Les anciens couvents de Lyon/24. Minimes

Emmanuel Vitte (p. 425-440).

LES MINIMES



cET ordre a eu pour fondateur saint François de Paule, qui fut le thaumaturge de son siècle. Il naquit à Paule, en Calabre, en 1416, de Jacques Martorille et de Vienne de Fuscado. À treize ans, il entrait chez les religieux de Saint-François, dans leur couvent de Saint-Marc ; un an plus tard, sans avoir fait profession, il revint à Paule chez ses parents et se retira dans un endroit solitaire qui leur appartenait ; puis, cette solitude n’étant pas suffisamment complète, il trouva un rocher dans lequel il se creusa une loge, où ce jeune anachorète de quinze ans fit revivre les merveilles de la Thébaïde : à dix-neuf ans, il avait des disciples avec lesquels il revint à Paule jeter les fondements de son ordre. On les appela d’abord Ermites de Saint-François ; ils furent bien vite très répandus en Calabre et en Sicile, et l’approbation des souverains Pontifes vint bientôt donner à l’ordre une nouvelle vigueur. Le pape Sixte IV nomma François supérieur général, et plus tard, Alexandre VI changea le nom d’Ermites de Saint-François en celui de Minimes, plus conforme à l’humilité, qui est le fondement de cette institution.

Le bruit de la sainteté de François de Paule et des miracles qu’il opérait se répandit au delà des monts et arriva jusqu’à la cour de France, où le roi Louis XI était dangereusement malade dans le château de Plessis-lès-Tours. Louis XI tenait fort à la vie et faisait multiplier les vœux et les neuvaines pour le rétablissement de sa santé. Il crut que l’homme de Dieu aurait plus de pouvoir ; il lui écrivit pour le faire venir ; François n’en fut pas touché. Louis XI fit faire des instances par le roi de Naples ; François ne voulut rien entendre. Alors le roi s’adressa au Pape, qui envoya deux brefs à saint François ; il n’en fallut pas moins pour le déterminer. Le voyage fut un vrai triomphe. À Naples, à Rome, il fut fêté comme un roi. Il s’embarqua à Ostie pour prendre la route de France. Il passa à Lyon, où nous avons relevé quelques traces de son passage, alla de Lyon à Roanne, où il s’embarqua sur la Loire, et de là arriva en Touraine.

Les archives de Lyon possèdent deux lettres originales de Louis XI, que nous croyons intéressant de reproduire :

À nos très-chiers et bien amez les conseilliers de nostre Ville de Lion,

« De par le Roy

« Très-chiers et bien amez,

« Nous envoyons nostre ami et féal conseillier et maistre d’ostel Rigault Doreille, à Lion, au devant de Guynot de Losière, aussi nostre maistre d’ostel, qui amène un homme de saincte vie avec lui, que nous avons envoyé quérir à Naples. Et avons donné charge au dit Doreille de faire faire ung chariot et litière pour amener ledit sainct homme mieulx à son aise. Et pour ce nous vous prions, sur tout le service que vous nous désirez faire, que vous receviez et festoïez icellui sainct homme le mieulx que vous pourrez, et faites faire lesdits chariot et litière et autres choses nécessaires pour l’amener. Et sur ce croyez ledit Doreille de ce qu’il vous en dira de par nous et vous nous ferez très-agréable plaisir.

« Donné au Plessis-du-Parc, le XXIIIe jour de février.

« Loys. »

La seconde lettre est adressée :

« À nos très-chiers et bien amez les consuls, manans et habitans de nostre Ville de Lion,

« De par le Roy

« Très-chiers et bien amez,

« Nous vous avons escript par Rigault Doreille, nostre maistre d’ostel, touchant les choses que nous voulons être faictes pour le sainct homme que Guynot de Losière, aussi nostre maistre d’ostel, nous amène ; et pour ce, faites ce qu’il vous dira. Et quand ledict sainct homme sera arrivé par-delà, recevez-le et le festiez comme si c’était nostre sainct Père, car nous le voulons ainsi pour l’amour de sa personne et de la saincte vie qu’il mène. Si, gardez qu’il n’y ait faulte.


« Donné au Plessis-du-Parc le XXVIIe jour de mars.

