Les Peintres Flamands et Hollandais en Flandre et en Hollande/01

Les Peintres Flamands et Hollandais en Flandre et en Hollande
Revue des Deux Mondes2e période, tome 29 (p. 934-959).
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LES PEINTRES
FLAMANDS ET HOLLANDAIS
EN FLANDRE ET EN HOLLANDE

I.
LEE VAN EYCK. - HEMLING.

Notre musée du Louvre est, à coup sûr, un des plus riches qui soient au monde. Pour qui veut étudier soit les maîtres italiens, soit la peinture hollandaise et flamande, soit, à plus forte raison, notre peinture française, il n’est pas d’enseignement plus sûr, plus varié, de collection mieux assortie en œuvres rares et vraiment authentiques. Quiconque cependant n’aurait vu que le musée du Louvre, l’eût-il revu cent fois, se ferait l’idée la moins complète, et partant la moins juste, du véritable caractère, de la physionomie propre, des traits individuels qui ont distingué l’art de peindre dans les diverses contrées d’Europe.

Pour ce qui regarde l’Italie, cela se comprend sans peine. La fresque occupe en ce pays, et notamment à Florence et à Rome, une place si considérable dans l’ensemble des œuvres de peinture, les véritables grands maîtres, les plus suaves comme les plus hardis, sont tellement au-dessus d’eux-mêmes quand ils pratiquent cette façon de peindre, ils l’ont presque tous adoptée avec un tel amour, une telle préférence, qu’évidemment, en-deçà des monts, nous sommes condamnés à n’avoir dans aucun musée un fidèle et complet témoignage de leur génie tout entier. Il faut, bon gré, mal gré, les aller voir sur place, devant ces murailles qui ne voyagent pas. Tant que nous les jugeons sur leurs panneaux et sur leurs toiles, nous ne connaissons, à vrai dire, que la moindre partie, la face la moins noble, la moins originale et la moins éloquente de l’art italien.

Ce qui devient d’une explication moins facile, c’est que, dans cette même Italie, il est des lieux où la fresque fut à peine en usage, comme Venise par exemple, et que là nous marchons aussi de surprise en surprise devant de simples tableaux à l’huile. Les maîtres les plus célèbres et les plus répandus en Europe, ceux dont partout on croit le mieux connaître le talent, se montrent là sous un jour tout nouveau. On fait devant leurs œuvres de véritables découvertes. Est-ce l’influence du climat, l’effet de la lumière, la présence des lieux où sont nées ces peintures ? Est-ce le choix plus nombreux, la variété plus abondante des œuvres de chaque maître, et une certaine harmonie locale qui prédispose à mieux sentir et à mieux admirer ? Je ne sais ; mais il n’est pas un voyageur qui n’en ait fait l’expérience : nulle part comme à Venise on ne comprend, on n’aime, on n’apprécie les maîtres vénitiens.

Eh bien ! il faut en dire autant des Hollandais et des Flamands. Eux aussi, ce n’est vraiment qu’en Flandre et en Hollande qu’on arrive à les bien connaître. Ils sont pourtant goûtés, recherchés, admirés en tout pays, en tout climat, ces enfans gâtés de la mode ! De toutes les peintures, c’est bien là la plus cosmopolite, celle qui répond partout au goût du plus grand nombre, et qu’à New-York, aussi bien qu’à Paris, on se dispute au prix des plus grandes folies. Ces merveilleux petits chefs-d’œuvre ont, dans le monde entier, surtout depuis quinze ou vingt ans, une valeur marchande non moins certaine, non moins universelle que les pierres fines et les métaux précieux. C’est vraiment au carat qu’on les achète et qu’on les vend, et même ils ont cet avantage sur les autres matières d’affinage et de joaillerie que la mine en est épuisée, et que ni le Pérou ni la Californie n’en peuvent fournir de nouveaux. On croirait donc que des trésors d’un prix si bien connu devraient, à peu de chose près, sauf les variations du change, avoir sur tous les marchés du monde non-seulement même valeur, mais aussi même beauté ; il n’en est rien pourtant. Ils ont un attrait de plus ; un charme incomparable dans leur pays natal. Ce n’est point prévention, c’est pure vérité. Il faut voir en Hollande Paul Potter et Rembrandt, aussi bien que Titien à Venise.

Bien d’autres avant moi ont fait cette remarque, et moi-même, depuis déjà trente ans, j’en ai plus d’une fois vérifié la justesse, sans que l’idée me soit venue d’en entretenir le public ; mais tout dernièrement, pendant quelques journées passées aux Pays-Bas, ce lieu-commun s’est rajeuni pour moi d’une façon si saisissante qu’on me pardonnera, j’espère, d’en chercher ici les raisons.

Ce n’est pas seulement chaque maître en particulier qui, sous le reflet de ce ciel un peu pâle, même en ses meilleurs jours, dans cette atmosphère de canaux, au milieu de ces maisons proprettes, ombragées et luisantes, paraît mieux à son jour, plus en valeur, plus attrayant ; c’est l’école elle-même, ou plutôt ce sont ses deux branches qui, vues dans leur ensemble, dans leur complet développement, depuis leur commune racine jusqu’à leur dernier rameau, prennent une ampleur, une importance, une richesse traditionnelle et hiérarchique dont ailleurs que dans le pays même on ne peut avoir aucun soupçon.

Trois causes principales mettent, à mon avis, la Flandre et la Hollande hors de pair avec tous les pays réputés les plus riches en tableaux hollandais et flamands.

La première est qu’on ne peut voir qu’en Flandre cinq ou six vieux chefs-d’œuvre, derniers et incomparables témoins de l’art flamand primitif ; la seconde, qu’au XVIIe siècle, à son âge viril, ce même art a produit en Hollande certaines œuvres vraiment exceptionnelles et par la dimension des toiles et par la puissance du pinceau, œuvres restées dans le pays, destinées à n’en jamais sortir, et qui révèlent chez ceux qui les créèrent des dons et des facultés qu’ailleurs on ne leur connaît pas. Vient enfin la troisième cause, qui risque par malheur de disparaître un jour, et qui déjà s’est beaucoup affaiblie : je veux parler des collections particulières que l’esprit de famille a sauvées jusqu’ici, dernier reste des nombreux cabinets formés il y a deux siècles, aux jours les plus brillans de l’école hollandaise ; petits musées harmonieux et épurés, où chaque maître semble avoir travaillé pour un ami ou pour un bienfaiteur, et s’est comme efforcé de dire son dernier mot.

