Les Veillées des maisons de prostitution et des prostituées/4

TROISIÈME TABLEAU

Ma sœur, le docteur a dit, que je sortirai
quand je ferai bâton.

Scène d’intérieur d’un hôpital militaire ; scène comme on en voit tous les jours dans ces sortes d’endroits : un soldat à qui sa payse a donné ce que les troupiers nomment entr’eux une fièvre de culotte, s’est fait recevoir à l’hospice. Longtemps le pauvre diable a été dans un piteux état ; la payse l’avait soigné et avait été plus libérale dans ses faveurs envers lui : aussi a-t-il vu le moment où le chirurgien-major allait faire tomber la moitié de son engin sous le bistouri. Que de fois il a répété sur son lit de misère ces vers :

Je rumine ces maux que sur son lit endure,
Un pauvre putassier tout frotté de mercure.

Mais enfin la science doctorale a triomphé du mal ; il ne lui reste plus de l’atteinte syphilitique qu’un air de langueur qui s’en va chaque jour ; car à présent :

Son sang purifié coule libre en ses veines,
Et deux globes malins ne gonflent plus ses aines.

Aussi, voyez, quel tendre regard de reconnaissance il jette sur la jeune sœur qui l’a soignée pendant sa maladie. Déjà mon bougre, qui, il y a six semaines jurait de fuir toutes les femmes, et disait qu’il aimerait mieux socratiser tous ses camarades que d’aller s’y faire remordre, convoite sa jolie garde-malade ; il fixe sur la guimpe un œil libertin ; son imagination travaille ; il devine les charmes secrets que la robe de bure lui cache ; il les rebâtit un à un ; tétons rondelets, cuisses fermes, cul potelé, chûte de reins admirable, motte bien rebondie, entourée d’un poil noir et frisé ; rien n’y manque ; la vie revient à l’instrument : de mou et lâche qu’il était depuis l’invasion de la maladie, il devient ferme et menaçant ; il le sent se dresser le long de son ventre ; un sang brûlant court dans ses veines ; sa figure devient pourpre ; son œil s’anime au point que l’innocente religieuse en est effrayée, croyant que c’est un accès de fièvre qui saisit son malade, elle lui demande s’il se sent incommodé : au contraire, répond le malicieux militaire ; jamais je ne me suis mieux porté ; je peux quitter l’hôpital demain, et rejetant au loin draps et couverture : tenez, voyez plutôt, ma sœur, le docteur a dit que je sortirai quand je ferai bâton.

Admirez, mesdemoiselles, combien devant l’imprudence du chenapan, la jeune hospitalière conserve une apparence de tranquillité, quoique fort émue par le spectacle que présente à ses yeux ce vit ferme et rubicond ; elle ne laisse pas apercevoir l’impression que cette vue produit sur elle. Foi de putain, c’est de bien vertueuses filles que les filles de charité !