Librairie académique Perrin (p. 95-100).

XIV

LES ARRHES DE L’ESPRIT

Voir dans cette pauvre existence le commencement d’une vie éternelle, n’est-ce pas l’illuminer et l’agrandir à l’infini ? Saint-Paul ne conçoit point de plus grande infortune que la perte de ce magnifique espoir ; quelques membres de l’Église corinthienne ayant nié la résurrection des morts, l’apôtre leur répond : « Si les morts ne ressuscitent point, Christ non plus n’est pas ressuscité… vous êtes encore dans vos péchés et par conséquent ceux qui sont morts en Christ sont perdus. Si c’est dans cette vie seulement que nous espérons en Christ, nous sommes les plus malheureux de tous les hommes. » (I, Cor., XV, 16-19.)

Pourquoi tant de chrétiens disent-ils en parlant d’un mort bien-aimé : « Je l’ai perdu ! » Et s’ils pensent ce qu’ils disent, ne sont-ils pas misérables entre tous ?

Ces paroles de saint Paul impliquent la foi dans une survivance personnelle, puisqu’il tombe sous le sens que pour retrouver quelqu’un il faut le reconnaître. Différents passages des épîtres nous éclairent sur la façon dont l’apôtre comprenait l’immortalité. Le plus explicite me semble celui de la deuxième lettre aux Corinthiens : « Nous savons en effet, que si cette tente (notre corps, notre chair) où nous habitons sur la terre est détruite, nous avons dans le ciel un édifice qui est l’ouvrage de Dieu, une demeure éternelle qui n’a pas été faite de main d’homme. » Nous savons, nous avons… Comment exprimer plus énergiquement la certitude ? Nous ne sommes pas encore entrés en possession, mais déjà nous possédons.

« Aussi nous gémissons dans cette tente, désirant revêtir notre domicile céleste… nous gémissons accablés parce que nous voulons non pas nous dépouiller, mais nous revêtir, afin que ce qui est mortel soit englouti par la vie. » (II, Cor., v, 1-5.) tout ce qui en nous est imparfait et vil, toutes les faiblesses, les laideurs, les misères dont le poids nous paraît tellement lourd, ce qui nous empêche d’agir, de nous dévouer, d’aimer comme nous le voudrions, ce qui en nous-mêmes nous attriste, nous répugne, et parfois nous fait horreur, nous arrache des plaintes, tout cela disparaîtra comme une goutte d’eau souillée dans une mer incorruptible et purifiante, toutes ces choses morbides seront absorbées, métamorphosées par la puissance irrésistible de la vie ; nous ne voulons pas perdre notre existence, mais en acquérir une autre plus belle, nous transformer et non pas nous anéantir.

« Celui qui nous a formés pour cela, continue saint Paul, c’est Dieu qui nous a donné les arrhes de l’Esprit. »

Les arrhes de l’Esprit, c’est, par la présence de Dieu en nous, comme un avant-goût de la vie éternelle. Ici nous touchons à quelque chose d’inexprimable. Il s’agit de la paix qui surpasse toute intelligence, de l’amour ineffable, d’un mystère devant lequel la raison s’incline ; mais vous qui avez aime, n’y eût-il pas pour vous tels moments où vous vous êtes écrié : « J’ai le ciel dans le cœur ! » Et si nos pauvres tendresses d’ici-bas peuvent être si douces et si fortes, que dire de l’amour divin, de la révélation d’un Dieu miséricordieux à la créature faite par lui et pour lui ? C’est le cri de Pascal : « Feu… Certitude. Certitude. Sentiment. Joie. Paix… Dieu de Jésus-Christ… Ton Dieu sera mon Dieu… Oubli du monde et de tout hormis Dieu… Joie, joie, joie, pleurs de joie. »

Saint Paul conclut ainsi : « Nous sommes donc toujours pleins de confiance et nous savons qu’en demeurant dans ce corps, nous demeurons loin du Seigneur, car nous marchons par la foi et non par la vue… nous sommes pleins de confiance et nous aimons mieux quitter ce corps et demeurer auprès du Seigneur. » (II, Cor., v, 1-10.)

« Christ est ma vie et la mort m’est un gain. J’ai le désir de m’en aller et d’être avec Christ écrit l’apôtre quelques années après aux Philippiens, ce qui de beaucoup est le meilleur. » (Phil., i, 21, 23.) Il ne doute donc pas que la mort de celui qui a cru au Christ et l’a aimé ne soit la réunion immédiate avec le Christ ; et voici cette chose horrible et redoutable qui a fait dire : « La nécessité de mourir est la plus amère de nos afflictions », devenue un départ, une ascension vers une patrie meilleure dont nous sommes déjà les citoyens.


LE VISITEUR MISÉRICORDIEUX

Est-ce bien toi qui viens à ma porte ce soir ?
Je n’ai pas mérité, Seigneur, un pareil hôte.
Car je t’ai laissé seul au jardin du Pressoir,
Je n’ai pas su remplir ma tâche noble et haute.

Quand tu veillais et tu souffrais, moi j’ai dormi ;
Je ne suis que froideur et stérile paresse,
Je n’ai pas mérité que tu sois mon ami,
Que tu viennes chez moi partager ma détresse.

Prends tout, t’ai-je crié, ce que j’ai t’appartient !
Mais je donne à regret ce que tu me demandes.
Ge lâche cœur ingrat est-il cependant tien,
Malgré son avarice et ses maigres offrandes ?

— Heureux le pauvre et l’affligé ! Je viens à toi
Parce que tu es seul et triste, et misérable…
Le riche et le puissant n’ont pas besoin de moi,
Je suis le Rédempteur du faible et du coupable.