« Loys. »

Saint François de Paule, de passage à Lyon, logea chez Guiot Vachard, hôte du Griffon, dans le quartier du Bourgneuf. L’empressement du peuple fut tel, dit Rubys, que « s’estimaient bienheureux hommes, femmes et petits-enfants qui pouvaient toucher ses habits ou quelque chose du sien ».

Arrivé près de Louis XI, notre saint fit entendre le langage de l’humilité. Tout le monde sait que Casimir Delavigne a fait une tragédie où Louis XI et François de Paule sont en présence. C’est une admirable scène que celle de la Confession, mais, malgré tout, on a bien de la peine à croire que le langage tenu dans la tragédie fût le véritable langage de Plessis-lès-Tours. Quoi qu’il en soit, le bon homme, comme l’appelaient les courtisans, arriva à changer le cœur du roi et à lui faire faire une bonne mort (4 août 1483). Saint François de Paule ne quitta plus la France, où il continua à jouir d’une très grande faveur sous Charles VIII et François Ier. Il mourut le 2 avril 1507, le vendredi saint (1506 selon la manière de compter des anciens, alors que l’année ne commençait qu’à Pâques), au couvent de Plessis-lès-Tours, et fut canonisé en 1519 par le pape Léon X.

Pendant plusieurs années, il n’y eut pas de règle écrite, puis saint François de Paule en rédigea une en treize chapitres, qu’il perfectionna plus tard en la réduisant. Cette règle fut approuvée par Alexandre VI et par Jules II. Il ajouta à la règle un correctoire et un cérémonial. Le caractère distinctif de l’ordre des Minimes était une grande humilité et l’observance de la vie quadragésimale, pour laquelle on faisait un vœu spécial. Les religieux devaient s’abstenir entièrement de viande et de tout ce qui tire son origine de la chair, œufs, beurre, fromage, laitage, tant en dedans qu’au dehors du couvent, si ce n’est dans les grandes maladies. Si quelqu’un tombe malade, il doit être conduit dans l’infirmerie claustrale, où l’on peut manger des viandes de carême ; si la maladie augmente, il doit être conduit dans l’infirmerie extérieure, bâtie dans la clôture du couvent, où on lui donnera les aliments propres à rétablir sa santé. Les aliments doivent être apportés par un autre endroit que par le cloître du couvent, qui doit être éloigné de l’infirmerie d’au moins cinquante pas, et personne n’y peut entrer sans la permission du supérieur. Pour les jeûnes, outre les jours déjeune ordonnés par l’Église, les religieux Minimes jeûnaient tous les mercredis et vendredis de l’année, et aussi du lundi de Quinquagésime jusqu’au samedi saint, et de la fête de la Toussaint jusqu’à Noël.

Pour le costume, l’habit était long jusqu’aux talons, d’une étoffe vile, de laine naturellement noire et sans teinture. Le chaperon était de la même couleur, et descendait devant et derrière jusqu’au milieu de la cuisse ou à peu près. Ils avaient une ceinture de laine de semblable couleur, nouée de cinq nœuds, et ils ne pouvaient jamais, ni jour ni nuit, quitter le cordon, ni l’habit, ni le chaperon. Ils eurent d’abord aux pieds des soques ou des sandales, mais on leur permit bientôt l’usage des souliers. Ils portaient sous l’habit des tuniques de serge, et sur l’habit ils pouvaient à volonté se servir d’un manteau noir auquel était cousue une cuculle propre à couvrir la tête.

Les supérieurs de tous les degrés avaient le nom de correcteur : correcteur général, correcteur provincial, correcteur local. Le correcteur général était assisté des collègues généraux. Le procureur général avait le nom de zéleur. Il y eut autrefois des vigiles ou visiteurs généraux, mais cette charge fut supprimée. Le correcteur général fut d’abord élu pour trois ans ; à partir de 1605, il exerça sa charge pendant six années ; les correcteurs locaux étaient élus pour un an, le jour de la Saint-Michel.

minime

Cet ordre, dont l’humilité était le fondement principal, rendit de grands services à l’Église par la prédication, en la défendant contre les novateurs de la Réforme ; il a produit des religieux recommandables dont nous dirons un mot plus tard, et aussi quelques évêques, à Marseille, Mâcon et Riez. Cet ordre avait pour armes le mot Charitas d’or, entouré de rayons de même en champ d azur. Après ce coup d’œil général donné sur la famille de Saint-François-de-Paule, voyons maintenant comment les Minimes sont venus se fixer à Lyon et quelle fut leur histoire, leur popularité d’abord et ensuite leur malheureuse décadence. Le cardinal de Tournon, archevêque de Lyon, ayant entendu prêcher, à Paris, le P. Simon Guichard, l’envoya dans sa ville archiépiscopale pour prêcher le Carême. Le père vint donc à Lyon et prêcha avec un tel succès dans l’église de Sainte-Croix que l’archevêque, le chapitre et le peuple furent désireux de le garder et de le voir fonder à Lyon un couvent de son ordre.

