mes petits, au temps des fées ! Ce furent mes années les plus amusantes ! Les fées ! Les gens pratiques de nos jours les ont envoyées rejoindre les vieilles lunes !

Elles ont existé, pourtant, et il y en a encore, et tant pis pour les autres, si vous et moi sommes seuls à y croire maintenant !

Il y en a dans les bois et les vieilles maisons ; elles prennent mille formes différentes ! Il y en a des bonnes et des méchantes, et parmi ces dernières, qui osera nier l’existence des mauvais lutins qui trottinent dans nos maisons, mes chéris, et qui vous jouent des tours si agaçants ! Je n’ai qu’à vous rappeler leurs espiègleries. Ils grimpent sur les tables quand vous écrivez vos devoirs, ils renversent l’encrier, lancent de gros pâtés d’encre sur la page bien appliquée ; ils égarent vos crayons et ils escamotent les mots des leçons que vous saviez très bien…

Ils cachent vos balles, vos bérets et ils brisent vos jouets ! Accusés d’étourderie, de paresse, de désordre, vous protestez avec indignation : Je l’avais serré ! — Je savais bien ma leçon ! — Ce n’est pas moi ! — Pauvres innocents, on vous gronde et ce sont ces misérables petits lutins qui sont les coupables !

Et à table donc ! Ils renversent vos verres, éclaboussent la sauce, tirent vos serviettes sous la table ; l’on ne soupçonne pas leur sournoiserie et leur malice, et c’est vous que l’on accuse de gaucherie !

Ils font tout pour vous agacer, et quand vous perdez patience, leurs rires moqueurs éclatent dans tous les coins ; ils se frottent les mains, dansent sur les meubles et en rond autour de vous qui piétinez de colère. Prestement, au bon moment, ils remettent à leur place les objets perdus, et quand maman répond à vos lamentations, elle trouve de suite le béret, la balle ou le crayon, et elle vous dit ironiquement : « Tu cherches bien ! Voilà ! Il te crevait les yeux ! »

Autrefois, il y avait tellement de sorciers, de fées, de lutins, de gnomes qu’il fallait bien que tout le monde admît leur existence. Ah ! c’était le bon temps !

Un jour, ou plutôt, une nuit entr’autres, j’assistai à une fête fantastique à l’occasion d’un mariage d’hirondelles. Tous les oiseaux, sans exception, furent conviés, et toutes les fleurs aussi, et les fées leur avaient donné la parole pour les remercier de les avoir invitées.

J’étais alors à l’époque de mon plus bel épanouissement et je jetais une clarté merveilleuse sur la clairière où les invités se pressaient, plumes brillantes et robes de toutes nuances : c’était gracieux au possible ! Les oiseaux galants offraient les meilleures places aux fleurs coquettes et ils ne s’en trouvaient que mieux placés sur des branches très hautes.

Un corbeau solennel unit les époux, et au Chœur des rossignols répondaient avec entrain les engoulevents qui répétaient leur petite chanson : « Pas pour rire ! — Pas pour rire ! »

On sait bien que le mariage n’est pas une plaisanterie, mais ces bavards choisissent mal leur heure pour le dire autant !

Le festin fut ce qu’il y a de plus exquis : baies, fruits, herbes fines et aromatisées. La rosée de la nuit, au cœur des fleurs, était délicatement aspirée par les oiseaux altérés qui disaient ensuite des douceurs aux petites fleurs complaisantes.

Il y eut des discours, — pas d’endroit en ce monde où l’on puisse s’en sauver ! — il y en eut de solennels et de plaisants ; on taquina les mariés et on leur donna de bons conseils, le tout en pure perte, la sagesse et l’expérience étaient perdues dans le joli tapage du dessert, où tous les convives, oiseaux et fleurs, parlaient tous ensemble, flirtaient et n’écoutaient qu’eux-mêmes.

Je les vis se disperser et regagner leurs nids ou leurs taillis, et bientôt la clairière fut déserte. C’est alors que j’aperçus sur un rosier sauvage, un petit bourgeon tout triste, je crois même qu’il pleurait.

— Qu’as-tu donc, mon petit ?

— La fête est finie et je n’y ai pas pris part ! Prisonnier derrière mes pétales serrés, bien clos, je n’ai rien vu et rien entendu ! Je suis bien malheureux !

— Console-toi, mon petit, ta gaine est sur le point d’éclater, tu deviendras fleur et l’on t’invitera aux noces. Il est rumeur d’un grand mariage chez les reines des prés.

— Et moi ? fit un filet de voix plaintive, m’invitera-t-on aussi ? Enfermé dans le noir je ne sais même pas pourquoi j’existe !

— Toi, parfum si doux, tu seras libéré en même temps que la rose et tu t’enfuiras dans l’espace. Reprenez courage tous les deux, et attendez votre heure ! Elle viendra et vous mêlerez vos petites vies à la grande vie de la nature et vous saurez alors pourquoi vous avez été créés !

Le bourgeon et le parfum, consolés, s’endormirent parmi les épines protégeantes, et je continuai ma course, un peu lasse et prêtant peu d’attention à ces hommes, ces femmes, ces bêtes, ces oiseaux et ces fleurs qui tombaient de sommeil et cherchaient un lit, un creux d’arbre, un trou dans le roc ou un nid pour s’y blottir.