Il y a là, comme on voit, trois sortes de privilèges dont la Belgique et la Hollande sont seules en possession et qui leur garantissent le pèlerinage obligé de quiconque veut connaître à fond les origines, les diversités et les perfections de leur féconde et ingénieuse école. Reste à mieux indiquer et à suivre avec quelque détail ces trois divisions que je viens de tracer.

Ce n’est pas sans raison et par vain plaisir d’érudits qu’aujourd’hui la plupart des critiques ont en si grande estime les œuvres des vieux maîtres. Même indépendamment de leur propre valeur et des beautés naïves qu’on ne trouve que là, les premiers essais d’une école sont, pour les œuvres de sa maturité, tout à la fois un titre de noblesse et le plus attachant commentaire. Glissez sur Cimabue, sur Giotto, sur cette longue série d’artistes qui ont précédé, préparé et comme engendré Léonard, Raphaël et Titien : que devient l’histoire de la peinture italienne ? Vous en supprimez l’intérêt et la vie. L’ère de la perfection, cette ère fugitive et brillante, n’apparaît plus que comme un météore imprévu, isolé, que rien n’explique, qui ne se lie à rien. Aussi Lanzi lui-même et les critiques de son école, tout dédaigneux qu’ils sont de l’archaïsme, se gardent bien de mettre absolument dans l’ombre l’archaïsme italien. Ils ont certains égards pour les quatrocentistes et même pour les trecentistes. Sans leur rendre complet hommage, on voit qu’ils comptent avec eux, et tout au moins ils prononcent leurs noms. Pour les Pays-Bas, au contraire, jamais on n’a pris tant de peine. Qui s’inquiète en Europe de la généalogie de Terburg, de Metzu, de Ruysdaël ou d’Hobbema ? Quel cabinet, quelle galerie les met en compagnie de leurs ancêtres légitimes, des premiers maîtres de leur art national ? On les traite en enfans trouvés, on ne voit, on n’admire que leurs œuvres sans s’informer de leurs aïeux. N’en serait-il pas autrement, si ces aïeux nous étaient mieux connus, si des liens plus visibles unissaient l’une à l’autre ces deux générations d’artistes que deux siècles séparent ? Quelle source nouvelle d’observations et d’études dans cette noble filiation ? D’où vient qu’elle est comme ignorée, et que si peu de gens pensent aux deux van Eyck en admirant leurs fils ?

C’est que rien n’est plus rare qu’un van Eyck véritable, et que les faux van Eyck ne donnent guère envie de connaître les vrais. L’Italie, sur ce point, est encore beaucoup mieux partagée. Ses peintres archaïques ont ce grand privilège, que, même quand ils sont médiocres, ils n’ont pas l’air barbares. Un certain reflet d’idéal protège leur médiocrité. Les misères de leur coloris, les faiblesses de leur dessin, sont comme déguisées par le charme et par la noblesse des types qu’ils imitent et des traditions qu’ils respectent. Il n’y a pas sous cet heureux ciel complète disparate entre les chefs d’école et leurs humbles imitateurs, tandis qu’en Flandre, et dans le Nord en général, l’archaïsme, lorsqu’il n’est pas de premier ordre, tombe aussitôt presque au dernier. La distance est immense entre le maître, et l’apprenti : dès qu’on sort des chefs-d’œuvre, on tombe dans les platitudes, non qu’il n’y ait encore, même aux rangs secondaires, un certain éclat de palette et le précieux du pinceau ; mais la pensée, le sentiment sont dépourvus de justesse aussi bien que d’élévation : c’est une imitation de la nature minutieusement littérale, à la fois lourde et affectée, qui, sous prétexte d’expression, tombe souvent dans la grimace et parfois dans la caricature. De vieux flamands de cette sorte, on en rencontre en tous pays : je ne sais guère un musée qui n’en possède quelques-uns et qui ne les décore des noms les plus pompeux ; mais les véritables maîtres, les vrais fondateurs de l’école, les deux van Eyck par exemple, quelles sont les galeries d’Europe qui enseignent à les connaître ? Ce n’est pas notre Louvre, bien que je croie à l’authenticité de ce petit tableau, le seul dont chez nous on fasse honneur à Jean van Eyck ; ce n’est pas même le musée de Munich ni celui de Berlin, bien qu’ils soient l’un et l’autre, et le dernier surtout, plus riches en ce genre qu’aucun autre : c’est avant tout une église de Flandre. Là seulement les deux patriarches de la peinture moderne se révéleront à vous dans leur toute-puissance, dans leur éblouissante naïveté.