Simon Guichard, qui avait été correcteur général, se trouvait alors provincial d’Aquitaine. Il avait une haute réputation comme administrateur, prédicateur et savant ; il était l’homme de la situation, il accepta de fonder un couvent de Minimes. Il eut, pour l’aider dans cette œuvre, messire de Vichy de Champrond, doyen de l’église cathédrale, qui eut pour cette fondation nouvelle la générosité d’un bienfaiteur et le cœur d’un père. Ensemble ils cherchèrent l’emplacement de la nouvelle demeure, et finirent par en trouver un des plus heureux.

En haut de la montée du Gourguillon se trouvait jadis le centre de la cité romaine ; nous avons vu déjà que là s’élevaient l’ancien Forum et le palais des empereurs. Tout auprès il y avait un théâtre, dont on distinguait encore la forme au temps de J. Spon, qui en parle comme l’ayant vu lui-même.

Le sang des chrétiens arrosa la colline où s’élevait le palais des empereurs. Une croix placée en haut du Gourguillon consacrait jadis ce religieux souvenir ; on l’appelait la croix des Décollés, crux decollatorum. Plus tard, ce nom devint plus simplement crux de colle, la croix de la colline, et le peuple l’appela la croix de colle.

C’est en cet endroit, sur l’emplacement de l’ancien théâtre et près de la croix de colle, que le frère Simon Guichard et messire de Vichy achetèrent au sieur de Corval, négociant de Lyon, une maison modeste à laquelle attenait une petite vigne. On demanda aux autorités compétentes l’autorisation d’élever un couvent de l’ordre des Minimes, et, à ce propos, je crois intéressant et utile de citer la lettre de S. E. le cardinal de Tournon :

« François de Tournon, évêque de Sabine, cardinal de la sainte Église romaine, nommé archevêque ou administrateur perpétuel de L’Église de Lyon, primat des Gaules,

« À tous, présents et à venir, faisons savoir que, possédé du vif désir de chasser l’hérésie de notre diocèse de Lyon, qui tient le premier rang parmi les Églises de France, et d’enlever tout ferment d’erreur, Nous avons pensé qu’il n’existait pas de remède plus efficace et plus opportun (autant qu’il dépend de Nous) que d’envoyer des prédicateurs de la parole de Dieu, hommes courageux et fidèles, qui, par l’intégrité de la doctrine et la probité de leur vie et de leurs mœurs, détruisissent tout à fait ces dogmes faux et impies ; et quoique dans notre ville de Lyon il se trouve beaucoup de couvents, et que les monastères des ordres mendiants, aussi bien que des autres ordres, soient ornés et remplis de personnes intègres dans la foi, la doctrine et la religion, comme cependant la ville de Lyon est voisine de la cité de Genève (qui est la source des luthériens et des hérétiques et le rendez-vous des méchants), et que cette situation ne Nous laisse pas sans beaucoup de crainte, il Nous a paru plein d’opportunité, en présence des progrès chaque jour croissants de ce dangereux fléau de l’erreur, d’augmenter, pour servir d’antidote au poison, le nombre des religieux catholiques. Au milieu de ces tempêtes soulevées par l’hérésie, le frère Simon Guichard, de l’ordre des Minimes de Saint-François-de-Paule, homme remarquable par sa piété, sa sainteté, sa doctrine conforme à l’Évangile et à l’orthodoxie, qui plusieurs fois a prêché à Paris, que Nous-même avons envoyé annoncer la parole de Dieu dans notre cité, et qui, pour les intérêts de la religion et de la foi orthodoxe, a montré, pendant plusieurs années, une si grande piété et fidélité, en travaillant pour l’édification de l’Église catholique, a non seulement ramené, par sa prédication, un grand nombre de fidèles qui étaient hésitants, mais encore plusieurs autres qui étaient tout à fait gagnés à l’erreur ; ce que Nous avons vu pendant notre séjour dans la ville, et ce qu’on Nous a appris quand les intérêts du royaume Nous ont obligé d’en être absent.

