Les Tuileries et le Louvre pendant la Commune/01

Les Tuileries et le Louvre pendant la Commune
Revue des Deux Mondes3e période, tome 28 (p. 753-778).
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LES
TUILERIES ET LE LOUVRE
PENDANT LA COMMUNE

I.
L’AVANT-DERNIER JOUR DES TUILERIES.


I. — LE GOUVERNEUR DU CHÂTEAU.

Ce fut en 1564 que, sur l’ordre de Catherine de Médicis, Philibert Delorme jeta les premières fondations du château des Tuileries ; presque tous les souverains qui régnèrent sur la France tinrent à honneur de le continuer ou de l’embellir : à la veille de la révolution du 4 septembre, on y travaillait encore. Il fallut donc à la monarchie trois cents ans pour l’élever ; une nuit suffit à la commune pour le détruire. Il était resté debout, pendant la terreur, il n’avait même pas été menacé par les invasions de 1814 et de 1815. L’insurrection du 18 mars, débutant par l’assassinat de deux généraux et de quelques gendarmes, suivit imperturbablement sa logique et s’effondra au milieu des incendies allumés par elle ; des Tuileries elle fit une vaste ruine que remplit un peu de cendres. Le pétrole tourmentait l’esprit des communards ; il y avait là un nouveau moyen de destruction rapide fait pour tenter des hommes qui s’intitulaient volontiers les apôtres de l’humanité nouvelle ; avant d’en inonder notre ville réservée à périr, ils avaient essayé de l’utiliser contre nos soldats. Dans le cabinet de Delescluze, sur son propre bureau, on trouva, au ministère de la guerre, la lettre que voici : « Commune de Paris, délégation scientifique ; Paris, le 18 mai 1871 : J’ai demandé à Dombrowski qu’il fît creuser une casemate dont je lui ai donné les dimensions pour y placer notre projecteur à pétrole. Depuis j’ai envoyé trois fois pour voir si les travaux s’avançaient, personne n’a pu me répondre à ce sujet. Je suis prêt à envoyer les appareils. Le membre de la commune, chef de la délégation scientifique, PARISEL. » Et en note, de la mince écriture de Félix Pyat : « Répondre à Parisel, en faisant ce qu’il demande. » La proposition d’envoyer à Dombrowski des projecteurs destinés à arroser les troupes françaises avec des jets d’huile minérale enflammée devait rester sans réponse, car déjà le général fédéré qui commandait « la première armée » avait fait son arrangement avec George Veysset, et dès le 14 mai avait bien pris ses précautions en promulguant l’arrêté suivant : « Le colonel Mathieu est nommé commandant supérieur de toutes les forces réunies entre le Point-du-Jour et la porte Wagram. » La commune eut beau déléguer un de ses membres, Dereure, en qualité de commissaire civil auprès de Dombrowski, Parisel ne réussit pas à lui faire adopter ce qu’il appelait modestement « ses appareils. »

Non-seulement on rêvait d’incendier Paris à l’aide du pétrole, mais on s’ingéniait à découvrir des moyens expéditifs de le faire sauter. Au siège même du comité central, on trouva cette pièce, que je reproduis textuellement et qui fait elle-même son propre commentaire : « En cas de revers de notre armée, Grélier propose : d’ici deux ou trois jours envoyer deux parlementaire à Versailles pour que dans les vingt-quatre heures ils envoient deux Versaillais ; leur montré tous les dossiers des notaires, des avoués, des huissiers et les titres de rentes, que la dette publique qui se trouve entre les mains de la commune sera détruit, brûlé avec du pétrole. Placé de la nitro-glycerine sous tous les grands quartier comme Dardelle a placé les poudre aux Tuillerie, après cette promenade ils iront porté lidée de la paix à Versailles. » Cette note, dont le patriotisme rachète l’orthographe, est tout entière de la main de Grélier, sorte d’avorton biscornu qui avait fait métier de blanchisseur et de baigneur ayant d’être élevé à la dignité de législateur du comité central. Il n’était pas pour les demi-mesures, comme l’on voit ; brûler le grand-livre de la dette inscrite et pulvériser Paris lui semblait une œuvre convenablement révolutionnaire, — ce qui ne l’empêche pas, au lendemain de la défaite, alors qu’il se cachait pour se soustraire à des poursuites qu’il ne réussit pas à éviter, d’écrire à l’un de nos plus illustres généraux pour le prier d’intercéder en sa faveur ; cette lettre, que j’ai sous les yeux, a moins de désinvolture que la note incendiaire, mais le français en est tout aussi boiteux.

Dans les préliminaires du traité de paix qu’il proposait d’offrir à Versailles, Grélier loue les préparatifs que Dardelle a faits aux Tuileries. Cet Alexis Dardelle, qui avait servi aux chasseurs d’Afrique, avait été trouvé par le 18 mars à la tête de quelques cavaliers de la garde nationale. Sur les hauteurs de Montmartre, ce transfuge de l’armée se jeta dans la révolte, facilita la reprise des canons et mérita d’être promu au grade de colonel commandant les cavaliers de la république ; titre honorifique sous la commune, qui eut si peu de cavalerie que Rossel, délégué à la guerre, et animé d’idées de réformes pratiques, avait prescrit la création d’un corps de vélocipédistes. En attendant que la future cavalerie fût organisée et que Dardelle en devînt le Murât, il avait été nommé gouverneur militaire du château des Tuileries, ce qui lui permit de vivre paisiblement, grassement et « loin des soucis de la guerre. » C’était un grand garçon grassouillet, prétentieux, portant la tête de côté, aimant à passer la main dans ses longs cheveux, souriant volontiers avec complaisance pour lui-même, bellâtre et s’admirant fort ; mais malgré la beauté vulgaire dont il s’enorgueillissait, il aurait pu réciter la fable de Phèdre : Pavo ad Junonem, car il avait une voix affreuse, éraillée et bien réellement alcoolique. Il ne détestait point la bombance et avait pour les femmes des regards vainqueurs qui ne les laissaient point insensibles. Ses attitudes penchées, ses façons sottement précieuses, faisaient dire qu’il avait essayé d’être acteur dans un tout petit théâtre : le fait est peut-être vrai, mais je n’en trouve point trace authentique ; je sais seulement qu’au début de la guerre de 1870 Dardelle était employé à la gare d’un de nos chemins de fer. Dans le monde des fédérés, il avait quelque réputation d’artiste ; les hommes et surtout certaines femmes de son entourage disaient : « Il touche très bien du piano. » Il savait la musique, en effet, et pendant tout le temps de son séjour aux Tuileries, il allait jouer de l’orgue dans la chapelle, qui retentissait alors d’airs un peu profanes pour un tel lieu. Quoiqu’il eût le vin « mauvais, » disait-on, il ne fut point méchant pour les employés réguliers du château restés à leur poste. Il avait cependant, en qualité de gouverneur, des prétentions qui parfois semblèrent excessives. Ainsi il voulait avoir toutes les clefs et il fit enlever celles qui fermaient l’agence des travaux du Louvre ; il ne fallut rien moins que l’intervention de l’ouvrier bijoutier Frankel, membre de la commune, délégué au ministère des travaux publics, pour les faire restituer à qui de droit. Dardelle aurait traversé fort obscurément la commune, si les Tuileries n’avaient point été brûlées, — encore n’a-t-on pas la preuve qu’il ait mis la main à l’incendie.

Il avait pris possession de son gouvernement le 19 mars, et dès le 26 il put reconnaître que son autorité était bien plus nominative que réelle. Le 127a bataillon tenait garnison au château ; les fédérés pensèrent que le 26 mars était un jour triplement férié, puisque c’était un dimanche, le dimanche de la Passion, et que l’on votait pour l’élection des membres de la commune ; ils se mirent donc résolument en mesure de célébrer cette belle journée, forcèrent les portes de la cave, y défoncèrent les tonneaux, y vidèrent les bouteilles et se grisèrent si abominablement que les sentinelles montaient la garde vautrés par terre en ronflant. Dardelle fit des observations que l’on n’écouta guère et des menaces que l’on n’écouta pas. Furieux il écrivit à Raoul Rigault, alors délégué civil à la préfecture de police, pour demander qu’on lui envoyât des hommes un peu plus sobres et qu’on le délivrât de « tous ces cochons ! » le mot y est. « Ils ne sont pas polis du tout dans cet endroit-ci, » disait Brid’oison. Je ne sais si l’on fit droit à sa réclamation, mais il dut avoir souvent à la renouveler, car les caves des Tuileries, que l’on savait amplement fournies de bon vin, exerçaient sur la milice communarde une attraction irrésistible. On ne se piquait point de tempérance à cette époque, et tout objet convoité devenait invariablement « propriété nationale. »