Supposez qu’il n’y ait pour un voyageur aucun motif d’aller à Gand, que cette grande ville, plus d à moitié moderne, ne soit ni la patrie de Charles-Quint, ni l’ancien et tumultueux théâtre des mémorables luttes de la bourgeoisie flamande ; qu’elle n’ait conservé pas un pan de muraille historique, ni son beffroi, ni son hôtel de ville, pas un de ses canaux ni de ses anciens ponts, pas un de ses pignons sculptés à l’espagnole ; que dans ses rues longues et tortueuses il n’y ait plus rien à voir que de rares habitans : il n’en faudrait pas moins venir à Gand, ne fut-ce que pour passer deux heures, à Saint-Bavon. À lui seul, Saint-Bavon vaut vraiment le voyage, moins pour l’édifice lui-même que pour. le trésor qu’il renferme. C’est une grande église, svelte, hardie, comme toute église du XVIIIe siècle, mais habillée à la moderne au moins jusqu’à la ceinture. Si vous levez la tête, vous reconnaissez les voûtes, les arêtes, les nervures, les chapiteaux du grand siècle de l’art chrétien ; si vous regardez devant vous, tout est changé ; plus d’élégance, plus de légèreté ; les supports élancés qui soutiennent la voûte sont comme emprisonnés jusqu’au tiers de leur hauteur par un épais revêtement de marbre noir et blanc, dressé, taillé, sculpté dans le goût et selon les profils de la renaissance espagnole. Cette décoration se prolonge sur le chœur tout entier, en dehors comme en dedans, et sur toutes les chapelles latérales. On dirait une église tendue de deuil en permanence, tenture magnifique, imposante, mais froide et lourde encore plus que lugubre. Ce n’est pas pour cette marbrerie, si précieuse et bien travaillée qu’elle soit, que je vous ai fait venir, pas même pour ce long cordon d’écussons peints et dorés qui sert de couronnement à l’intérieur du chœur : bigarrure pittoresque et curieux assemblage, qui nous rappelle que Philippe II a tenu dans ce chœur un splendide et dernier chapitre de l’ordre de la Toison-d’Or. Rien de plus fier, de plus original, comme ornement d’église, que cette frise héraldique ; mais nous avons mieux à faire que d’en étudier les blasons. Je vous conduis à l’une de ces chapelles aux portes de bronze et aux cloisons de marbre, la cinquième a main droite, à partir du transsept. Si le bonheur veut qu’il soit quatre ou cinq heures du soir, par un beau jour d’été, un rayon lumineux frappera la muraille qui surmonte l’autel et qui vous est cachée par quatre rideaux verts. Peu à peu, grâce au suisse dont vous êtes suivi, ces rideaux tomberont, et les quatre tableaux qu’ils recouvrent s’illumineront pour vous.

Je me souviens du jour où, à cette même heure, je vis pour la première fois s’écarter ces rideaux. Je n’étais pas préparé. Je m’attendais à une de ces œuvres dont je parlais tout à l’heure, à un van Eyck, ou soi-disant tel, brillant, haut en couleur, ingénieusement peint, mais sec, anguleux, trivial. Quelle fut ma surprise ! J’avais devant les yeux une scène splendide, une vision du paradis, des visages célestes, des regards séraphiques, et un art, un dessin, un coloris aussi souple que solide, aussi moelleux que précis, tous les dons en un mot de la grande peinture, et les dons les plus opposés. Sans la disposition un peu trop symétrique de quelques groupes de bienheureux, sans les contours un peu trop arrêtés de ces délicieux fonds de paysage, jamais je n’aurais pu dire de quel âge était cette peinture. Pour la croire quatre fois séculaire, ce n’était pas trop de ces traces d’inexpérience ou de fidélité à d’antiques traditions se mêlant aux perfections techniques d’un art tout à la fois si précoce et si consommé. Me dira-t-on que c’était la surprise qui m’avait disposé à tant d’admiration ? Non, car j’ai maintes fois recommencé l’expérience sans être moins enthousiasmé, et c’est peut-être encore à la dernière épreuve que j’ai senti la plus vive impression.

J’hésite en vérité à décrire ce chef-d’œuvre, tant il est célèbre et connu. On en sait le sujet : c’est l’adoration de l’Agneau, de l’Agneau pur et sans tache, forme mystique du Sauveur du monde. L’Agneau est sur l’autel, au centre de la composition ; les premiers qui l’adorent sont des anges, splendidement vêtus, l’encensoir à la main ; après les anges, à genoux et en demi-cercle, les patriarches, les prophètes, les apôtres et les confesseurs ; puis, derrière eux, toute la milice de Jésus-Christ, les papes, les docteurs, les ermites, les pèlerins, les femmes saintes, les vierges martyres, s’acheminant pour adorer l’Agneau des quatre coins du monde. L’action se passe dans une vaste campagne, sur un pré vert et fleuri, en vue de la Jérusalem céleste, dont les remparts et les tours se dessinent à l’horizon.

Ce n’était pas petite chose, surtout il y a quatre siècles, que de mettre en mouvement tous ces bataillons de fidèles, de les conduire ainsi vers un centre commun, par groupes variés de caractères et d’attitudes, sans confusion et sans raideur, non comme un régiment ou une procession, mais comme une foule ardente, passionnée, et cependant modeste et recueillie. Tel est pourtant le spectacle qui se déroule ici dans la partie inférieure du tableau Je me trompe, ce n’est point un tableau, c’est un ensemble de peintures combinées et unies entre elles, mais de deux ordres différens, et divisées en deux étages. La partie supérieure est la plus grande ; c’est la région du ciel. Là point de mouvement, point d’action dramatique ; une éternelle placidité. Au lieu de ces centaines de petits personnages qui sur terre vont adorant l’Agneau, il n’y a dans ce ciel que de grandes figures, assises, isolées, se détachant non plus sur un vert paysage, mais sur un fond tout idéal, sur un fond d’or. Au centre est Dieu le père, magnifiquement vêtu de pourpre, coiffé de la mitre papale, ruisselant d’or et de pierreries. Ce n’est pas ce vieillard paterne, ce Jupiter grisonnant auquel depuis le XVIe siècle tous les peintres nous ont accoutumés : c’est un majestueux monarque dans la force. de l’âge, prince et pontife à la fois, d’une beauté un peu efféminée, une sorte d’empereur d’Orient. Le type byzantin de la toute-puissance survivait donc encore il y a quatre cents ans sur les bords de l’Escaut. À la droite de Dieu le père est la vierge Marie, à sa gauche saint Jean-Baptiste. Tous deux prient avec ferveur, saint Jean drapé modestement, la sainte Vierge splendidement parée. Elle lit ses heures avec l’humilité de la plus pauvre jeune fille, bien que son front porte le diadème et son épaule le somptueux manteau de l’impératrice du ciel. Astitit Regina à dextris, in vestitu deaurato.

