Les Souspirs amoureux de F B de Verville 1589/Courant fortune tousjours


ODE.


Courant fortune tousjours,

Tant que je pourray attendre,
Dessous ma pudique cendre,
Je celleray mes amours.
Si doux m'ont esté les yeux
Desquels mon ame est ravie,
Que je ne veux de ma vie
Chercher autre-part mon mieux.
Je couveray doucement
Respirant sans rien en dire
La douceur de mon martyre,
Que me blesse heureusement.
Je veux garder dedans moy
Pour vous ma chere Deesse,
Le plaisir & la tristesse,
Vostre amitié & ma foy.
Cependant en mon erreur
M'asseurant de ma fortune,
Dessous une heure opportune
Je trouveray mon bon heur.
Alors je vous feray voir,
Apres ma perseverance
Avec toute obeissance
Les effects de mon devoir.
Gardez moy donc quelque peu
De credit en vostre grace,
Et fondez toute la glace,
Qui empeschoit mon feu.
Quant à moy je ne vivray,
Quoy que de vous il advienne,
Que mon cœur ne se souvienne
De l’œil que je serviray.
Ceste bouche me sera
Tousjours pour saincte prophete,

Et ce beau front la tablette,
Où mon destin s'escrira.
Ces cheveux seront l'accord
Du lien de l'harmonie,
Qui tient l'heure definie
De ma vie & de ma mort.
Ceste main qui dans mon cœur
Du doigt me vient toucher l'ame,
Sera le feu qui enflame
En moy ma plus saincte ardeur.
Ainsi mes douces amours,
Chauffant ma plus chaste cendre,
En vous me feront attendre
Les plus heureux de mes jours.