Dardelle avait autour de lui un groupe d’officiers assez nombreux dont quelques personnages seulement sont à désigner, parmi lesquels celui qu’il aimait le plus s’appelait Louis Madeuf, plus ordinairement connu sous le nom d’Armand, qui était un pseudonyme de théâtre. Chef d’escadron dans les cavaliers de la commune, chef d’état-major du gouverneur des Tuileries, Madeuf avait alors trente-six ans ; il était maigre, chauve, de taille élevée, et portait sur son visage des traces de fatigue qui ne semblaient dues ni à l’étude, ni à la réflexion. C’était un viveur d’assez bas étage qui le 8 août 1867 avait été frappé à Poitiers d’une condamnation à un an de prison pour attentat à la pudeur, châtiment qui ne l’avait point corrigé de certains goûts dépravés, car le 3 janvier 1870, à Bordeaux, il était condamné à cinq mois d’emprisonnement pour outrage à la morale publique. Peccadilles peu importantes, en vérité, et dont la commune, réparatrice des iniquités judiciaires, ne crut devoir tenir compte. Madeuf était acteur ; il aimait à jouer les traîtres et courait les théâtres de province. Surpris par la guerre à Paris, où il était venu chercher un engagement, il avait passé des éclaireurs à pied de la Seine dans les éclaireurs à cheval. Lorsque ce dernier corps, assez indiscipliné, fut licencié au mois de décembre 1870, on essaya d’en utiliser les débris pour former les cavaliers de la république ; Madeuf y fut admis en qualité de lieutenant et s’y lia avec Alexis Dardelle, qui les commandait. Le 18 mars en fit un chef d’escadron et l’installa aux Tuileries. Il y fut inoffensif ; il avait le service de la garde et de la police du château ; plus d’une fois il fit relever des bataillons indisciplinés et plus d’une fois aussi il fit punir des fédérés récalcitrans. Ses goûts de cabotin, la manie du costume furent sans doute pour beaucoup dans le rôle qu’il se plut à jouer, ceint d’une écharpe rouge ornée de revolvers, criant à travers les cours, piaillant dans les corps de garde et caracolant lorsqu’il se rendait « à l’ordre » à l’état-major de la place Vendôme ; il ne vola pas et fut seulement convaincu d’avoir reçu six bouteilles de vin provenant de l’ancienne liste civile : péché mignon qui mérite à peine une réprimande et qui n’aurait certainement pas interrompu la carrière dramatique de Madeuf, si ce grand premier rôle du théâtre de Perpignan n’avait été un spectateur trop désintéressé de la destruction des Tuileries.

Au-dessous de Madeuf s’agitait un tout autre homme, un certain Etienne Boudin, qualifié de capitaine adjudant-major. Ce n’était qu’un sous-ordre, mais il était digne, par ses exécrables instincts, de marcher de pair et de compagnon avec Ferré, Rigault, Eudes, Ranvier, Mégy et les autres carnassiers de la commune. Il n’y a qu’un cri contre lui : « C’était le génie du mal incarné. » Ses vices le harcelaient et ne lui laissaient point de repos ; il était complet : il fut ivrogne, voleur, incendiaire et assassin. Il avait alors quarante-trois ans, avait fait un congé dans un régiment du génie et portait la médaille de Crimée. En sortant de l’armée, il avait sollicité et obtenu une place de sergent de ville ; une troupe d’élite où la probité la plus scrupuleuse est l’esprit même du corps, où une seule faute contre la sobriété entraîne l’expulsion immédiate, n’était point pour conserver longtemps un gaillard qui aimait à boire et ne dédaignait pas le bien d’autrui. Au bout de trois mois, Etienne Boudin était congédié et reprenait son état de menuisier, dans lequel il était habile. C’est en cette qualité qu’il fut souvent employé aux Tuileries, pendant les années qui précédèrent la chute du second empire. Il avait eu des boiseries à refaire, des placards à réparer ; il avait vagué dans le château, en connaissait tous les êtres et avait pu en apprécier la richesse. Il aurait bien voulu faire partie de cette chambre de veille instituée sous le consulat par l’architecte Fontaine, composée d’un serrurier, d’un fumiste, d’un menuisier, d’un charpentier, d’un couvreur, d’un plombier, et qui, les jours de réception et de bal, se tenait en permanence en cas d’incendie ; mais la place qu’il eût pu occuper était prise et ne fut point rendue vacante pour lui. Il savait bien ce qu’il faisait lorsqu’après le 18 mars il s’arrangeait de façon à être attaché à l’état-major de Dardelle ; il avait bien compté que l’occasion ne lui manquerait pas de fureter dans les bons endroits et d’y faire main basse sur quelques objets à sa convenance ; mais il fut en partie déçu dans son espoir, car les surveillans, les employés, les hommes de peine de la régie régulière se méfiaient de lui et gardaient avec soin les portes des appartemens où les meubles précieux de la liste civile avaient été déposés après le 4 septembre. Plusieurs fois ils avaient aperçu Boudin qui, ayant quitté son uniforme et revêtu une blouse, rôdait, quœrens quem devoret, dans les salons, dans les galeries et jusque sous les combles. On redoublait alors de surveillance et l’on s’assurait que les serrures étaient bien fermées. Capitaine adjudant-major, Etienne Boudin avait un planton, jeune fédéré de seize à dix-sept ans, nommé Albert Sech, malfaisant comme un gamin de : Paris lâché en pleine débauche, orphelin, grandi au hasard, nourri on ne sait comme, et auquel les scrofules avaient enlevé quatre doigts de la main gauche ; il avait beau être estropié, il n’en était pas moins fort adroit et très agile ; il le prouva lorsque l’on incendia le palais.

Etienne Boudin seul aurait suffi à terrifier et à maltraiter tous les gens du château, s’il n’avait été tenu en bride par un homme qui lui faisait un peu peur, qui semble avoir pris domicile aux Tuileries afin d’éviter de combattre contre l’armée française et qui y déploya une sérieuse énergie pour protéger les employés. C’était un Alsacien qui s’appelait Jacques West. Dans le monde de la commune, il constitue une exception intéressante, car, si je ne me trompe, il a été abusé et s’est perdu par un excès de patriotisme. Il avait servi dans l’armée française, qu’il avait quittée avec le grade de capitaine de zouaves, la croix de la Légion d’honneur, la médaille d’Italie et s’était établi à Strasbourg, où il dirigea une entreprise de maçonnerie. Lorsque la guerre éclata, il fut nommé lieutenant dans les francs-tireurs du Bas-Rhin, défendit Strasbourg avec ardeur, et, dès que l’armistice fut conclu, se jeta dans Paris pour y chercher des adversaires à l’ennemi qui brisait sa nationalité et lui enlevait son pays natal. Il se rallia sans hésitation à la fédération de la garde nationale, naïvement persuadé qu’elle ne mentait pas lorsqu’elle jurait de s’opposer à l’entrée des Allemands dans Paris, de reprendre la guerre à outrance et de ne signer la paix qu’à Berlin. Jacques West accepta toutes ces billevesées comme paroles d’évangile ; lui aussi il voûtait lutter encore ; il rêvait de se jeter dans les Vosges, de traverser le Rhin, d’aller ravager le grand-duché de Bade, d’enlever Rastatt, et de rentrer triomphalement à Strasbourg. Dans ce dessein, il essaya de former une légion alsacienne-lorraine, qu’il ne faut point confondre avec la légion lorraine-alsacienne commandée par Othon, et il en fut naturellement élu colonel.

Son illusion fut tenace ; du moins il faut le croire, car elle résista à la proclamation que le comité central fit placarder le 191 mars, au lendemain des assassinats victorieux à Montmartre : « Citoyens de Paris, dans trois jours vous serez appelés en toute liberté à nommer la municipalité parisienne. Alors ceux qui, par nécessité urgente, occupent le pouvoir, déposeront leurs titres provisoires entre les mains des élus du peuple. Il y a en outre une décision importante que nous devons prendre immédiatement, c’est celle relative au traité de paix. Nous déclarons, dès à présent, être fermement décidés à faire respecter ces préliminaires, afin d’arriver à sauvegarder à la fois le salut de la France républicaine et de la paix générale. » — Le délégué du gouvernement au ministère de l’intérieur : GRELIER. » — Jacques West prit sans doute cette proclamation pour une ruse diplomatique destinée à masquer un mouvement militaire, et il attendit avec impatience l’heure d’aller combattre. Cette heure vint pour lui le 2 avril ; il marcha vers le rond-point des Bergères, bien persuadé qu’il allait se heurter aux Allemands, et il se rencontra avec l’armée française, avec ses anciens compagnons d’armes. La déconvenue fut rude. Il assista à la débâcle des fédérés que commandait Bergeret. Ce général de pacotille insurrectionnelle avait beau envoyer dépêche sur dépêche à Pindy, gouverneur de l’Hôtel de Ville : « Des canons, des canons, et vite ! » il mena sa retraite exactement comme une déroute, à toutes jambes. Jacques West sut alors à quoi s’en tenir : sous prétexte de guerre nationale, il s’était laissé pousser à la guerre civile. Il fut dès lors très décidé à ne plus se battre ; mais, entraîné par un faux point d’honneur, ou peut-être simplement par le désir de toucher sa solde de colonel, il n’osa point jeter ses galons au nez de la commune et continua de la servir, mais d’une façon platonique en quelque sorte, sans trop se mêler à son dévergondage. Sous prétexte de mieux former sa légion, il prit un appartement aux Tuileries, entre le pavillon Marsan et le guichet de l’Échelle. Il n’y fit pas grand bruit, se tint à l’écart et se contenta de défendre les employés et les caves contre les brutalités et les effractions de Boudin. Par suite d’un hasard inexplicable, dans cet incendie des Tuileries, qui fut formidable, qui fit sauter des pans de murailles, qui réduisit des marbres en poussière et fondit des bronzes, une frêle feuille de papier échappa intacte ; c’était une lettre de Jacques West : « Au capitaine Rougelot, de la légion alsacienne et lorraine. Capitaine, veuillez, je vous prie, remettre au porteur du présent billet le revolver qui se trouve dans ma chambre à coucher. Demandez-le plutôt à Berger. Tout à vous d’amitié. WEST, colonel de la légion. » — De tout ce que contenait ce château, il ne subsiste que ce billet dénonciateur.

