Calmann Lévy (p. 32-34).
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XIX


À l’évanouissement de leurs rêves, elles avaient promené autour d’elles, en tordant leurs bras, leurs grands yeux mal éveillés, et n’avaient plus trouvé ni palais, ni jardins, ni zodiaques d’or. Plus rien que la chaux de leurs murs, les vieilles fleurs de leurs carreaux de faïence, les vieilles dalles usées de leur cour, la nudité pauvre et l’éternelle blancheur de leur logis.

Elles avaient dormi par terre, tout habillées, sur des coussins, suivant l’usage oriental. Aussi n’eurent-elles qu’à se soulever, en écartant leurs couvertures algériennes, pour se trouver toutes prêtes à recommencer une fastidieuse journée.

Cette mère et ces filles ne s’étaient pas adressé un sourire, en se revoyant après le non-être de la nuit ; elles avaient détourné leurs regards les unes des autres avec une sorte de honte, comme des femmes qui garderaient entre elles le secret et la souillure d’un crime.

Fatmah, la plus jeune des deux sœurs, estimant l’heure d’après le soleil, marcha jusqu’à la petite porte sépulcrale qui donnait au dehors, et, appuyée paresseusement au mur, elle se mit à frapper, avec une régularité automatique, de petits coups de poing contre le bois vermoulu.

Cela voulait dire : « Boulanger, quand tu passeras, arrête-toi pour nous donner du pain. »

C’était en effet le moment où, aux portes des maisons de la Kasbah, on entendait partout des coups pareils, frappés en dedans par des femmes qu’on ne voyait pas, et signifiant la même chose (la convenance voulant que les dames musulmanes ne se montrent point pour faire dans la rue ces achats de provisions).

Le boulanger vint et, par un judas grillé qu’on lui ouvrit, fit passer un pain en échange d’une pièce de monnaie.