S’il faut en croire la tradition, ces trois grandes figures sont l’œuvre d’Hubert van Eyck, et Jean, son jeune frère et son élève, n’a fait que les achever. Il a seul au contraire, sinon conçu, du moins exécuté la scène principale, l’adoration de l’Agneau. Tout semble confirmer cette anecdote séculaire : le système de peinture, le procédé technique est bien à peu près le même dans les deux parties de l’œuvre, mais le style est si différent qu’on est comme forcé de faire à chaque frère sa part distincte, et séparée. Hubert est mort à Gand en 1426, pendant qu’il travaillait à ces peintures, voilà qui est certain ; il est mort près de vingt ans avant son frère, et son frère était né vingt-quatre ans après lui. Ils appartiennent donc, malgré leur communauté de nom, de gloire et d’atelier, à deux générations j’ose même dire à deux écoles différentes. Hubert procède de l’école colonaise, Jean est le fondateur de l’art flamand. Tous deux, ils étaient nés dans le duché de Gueldre, près du Limbourg, en Hollande par conséquent, ou pour mieux dire en Allemagne, et lorsqu’ils vinrent en Flandre et s’établirent à Bruges, Jean n’était qu’un enfant comme sa sœur Margaretha, Hubert était un homme, et déjà peintre en renom. C’est donc aux bords du Rhin et sans doute à Cologne qu’il avait acquis son talent et reçu ces impressions premières qui chez l’artiste ne s’effacent jamais. Cologne était alors comme une autre Venise ; elle menait de front le commerce et les arts. Grand comptoir levantin et berceau de la peinture du nord, elle avait, elle aussi, contracté l’habitude du luxe, des étoffes, des goûts de l’Orient, et inspiré de bonne heure à ses peintres, avec le style idéaliste, le culte de la couleur. Un même courant commercial avait porté mêmes semences sous le ciel argenté de l’Adriatique et sous les brumes de la mer batave. Aussi remarquer-t-on la plus étrange analogie et comme un lien de parenté entre les premiers peintres colonais, les Wilhelm, les Stephan, et les Vénitiens primitifs, les précurseurs de Bellini, Tel trecentiste florentin ou même siennois ressemble infiniment moins à un vieux maître de Venise que l’auteur du Saint Géréon de la cathédrale de Cologne. Rien n’est donc moins difficile à reconnaître qu’une œuvre de l’école colonaise ; et tous les traits qui la caractérisent, ce goût des teintes fortes, des tons sonores, des riches draperies, des pierreries, des perles, des galons, de l’éclat oriental en un mot, s’unissant à cet aspect sérieux, à cette onction solennelle, à cette majesté pieuse que le catholicisme, au commencement du XVe siècle, communiquait encore presque universellement à l’art européen, ce mélange de pompe et d’austérité, de spiritualisme et de couleur, ne le trouvons-nous pas dans les trois figures à fond d’or de la chapelle de l’Agneau ?

Ce qui me frappe en elles avant tout, c’est qu’elles n’ont rien de flamand. Ce n’est pas un fruit du terroir, Il y a dans ce saint Jean, surtout dans cette Vierge, une noblesse, une grâce, une distinction, une suavité presque idéale, dont les beautés flamandes, même les plus parfaites, n’ont jamais dû donner l’idée. Nous verrons tout à l’heure dans le petit musée de Bruges la véritable Vierge du pays, la madone opulente et bourgeoise, chef-d’œuvre de Jean van Eyck, et de lui seul, car la date est 1436, dix ans après la mort d’Hubert, Cette madone est peinte encore plus savamment que la Vierge de Saint-Bavon : la touche est plus moelleuse, le modelé plus fin ; mais quelle santé, quel embonpoint ! quelle robuste ménagère ! N’est-il pas évident que l’auteur de cette Vierge-là n’a pas fait celle que j’ai devant les yeux, et que c’est bien à Hubert qu’appartient celle-ci ? Je la compare dans ma pensée aux Vierges italiennes du même siècle : ni les Boticcelli, ni les Lippi, ni même les Ghirlandaïo, n’ont donné à la mère de Dieu une piété si douce, une expression si noblement modeste. Et tous ces maîtres, notez bien, étaient à peine enfans, et Fra Angelico lui-même était encore novice, ou tout au plus profès à San-Marco, lorsqu’en 1426 Hubert mourait à Gand. Ce n’était donc pas en Italie qu’il avait pris ses modèles, ce n’était pas même à Cologne, car, tout en respectant jusqu’à son dernier jour ses souvenirs de jeunesse, à quelle distance de ses maîtres n’était-il pas déjà ! Où trouver un morceau comparable à ces trois figures dans l’école entière de Cologne ? N’oublions pas enfin qu’il y avait chez Hubert un esprit inventif en même temps que fidèle aux nobles traditions de l’art, et que sa part est, dit-on, la plus grande dans la célèbre découverte dont son frère a presque seul l’honneur, parce qu’il l’a pratiquée et popularisée plus longtemps : la découverte, disons mieux, le perfectionnement de la peinture à l’huile. N’est-ce donc pas justice de s’arrêter avec un peu de complaisance devant celui de ces deux frères que la postérité a traité le moins bien ? Et pourtant gardons-nous de ne rien dire de l’autre : la renommée n’a presque jamais tort. Si Jean nous laisse voir des goûts moins élevés, moins de style et de poésie peut-être, s’il descend d’un degré dans l’échelle de l’art, il est plus fécond que son frère ; il possède les dons que la postérité prise avant tous les autres : il est original et créateur. N’eût-il fait que ce soubassement des peintures de Saint-Bavon, il faudrait encore le compter pour un des plus hâtifs et des plus puissans artistes des temps modernes.

Ici la scène change : non-seulement nous quittons le ciel, mais je n’aperçois plus ni Cologne ni Venise ; je suis à Bruges, à Gand, en pleine Flandre. Regardez ces visages, quelle vérité ! quelle étude de mœurs ! quelle comédie de caractères ! Comme le trait individuel de chaque personnage est admirablement marqué ! Toute l’école hollandaise et flamande n’est-elle pas dans ces trois cents figures ? Ce goût de vérité, d’imitation, de portrait, ces instincts réalistes, pour parler la langue d’aujourd’hui, ils étaient donc déjà bien forts chez ce jeune homme, pour qu’échappé de la veille à la tutelle de son frère, il les laissât percer dans ce sujet mystique, dans cette scène de piété ? Voilà sans doute, au milieu de ces groupes, de nobles et austères figures, de vraies figures de saints ; mais comme elles sont entremêlées de figures plus mondaines, et surtout mieux nourries ! Cette rotondité flamande qui, deux siècles plus tard, fournira tant de joyeux modèles aux van Eyck sécularisés, elle est là devant l’Agneau sans tache et jusqu’au pied de son autel. Jean ne peut s’empêcher de voir et de traduire le côté grotesque et risible de la nature humaine ; dans les rangs mêmes de ses prophètes, de ses docteurs, de ses apôtres, il glisse des visages d’une telle bonhomie et d’un si franc comique, qu’il provoque à sourire même en ce voisinage d’ascétisme et de mysticité. Teniers n’a qu’à venir au monde, il trouvera sa tâche faite. Son esprit est déjà sur la toile, tempéré seulement et comme contenu par la gravité du sujet et par la fermeté concise de la touche.