Jacques West n’avait d’autre autorité dans le château des Tuileries que celle qu’il s’attribuait et qu’il trouvait dans sa propre énergie ; il n’en était point de même pour Antoine Wernert, homme âgé de cinquante ans environ, ancien sous-officier aux chasseurs d’Afrique, capitaine dans la cavalerie de la commune, régisseur du palais et spécialement employé comme comptable par Alexis Dardelle. Sa conduite ne fut pas nette pendant la durée de l’insurrection. Qui servait-il, la fronde ou Mazarin ? On ne le sut jamais positivement ; tous deux à la fois peut-être, comme tant d’autres qui tâchèrent, sans y bien réussir, de se tenir en équilibre entre Versailles et l’Hôtel de Ville. Antoine Wernert était assez brutal avec les agens du service régulier ; on ne s’en plaignait pas trop, car on croyait que sa sévérité, parfois excessive, n’était qu’un jeu destiné à couvrir des manœuvres réactionnaires ; plus tard on fut détrompé, ou l’on se trompa, car dix ans de travaux forcés frappèrent ce régisseur à double face. Près de lui et au-dessus de lui, je trouve encore le gouverneur en second des Tuileries, Jean-Baptiste Martin, colonel d’état-major[1], qui eut un rôle très effacé, et n’accentua son action que pendant les derniers jours de la lutte. De tous les personnages qui gravitaient autour du citoyen Dardelle, son planton, Minot, était celui que l’on redoutait le plus. Il était assez obtus, se donnait beaucoup d’importance, faisait du zèle à tort et à travers, se croyait républicain sans savoir ce qu’était la république, se disait communard sans se douter de ce que pouvait être là commune, était toujours très affairé et s’imaginait que la liberté proclamée lui donnait le droit de tout oser ; il le prouva en arrêtant et en faisant incarcérer M. Schœlcher, qu’une curiosité intempestive avait entraîné à venir entendre aux Tuileries un des concerts extravagans inventés par le docteur Rousselle. Ce Minot ne mériterait guère que l’on parlât de lui, si le 22 mai il n’avait eu sa part dans une tragédie que nous aurons à raconter.

Tous ces gens, grands et petits, colonels et capitaines, gouverneurs et plantons, s’étaient installés aux Tuileries, non point dans le palais proprement dit, mais dans la grande aile voisine de l’ex-ministère de la maison de l’empereur, et qui prend son point d’attache au pavillon Marsan. Ils occupaient en partie les anciens appartemens du duc de Bassano et les bureaux réservés à la régie normale du château. Ils entraient indifféremment chez eux par la cour ou par la rue de Rivoli. Des bataillons ou seulement parfois des compagnies occupaient les postes et gardaient un parc d’artillerie qui s’étalait dans la cour, derrière les grilles fermées du Carrousel. Selon les besoins de la révolte, ce parc était plus ou moins bien fourni ; un état de situation en date du 20 mai indique dix canons de 7, six canons de 8, un obusier de 16 et sept forges de campagne. Le capitaine d’artillerie directeur et le capitaine commandant le parc n’eurent rien à se reprocher pendant la commune, car l’un fut acquitté par les tribunaux militaires, et l’autre fut l’objet d’une ordonnance de non-lieu. Ceci soit dit en passant pour répondre aux apologistes de la commune qui affirment que tout inculpé a été invariablement condamné par les conseils de guerre[2]. Le personnel que la commune avait placé aux Tuileries n’y menait point une existence déplaisante ; on y donnait volontiers de petites soirées intimes, qui n’avaient point l’éclat des réceptions de Mme la générale Eudes, administrativement dite fille Victorine Louvet, au palais de la Légion d’honneur, mais où cependant le bon vin et les femmes d’une vertu peu rigoureuse ne manquaient pas. On se trémoussait entre amis pendant que le colonel Dardelle jouait sentimentalement sur le piano la polka des Casquettes ou la valse du Chien vert, et que chacun louait la commune d’avoir enfin mis tout le monde à sa place : les archevêques en prison et les cabotins dans un palais. C’était bien là en effet l’égalité rêvée par tous ces drôles qui, mieux que les dissertations des naturalistes, ont prouvé l’excellence des théories de Darwin et démontré que, si l’homme descend des orangs-outangs, il ne demande qu’à retourner à ses ancêtres. La commune a été bien réellement une ère de réparation ; elle a, il est vrai, emprisonné les généraux, fusillé les magistrats, fusillé les prêtres, fusillé les banquiers, fusillé les soldats, mais elle a courageusement tout mis en œuvre pour attirer à elle et énergiquement protéger ceux que notre société prévaricatrice avait eu la faiblesse de punir parce qu’ils étaient meurtriers, voleurs, publiquement débauchés, banqueroutiers et faussaires. Cela seul fait comprendre pourquoi cette époque, qui fut la honte même de la créature humaine, a laissé tant de regrets parmi le monde des chiourmes, chez les aspirans galériens et les cuistres désespérés de leur obscurité.


II. — PREPARAIFS DE DEPARTt.

L’incendie complet des Tuileries ne permet pas de savoir d’une façon positive si, comme on l’a dit, le palais a été dévalisé pendant la commune ; il est probable que les vols que l’on a pu y commettre ont été peu importans. Une partie du linge fut enlevé, il est vrai, mais dans des conditions qui rendent ce fait jusqu’à un certain point excusable. Le 25 avril, Fontaine, directeur des domaines, et chargé comme tel de centraliser le produit des vols, à main armée que l’on appelait alors des réquisitions : , adressa la lettre suivante au docteur Rousselle, qui était encore chef des ambulances de l’insurrection et qui s’intitulait chirurgien en chef de la république universelle : « Je puis mettre dès aujourd’hui à votre disposition une grande quantité de draps, serviettes, tabliers, etc., etc., provenant de la maison de l’ex-empereur. » Cela suffisait ; mais Fontaine ne peut résister au besoin de rhétorique sottisière qui travaillait toutes ces pauvres cervelles, et il ajoute : « La commune de Paris est heureuse de pouvoir consacrer au soulagement de braves citoyens qui défendent si héroïquement la république et qui sont blessés en combattant pour nos droits et notre indépendance le linge qui jusqu’ici n’a servi qu’aux valets impériaux de tout grade et de tout rang. » Cette sornette est d’autant plus grotesque que jamais, à aucune époque, sous aucune tyrannie, si ce n’est peut-être pendant la terreur, plus abjecte servitude ne fut imposée par des chefs à leurs subordonnés. Chacun des dépositaires de l’autorité, et ils n’étaient point rares, agissait à sa guise et avec un insupportable despotisme. Pour la moindre fredaine qui déplaisait à ces potentats improvisés, leurs partisans, leurs soldats étaient menacés, incarcérés, traînés en cour martiale et parfois fusillés. Sous le rapport des fantaisies du pouvoir sans contrôle, la commune ressembla singulièrement à ces cours des rois nègres dont les voyageurs nous ont conté l’histoire.

Les Tuileries renfermaient encore une très notable portion des objets de prix appartenant soit au palais, soit à la famille impériale. Tous ces objets trouvés et recueillis après la journée du à septembre avaient été placés, par ordre de la commission de liquidation de la liste civile et du domaine privé, dans la salle dite de l’argenterie et du vermeil, située au quatrième étage du pavillon de Flore. Les surveillans réguliers firent, pendant toute l’insurrection, un service à l’entrée de cette salle. La commune, elle aussi, avait institué une commission chargée de prendre toute mesure préservatrice pour s’assurer de la possession de ces objets, qui ne pouvaient être que « la propriété du peuple. » Cette commission, où je vois les noms de Dardelle, de Madeuf, de Boudin, n’était point rassurante ; heureusement deux honnêtes garçons en font partie : Alphonse Coupey, alors commissaire de police, bientôt juge d’instruction, et Perrichon, directeur à la délégation des finances. Le vrai maître de la commission, son président, est le délégué aux finances François Jourde. Là on le retrouve ce qu’il a été à la Banque de France, sensé, prenant son rôle au sérieux, probe et protégeant les dépôts précieux qu’il ne veut pas laisser gaspiller. Trois fois seulement, dans le courant du mois d’avril, du 14 au 22, la commission se réunit. Les portes de la salle de l’argenterie et du vermeil étaient closes et sous scellés. Ceux-ci furent brisés, et un serrurier attaché au service du palais fut requis d’avoir à crocheter les serrures. Dans la séance du 14 avril, le serrurier fut encore utilisé, il eut à couper des couverts afin que l’on en pût vérifier le métal, car aucun de ces hommes ne paraît avoir été capable de reconnaître les poinçons de la garantie qui constituent cependant un acte d’identité irrécusable. Le même jour, on décida que le service de vermeil offert à Napoléon Ier par la ville de Paris et les vases sacrés de la chapelle du château seraient envoyés à la Monnaie, où Camélinat les ferait jeter en fonte. Le procès-verbal de ce transfert fut signé par tous les membres de la commission, puis par Varlin, délégué aux finances, conjointement avec Jourde, par M. Gally, ex-régisseur du palais, et par M. Tholomy, ex-brigadier des journaliers.

