Les Vivants et les Morts/La Nue est radieuse

Les Vivants et les MortsArthème Fayard et Cie (p. 91-93).
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LA NUE EST RADIEUSE…


La nue est radieuse, et sa splendeur inerte
Étale un mol azur plein de fraîche langueur.
On voit glisser sur l’eau une péniche verte
Où traîne un filet de pêcheur.

La lumière d’argent assaille le feuillage
Avec une fureur de foudre et de frelons ;
Et puis midi s’enfuit, et le doux paysage
Médite dans la paix d’un soir limpide et long.

De blancs oiseaux, posés comme une ronde écume,
Dévalent mollement sur le lac aplani.
Septembre est un volcan qui flamboie et qui fume
Dans un ondoiement infini !


Les abeilles, tournant parmi d’épais aromes,
Font un remous de chants et de suavité.
On voit, sur les chemins, s’éloigner le fantôme
De l’été lourd de volupté…

Et pourtant, ô mon cœur, cette paix onctueuse
Qui t’environne et veut tendrement t’envahir,
S’étend comme un désert aux vagues sablonneuses,
Autour de ton triste désir !

Tu te sens étranger parmi cette indolence,
Tu ne reconnais rien dans ce calme sommeil ;
Et ton sort fait un poids obscur dans la balance
Où monte un placide soleil…

Les feuillages, les flots, la rive romanesque,
La barque qui descend comme un bouquet sur l’eau,
Les montagnes, au loin peintes comme des fresques,
La fumée aux toits des hameaux,

Ne te captivent plus, car la vie irritée
A, depuis ton enfance, arraché tes abris,
Et ton passé tragique est une eau démontée
Où des navires ont péri.


— Hélas, ô triste cœur, ô marin des rafales,
Vous si brave parmi la nuit et l’océan,
Comment goûteriez-vous la douceur qui s’exhale
De ce soir sans douleur, qui ressemble au néant ?