Les Sables mouvans (RDDM)
Revue des Deux Mondes6e période, tome 11 (p. 721-762).



LES SABLES MOUVANS[1]



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DEUXIEME PARTIE[2]

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IV

— Brigitte, fit Marcelle en ouvrant la porte de la cuisine, habillez-vous pour me conduire chez Mlle Darche.

— Parlez poliment, au moins, bougonna la vieille femme.

— J’ai dit ce qu’il fallait dire, déclara la fillette, impertinente.

Et elle revint mettre son chapeau devant l’armoire à glace de sa mère, où elle resta à se contempler jusqu’au moment où Brigitte vint la chercher. Elle avait maintenant dix ans et demi. Une frange de cheveux blonds cuivrés lui cachait le front, ses yeux verts étaient sérieux comme ceux d’une femme, et elle aurait paru vieillotte sans les deux fossettes enfantines qui se creusaient dans la chair tendre et rose de sa joue, de chaque côté de la bouche. Elle se trouvait jolie. Elle l’était, avec un certain air inquiet et triste. Le jeudi et le dimanche, n’allant pas au cours, elle s’ennuyait. Alors sa mère, qui travaillait à un portrait, l’envoyait soit au magasin des Dodelaud, soit chez Nelly Darche, qui habitait à présent un riche appartement de l’avenue Kléber. L’artiste quoique fort occupée, maintenant que les commandes officielles consacraient son talent bizarre, trouvait toujours du temps pour recevoir et cajoler la petite fille. Elle Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/726 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/727 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/728 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/729 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/730 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/731 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/732 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/733 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/734 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/735 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/736 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/737 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/738 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/739 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/740 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/741 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/742 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/743 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/744 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/745 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/746 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/747 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/748 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/749 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/750 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/751 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/752 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/753 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/754 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/755 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/756 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/757 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/758 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/759 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/760 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/761 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/762 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/763 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/764 Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/765

— Non, dit Marcelle tout net, j’entrerai aux Beaux-Arts.

— Aux Beaux-Arts ! tu es folle, s’écria la mère.

— Pour crever de faim ? lança crûment Pierre Fontœuvre.

— On ne s’improvise pas artiste quand on n’est pas doué, observa Jenny.

Marcelle sentait sa passion naissante s’affirmer en face de la contradiction ; elle revit les toiles qui peuplaient ses rêves, les deux écoles exaltées qui l’attiraient pareillement, celle de la vie, celle de l’idéal, et par-dessus tout Nicolas qui, de sa voix bonhomme, un peu traînante, des Français de l’Ile-de-France, disait sur l’Art des choses enflammées. Dressée dans sa forme longue et frêle de fille de quatorze ans, avec ses cheveux blonds si doux et ses yeux verts si cruels, elle déclara :

— Je suis artiste.

Et une audace extraordinaire lui venant, dans un coup de révolte contre la résistance des siens, hostile, irritée, frémissante de désir, elle alla chercher dans le tiroir de sa table une liasse de dessins : copies des fleurs de sa mère, croquis d’après nature, vierges antiques prises au magasin des Dodelaud. Elle les jeta sur une table :

— Voilà ce que j’ai fait depuis deux ans.

Les parens stupéfaits s’entre-regardèrent. Ils examinaient de nouveau les dessins sans se lien dire. Ils avaient des larmes dans les yeux. Marcelle sentait comme une fumée capiteuse lui monter au cerveau.

Colette Yver.

(La troisième partie an prochain numéro.)

  1. Copyright by Colette Yver. 1912.
  2. Voyez la Revue du 1er octobre.