Dans la seconde séance, on tomba d’accord pour faire porter au ministère des finances, afin d’y être mises à l’encan et vendues, les décorations en diamans appartenant à Napoléon III et qui étaient contenues dans trois grands coffres. Dans la troisième, on adopta une semblable résolution pour les bijoux, les armes de luxe, les montres enrichies de pierreries et une très belle collection de tabatières provenant de Napoléon Ier ; chaque fois le procès-verbal fut signé par les personnes que j’ai déjà nommées, mais chaque fois Jourde lutta contre la résolution adoptée. Il fit remarquer avec raison, mais en vain, que les objets réservés à la vente n’étaient pas seulement précieux par le métal dont ils étaient composés ou par les pierres qui les décoraient, mais qu’ils étaient bien réellement des objets d’art auxquels l’origine historique donnait une valeur considérable. C’était donc, selon lui, une duperie de les proposer aux enchères dans des circonstances mauvaises ; n’était-il pas préférable d’attendre que l’on pût en obtenir un prix sérieux ? Cette argumentation si simple et si juste ne convainquit aucun des membres de la commission ; tout ce qui avait appartenu aux tyrans n’était bon qu’à être mis au creuset ou vendu à des brocanteurs. Jourde dut céder devant la majorité. Tous les objets furent-ils transportés au trésor ? cela est douteux ; cependant on y retrouva, dans les caves, une caisse toute gluante du pétrole versé à flots dans le ministère des finances ; elle renfermait des fusils de chasse très riches ayant appartenu au roi Joseph, à la reine Caroline, à Pauline Borghèse, à Napoléon Ier et à Napoléon III. Mais, vers la fin d’avril, deux individus ayant le type israélite assez prononcé et parlant une langue étrangère que l’on croit être l’anglais vinrent, en compagnie d’un des membres de la commission, examiner ce qui restait dans la salle de l’argenterie et du vermeil, parurent discuter des prix et se rendirent à la délégation des finances ; je dirai en outre que de nombreux débris de métal tordu par le feu ont été retrouvés parmi les ruines du palais et j’ajouterai qu’une assez intéressante collection de médailles en or, en argent, en vermeil, rassemblée par Napoléon III, se trouve actuellement en Angleterre entre les mains d’un individu, condamné à mort par contumace, qui habita les Tuileries pendant la commune, et dont la science numismatique parvient, tout juste, à reconnaître au poids la différence qu’il y a entre un Othon et un Alexandre. Il est fort probable que des détournemens ont été commis au préjudice de la liquidation de l’ancienne liste civile et du domaine privé, mais que ces détournemens, grâce à la surveillance des employés de la régie régulière, grâce à la sévère probité de Jourde, n’ont pu s’exercer qu’en secret et sur des objets dont la valeur ne devait pas être considérable. C’est là du moins ce que l’on peut supposer, car l’incendie a rendu toute constatation impossible.

On vivait aux Tuileries dans une sorte de tranquillité relative lorsqu’un mauvais voisinage vint y apporter le trouble. Le 5 mai, Victor Bénot fut nommé gouverneur du Louvre, Victor Bénot qui s’intitulait pompeusement colonel des gardes du général Bergeret, qui devait donner le branle au massacre de la rue Haxo et être arrêté, à la fin du grand combat, sur la barricade de la rue Rébeval. Ce colonel était garçon boucher ; pas même, il était bouvier et conduisait « la viande sur pied » jusqu’à l’abattoir. C’était un lourd garçon, lippu, haut en couleur, absolument brute, ivrogne fieffé, radicalement dénué de sens moral, battant les femmes, battant les enfans, n’ayant d’autre argument que celui du coup de poing, argument redoutable, car il était d’une force herculéenne, tutoyant tout le monde et couchant avec ses bottes, « parce qu’il trouvait ça plus commode. » Ce fut un des brillans officiers de la commune. Ses façons d’être n’étaient point précisément exquises et ne rappelaient que bien vaguement celles de l’ancienne cour ; lorsqu’il donnait un ordre à l’un de ses officiers, il ajoutait : « Plus vite que cela, ou je t’enlève le baluchon ! » Parfaitement stupide du reste et voleur par-dessus le marché. Il avait servi ; c’était un engagé volontaire, mais sa vocation ne paraît pas avoir été d’une qualité irréprochable. Il entre au régiment le 1er mars 1850 ; le 10 janvier 1851 il est condamné à deux mois de prison pour vente d’habillemens ; le 30 octobre 1852 à trois ans de prison pour escroquerie ; le 18 mars 1854, étant au pénitencier d’Alger, à deux ans pour vente d’effets ne lui appartenant pas. Ce Bénot était prédestiné à la commune, il n’y pouvait manquer : il en fut colonel ; si elle eût duré, il en eût été général. Il avait du zèle ; du 20 au 30 mars il est place Vendôme, du 2 avril au 3 mai à la porte de Passy. C’est alors qu’on l’envoie au Louvre comme la grêle sur un champ de blé. Heureusement qu’il n’eut point l’idée de s’installer dans les musées ; il s’établit dans l’appartement qu’occupait avant la guerre le colonel de la gendarmerie de la garde ; il y passa comme un ouragan et n’y laissa rien. Il poussa même ses expéditions un peu plus loin. Aidé d’un Charles Lacaille, commandant du 70e bataillon de fédérés, il mit au pillage les appartemens des officiers du régiment des grenadiers de la garde. Comme il désirait « recevoir, » il se fit délivrer par la régie un service de table complet, dont on ne retrouva pas une assiette ; quant au linge, il le faisait enlever par ballots. Il ne dédaignait rien ; dans une de ses « revendications, » il découvre une petite malle appartenant à un tambour ; il la force, y trouve un gilet de tricot et un paquet de lettres, il laisse les lettres par discrétion, mais il emporte le gilet dans la crainte du froid. La révolte eut en lui un bon ouvrier de la dernière heure, car il maniait aussi bien la torche que le fusil. De l’instrument du mal il ne se souciait guère, pourvu que l’instrument fût terrible et le mal irréparable. Il avait amené un compère avec lui, qui avait pris logement au rez-de-chaussée de l’ancien ministère d’état, sur le square Napoléon III. C’était un homme jeune, d’assez bonne tournure, médecin, disait-on, commandant le 202e fédérés, Polonais, et qui se nommait Kaweski. Ce nom-là m’a tout l’air de cacher un pseudonyme. En tout cas celui qui le portait a si bien disparu que nul n’a jamais retrouvé ses traces.

Le lendemain du jour où Bénot prit possession de son gouvernement du Louvre, il advint à son collègue des Tuileries une assez désagréable aventure. Le colonel Alexis Dardelle fut arrêté. Cette histoire-là est bien obscure. C’est une énigme : je ne puis que la raconter sans en dire le mot que j’ignore et que nul ne me confiera. « Comité de salut public à sûreté générale : Faire arrêter le citoyen Dardelle, colonel commandant les Tuileries, accusé de détournement d’objets d’art et de relations avec l’ennemi ; G. Ranvier, Ant. Arnaud. » Le mandat d’amener fut signé par Dacosta et mis à exécution. Dardelle protesta très vivement, et l’un des brigadiers de service auprès de lui, le nommé Lemaître, dégaina lestement pour délivrer son colonel. Celui-ci fut conduit à Mazas et n’y resta pas longtemps, car le 10 mai il était rendu à la liberté par ordre de Raoul Rigault, procureur de la commune. Dardelle ressaisit simplement ses fonctions de gouverneur aux Tuileries dont l’intérim avait été fait, pendant son incarcération, par le colonel Martin. On crut sans doute que Dardelle avait des complices ; cela résulte du moins de la pièce que voici : « Ordre d’arrestation. Le commandant militaire du palais des Tuileries fera arrêter et conduire à la prison du Cherche-Midi les citoyens Boudin, capitaine d’état-major aux Tuileries, Lemaître, brigadier au service des Tuileries, comme prévenus de détournement d’objets d’art ou valeurs, de complicité avec le colonel Dardelle, écroué à Mazas, et Lemaître en outre de tentative de voies de fait à main armée envers ses supérieurs. Paris, le 19 floréal an LXXIX ; le chef d’escadron d’état-major, chef de la justice militaire : Sancioni. » Etienne Boudin et Lemaître furent immédiatement relaxés. Quel était le vrai motif de l’arrestation de Dardelle ? S’il avait été en relations prouvées avec le gouvernement de Versailles, Rigault ne l’eût pas fait relâcher et l’eût gardé précieusement pour le peloton d’exécution. Il est plus probable qu’il fut arrêté sur la plainte de Jourde, qui s’était aperçu de quelques rapines et qui avait hiérarchiquement adressé sa plainte au comité de salut public. Rigault était fort indulgent pour ces sortes de fautes, et il croyait agir révolutionnairement en remettant les voleurs en liberté, pourvu que ceux-ci fussent capables de porter les armes contre la civilisation. Lorsque Jourde, échappé de Nouméa, vint en Angleterre et en Suisse, parmi ceux dont le haro s’éleva contre lui et l’accusa de trahison, Dardelle se fit remarquer par la vivacité de son attaque, d’où l’on peut conclure qu’il avait gardé rancune au délégué des finances, qui n’aimait point que l’on fouillât trop activement dans les dépôts confiés à sa garde.