« Condescendant aux prières que ledit frère Simon Guichard Nous a adressées au nom de son ordre tout entier, Nous accordons à ces mêmes frères de l’ordre de Saint-François-de-Paule que, dans notre ville de Lyon, à l’endroit où, dans les premiers siècles, plusieurs chrétiens subirent la mort pour la foi, et qu’on appelle encore, en souvenir de ces saints martyrs, la place de la Décollation, ils élèvent une église et un couvent, et que là, avec un nombre convenable de religieux, ils célèbrent les saints offices, y résident à perpétuité, jouissent des privilèges, immunités, libertés et pouvoirs accordés à leur ordre par les saints pontifes romains et les rois très chrétiens de France…

« Donné dans notre maison de Méhun, près Blois, diocèse de Chartres, le 16 janvier 1553. »

Le P. Jean de Malras, correcteur général, qui avait assisté au contrat d’acquisition, introduisit le P. Simon Guichard et ses compagnons dans leur nouveau local. Ces commencements furent bien modestes ; le rez-de-chaussée fut transformé en chapelle, la salle du chapitre fut installée au-dessus, et les cellules un peu partout. En 1555, le 25 mars, la première pierre de l’église fut posée par messire de Vichy, doyen du chapitre, et l’évêque suffragant, le R. P. Bothéan, religieux cordelier, fit la bénédiction ; l’église fut dédiée à Dieu sous le vocable de l’Assomption de la sainte Vierge.

Il n’y avait pas longtemps que les religieux Minimes étaient installés dans leur modeste demeure quand, au mois de mai 1562, Lyon tomba au pouvoir des bandes protestantes dont le fameux baron des Adrets était le chef. Jamais on ne pourra redire assez quels ravages elles firent dans notre cité ; nous avons pu déjà constater plusieurs fois quelle furie de pillage et de destruction animait les soudards, nous allons le redire encore ; les Minimes étaient trop modestes et trop pauvres pour exciter la cupidité ; ils furent préservés par leur obscurité même, mais ils en ressentirent le contre-coup.

Il y avait, en haut du Gourguillon, le bourg de Saint-Just, dont les chanoines de Saint-Just étaient les seigneurs. Comme il était en dehors des portes de la ville, il était fortifié contre les entreprises des ennemis ; il était entouré de murailles, et dans ces murailles d’enceinte on comptait vingt-deux tours ; deux grandes portes donnaient accès dans le cloître. Au milieu de cette enceinte s’élevait la riche église de Saint-Just, flanquée de deux hautes tours et de deux clochers, et qui montrait avec orgueil ses vingt-quatre chapelles intérieures et son magnifique chœur orné de quatre-vingt-dix stalles parfaitement travaillées.

Les cloîtres occupaient le dehors ; ils contenaient douze maisons canoniales fort spacieuses, avec leurs cours et leurs jardins. C’est là que nos rois, et quelquefois les souverains Pontifes, aimaient à venir recevoir l’hospitalité. La liste de ces nobles hôtes serait longue, je me contente de rappeler le souvenir des papes Innocent IV et Clément IV.

Outre ces maisons, les Perpétuels et les autres chapelains avaient seize maisons, avec leurs cours et leurs jardins. On y voyait aussi un grand bâtiment qui fut autrefois le réfectoire, et l’école où l’on instruisait les enfants de chœur ; et comme le chapitre avait droit de justice, on y voyait aussi un prétoire et les maisons de la prévôté et des prisons. Enfin, on y avait élevé un hôpital pour les passants.

C’est de cette situation si belle, si forte, que s’empara le baron des Adrets. Il passa, sans la voir, devant la maison modeste des humbles frères Minimes pour aller saccager la riche collégiale et les cloîtres de Saint-Just. On n’y laissa pas pierre sur pierre ; le procès-verbal dressé plus tard, après cette horrible démolition, estime la seule perte des matériaux à 450.000 livres.