Et que dire maintenant de la composition ? On sait déjà quel étonnant mélange d’ordre et de mouvement règne dans cette foule. Ne regardez que les plans inférieurs, les deux ou trois premiers rangs de figures, c’est la perfection même. Je défie l’art moderne et ses plus nobles représentans d’imaginer une action mieux conçue, des mouvemens plus justes, des poses plus naturelles, de plus heureux enlacemens, et tout cela paré de la couleur la plus harmonieuse et la plus magistrale. M. Ingres, dans ses meilleurs jours, ne saurait pas mieux peindre, ni Poussin mieux composer. Où donc est le point faible, car tout chef-d’œuvre a le sien, surtout un chef-d’œuvre archaïque, exposé par son âge à tant de défaillances ? Il est ici aux arrière-plans : un certain reste des influences et des routines du moyen âge s’y laisse apercevoir. Le public n’était pas alors aussi complaisant pour les peintres qu’il l’est devenu depuis. Il ne se prêtait pas aux mystères et aux sous-entendus de la perspective aérienne. Même au fond d’un tableau, il lui fallait une image précise des objets imités. Ces teintes vaporeuses, ces traits vagues et indéterminés, tous ces je ne sais quoi qui pour nous expriment les lointains mieux encore que la décroissance des lignes, auraient semblé en ce temps-là une impertinence d’artiste. Le peintre était tenu de représenter les choses avec un soin égal, quel qu’en fût l’éloignement, et de les faire voir, non telles qu’elles apparaissent à distance, mais telles qu’elles sont réellement. De là, dans les tableaux de cette époque, ce luxe de détails qui va se prolongeant jusqu’au plus extrême horizon, et qui détruit du même coup l’illusion et la vérité : genre de faute que le moindre écolier saurait éviter aujourd’hui, et dont van Eyck ne pouvait se défendre. Il ne se complaît pas dans l’ornière comme la plupart de ses contemporains ; mais il n’essaie pas d’en sortir. On l’y sent retenu, et par les habitudes de son public, et par sa propre dextérité, par la finesse de son pinceau. Il veut tout rendre, tout exprimer ; plus les objets s’éloignent, plus il les étudie. Aux premiers plans, il est artiste : il compose, il dessine en peintre ; aux derniers, il devient géographe ; c’est à vol d’oiseau qu’il dessine, s’attachant à nous faire pénétrer jusque dans l’intérieur de ses groupes, c’est-à-dire à nous montrer des choses qui sont dans la nature tout à fait invisibles ou partiellement éclipsées.

Malgré ces invraisemblances, ces fautes d’harmonie, ces infractions de perspective, l’œuvre de Jean van Eyck s’empare du spectateur, le charme, le saisit, sans lui laisser le temps de consulter sa date. Ce n’est qu’à la réflexion que l’archaïsme se laisse voir ; tout d’abord c’est l’art seul qui paraît. La vérité des premiers plans, l’éclatant relief de l’ensemble dominent tout le reste. Et que serait-ce donc si l’œuvre était complète, si nous l’avions tout entière sous les yeux ! car, j’oublie de le dire, Gand n’en possède qu’une partie, la meilleure, il est vrai, puisque c’est le cœur même du sujet, le centre de la composition, mais à ce centre se rattachaient deux ailes, et les ailes n’y sont plus ! Depuis quand ? On ne le croira pas, cette mutilation n’a pas un demi-siècle ; elle date de 1815.

L’œuvre dans son entier, telle que l’avaient conçue les deux frères pour la chapelle de la famille de Vydt et telle que Jean l’acheva, se composait de douze pièces. C’était d’abord le grand panneau carré et les trois longs panneaux arrondis par le haut qui sont encore à Gand, formant, comme aujourd’hui, retable au-dessus de l’autel ; puis deux volets, chacun en quatre feuilles et peints, selon l’usage, en dehors aussi bien qu’en dedans. Ces volets, ou plutôt ces huit feuilles, avaient la même forme et la même surface que les quatre panneaux qu’ils devaient recouvrir : d’où il suit que lorsqu’ils étaient fermés, la superficie de peinture était encore égale à ce qu’elle est aujourd’hui, et qu’elle devenait double lorsqu’ils étaient ouverts. Ce grand retable ainsi monté, avec ses douze pièces au complet, ses volets bien fixés sur charnières, fut porté à Paris sous le premier empire et exposé dans le musée du Louvre. Qu’il n’y soit pas resté, que la guerre nous ait pris ce que nous avait donné la guerre, ce n’est pas là ce qui m’étonne ; mais au moins fallait-il qu’en le revendiquant, on mît à le garder autant d’ardeur qu’à le reprendre, et que ceux qui nous l’enlevaient se donnassent la peine de n’en pas perdre en route la moitié. Comprend-on qu’à son retour à Gand l’Agneau n’avait plus ses volets ? Qu’étaient-ils devenus ? Personne n’en prit souci, sauf un célèbre expert et marchand de tableaux qui, un beau jour, vers 1818, se trouva les avoir vendus à un Anglais, M. Solly, moyennant 100,000 francs. Jugez du flegme des Gantois ! ils laissèrent consommer le marché sans dire un mot, et quinze ou vingt ans plus tard gardèrent je crois, même silence, lorsqu’à son tour M. Solly, au prix de 410,000 francs, revendit ces volets au musée de Berlin[1].