Etienne Boudin, rentré au château, y avait repris ses habitudes et, comme par le passé, furetait de tous côtés pour découvrir quelque bonne aubaine ; le 13 mai, se promenant dans les caves, il reconnut qu’une partie de murailles paraissait assez fraîche et ressemblait à une porte murée. Il ne se trompait pas. Les caves des Tuileries contenaient 40,000 bouteilles de vins fins qui représentaient une valeur considérable. Au moment où les Prussiens avaient marché en force contre Paris, on avait oblitéré l’entrée de ce vaste cellier, afin d’en soustraire le contenu à la rapacité des ennemis. On ne pensait alors qu’à ceux de l’extérieur, et pendant que l’on prenait contre eux quelques précautions, ceux de l’intérieur se fortifiaient si bien que toutes les richesses dissimulées par crainte de l’Allemagne tombaient entre leurs mains. Nous ne savons à qui Boudin fit part de sa découverte, mais il revint bientôt accompagné d’hommes armés de pics ; on défonça la cave ; plus de 3,000 bouteilles avaient déjà été chargées et emportées sur sept voitures, lorsque M. Tholomy, brigadier des employés de la régie régulière, fut prévenu. Il courut donner avis de ce pillage à Jacques West ; celui-ci prit son sabre, son revolver, descendit vers la cave, saisit Boudin au collet, l’envoya butter contre le mur et distribua des gourmades à tort et à travers. On fit mine de regimber ; Jacques West mit le sabre en main : « Vous n’êtes que des voleurs ; je vous engage à décamper un peu vite, et si vous n’êtes point contens, vous n’avez qu’à le dire. » L’attitude de West n’était sans doute point rassurante, car chacun fut satisfait et nul ne souffla mot. Je crois bien que Dardelle a pris part à cette petite expédition si valeureusement dirigée contre le bon vin de la tyrannie, car Madeuf, lorsqu’il comparut le 19 mai 1875 devant le 3e conseil de guerre, « avoue avoir reçu six bouteilles de vin provenant de la liste civile, après qu’une brèche eut été pratiquée dans la cave murée et que Dardelle eut fait des distributions à sa suite. » Rêver de délivrer l’humanité tout entière, vouloir proclamer la république universelle et aboutir à la conquête d’une cave amplement garnie, ce n’est vraiment pas suffisant pour mériter le respect de l’histoire.

Deux ou trois jours après cette algarade menée par la bande de filous que Jacques West seul avait mise en fuite, on vit arriver de lourdes voitures de déménagement qui venaient de l’ancien garde-meuble de la couronne. Elles apportaient tous les objets un peu volumineux enlevés dans la maison de M. Thiers. En les plaçant aux Tuileries, voulait-on les soustraire à la destruction qui les menaçait dans l’ancienne île des Cygnes, destinée à supporter bientôt un violent combat d’artillerie ? voulait-on au contraire les avoir immédiatement sous la main pour y mettre le feu en cas de défaite ? Bien fin est celui qui pourrait répondre à cette question. Tous les meubles provenant de l’hôtel Saint-Georges récemment démoli furent emmagasinés au pavillon de Flore, dans deux vastes pièces du rez-de-chaussée, ouvertes sur la cour et que l’on nommait les salles de stuc. Le même jour, une équipe de fuséens était venue s’établir dans le poste des Tuileries, entre le pavillon de l’Horloge et le pavillon Marsan ; c’est là une singulière coïncidence qui est peut-être fortuite, mais qui du moins est de nature à faire naître les soupçons. La note de Grélier que j’ai citée au début de cette étude est explicite sur le rôle de Dardelle ; elle dit en termes fort nets que ce colonel-gouverneur « a placé les poudres aux Tuileries. » Nous pouvons, à cet égard, croire un membre du comité central qui pendant toute la commune et jusqu’à la fin déploya une activité redoutable. Cependant rien dans les dépositions des témoins oculaires n’affirme d’une manière positive que Dardelle ait fait disposer des poudres dans une partie quelconque du palais, pour en faciliter l’explosion. En si grosses matières, l’accusé doit jouir des bénéfices du doute, aussi bien dans l’histoire que devant les tribunaux. Il est donc possible que les poudres dont parle Grélier et qu’il loue Dardelle d’avoir intentionnellement introduites dans le château aient été tout simplement des munitions appartenant au parc d’artillerie rangé dans la cour et aient été déposées, à l’abri de l’humidité, dans le rez-de-chaussée du pavillon central. C’est là une explication que l’on est d’autant plus enclin à accepter que Dardelle, sorte d’épicurien médiocre, de nature peu scrupuleuse, fort ignorant et très amoureux de lui-même, ne paraît pas avoir été un homme méchant. Il ne se serait certainement pas, il ne s’est pas opposé au mal, mais il est probable qu’il ne l’aurait pas fait lui-même. Il a pu ne pas sortir du château les mains nettes, il a pu le regarder brûler sans sourciller, mais je ne crois pas qu’il y ait entassé des matières explosibles pour en assurer la destruction.

Dans la dernière semaine de la commune, le jeudi 18 mai, le docteur Rousselle, organisateur de fêtes populaires, et dont la bêtise emphatique paraît avoir dépassé toute mesure, donna aux Tuileries, dans les appartemens de réception et dans la salle des maréchaux, un concert avec intervention « des Tyrtées modernes » qui restera célèbre dans les fastes du grotesque[3]. Le dimanche 21 mai, nouveau festival, dans les appartemens et dans le jardin, avec musique des bataillons fédérés, quête pour les blessés et serment que jamais les troupes françaises n’entreront dans Paris. À ce moment même, elles y entraient. La commune a eu souvent de ces à-propos qui jettent un peu de gaîté sur son histoire. « Les Versaillais sont dans Paris, » cette nouvelle éclata aux Tuileries à l’aube du 22 mai et y remua tous les cœurs. Les employés réguliers eurent un bon mouvement de joie ; les agens de la commune ne furent point à leur aise, et le gouverneur, avant de songer à organiser la défense du château, s’occupa d’abord à déménager ses nippes et celles d’autrui. Ici le vol est manifeste et ne peut être nié ; les témoins sont nombreux qui l’affirment sous la foi du serment et dans des termes identiques. Une partie des hommes de garde appartenant au 57e bataillon fédéré s’en étaient allés. Il ne restait aux Tuileries qu’une trentaine de gardes nationaux qui réclamaient des munitions et se préparaient à combattre. C’est à ce moment sans doute que Jacques West disparut ; il est probable qu’il s’esquiva pour n’avoir pas à prendre part à la lutte. Vers neuf heures du matin, Antoine Wernert partit aussi, mais dans des circonstances particulières et qui ne sont point à sa décharge.

Par ordre de Dardelle, il fit avancer une charrette dans la cour des Tuileries, et exigea le concours de plusieurs employés de la régie pour y faire placer de nombreux paquets. Les ballots étaient volumineux, enveloppés dans des rideaux de soie, dans des draps ; dans des nappes estampillées à la marque de la lingerie du château ; on constata qu’ils renfermaient des porcelaines, de l’argenterie, des pendules, de menus objets mobiliers et des bouteilles de vin fin. Wernert veilla lui-même au chargement ; puis il prévint le sieur Potel, commis à la régie du palais, ex-capitaine au 112e bataillon de la garde nationale pendant le siège, d’avoir à ne mettre aucun obstacle à la libre sortie de la charrette qui contenait des objets appartenant en propre au colonel Dardelle. Les employés de la régie avaient bonne envie d’arrêter cette voiture, qui allait emporter le produit du pillage, mais l’heure n’était point propice aux observations, et l’on eut la sage prudence de s’abstenir. On eût été coupable de risquer la vie d’hommes probes et dévoués pour ne pas réussir peut-être à sauver quelques débris de ce grand naufrage. Wernert fit sortir lui-même la charrette par l’Arc-de-Triomphe, puis il se rendit près de M. Potel, auquel il emprunta des habits bourgeois. Il les revêtit, et, se sentant suffisamment déguisé, il s’éloigna, conduisant la voiture vers une destination qui n’a pas été connue.

Cet homme se rendait-il complice d’un vol ? acceptait-il volontairement un rôle qui lui permettait de ne pas combattre ? emmenait-il ces objets avec l’intention de les restituer plus tard à une autorité légitime ? saisissait-il avec empressement l’occasion de quitter les Tuileries ? était-ce un fédéré, était-ce un Versaillais ? Je ne sais. Il ne fut arrêté que longtemps après la chute de la commune, et le 20 juillet 1871 il remettait à M. Potel un certificat ainsi conçu : « Je soussigné, Antoine Wernert, capitaine commandant en second les Tuileries pendant le règne de la commune, suivant mandat de M. Domalain, lieutenant de vaisseau et colonel de la légion bretonne, chargé par le chef du pouvoir exécutif et le ministre de la guerre d’organiser une contre-révolution pour combattre la commune insurrectionnelle de Paris, certifie que le lundi 22 mai, vers neuf heures du matin, après avoir renvoyé des Tuileries les gardes nationaux qui y étaient de garde à l’exception d’environ trente hommes d’une compagnie du 57e fédéré qui avaient refusé de partir en me réclamant des munitions avec menaces, lesquels, sur mon refus réitéré, tinrent conseil pour me fusiller, M. Potel, employé aux Tuileries, l’ayant entendu, me facilita mon évasion en me donnant des effets d’habillement pour changer de tenue. Signé : Wernert. » Nous le répétons ; la justice, après enquête, n’a pas cru devoir accepter cette version, et Wernert a été condamné. Quoi qu’il en soit, il avait quitté les Tuileries entre neuf et dix heures du matin. J’imagine que Dardelle aurait volontiers suivi son exemple, s’il n’en avait été empêché par l’arrivée d’un des grands personnages de la commune[4].

