Les Tableaux vivants (1870)
Éditions Blanche (p. 15-20).

I

IL NE FAUT PAS BAISER LA MÈRE

Mesdames, je vous le dis en vérité, la branlade est un moyen de jouir plus efficace qu’agréable. Je crois qu’il fut inventé pour triompher des résistances de la nature. Le premier qui branla fut un fouteur malheureux.

Il y a des créatures déshéritées à qui le ciel a refusé le don du plaisir. Les plus chauds baisers, les plus vives étreintes ne sauraient réchauffer ces marbres vivants ; le doigt est la ressource dernière ; aucune femme ne résiste à un index savant.

Mais celles à qui cette opération est nécessaire jouissent comme elles enfantent. Dans la douleur les doigts de l’amant fouillent leur sein, y cherchent le clitoris rebelle, l’atteignent, le pressent, le frottent avec rage. Et elle :

— Tu m’é… tu m’écorches !

Elle se tord dans un paroxysme nerveux. Le plaisir la déchire comme l’éclair déchire la nue ; il n’a pas plus de durée que l’éclair.

Il y a des clitoris, au contraire, qu’il suffit d’effleurer pour leur donner la vie. La branlade est vraiment une pierre de touche, et si la cavale frémit aux premières atteintes du doigt qui la caresse, usez de ménagement et d’art.

— Si jamais elle n’a été touchée auparavant…

— Ah ! c’est une opération délicate que de branler une vierge.

Là, tout est expérience. On branle à l’aventure. Un soupir, un tressaillement doivent vous avertir que la crise est prochaine. Quelquefois l’ingénue se dérobe :

— Vous al… vous allez trop fort !

Un homme d’esprit qui fut en même temps un grand libertin avait coutume de dire :

— Dieu me fasse la grâce de me donner des doigts lestes !

La légèreté ne suffit pas : il faut encore toucher juste… Le clitoris fuit, il faut le saisir. Vous n’avez peut-être jamais branlé aucune de vos maîtresses, sans que dans le cours de ce travail elle ne vous ai dit :

— Ce n’est pas là !

Que les hommes sont maladroits ! Les femmes savent bien mieux s’y prendre. C’est ce qui justifie Lesbos.

Encore, quand deux femmes se rendent entre elles le service éminent de se branler l’une l’autre, la besogne n’est pas parfaite. La tribade la plus accomplie touche quelquefois à côté.

— On n’est pas là ! me dit Valentine.

Le théâtre de notre rendez-vous était au moins étrange. C’était une fenêtre grillée sur le bord de laquelle Valentine était montée. Et moi de me hisser comme j’avais pu sur une grosse pierre. J’avais passé ma main à travers les barreaux de fer. Inutile de dire qu’il faisait nuit.

Pas le plus petit moyen d’échanger un baiser. Rien que ce stérile chatouillement que je ne pouvais encore appliquer d’un doigt bien sûr.

Aussi je n’éveillai pas même un soupçon de plaisir chez Valentine. D’ailleurs elle me rendit mes caresses. Allongeant la main à son tour à travers les barreaux, elle la fit jouer suivant la bonne leçon que je lui donnais. Le résultat fut prompt. Ma semence tomba par terre.

— C’est ce qu’on appelle plumer l’oie, dis-je à Valentine.

Et dire qu’il ne dépendait que de moi d’entrer dans cette maison, d’y trouver une occasion de tenir cette jolie fille toute nue dans mes bras, d’échauffer cette statue vivante ! Oui, mais il fallait baiser sa mère !

Il faut toujours baiser la mère ! C’est une dure nécessité. Madame de Meissiat avait bien la cinquantaine. Mais elle était toute flamme, — un vrai feu grégeois, qui, une fois attaché quelque part, ne cesse de mordre et ne s’éteint plus. Elle avait juré qu’elle m’aurait, qu’elle me tiendrait enseveli sous l’océan de sa vieille chair. Et Valentine le savait !