C’est donc Berlin qui possède aujourd’hui ce que Gand s’est ainsi laissé prendre. Une fois dérobées, mieux valait à coup sûr que ces nobles reliques entrassent dans un dépôt public, à l’abri de nouveaux brocanteurs : elles ne seront, j’espère, ni vendues, ni détruites, ni même divisées ; mais si bien qu’elles soient à Berlin, c’est à Gand que je les voudrais voir. Pour un tableau moderne, le dommage est déjà grand de n’avoir pas de cadre ; il est autrement grave pour un tableau du XVe siècle de perdre ses volets. Le cadre n’est qu’un moyen d’isoler l’œuvre du peintre, les volets font corps avec elle, ils la prolongent et la développent, à peu près comme les coulisses de nos théâtres complètent les toiles de fond. Restituez ces volets, et aussitôt quelle différence ! Comme l’ardeur de cette foule devient plus manifeste ! A droite, à gauche, de tous côtés, la voilà qui déborde ; derrière les groupes du tableau j’en vois d’autres accourir et puis d’autres encore, à pied, à cheval, par de rudes chemins, à travers les ravins, les forêts, les montagnes. Tel est le spectacle qu’avaient combiné les deux peintres. C’en est fait, on ne le verra plus. Ce qu’ils avaient uni est maintenant divisé, et à toujours probablement : séparation fatale pour le tableau lui-même, bien plus encore pour les volets, qui par eux seuls n’ont plus de raison d’être.

Aussi le savant directeur de la galerie de Berlin a-t-il voulu leur rendre, au moins en simulacre, leur destination première. Au lieu de les placer séparément comme autant de tableaux, il les a réunis des deux côtés d’un retable construit exprès pour eux. Ainsi groupés, tous ces panneaux se font valoir les uns les autres : d’un coup d’œil on les embrasse tous, on en suit l’enchaînement, on comprend l’action de tous ces personnages, on marche avec ces pèlerins, avec ces cavaliers ; mais le but où ils tendent, le centre du retable, n’est par malheur qu’une copie : œuvre habile cependant et des plus respectables, puisqu’elle à près de trois cents ans. Elle est de la main même de Michel Coxcie, faite, dit-on, par ordre de Philippe II et portée à Madrid, d’où je ne sais quel hasard l’a conduite à Berlin. Son principal mérite est dans cette patine, dans cet aspect d’ancienneté qui ne s’acquiert qu’avec le temps. C’est par là seulement qu’elle est en harmonie avec ces majestueux volets ; mais son caractère de copie, cet indélébile cachet du travail sans inspiration, le temps ne peut pas l’effacer. Ce n’est pas la photographie seule qui semble pétrifier la vie en la reproduisant : les copies de main d’homme en font toutes autant, à des degrés divers, et ne donnent pas en échange ces miracles d’exactitude que la photographie révèle quelquefois. Pour moi, le travail de Michel Coxcie ne ressemble pas plus à l’œuvre de van Eyck qu’un clair de lune aux rayons du soleil. C’est terne, sans vigueur, la touche est hésitante. Aussi l’effet de ce retable, moitié vrai, moitié faux, n’est-il pas complètement heureux : c’est une idée plus ingénieuse que vraiment profitable, même aux volets de van Eyck, car s’ils font pâlir la copie, la copie à son tour, par cette pâleur même, semble les accuser d’un peu trop d’énergie et presque de dureté.

Voilà pourquoi je disais tout à l’heure qu’on ne pouvait, même à Berlin, vraiment connaître les van Eyck : c’est donc à Saint-Bavon, c’est à Gand qu’il vous les faut chercher ; je devrais ajouter à Bruges, et m’arrêter devant cette éclatante Vierge, si riche, si prospère, si Flamande, dont j’ai déjà dit un mot, devant ce vieux van der Poelen, ce chanoine replet, le donateur du tableau, à genoux, en prière au pied du trône de Marie, entre saint George et saint Donat, ses deux patrons, l’un cuirassé de pied en cap, l’autre en habits sacerdotaux. Quelle étonnante étude ! quel prodigieux rendu ! Le plus patient des Hollandais et le plus chaud des Vénitiens parviendront-ils jamais à faire ainsi luire une armure et briller l’or et les rubis ? Tout n’est-il pas vivant chez ce vieux donateur, depuis son bréviaire, ses gants et ses lunettes jusqu’aux plis, jusqu’aux rides de sa carnation fatiguée ? Le peintre de l’Agneau s’est ici surpassé lui-même dans l’art du relief, dans l’imitation des-détails de la vie. C’est bien là son chef-d’œuvre, l’effort suprême de son talent ; d’où vient donc que dans mon souvenir ce merveilleux tableau s’efface malgré moi devant une peinture plus calme et plus modeste que je vois à deux pas de là ? D’où vient que ce nom de Bruges m’apporte une autre idée que la gloire des van Eyck, que cette vieille ville me semble consacrée au culte, à la mémoire, non pas de Jean qui l’habita presque toute sa vie, que bien des fois encore on nomme Jean de Bruges, mais d’un autre homme, d’un étranger peut-être, d’un simple voyageur traversant la cité, d’un artiste mystérieux, ignoré dans l’Europe entière il y a moins de trente ans, ou connu tout au plus de cinq ou six personnes, d’un peintre dont la naissance est un problème, l’histoire une légende, et le nom lui-même une énigme ?

Pour moi, je l’appelle Hemling, tout en reconnaissant qu’il y a de savantes raisons d’adopter une autre orthographe. Est-ce une M est-ce une Il qui commence ce nom ? Les M du XVe siècle ont-elles en Flandre, comme on le dit, comme on en cite des exemples, la même forme que les H ? Il y a là tout un débat de paléographie où je ne veux pas m’engager[2] ; jusqu’à plus ample informé, je dis Hemling par habitude. Aussi bien ce n’est pas le nom, c’est l’homme, c’est son œuvre qu’il nous importe de connaître, et que j’ai hâte d’aborder.