Quand la tourmente fut passée, religieux Minimes et chanoines de Saint-Just revinrent sur la colline, et c’est alors que commence une singulière histoire.

En venant s’établir à la croix de Colle, les religieux se trouvaient sur les terres du chapitre, et il faudrait être étranger à toutes les idées qui régissent cette époque pour ne pas comprendre avec quel soin jaloux les chanoines sauvegardèrent leur autorité et leur juridiction. Ils ne firent aucune démarche pour empêcher l’ établissement sèment nouveau, mais devant, eux aussi, donner leur autorisation après l’Archevêque et le Consulat, ils posèrent pour condition que la chapelle des Minimes deviendrait leur propriété, si les fortifications qu’on devait construire à Saint-Just renversaient un jour leur église. Il était alors question d’élever à Saint-Just une puissante citadelle. Le P. Simon Guichard accepta.

Après les ravages des protestants, les chanoines prirent prétexte de cette convention pour s’emparer de l’église des Minimes. Les religieux invoquaient cette même convention pour rentrer dans leur demeure, les chanoines de Saint-Just n’ayant le droit de propriété sur l’église des Minimes qu’autant que leur église collégiale aurait été démolie pour l’établissement des fortifications. Ce conflit dura plus de deux ans ; les Minimes réclamaient auprès de l’autorité civile, et l’autorité civile leur donnait raison, mais les chanoines différaient, temporisaient, obtenaient des délais, espérant toujours rester maîtres définitifs du local dont ils s’étaient emparés. L’affaire fut même portée au roi Charles IX, alors de passage à Lyon ; les Minimes eurent encore raison, et, malgré tout, ce ne fut qu’un an plus tard, à la Noël de 1565, que les Minimes rentrèrent en possession de leur ancienne demeure.

Rien n’y fut changé jusqu’en 1577, mais alors la modeste habitation acquise du sieur Corval devint trop étroite, et l’on se mit à construire sur un plan uniforme un nouveau couvent. On comprend sans peine que les religieux, vivant des aumônes publiques, ne pouvaient pas avoir toujours des ressources suffisantes ; aussi les travaux furent-ils suspendus et repris plusieurs fois. On en vint cependant à bout, et le couvent des Minimes fut un des plus considérables et des plus commodes de France. Il formait un vaste quadrilatère dont trois côtés étaient affectés au couvent proprement dit, et le quatrième était occupé par l’église. Cet ensemble ne fut terminé qu’en 1647. Les trois ailes contenaient les salles de chapitre, la bibliothèque, le réfectoire, le noviciat, et en particulier, dans celle qui s’élevait sur la place, les cellules des religieux et les chambres des hôtes. Ces trois bâtiments avaient des cloîtres, sous les arcades desquels Horace Leblanc, peintre de Lyon, avait représenté, en 1624 et les années suivantes, toute, la vie du fondateur des Minimes, saint François de Paule. Enfin, au flanc nord de la chapelle, il y avait un escalier lourd et monumental, qui conduisait les pères de leurs cellules aux stalles du chœur.

L’église, dont la première pierre, comme nous l’avons dit, avait été posée en 1555, fut achevée en 1653. L’évêque d’Autun, Louis Dony d’Attichy, qui était lui-même religieux minime, en fit solennellement la consécration. Elle n’avait qu’une seule nef, de nombreuses chapelles latérales très hautes sous voûtes, de profonds caveaux, où dorment peut-être encore les moines et leurs protecteurs. Par une disposition singulière, elle se terminait par deux absides, l’une au levant, l’autre au couchant, qui abritait le sanctuaire. L’abside du levant avait une tribune dont les voûtes à trompes concentriques donnaient beaucoup de jeu à la perspective. Le retable du maître autel était renommé pour la beauté de son architecture. Guillaume Périer avait orné ce maître autel de quatre de ses compositions, et la grande sacristie du parallélisme historique de l’Ancien et du Nouveau Testament. Quant aux chapelles, au nombre de neuf, elles rappellent des noms illustres : les Pianelli de la Valette, les Clapisson, les Scarron, les Chapponay, les d’Auxerre avaient là leurs places et leurs caveaux de sépulture. Olivier Le Fèvre, président de la cour des comptes de Paris, étant mort à Lyon, fut inhumé dans le caveau des Lavalette, creusé au pied de l’autel de saint François de Paule, dont ce magistrat avait épousé la petite nièce, Anne Alesso. Enfin, les Parisiens établis dans notre ville, et qui formaient une corporation nombreuse et disciplinée, avaient dans l’église des Minimes la chapelle de sainte Geneviève et de saint Denis.

