Ch. Delagrave (p. 207-212).

XXXVIII

LES HYMÉNOPTÈRES

Quelque chose manquait à l’histoire des noctuelles. L’oncle Paul avait fait connaître les papillons et leurs chenilles, il avait raconté leur manière de vivre et leurs dégâts, mais il n’avait rien dit sur les moyens à employer pour se délivrer des pernicieuses bêtes. Était-ce un oubli ?

Paul. — Non, mes enfants, ce n’est pas un oubli de ma part. Si je n’ai rien dit des moyens propres à détruire en grand ces chenilles voraces, c’est que je n’en connais pas de réellement applicable. Pour protéger quelques carrés de choux contre les piérides et les noctuelles, la chasse aux papillons et un échenillage attentif d’un pied à l’autre, à la rigueur, peuvent suffire ; mais comment délivrer de leur vermine des hectares et des hectares de terrain quand elles y pullulent à la manière du ver gris dans les plantations de betteraves ! On dépenserait à l’extermination des chenilles plus que la valeur de la récolte. Il en est à peu près toujours ainsi dans la grande culture ; une fois l’ennemi maître du sol, si nous étions réduits à nos propres forces, il nous serait impossible de l’en déloger, même avec des frais énormes. À cause de leur nombre infini, les insectes presque toujours auraient le dessus, je n’en fais aucun doute. Heureusement d’autres combattent pour nous, en particulier des vaillants destructeurs de chenilles.

Jules. — Les oiseaux ?

Paul. — Et d’autres encore, que vous ne connaissez pas, dont vous n’avez jamais entendu parler, malgré les immenses services qu’ils nous rendent. Ce sont des insectes de l’ordre des Hyménoptères.

Jules. — Hyménoptères ? Ce mot-là, je l’entends pour la première fois.

Paul. — Aussi je m’empresse de vous expliquer ce qu’il désigne. Vous connaissez l’abeille, la guêpe, le bourdon. Comme les papillons, ils ont quatre ailes propres au vol, mais non revêtues d’une poussière écailleuse. Ils ont au bout du ventre un aiguillon très fin qui sort de son étui quand l’insecte irrité cherche à se défendre en piquant les doigts qui l’ont saisi. Dans d’autres espèces, cet aiguillon est remplacé tantôt par une espèce de scie, de coutelas, tantôt par un fil plus ou moins long et menu, caché dans un pli du ventre ou bien toujours saillant. Eh bien, les insectes qui sont armés au bout du ventre d’un aiguillon, d’une scie, d’un fil, et qui possèdent quatre ailes membraneuses, également fines et transparentes comme le sont les ailes de l’abeille, de la guêpe et du bourdon, se nomment des hyménoptères. Ils forment un ordre de même que les papillons forment l’ordre des lépidoptères, et les insectes à élytres l’ordre des coléoptères.

Jules. — La sauterelle a bien au bout du ventre une espèce de sabre, mais elle n’a pas les ailes transparentes et fines de l’abeille.

Paul. — Aussi n’est-elle pas un hyménoptère.

Émile. — La sauterelle, n’est-ce pas, ne fait pas de mal avec son sabre ?

Paul. — Aucun. Cet outil lui sert uniquement à introduire ses œufs dans la terre, où ils doivent éclore. C’est un conduit pour la ponte. On le nomme


Sauterelle verte.


tarière. La scie, le fil, le coutelas et autres engins qui terminent le ventre de divers hyménoptères sont aussi des tarières. Ils servent à déposer les œufs en des points convenables où les larves trouvent à vivre. Mais ces outils, si menaçants qu’ils soient, ne piquent jamais quand on saisit l’insecte ; ce ne sont pas des armes défensives. L’abeille seule, la guêpe, le bourdon et quelques autres ont pour leur défense un aiguillon à piqûre douloureuse.

Émile. — Si douloureuse, qu’il me souvient encore du jour où, voulant voir ce qui se passait dans la ruche, je fus piqué par les abeilles.

Louis. — La piqûre de la guêpe est bien plus mauvaise. En vendangeant, l’an dernier, je saisis une grappe où se trouvaient des guêpes. J’eus la main enflée tout le jour, avec des douleurs qui m’auraient fait pleurer s’il n’y avait eu personne.

Jules. — Est-il possible que d’aussi petites bêtes vous fassent tant de mal ! Je voudrais bien savoir pourquoi.

Paul. — Je vais vous le dire. L’aiguillon ou dard de ces insectes est une menue lance dure et très pointue, une espèce de poignard plus fin que la fine aiguille. Il est placé au bout du ventre. À l’état de repos, il ne se voit pas, caché qu’il est dans une gaine rentrant dans le corps de la bête ; au moment du danger, il sort de son étui. Or ce n’est pas précisément la blessure faite par l’aiguillon qui provoque la cuisante douleur que vous savez. Elle est si légère, cette blessure, si subtile, que nous ne pouvons la voir. À peine la ressentirions-nous si elle était faite par une aiguille ou par une épine aussi menue que le dard. Mais l’aiguillon est en communication avec une poche à venin logée dans le corps de l’insecte, et, au moyen d’une rigole dont il est creusé, il conduit au fond de la blessure une gouttelette du redoutable liquide. L’aiguillon est alors retiré : quant au venin, il reste dans la blessure, et c’est lui, uniquement lui, qui est cause de la douleur.

Les savants qui se sont occupés de cette curieuse question nous parlent de l’expérience suivante, pour établir que c’est bien le liquide venimeux introduit dans la blessure, et non la blessure elle-même, qui endolorit le point piqué. Quand on se pique légèrement avec une aiguille très fine, le mal est bien peu de chose et passe presque aussitôt. Eh bien, la piqûre d’une aiguille, insignifiante par elle-même, peut donner lieu à de très vives douleurs si la petite plaie est empoisonnée avec du venin d’abeille ou de guêpe. Les savants dont je vous parle trempent la pointe de l’aiguille dans la poche à venin de l’abeille, et de cette pointe, ainsi humectée de liquide venimeux, se font une légère piqûre. La douleur est alors de longue durée et très forte, encore plus que si l’insecte avait lui-même piqué l’expérimentateur. Ce surcroît de douleur provient de ce que l’aiguille, comparativement grossière, introduit dans la plaie bien plus de venin que ne peut le faire le délicat aiguillon de l’abeille. Vous le comprenez maintenant, je l’espère : c’est l’introduction du venin dans la blessure qui est cause de tout le mal.

Jules. — C’est visible.

Paul. — L’aiguillon de l’abeille est barbelé, c’est-à-dire armé de dentelures dirigées en arrière. Dans sa précipitation à fuir après avoir piqué, l’abeille ne parvient pas toujours, à cause de ces dentelures, à retirer l’aiguillon de la blessure ; elle s’envole en laissant dans la plaie l’arme arrachée du ventre, au péril de la vie. La poche à venin reste aussi. C’est le petit noyau blanc que l’on voit en dehors de la blessure à la base du dard. Si, voulant retirer l’aiguillon, on a la maladresse de presser sur cette poche, une plus grande partie de venin s’infiltre dans la plaie, et la douleur augmente. Vous êtes avertis : si jamais une abeille vous pique, retirez le dard avec précaution et gardez-vous de presser sur le réservoir du venin.

Émile. — On dit la vipère si venimeuse, et le scorpion aussi. Font-ils comme l’abeille ?

Paul. — La demande d’Émile va nous détourner un moment de notre sujet ; mais comme la question des animaux venimeux est très importante, volontiers je m’y arrête quelques instants.