Mais d’abord un mot sur la légende. Que l’artiste s’appelle Hemling, Memling, ou même Hemmelinck, qu’il soit de Flandre ou d’Allemagne, les tableaux qu’il a laissés à Bruges, et, tout à l’heure nous le verrons, il n’en est presque point ailleurs, ces tableaux, à l’exception d’un seul, sont tous dans un hôpital. Pourquoi ? C’est là ce qu’à défaut de preuves, la tradition se charge d’expliquer. En l’année 1477, trente-deux ans après la mort du dernier van Eyck et peu de jours après la bataille de Nancy, un soldat de Charles le Téméraire entrait blessé à l’hôpital Saint-Jean de Bruges. La guérison se fit attendre, et pendant les ennuis de la convalescence, le patient, se souvenant qu’il était peintre, demanda des pinceaux. Les sœurs hospitalières tombèrent en extase devant l’œuvre de leur malade. On le choya, on l’adopta dans la maison ; il y passa plusieurs années, et par reconnaissance, lorsqu’il quitta ces bonnes sœurs, il leur donna ses tableaux.

Est-ce une histoire, est-ce un roman ? Le. récit, quel qu’il soit, n’a rien d’invraisemblable. Qu’on songe à la splendeur de Bruges, alors la reine de la Flandre, à l’éclat qu’avait pris son école de peinture, où depuis les van Eyck on voyait accourir, aux dépens de Cologne, toute la jeunesse du nord ; que dans cette ruche d’artistes le plus habile n’ait pas été le plus heureux ; que malgré son talent, par dégoût, par dépit, par inconduite ou par caprice, il ait voulu se faire soldat ou le soit devenu à son corps défendant, de par les recruteurs du duc de Flandre et de Bourgogne, il n’y a rien là de très extraordinaire. Un grand peintre caché sous la cuirasse et sous le hoqueton se révélant dans une salle d’infirmerie, c’est après tout une plausible explication du trésor de peinture enfoui dans cet hôpital.

Ce qu’il y a de certain, c’est que le trésor existe, qu’il est là depuis bientôt quatre cents ans, et que jamais il n’est sorti de ces silencieuses murailles. Ni les commissaires de notre république, ni les préfets de notre empire, lorsqu’ils faisaient leur moisson de chefs-d’œuvre, n’ont su découvrir ceux-là. Qui leur en eût parlé ? L’ancienneté de ces peintures était leur première garantie ; on professait alors un si parfait dédain pour ce qu’on appelait les : productions de l’art à son enfance ! Si l’Agneau de van Eyck n’avait pu être soustrait au périlleux honneur du voyage à Paris, c’est qu’il trônait dans une cathédrale, au milieu des cierges et de l’encens, qu’il était l’orgueil de sa ville. C’est presque à titre de relique qu’on l’avait enlevé, tandis que notre pauvre hospice a si chétive apparence, ses murs de briques sont si simples et sa porte est si basse, que l’idée ne vint pas d’y heurter. Aussi les tableaux d’Hemling ont encore leurs volets.

Cette complète obscurité, qui fut alors leur sauvegarde, on ne peut la comprendre aujourd’hui. Comment croire, quand on voit ces peintures, qu’on les ait oubliées un seul jour ? Ces sortes d’apathies publiques qui peu à peu suppriment le souvenir d’un chef-d’œuvre sans qu’on sache comment ne sont pourtant pas sans exemple, témoin l’histoire du Cenacolo de Florence. Seulement ce n’est pas sous la suie qu’on a découvert ces tryptiques comme la fresque de Raphaël : il y a même lieu de croire qu’ils ont toujours été conservés avec soin ; mais sans les négliger on les laissait dans l’ombre. Je n’exagère rien en disant qu’il y a trente ans encore, un étranger, un curieux passant à Bruges une journée n’avait aucune chance de rencontrer quelqu’un qui lui donnât conseil de visiter l’hôpital, et que si par hasard il entendait parler d’une certaine châsse admirablement peinte et dévotement conservée dans ce lieu, essayer de la voir était du temps perdu, car il trouvait les portes closes. Je me souviens des peines que dut prendre pour me les faire ouvrir, il y a tout justement un peu plus de trente ans, en 1829, un habitant de Bruges, ministre actuel du roi des Belges, et qui déjà, quoique bien jeune encore, était en crédit dans la ville par sa famille, sans parler même de son esprit. M. van Praet, dès le premier guichet, fut contraint de parlementer. La châsse était dans la chapelle ; à peine la pouvait-on voir, et d’un côté seulement. Quant aux tableaux, placés dans un ancien parloir, ce fut toute une affaire que d’en trouver la clé ; notre insolite curiosité avait porté le trouble dans la paix de cette maison.

Quel contraste aujourd’hui ! La porte est tout ouverte ; on vous attend ; vous faites partie du contingent de visiteurs que chaque journée doit fournir. Ne craignez plus qu’on vous laisse partir sans vous parler d’Hemling : tout Bruges le connaît maintenant : c’est le nom populaire, le premier nom que vous diront ces guides qui vous guettent au sortir du wagon. Ces odieux persécuteurs, en vous promenant par la ville, vous feront encore voir, comme autrefois, et le beffroi, ce campanile incomparable, le plus hardi, le plus fier des clochers, et le tombeau de Marie de Bourgogne, et la chapelle du Saint-Sang, et la maison de ville, et la grande cheminée, sans compter tant de groupes de maisons pittoresques que vous rencontrerez çà et là dans ces rues, dans ces places si vastes et si désertes ; mais tout cela pour eux est comme suranné : ce qui est maintenant la nouveauté de Bruges, c’est l’hôpital Saint-Jean. Que dis-je, l’hô pital ? Il faut dire le musée : voyez plutôt ce gardien en permanence et l’album obligé pour inscrire votre nom. Dans ce lieu, naguère, si maussade aux artistes, où les médecins étaient seuls bien venus, il n’est plus question de malades, c’est de peinture qu’il s agit. Tout pour les visiteurs. La châsse n’est plus dans l’église, elle est là au milieu de la salle. Tournant sur un pivot, on peut la voir dans tous les sens. À côté des tableaux, des deux triptyques et du diptyque, voilà des photographies qui, plus ou moins bien, les rappellent ; on vous les offre, on vous les vend. Rien n’y manque. La salle seule n’est pas changée : c’est toujours notre vieux parloir, et pour ma part je n’en voudrai pas d’autre ; mais bientôt, j’en ai peur, la salle aura son tour : les maçons ont envahi l’hospice, les cours sont pleines de matériaux. Encore un peu, et nous verrons Hemling logé dans quelque petit palais.