Et cette nuit-là, ayant en vain attendu la jouissance de mes attouchements maladroits à travers les barreaux de fer, n’ayant rien senti, et espérant tout d’un long baiser et d’un véritable embrassement que nous pourrions prendre sans contrainte, elle me dit :

— Richard, il vous en coûterait bien peu d’être aimable pour ma mère !

Le lendemain, à deux heures de l’après-midi, je m’exécutai.

J’arrive au castel de Meissiat, je sonne, je demande madame. La serveuse qui m’introduit se met à sourire. Je la jette sur une table, en traversant la cuisine, je la trousse, je la branle. C’était pour m’ouvrir l’appétit.

J’avais bien recommandé à Valentine de se trouver dans le corridor qui conduisait à l’appartement de la mère. Je la joins, je l’embrasse, enfin, je me jette à genoux devant elle. Ma tête se glisse sous ses jupes ; je baise son ventre, ses cuisses. C’était pour me donner du courage.

Quand à ce qui se passa ensuite dans le boudoir de madame de Meissiat, ô noir mystère ! La vieille m’attendait, couchée sur une chaise longue. Encore tout échauffé par les appas de la fille, je ne veux point laisser mon ardeur se refroidir devant la mère. Je saisis cette garce quinquagénaire, sans dire un mot. Seulement, pour éviter le baiser, je l’enfile en levrette.

— Quel homme ! disait-elle ; c’est la foudre !

Un immense derrière gras et mou se dressait devant mes yeux. Je crus frotter du lard rance ; il me sembla pénétrer dans une mare d’eau gluante, et je limai longtemps, car rien ne me frottait, rien ne m’étreignait : je nageais dans le vide.

Mon amoureuse poussait des hurlements épouvantables. Ô la vieille diablesse lubrique ! Je la laissai à demi-morte de ses sales plaisirs.

Je passai dans la chambre de Valentine. La chère fille me purifia elle-même, dans sa propre cuvette, des œuvres maternelles.

Vite je la dépouillai de tous ses voiles. Non seulement, dans nos rendez-vous nocturnes sur la fenêtre grillée, je n’avais pénétré les charmes de cette belle enfant, je ne les avais même jamais vus. Le temple m’apparut, et le dieu au fond [du] sanctuaire. Ce petit dieu inconnu avait un joli visage. Et quelle haleine ! Je la respirai longuement.

Valentine n’était point vierge. Son cousin l’avait dépucelée sans qu’elle en éprouvât rien que de la douleur.

— C’est qu’il était trop vieux ! disait-elle. Je la mis au bord du lit, moi qui étais jeune. L’introduction fut pénible ; elle le supporta bravement.

— Sens-tu quelque chose ?

— Non.

— Quoi ! Les mouvements que je fais dans ton sein, les coups que je te donne ne te causent point de plaisir.

— Non… pas encore… mais va…

J’allais vraiment, j’allais ! J’attendais cette première contraction de tout le corps, ce rapide soubresaut de la croupe, un soupir ou seulement une respiration plus courte et plus pressée, les divins préludes enfin annonçant que la femme aimée n’est pas insensible aux caresses de l’amant. Rien !

Ce corps que je tenais pressé sous le mien m’avait pourtant semblé fait pour l’amour. Valentine était brune, svelte, menue. Peu de tétons, mais des fesses délicates et pleines. Un con brûlant, serré. La bouche lascive, des yeux brillants.

Tout cela n’était que vaines apparences. Ma bouche courait de sa bouche à son sein, mes doigts du clitoris à l’anus, et je limais, et je poussais ! Rien !

Les forces cependant me manquèrent, ma virilité s’en était allée dans un jet de flamme. Je saisis Valentine et la tenant couchée sur mon genou, je me mis à la branler avec rage. Le clitoris était si petit et si fugitif, que je pouvais à peine le fixer sous mes doigts. Je le frottais de toute ma force. Elle se plaignait, elle criait ; elle jouit enfin dans une crise nerveuse.

Fille décevante et glacée, je la quittai pour ne plus la revoir. Je m’en allais humilié, désespéré de n’avoir pu triompher de cette nature rebelle. Jamais, jamais je ne prendrai mon parti d’avoir baisé la mère !