III. — BERGERET LUI-MÊME.

Vers midi, on entendit le bruit des tambours ; c’était le général Bergeret qui venait se réfugier au palais des Tuileries après avoir abandonné quarante heures trop tôt son quartier du Corps législatif, où il avait laissé, en souvenir de son passage, de nombreuses pièces d’argenterie marquées d’un V, plusieurs couverts aux armes de la ville de Paris, quatre croix neuves d’officier de la Légion d’honneur, quarante-sept croix neuves de chevalier et cent soixante-douze médailles militaires neuves[5]. Il fuyait son poste de combat, où les troupes françaises ne devaient cependant se présenter que dans la matinée du mercredi 24 mai, et il venait s’installer aux Tuileries à la tête de son petit corps d’armée composé du 229e, du 174e bataillons et du 2e zouaves fédérés. Il était accompagné par le membre de la commune Urbain, maître d’école rabougri, sans élèves, mais non sans imagination, qui dans la séance du 17 mai, à l’Hôtel de Ville, avait demandé que dix otages fussent immédiatement fusillés, cinq dans Paris et cinq aux avant-postes. Sans doute c’est pour l’aider de ses conseils qu’il était aux côtés de Bergeret. Celui-ci monta par l’escalier d’honneur et s’installa dans les anciens appartemens de l’impératrice ; il y baugea avec lui une donzelle qui était attachée à sa personne ou à celles de son état-major. Là, il attendit vigoureusement que l’on vînt l’attaquer pour s’en aller.

Bergeret est une des illustrations de la commune ; les Plutarques de la révolte à tout prix qui écriront plus tard la vie des grands capitaines dont Paris a supporté l’abjection pendant deux mois lui réserveront certainement leurs meilleurs pages. Il eut cette chance d’être toujours battu et immédiatement ridicule. Ses aptitudes naturelles le rendaient fort médiocre, son éducation de tabagie, de clubs, de conciliabules secrets l’avait fait odieux. C’est lui qui commandait place Vendôme lorsque la manifestation imprudemment pacifique du 22 mars y fut reçue à coups de fusil sur l’ordre de Du Bisson ; c’est lui qui, le 2 avril, dirigeait l’armée communarde aux avant-postes devant Neuilly ; c’est là qu’il eut deux chevaux tués au fiacre qui le conduisait à la déroute, car, par suite d’infirmités ou d’incapacité, il ne pouvait se tenir à cheval. C’est de Neuilly que fut expédiée cette dépêche fameuse qui lui a conféré instantanément une célébrité que le temps respectera, dépêche par laquelle on annonçait urbi et orbi que lui, Bergeret, Bergeret lui-même était sur le terrain du combat ; c’est à cela que se borna toute son action. Petit, maigrelet, bilieux, le regard flottant et terne, les yeux divergens, le teint blême, le crâne dénudé et fuyant, il ressemblait à une poule d’eau. Fort remuant néanmoins, agité dans son propre vide, il croyait à son génie universel et n’avait jamais réussi à rien. Il était bien près d’atteindre sa quarantième année, lorsqu’il se déguisait en général en se coiffant d’un képi surchargé de galons, et il avait alors essayé bien des métiers dont il s’était dégoûté ou qui s’étaient dégoûtés de lui. Il n’y eut jamais grande affinité entre lui et le travail régulier ; ils se fuyaient instinctivement. Il avait débuté par être garçon d’écurie à Saint-Germain, puis il s’était engagé et, parvenu au grade de sous-officier dans les voltigeurs de la garde impériale, il avait été employé aux écritures, dans les bureaux de l’intendance. Il fut licencié en 1864 et devint commis voyageur en librairie et, quelque temps après, en ornemens d’église et en imagerie religieuse ; ce qui est un singulier début pour un futur général de la commune. Dans un des voyages qu’il fit en Belgique pour placer des objets de sainteté, il contracta des dettes à son hôtel de Bruxelles, ne put les payer et laissa simplement ses échantillons en nantissement. On croit que c’est en Belgique, en fréquentant les estaminets de la propagande intransigeante et de la politique irréconciliable, qu’il se pénétra des doctrines dont la commune fut la plus haute ou la plus basse expression. On dit qu’il fut typographe, qu’il essaya d’être peintre, d’être comédien, qu’il fut même marchand de contremarques, comme Hébert le grand ancêtre, et que parfois il versait quelque prose dans les égouts de la Marseillaise ; on dit aussi qu’employé dans un magasin de modes à Bruxelles, il aurait été condamné à trois mois de prison pour escroquerie. Le rôle qu’il joua pendant la commune est de nature à justifier toutes les accusations dont on a chargé son passé.

Pendant le siège de Paris par les Allemands, Bergeret appartint au 83e bataillon de la garde nationale en qualité de sergent et bientôt de capitaine. Le 31 octobre ne le laissa pas insensible, et il fit tous ses efforts pour s’y associer. Il appartenait à l’Internationale, ce qui lui constituait une certaine supériorité qu’il sut faire valoir pour être nommé délégué de son bataillon aux assemblées préparatoires de la fédération de la garde nationale. De là à être membre du comité central, il n’y avait qu’un pas qui fut promptement franchi. Au 18 mars, le comité central lui donna mission de défendre la butte Montmartre ; grâce à la défection des troupes envoyées pour reprendre les canons, cette journée fut le triomphe de Bergeret, auquel elle valut d’emblée le grade de général. Là s’arrêtèrent ses succès, car l’armée française, revenue de l’énervement produit par ce que M. Thiers à appelé la fièvre obsidionale, reprenait sa cohésion, retrouvait son ancienne vigueur et ne levait plus la crosse en l’air. Un moment il fut chargé de toutes les opérations militaires et put se croire généralissime. Cela ne dura pas, il fit tant de sottises, il commit tant de bévues que Cluseret le remplaça par Dombrowski. Bergeret ne fut point content : il fit remarquer qu’il était membre de la commune pour le XXe arrondissement, qui lui avait donné 15,290 voix, sur 16,792 votans et 21,960 électeurs inscrits, il refusa d’obéir et de céder son commandement ; il fut arrêté et somptueusement détenu à l’Hôtel de Ville, dans les anciens appartemens du préfet, où il menait une plantureuse existence au milieu de quelques amis et de beaucoup de bouteilles. Sa disgrâce ne dura pas. Le 29 avril, l’incapacité militaire dont il avait donné des preuves réitérées le fit nommer délégué à la commission de la guerre ; le 6 mai, il fut pourvu d’une brigade de réserve et reçut le Corps législatif pour quartier général. On l’accuse d’avoir conduit quelques expéditions moins périlleuses que sa sortie du 2 avril ou que sa grande marche sur Versailles tentée le lendemain ; on prétend que deux bateaux chargés de vins amarrés à Billancourt furent pillés par son ordre et qu’il fit enlever une somme de 57,000 francs à la gare du chemin de fer de l’Ouest. Il avait sans doute besoin d’argent parce qu’il aimait à bien vivre ; Varlin se plaignait avec amertume d’avoir eu à payer, en quinze jours, 30,000 francs pour frais de nourriture de Bergeret et de ses officiers d’état-major. Malgré cela, ce Bergeret ne dédaignait pas les petits profits : il avait obtenu pour la femme qui portait son nom la fourniture des sacs à terre destinés à la construction des barricades ; cela lui était fort commode : de la même plume il ordonnait et il ordonnançait. Il faut croire que ses opérations n’étaient point irréprochables, car la commune finit par s’en émouvoir : « 11 mai 1871 : Il ne sera délivré dorénavant de sacs à terre, dans le service que dirige le général Bergeret, que sur la vue de la signature et du cachet officiel du citoyen Delescluze, délégué à la guerre, commandant supérieur des forces nationales, et du colonel Ed. Roselli, directeur du génie. Le délégué civil à la guerre : Delescluze. » C’était un acte de suspicion désagréable ; tout autre eût donné sa démission, Bergeret s’en garda bien et continua à parader dans l’hôtel de la présidence.

Il y jouait au billard, après boire, dans la soirée du dimanche 21 mai, lorsqu’une estafette essoufflée vint lui apprendre que les Versaillais avaient forcé l’entrée de Paris et lui demander du secours, car on n’était point en nombre pour leur résister. Bergeret répondit, entre deux carambolages, qu’il n’avait que 500 hommes autour de lui et qu’il ne pouvait en distraire un seul, car cela suffisait à peine à sa garde. Dans ce temps-là, on disait les gardes de Bergeret, comme jadis on disait les gardes du roi ; car il est à remarquer, une fois de plus, que ces prétendus novateurs se sont servilement astreints à copier les mœurs qu’ils condamnent et à reproduire les abus qu’ils ont la prétention de détruire. Sans attendre l’attaque de l’armée française, sans prendre une seule disposition pour protéger le massif du Corps législatif et du Palais-Bourbon qui constituait une très importante position militaire, Bergeret décampa virilement et vint, comme nous l’avons vu, prendre possession du château des Tuileries. Il en fit un monceau de cendres et s’y conduisit de façon à prouver qu’il eût été digne d’avoir dans son corps d’armée la compagnie d’artilleurs dynamiteurs que commandait le capitaine Jean-Jean. Il ébaucha tout de suite quelques essais de résistance, ce qui lui fut facile, car dans la nuit du 21 au 22 mai, six batteries avaient été envoyées en réserve dans la cour du château. Une trentaine de pièces furent traînées par des fédérés et par des femmes jusqu’aux terrasses qui dominent la place de la Concorde ; en outre quatre pièces de 12 furent pointées dans la grande allée du jardin. On fit là une belle canonnade sur le Trocadéro, où l’on croyait que nos troupes étaient massées, et sur le)ministère des affaires étrangères, qui fut troué comme une écumoire. Nos soldats heureusement eurent peu à souffrir de ce feu aussi violent que mal dirigé. Bénot, le gouverneur du Louvre, Kaweski, déjà revêtu d’un costume bourgeois, étaient accourus se mettre à la disposition de Bergeret, qui leur promit d’utiliser leur bonne volonté, lorsque le moment serait venu. Dans la journée du 22, Bergeret avait reçu une visite plus importante. Gabriel Ranvier, accompagné d’un commissaire de police et de deux inconnus que l’on prit pour des membres de la commune, arrivèrent aux Tuileries. L’ancien banqueroutier était alors membre du comité de salut public, c’était une puissance en ce jour de malheur, puissance de haine et de destruction qui devait, jusqu’au bout, s’exercer avec une perversité rare. Ranvier, Urbain, Bergeret, causèrent pendant quelques instans ensemble : le colonel Dardelle, le commandant Madeuf, le capitaine Boudin, le planton Minot, regardaient, à distance respectueuse, le conciliabule de ces trois malandrins.

