Les Principes et les Mœurs de la République/Les mœurs républicaines/II


II

le culte de la famille.


La famille est la première et la plus naturelle de toutes les associations humaines. Elle est le noyau originaire de la société et la base même des États. Là où elle est en honneur, où ses lois sont respectées, elle est un solide fondement de la cité ; le mépris de la famille et de ses devoirs est au contraire le signe certain de la décadence d’un peuple. Qu’attendre en effet d’une société qui traiterait légèrement la chasteté des femmes, les liens du mariage, l’éducation des enfants, le respect des parents, l’affection réciproque des frères ? Elle serait nécessairement vouée à la ruine. La corruption de la famille ne peut manquer d’avoir pour effet celle de l’État, car elle ouvre la porte à toutes les autres. Que le despotisme s’en accommode et même l’encourage, cela est dans sa nature même, puisque le caractère du despotisme, suivant la saisissante image de Montesquieu, est de jeter l’arbre par terre pour en cueillir les fruits ; mais la république doit laisser l’arbre debout et l’entourer de tous ses soins. Sans doute il y a une certaine préoccupation étroite des intérêts de famille qui est un obstacle à l’indépendance du citoyen et à l’accomplissement de ses devoirs publics ; mais, bien comprises, les vertus familiales sont elles-mêmes l’aliment des vertus civiques, et, loin de nuire aux intérêts généraux de la république, elles concourent à sa prospérité. Ceux-là donc commettent une profonde erreur qui croient fortifier l’État en ruinant la famille. Comme Aristote l’objectait justement à Platon, ils noient dans l’océan la goutte de miel que la nature a déposée en chacun de nous. Voulez-vous être un bon citoyen, soyez d’abord bon fils, bon époux, bon père, bon frère ; vous remplirez ainsi vos premiers devoirs, et la république s’en trouvera bien. Le culte de la famille est une des conditions de son salut.