Parmi les confréries qui y étaient érigées, il faut citer entre toutes celle des Enfants de la ville. Elle avait été établie à un moment où une affreuse épidémie enlevait tous les enfants en bas âge. On eut recours à la prière et à la protection de la sainte Vierge ; le 15 août en était la fête patronale. Une autre confrérie était celle de la Santé, fondée en 1628, au temps de la peste[1]. En ces jours malheureux, deux religieux minimes furent envoyés par le consulat en Italie pour obtenir du ciel la cessation du fléau. M. l’abbé Vanel, qui a écrit sur ce couvent une consciencieuse et remarquable étude, dit que ce fut en 1629 que deux religieux minimes, Pierre de Torvéon et Dominique Meillier, suspendirent dans le sanctuaire vénéré de la Santa Casa, à Lorette, une belle lampe d’argent qu’ils avaient fait fabriquer à Venise. Mais l’almanach de 1755 s’exprime autrement : « Deux prêtres de cette maison firent, en jeûnant et pieds nus, le voyage de Saint-Roch à Venise, l’an 1667, année fatale de peste et de maladies contagieuses. » Cette dernière date nous semble fausse, car le vœu des échevins, qui délivra notre cité de ce fléau chronique de la peste, date de 1643 ; après cette date il n’en est plus question ; la date de 1667 nous semble donc une erreur.

Bien que les limites étroites de cette modeste étude ne nous permettent pas d’entrer dans de grands détails, il nous semble cependant impossible de ne pas redire quelques noms de religieux.

Le P. Roland Guichard, neveu du fondateur Simon Guichard, fut supérieur et provincial de Lyon. Il prêcha beaucoup, et pendant plus de quarante ans. Quand les hérétiques furent maîtres de la ville, il resta seul à Lyon. Les protestants prétendirent qu’il était atteint de la peste, et on le traîna à l’hôpital de Saint-Laurent, où l’on entassait les pestiférés. Le bon père, dans ce milieu, prit en effet la contagion, mais il n’en mourut pas, et il profita de cette aventure pour exercer son zèle apostolique et confesser ses infortunés compagnons.

Le P. Jean Ropitel fut appelé le fléau des hérétiques ; il prêcha huit ans à Lyon, sans discontinuer, contre les ministres calvinistes. Il était, dit Dony d’Attichy, « ferré à glace, et avait de quoi répondre ». Viret, le fameux apostat, fut publiquement convaincu par lui. Les hérétiques, très irrités, cherchèrent à le faire mourir, et quand ils furent maîtres de la ville, le P. Ropitel devait être traîné au gibet, mais le peuple le fit déguiser et évader. Il fut quelque temps suffragant de Lyon.

lampe envoyée par le consulat et portée à la Santa Casa de lorette par deux religieux minimes

Le P. François Humblot, provincial de Lyon, fut un grand prédicateur ; il eut auprès de ses contemporains de grands succès oratoires. Ce qui nous reste de lui indique, en effet, de la puissance ; il se dégage de la boursoufflure qui jusque-là régnait dans la chaire, il expose avec clarté, et touche souvent à la véritable éloquence. Sa dispute avec le ministre Cassegrain, à Mâcon, est restée célèbre.

Le P. Jean-François de Binans et le P. André Baird, l’un Anglais, l’autre Écossais, qui recherchaient sans crainte toutes les occasions de discuter avec les hérétiques ; le P. Gaspard Dinet, qui devint évêque de Mâcon ; le P. Antoine de Bologne, qui devint évêque de Digne ; le P. Antoine Périer, Lyonnais, qui fut nommé général de l’ordre.

Enfin, pour compléter ces notions, ajoutons que la province de Lyon était la douzième de l’ordre et comprenait quatorze couvents, parmi lesquels celui de Feurs, celui de Saint-Étienne, dont l’église conventuelle est aujourd’hui l’église paroissiale de Saint-Louis, celui de Saint-Chamond, qui fut longtemps un collège, et qui abrite aujourd’hui la municipalité.

