Les Petits poèmes grecs/Pindare/Pythiques/XI

XI.

AU JEUNE THRASYDÉE, DE THÈBES,

Vainqueur à la course.

Fille de Cadmus, Sémélé, qui habites l’Olympe avec les immortels, et toi, Ino-Leucothée, compagne des Néréides, c’est vous que j’invoque ! Allez avec l’auguste mère du grand Hercule auprès de Mélia, dans ce sanctuaire où brillent les trépieds d’or d’Apollon. Nulle demeure n’est si chère à ce dieu ; il l’honora du nom d’Iomène et la rendit le siège de ses infaillibles oracles. Illustres filles d’Harmonie, c’est là que Mélia vous appelle pour chanter aux approches du soir et l’auguste Thémis et Delphes source de jugemens équitables.

Vous illustrerez de nouveau Thèbes aux sept portes et ce combat fameux de Cirrha, où Thrasydée a fait revivre la mémoire de ses pères, et par sa victoire dans les champs de Pylade, ajouté une troisième couronne à celles que ceignit leur front.

Pylade ! tu as à jamais immortalisé ta tendresse pour le Lacédémonien Oreste, que sa nourrice Arsinoé déroba aux cruelles embûches de Clytemnestre, quand cette reine impitoyable armée du fer tranchant fit descendre aux sombres bords de l’Achéron l’âme indignée de son époux Agamemnon et la malheureuse Cassandre, fille du vieux Priam. Cruel ressentiment ! qu’excita dans le cœur de Clytemnestre la mort d’Iphigénie, immolée sur les bords de l’Euripe, loin de sa patrie, ou peut-être la honte de cet amour adultère, qu’à la faveur des ténèbres de la nuit, recela une couche étrangère.

Mais en vain de jeunes épouses s’efforcent-elles de cacher ce crime odieux. Elles n’échappent point à la langue du vulgaire médisant ; car l’opulence de l’homme puissant aiguise les traits de l’envie et fait frémir tout bas l’indigent.

Ainsi le héros fils d’Atrée trouva la mort à son retour dans les champs célèbres d’Amyclée, et avec lui périt la vierge Cassandre, célèbre par ses oracles. Ce fut donc en vain que, pour venger Hélène, ce prince réduisit Pergame en cendres et dépouilla de leurs richesses ses palais somptueux. Cependant le jeune Oreste son fils, se réfugia au pied du mont Parnasse, chez le vieillard Straphius, et bientôt s’armant du glaive, vengea sur Égiste et sur sa mère le meurtre de son père infortuné.

Mais, ô mes amis ! où s’égarent mes pas incertains ? je ne suis plus la route dans laquelle j’étais d’abord entré. Serait-ce quelque vent contraire qui m’aurait détourné de ma course comme une barque légère ?… S’il est vrai, ô ma Muse ! que tu te sois engagée à mériter le salaire, honorable récompense de tes chants, reviens à ton sujet, et dis-nous comment Trasydée et son père se sont tous deux couverts de gloire. Jadis le père, monté sur un char traîné par de fiers coursiers, obtint le prix des combats fameux d’Olympie ; le fils, naguère déployant ses membres nerveux aux regards de la Grèce, vola dans la carrière de Delphes et couvrit de honte tous ses rivaux.

Pour moi, je borne mes désirs aux biens que les dieux ont mis à ma portée ; et quand je réfléchis que de tous les avantages que procurent à l’homme les institutions politiques, une heureuse médiocrité est le plus solide et le plus durable, je plains le sort des princes et des rois. J’ambitionne donc la possession des vertus privées et sans éclat : elles font le tourment de l’envieux, qui se consume en voyant au faîte du bonheur l’homme simple et tranquille, à l’abri de ses cruelles atteintes.

Heureux le mortel qui touchant aux noirs confins de la vie lègue à ses enfans chéris une bonne renommée, le plus précieux de tous les biens : sa mort est un doux sommeil. C’est à cet avantage que doivent leur célébrité, Jolaüs fils d’Iphiclès, et Castor et Pollux, héros issus des dieux, qui habitent tour à tour Thérapné, leur patrie, et les brillans palais de l’Olympe.