Ranvier et son commissaire de police, ayant appelé quelques fédérés et des employés de la régie, descendirent dans les sous-sols et renouvelèrent un acte que déjà bien souvent nous avons raconté et que nous raconterons encore plus d’une fois, car elle était tenace et absolument invincible, la bêtise de la commune, — Gabriel Ranvier ordonna de briser des portes, fit sonder les murs, inquiet, rauque, brutal, irrité de ne point trouver ce qu’il cherchait. Que cherchait-il donc ? Eh ! parbleu ! le souterrain, le souterrain qui va partout, mais qu’on ne rencontre nulle part. Bénot, qui était là, paraissait fort affairé ; de ses gros poings, il tapait sur les murailles, demandait qu’on l’éclairât, selon son habitude menaçait les employés ahuris de leur « enlever le baluchon, » et se dépitait en disant : « Ce n’est pas possible qu’il n’y en ait pas ! » Ces hommes d’état, qui savaient unir dans de justes proportions la science du législateur à la conception du guerrier, pouvaient, sans se rire au nez, chercher le souterrain qui, partant des caves des Tuileries, doit nécessairement aboutir au Mont-Valérien. Ils ne le trouvèrent pas et furent étonnés. Ranvier et ses acolytes se retirèrent de méchante humeur après avoir recommandé à Bergeret de tenir bon et de ne pas permettre aux Versaillais de faire un pas de plus en avant.

Bergeret n’était encore que général ; il allait cumuler d’autres fonctions, être juge, président de cour martiale et presque exécuteur des hautes œuvres de la commune. Tout le quartier voisin des Tuileries était en rumeur. Les fédérés, revenus de leur premier effarement, dont l’armée française ne profita malheureusement pas, s’agitaient et à tout coin de rue construisaient des barricades. Un pharmacien, M. Koch, demeurant rue de Richelieu, n° 44, était sur le pas de sa boutique, regardant ce tumulte et ne dissimulant pas assez le mécontentement qu’il en ressentait, il avait quarante-cinq ans environ, était grand, de bonne tournure ; sa moustache, sa barbiche, son front prématurément chauve, ses lunettes en or, lui donnaient l’aspect moitié bourgeois, moitié militaire, d’un officier de garde nationale ; en veste d’été, les pieds chaussés de pantoufles, les mains dans ses poches, il haussait les épaules en entendant les vociférations que l’on poussait autour de lui. Quelques gamins de douze à quatorze ans s’étaient précipités sur une maison voisine en réparation et essayaient d’en arracher les échafaudages. Le malheureux pharmacien eut la fâcheuse idée de s’y opposer et de renvoyer ces jeunes patriotes en les menaçant de leur tirer les oreilles. Les enfans s’éloignèrent en piaillant, et M. Koch rentra dans son arrière-boutique. Il n’y était pas depuis cinq minutes qu’il vit arriver une bande de fédérés, il saisit un flacon vide posé sur sa table et le brandit n criant : « Le premier qui approche ! .. » On se jeta sur lui et on l’arrêta. Minot, l’ordonnance de Dardelle, s’empara du flacon ; puis, montant à cheval, il prit la tête du peloton qui enveloppait M. Koch. On mena celui-ci au Palais-Royal, devant un chef de légion, Damarey, qui déclara que l’affaire ne le regardait point ; alors on alla trouver le colonel Dardelle. M. Koch lui dit : « Il n’y a rien dans ce flacon. » La foule et les fédérés crièrent : « C’est de l’acide prussique. — C’est de l’acide sulfurique. — C’est de l’eau seconde. — Il a aveuglé des enfans. » Comme Damarey, Dardelle recula devant la responsabilité d’une décision à prendre et donna l’ordre de conduire le prisonnier à l’Hôtel de Ville, où le comité de salut public déciderait de son sort. On se mit en marche ; en avant et à cheval, Minot, tenant toujours le flacon qu’il montrait au « peuple, » puis un groupe assez nombreux de turcos de la commune, de vengeurs de Flourens, de lascars, d’enfans perdus qui se pressaient autour de M. Koch ; on le tenait par les bras pendant qu’il allait nu-tête sous le soleil, parfois abattu, parfois se redressant sous les injures dont on l’accablait.

La foule avait grossi, et ce fut une cohue qui arriva sur la place de l’Hôtel de Ville ; la légende était déjà faite : — on venait d’arrêter l’ex-pharmacien de l’empereur qui avait versé une limonade empoisonnée aux fédérés ; de plus, quand on avait voulu se saisir de lui, il avait cassé une bonbonne d’acide prussique, qui en se brisant avait causé la mort de plusieurs personnes, l’ambulance du Théâtre-Français est pleine de ses victimes. — On gravit le grand escalier, on traversa la salle du trône, encombrée de gens de toute sorte qui, sans trop savoir pourquoi, mais voyant un prisonnier, crièrent : « A mort ! à mort ! » Quatre fédérés commandés par Minot firent pénétrer M. Koch dans le cabinet du citoyen Brissac, secrétaire général du comité de salut public, où se trouvaient en ce moment Ranvier, Bayeux-Dumesnil, qui était venu demander des ordres pour le IXe arrondissement, dont il était le très bienveillant délégué, deux membres de la commune et une cinquième personne, de laquelle je tiens les faits que je vais raconter. Ranvier interrogea M. Koch ; ce malheureux, qui venait de faire un horrible trajet à travers les vociférations, les menaces et les coups, était dans un état digne de pitié. Il balbutiait, sa face était convulsée, il répétait toujours la même phrase : « Il n’y a rien, il n’y a rien dans le flacon. » Un des assistans dit à Ranvier : « Il n’a plus la tête à lui, laissez-lui au moins le temps de s’expliquer. » Ranvier répondit : « Vous, si vous insistez, on va vous coller au mur ! » Un des deux membres de la commune, caressant sa longue moustache, portant ses insignes à la boutonnière, mécanicien de son métier, méprisant tout le monde, les patrons et les ouvriers, grisé jusqu’à l’envie furibonde par le mauvais vin du socialisme, intervint alors. Il quitta le grand fauteuil de damas rouge où il était plutôt écroulé qu’assis, prit le flacon des mains de Minot, le flaira et, après avoir regardé Ranvier, dit tranquillement : « Les chassepots sont-ils prêts ? » Les fédérés répondirent : « Oui. — C’est bien, reprit-il ; à la cave ! » On entraîna M. Koch ; en traversant de nouveau la salle du trône au milieu de la cohue qui la remplissait, il levait les mains au-dessus de sa tête et criait : « Justice ! justice ! » On le hua : « Espion ! assassin ! à mort ! » Le malheureux fit un effort désespéré, s’arrêta pendant une seconde et dit : « Au moins donnez-moi un prêtre ! » Il y eut un éclat de rire général, et une parole lui fut répondue qui, dit-on, a été prononcée à Waterloo. Un employé comptable de l’Hôtel de Ville ne put s’empêcher de s’écrier : « Mais par quels bandits sommes-nous donc gouvernés ! »

Les fédérés, toujours guidés par Minot[6], ne savaient où était la cave indiquée : ils voulurent fusiller le pauvre pharmacien dans la cour Louis XIV ; mais on y avait déposé des caisses de cartouches, des barils de poudre, ils n’osèrent pas. Une voix cria : — Retournons aux Tuileries ! On se remit en route. Bafoué, secoué, maltraité, M. Koch marchait en oscillant au milieu de ses gardes. Près du quai de Gèvres, trois hommes, dont un vêtu d’une redingote et deux couverts d’une blouse blanche, furent indignés et crièrent : Mais ne frappez donc pas ce malheureux, c’est horrible ! Les fédérés se jetèrent sur eux, les réunirent à M. Koch et les trouvèrent de bonne prise. Tout de suite la foule, la foule imbécile, trouva l’explication de cet acte inqualifiable : — C’est un curé déguisé, ce sont des agens de police, — et elle fut satisfaite. Deux de ces hommes avaient des blouses blanches, c’en fut assez ; ce costume les signalait à toute vengeance, car il est de tradition dans le peuple de Paris que, lorsqu’un inspecteur de police veut n’être pas reconnu, il met une blouse blanche. Ce peuple, qui est le plus niaisement crédule que l’on puisse voir, a ainsi un certain nombre d’articles de foi indéracinables. Ce fonds de superstition héréditaire résiste à tout ; rien ne peut l’ébranler, ni le temps, ni l’expérience, ni le raisonnement. Il croit, il sait que tous les joueurs d’orgues sont des agens secrets, que tous les employés de l’état sont des voleurs, qu’il y a des filets au pont de Saint-Cloud pour arrêter les noyés au passage, que toute défaite de nos armées est nécessairement due à la trahison ; il ne croit peut-être pas à Dieu, mais il croit avec ferveur que le persil fait mourir les perroquets et casse les verres à boire.