Qu’on me permette encore de citer un singulier détail que l’on trouve consigné au tome XII des Archives du Rhône : Les Minimes de Lyon, y est-il dit, fabriquaient un vin d’absinthe qu’on allait boire par mortification à leur couvent, à Saint-Just, le jour du vendredi saint, en revenant du Calvaire. Ils en faisaient ce jour-là un débit considérable et lucratif : ils en vendaient dans le cours de l’année comme remède.

Longtemps, le couvent de la Croix-de-Colle conserva sa ferveur et son vif esprit d’austérité, de zèle et de religion, mais chacun sait ce qu’il advint de la France et des mœurs publiques après la mort de Louis XIV. L’air pestilentiel du monde pénétra jusque dans le cloître, la discipline se relâcha, et les anciennes et rigoureuses observances furent abandonnées. Autant qu’on peut fixer une date, c’est en 1738 que commence pour les Minimes de Lyon cette décadence spirituelle. Un certain P. Gaudin est alors élu provincial, et cette charge n’est pour lui qu’un aimable passe-temps ; il introduit le luxe dans le monastère, et les ressources pécuniaires passent sans contrôle en folles dépenses. Il a à Fontanière, près de Sainte-Foy-lès-Lyon, une magnifique campagne où le porte un fringant équipage, et où il donne des festins et des fêtes. Peu à peu, presque rien ne reste des règles de l’ordre ; le costume est modifié, la vie quadragésimale est violée, les sorties sont fréquentes et volontaires, l’office canonial est abandonné. Enfin, nombreux sont les religieux qui demandent à quitter leur profession.

Sans doute, tous les religieux ne donnèrent pas dans ce relâchement, et nous avons la preuve écrite de protestations indignées. Mais les charges étant électives, le P. Gaudin manipula le suffrage à son gré, et eut recours à tous les expédients pour s’assurer les suffrages ou pour faire nommer quelqu’une de ses créatures dévouées. Cet état de choses dura jusqu’en 1774. Alors le P. Jean-Baptiste Revoire essaya une réforme qu’il aurait sans doute menée à bien avec le temps, mais le temps lui manqua ; l’école de Voltaire faisait bonne garde, et la Révolution était aux portes.

L’école de Voltaire trouvait les couvents trop nombreux et trop riches, et l’autorité royale se mit au service des philosophes. On imposa aux ordres la révision de leurs règles et tous les devoirs de la conventualité ; on leur défendit d’avoir plus de deux couvents à Paris et plus d’un dans les autres villes ; on limita le nombre des religieux et l’on supprima les couvents qui ne pouvaient atteindre ce chiffre ; enfin, neuf congrégations furent abolies. De cette sorte trois cent quatre-vingt-six couvents furent fermés, et le nombre des religieux diminua d’un tiers. Les Minimes furent fortement atteints par ces mesures. La Révolution ne fit qu’achever une œuvre à moitié faite.

Quand la Constituante eut décrété ses lois sur les couvents, la municipalité lyonnaise se présenta au couvent des Minimes (mai 1790). Il y avait alors dix-sept religieux, quinze prêtres et deux frères. Quatre seulement déclarèrent qu’ils persistaient à demeurer en communauté, et encore ces quatre religieux furent-ils obligés à leur tour de quitter le couvent et de se disperser au commencement de 1791. La Croix-de-Colle fut mise aux enchères ; l’église servit de grange a foin, et le couvent devint une caserne.

Vers la fin de la Restauration, le P. Dettard acheta l’ancienne église et y fonda une maison d’éducation. Son successeur acheta pour le compte du diocèse, la caserne des Minimes, et alors maîtres et élèves furent au large, et l’ancienne église fut dégagée. De nouvelles constructions ont, depuis lors, fait de cette maison une institution remarquable, où se sont formés des hommes sérieux et des chrétiens solides, comme il en faut aujourd’hui.

SOURCES :

Le P. Hélyot. : Histoire des ordres monastiques.

Les Almanachs de Lyon.

Revue du Lyonnais, années 1850, 1860, 1864.

L’abbé Vanel : Histoire des Minimes.

Archives municipales.

Archives du Rhône, t. XII, p. 65.




  1. La chapelle de Saint-Roch, à la Quarantaine, était desservie par les pères Minimes. (Voir Revue du Lyonnais, 11-216.)