La foule ramenait les victimes avec de grands cris ; le capitaine Étienne Boudin s’avança au-devant d’elle dans la rue de Rivoli, et prit la direction du cortège. À l’instant même, une cour martiale fut improvisée. Dans la salle des maréchaux, Urbain, Bergeret, Étienne Boudin, deux ou trois autres sacripans galonnés dont j’ignore les noms, se réunirent en tribunal suprême et firent comparaître les quatre accusés qui, ayant dominé leur faiblesse en présence d’un péril inéluctable, firent assez bonne contenance. De ce qui se passa dans cet étrange prétoire, on ne sait rien, sinon qu’Étienne Boudin fit office d’accusateur public, et que les quatre malheureux furent condamnés à mort ; il en est trois dont on n’a jamais connu les noms ; on soupçonne seulement que celui qui portait une redingote était un ouvrier chapelier. — La cour des Tuileries était pleine de fédérés, de femmes, de curieux accourus. On dit que du haut du balcon de la salle des maréchaux, Urbain fit un discours. Des employés de la régie l’ont vu parler et gesticuler, mais n’ont pu l’entendre. Etienne Boudin avait porté la parole contre ces malheureux, il ne voulut laisser à nul autre l’honneur de les faire exécuter. Il les amena, les rangea contre la muraille de la cour, entre la troisième et la quatrième fenêtre à gauche du pavillon de l’Horloge ; il rassembla un peloton de fédérés qu’il divisa en deux sections ; il prit place dans l’espace laissé libre, et, tenant son sabre à deux mains par la poignée et par la pointe, il se prépara à commander le feu. — On avait forcé les deux hommes en blouse blanche, les deux « mouchards, » à s’agenouiller ; l’un d’eux dit ce que Gustave Chaudey devait inutilement dire le lendemain dans le chemin de ronde de Sainte-Pélagie : « J’ai une femme, j’ai des enfans, laissez-moi vivre ! — Etienne Boudin répondit : Non ! — L’homme reprit alors : — Eh bien, tuez-moi, assassins ! Versailles n’est pas loin, et je serai vengé ! » — Un homme de peine employé aux Tuileries a été témoin de l’exécution ; il l’a racontée dans des termes que je ne puis que reproduire, car ils sont d’une vérité saisissante : « Les deux hommes en blouse étaient à genoux ; Koch et l’autre debout ; les deux premiers levaient les mains et criaient : Grâce ! La moitié des gardes nationaux criait également : Grâce ! Mais Etienne Boudin, le sabre en main, cria d’une voix vibrante : Pas de grâce, à mort ! Le premier feu de peloton retentit, et les deux hommes à genoux sont tombés. Alors le jeune homme qui était à côté de M. Koch demanda à trois reprises : — Je suis innocent ; grâce pour mes enfans ! — M. Koch demandait également merci. Quand les fusils furent rechargés, c’est-à-dire une minute après la première décharge, un second feu à volonté, très irrégulier, se fit entendre. M. Koch cherchait à éviter les balles, il se sauvait en arrière, se jetait à droite et à gauche ; mais les gardes nationaux l’atteignirent, et à bout portant l’achevèrent. Alors Boudin fit élargir le cercle autour des quatre victimes et cria : « Vive la commune ! » Un gamin de seize ans, chétif et maigrelet, qui pouvait à peine épauler son fusil, vit un de ces malheureux secoué par l’agonie se convulser en grimaçant, il dit à un de ses camarades : « Regarde donc cet imbécile-là ; est-il farce ! il a l’air de se moquer de nous et de nous rire au nez ; flanque-lui donc un bon coup de fusil par la gueule[7]. »

Du haut du balcon de la salle des maréchaux, Bergeret, Urbain et quelques-uns de leurs amis avaient assisté à cette exécution, qui commença au moment même ou l’horloge du château sonna le premier coup de six heures. On vit alors, dans ce groupe de spectateurs, un homme agiter un drapeau rouge et on l’entendit crier : « Ainsi périssent tous les traîtres ! vive la commune ! » On croit que cet orateur de l’assassinat était Urbain, On a dit que M. Koch, conduit à l’Hôtel de Ville, avait été condamné à mort par Delescluze, qui l’aurait envoyé à Ferré, afin que celui-ci fît procéder à l’exécution. Ce n’est qu’une fable mal inventée, car c’est précisément le contraire qui est vrai. J’en ai la preuve sous les yeux. Dès que M. Koch eut été arrêté, que l’on sut que, conduit de Damarey à Dardelle, il était dirigé sur l’Hôtel de Ville, quelques-uns de ses voisins partirent en hâte afin de l’arracher aux mauvaises mains qui le tenaient. Après mille efforts et bien des difficultés qui furent longues à vaincre, ils parvinrent enfin à pénétrer auprès de Delescluze. Le délégué civil à la guerre les écouta et, comprenant qu’il y avait la quelque monstrueuse iniquité, leur remit la lettre suivante, écrite tout entière de sa main, pour le délégué à la sûreté générale : « Mon cher Ferré, veuillez faire mettre en liberté le citoyen Koch, pharmacien, qui va ouvrir une ambulance. — Paris, 3 prairial, an LXXIX. Charles Delescluze. » Les amis de M. Koch coururent à la préfecture de police ; Ferré n’y était pas, mais au bas même de la lettre de Delescluze, Albert Regnard, secrétaire général, écrivit : « Ordre de mettre en liberté le citoyen Koch. » Tout cela avait pris du temps ; lorsque l’on arriva aux Tuileries, il était trop tard. — Ce crime appartient exclusivement, absolument à Bergeret et antienne Boudin, qui, voyant un de ces malheureux s’accrocher à ses vêtemens en lui demandant grâce, le frappait sur les mains à coups de pommeau de sabre et lui criait : — A bas les pattes !

M. Spitzer, colonel en retraite, marié à une femme employée à la lingerie du château, où il avait son logement, a suivi du regard toutes les phases de l’exécution. Il dit que Dardelle a fait effort pour s’y opposer. Les employés de la régie ont déclaré que le commandant Madeuf, en apprenant ce quadruple assassinat, s’était écrié : — Ah ! les misérables, qu’ont-ils fait ? — et qu’il avait réquisitionné un omnibus pour enlever les cadavres. Bergeret fut moins ému et n’estima point que cette besogne était trop laide. Comme le soir même, entre huit et neuf heures, il se promenait sous les arcades de la place du Palais-Royal, prenant tranquillement l’air après son dîner, il fut accosté par un médecin du quartier qui lui dit : — Qu’est-ce donc que ces gens que l’on a tués dans la cour du château ? — Bergeret répondit : — Eh bien ? quoi ? c’étaient des traîtres et des Versailleux ; je les ai fait fusiller ; ils n’ont eu que ce qu’ils méritaient.


MAXIME DU CAMP.

  1. Il y a plus d’un âne à la commune qui s’appelle Martin ; indépendamment du colonel (travaux forcés perpétuels), je rencontre un Martin (prénom ignoré), attaché à la sûreté générale ; Constant Martin, secrétaire général à la délégation de l’enseignement ; Amable-François Martin, major de place à Vincennes (déportation simple), et Ernest-Émile Martin, major de place à la 7e légion (ordonnance de non-lieu).
  2. A cet égard, voici des chiffres qui défient toute contradiction : 38,578 individus arrêtés, sur lesquels 907 sont décédés, 1,090 renvoyés après interrogatoire et 212 remis à la justice civile. La justice militaire en a donc retenu 36,300 ; 10,131 ont été condamnés, 2,445 ont été acquittés, 23,727 ont été rendus à la liberté par suite d’ordonnance, de non-lieu ; 110 condamnations à mort ont été prononcées après jugement contradictoire ; 94 ont été commuées.
  3. Voyez, dans la Revue du 1er juillet 1877, les Prisons pendant la commune : Sainte-Pélagie.
  4. Sur une liste contenant les noms des chefs de groupe ralliés à la conspiration des Brassards, je trouve celui d’Antoine Wernert. Pour toutes les tentatives faites par les gens de bien pendant la commune, voir le livre de M. A.-J. Dalsème : Histoire des conspirateurs sous la commune, Paris 1872. Ce volume abonde en documens authentiques et jette une vive lueur sur les menées secrètes de cette époque. L’auteur cependant me parait n’avoir été initié que d’une façon incomplète à la négociation conduite par George Veysset avec Dombrowski et Hutzinger. Il nomme ce dernier Enger, reproduisant ainsi l’erreur commise par l’amiral Saisset dans sa déposition.
  5. Ces objets furent restitués plus tard aux légitimes propriétaires par les soins de M. Garreaud, délégué de la questure au Corps législatif.
  6. L’impudence de ce Minot était extraordinaire. Le mardi 30 mai, alors que tous les insurgés étaient recherchés avec passion, il vint aux Tuileries même, où pendant deux mois il avait vécu aux côtés de Dardelle. Rasé, vêtu d’un pantalon blanc et d’un paletot en mérinos noir, il accompagnait un photographe qui désirait prendre quelques vues du palais en ruines. Nul mieux que Minot n’était capable de donner de précieuses indications à cet égard. Il fut promptement reconnu et arrêté.
  7. Procès E. Boudin ; jugement contradictoire ; 3° conseil de guerre, 16 février 1872.