D’où viennent ces métamorphoses ? Est-ce un caprice de la mode, un engouement de moyen âge factice et passager ? Non ; la lumière s’est faite, et voilà tout. La gloire n’a pas été prompte pour le pauvre soldat blessé ; mais une fois venue, elle devait aller vite et grandir en marchant. Ce n’est pas en effet à quelques raffinés que cette peinture s’adresse. Son moindre prix est dans sa rareté. Il n’y a là ni tour de force ni précocité merveilleuse ; ce n’est pas, en un mot, de la curiosité, c’est de l’art, de l’art profond, de l’art durable, bien que portant encore des traces d’archaïsme et de naïveté. Je dis mieux : si vous ne tenez compte que du maniement du pinceau, de la pratique matérielle, rien ne vous avertit que trente ans ont passé entre Hemling et les deux van Eyck : il n’y a pas de progrès sensible ; on pourrait presque dire qu’il y a moins de métier. Est-ce l’effet d’un parti-pris, d’une sorte d’obstination à ne pas peindre à l’huile, à ne pas adopter l’innovation des van Eyck, à se distinguer d’eux par une fidélité systématique aux anciens procédés de l’école de Cologne ? Cette thèse a été soutenue : je n’oserais prononcer. Les chimistes eux-mêmes hésitent, comme on sait, à distinguer dans un ancien tableau, seulement à la vue, dans quelle espèce de liquide les couleurs ont été préparées. Plus on regarde de près ces peintures de l’hôpital Saint-Jean, surtout la chassé de sainte Ursule, le joyau le plus fin, sinon le plus précieux, de l’œuvre d’Hemling, plus on est tenté de croire qu’il y a là quelque chose de plus que la détrempe. Je laisse juger les experts ; mais en admettant même qu’Hemling ne se soit pas volontairement privé des ressources de la peinture à l’huile, il n’en est pas moins vrai que sa touche a l’aspect moins moderne que celle de Jean van Eyck, qu’il empâte moins son modelé, surtout dans les carnations, et procède par petites hachures apparentes tout à fait analogues au travail de la miniature sur le vélin des manuscrits. Ainsi, dans l’ordre technique, point de progrès, et même, si l’on veut, des penchans rétrogrades ; dans l’ordre moral au contraire, dans la sphère du sentiment et de la pensée, progrès immense, progrès dont j’ose à peine indiquer la mesure. Hemling est un de ces artistes qui sont de tous les siècles. Son temps ne lui impose qu’une enveloppe transparente qui laisse percer son âme. Sous un autre costume, c’est l’âme de Le Sueur : même famille et même sang. Comme le peintre de Saint Bruno, l’auteur des triptyques de Bruges connaît à fond tous les mystères des cœurs que la grâce a touchés. Sur les visages de ses saints, on lit ces joies du ciel et ces tristesses de la terre dont nous verrons aussi l’ineffable mélange dans les regards de nos chartreux. C’est la même onction, la même humilité, je ne sais quoi de chaste, de modeste et de tendre. Aussi quel ami que ce peintre ! comme son souvenir vous charme et vous nourrit ! quelles douces pensées il entretient en vous ! comme il vous initie à la puissance de son art ! Pour moi, je ne sais rien qui m’ait déterminé plus vivement dans ma jeunesse à tenter de comprendre le langage des arts que ma première visite à l’hôpital de Bruges. J’aimais la psychologie, je la croyais ma vocation ; j’appris là qu’on en pouvait faire devant l’œuvre d’autrui d’une façon plus attrayante qu’au dedans de soi-même ; j’entrevis les perspectives infinies qu’un peintre peut ouvrir, tout ce qu’il sait dire de l’âme humaine et du monde idéal. D’autres ont eu sans doute, en parlant ce langage, de plus parfaits accens : dans la famille des grands peintres, il est des génies plus complets, plus sublimes, il en est de plus souples et de plus gracieux ; mais des révélateurs plus vrais et plus directs de l’intérieur des âmes, je n’en ai guère trouvé.

Mon but n’est pas de décrire ces tableaux. Bien que trop peu nombreux, s’il me fallait montrer figure par figure tout ce qu’ils me semblent exprimer, le lecteur ne me suivrait pas : j’aime mieux l’engager à les voir ; mais je voudrais au moins en indiquer ici les divers caractères, car s’ils sont tous de même main, et presque de même date, il s’en faut qu’ils se ressemblent tous.

Et d’abord rien n’est plus différent que la célèbre châsse et le grand tableau à volets, qui fait face à la porte d’entrée. C’est d’un côté ce qu’on nomme aujourd’hui de la peinture d’histoire, de l’autre c’est de la miniature Sans doute il y a des trésors d’esprit dans ces scènes microscopiques qui décorent les parois du précieux reliquaire, sorte d’église en bois doré qui n’a guère que trois pieds de haut. Le sujet est heureux ; c’est le pèlerinage et le martyre de sainte Ursule et de ses compagnes. On suit le charmant cortège de tous ces blonds visages depuis la côte d’Angleterre jusqu’à la ville éternelle. Les détails de la navigation du Rhin, le passage à Cologne et à Bâle, la bénédiction du saint père sous les remparts de Rome, puis au retour Ursule et ses compagnes percées de flèches par de cruels soldats, tout cela est rendu avec une adresse incroyable ; mais ne vous semble-t-il pas que le fini des détails, l’éclat du coloris, la délicatesse de la touche, sont le but principal de l’artiste ? N’y a-t-il pas dans ces figures plus de finesse que de sentiment ? Les expressions sont gracieuses, jamais profondes. C’est une merveille dans son genre, mais dans un genre limité, et de même ordre à peu près que certaines peintures dont les beaux missels de ce temps sont souvent enrichis ; chefs-d’œuvre de patience, plus voisins de la bijouterie que de l’art véritable.

Dans le grand triptyque au contraire, tout est sérieux, tout est senti. On dirait qu’en se rapprochant des proportions de la nature, le peintre agrandit aussi l’échelle de ses pensées et poursuit un plus noble but. Il songe à autre chose qu’à nous séduire les yeux ; il veut nous toucher, nous convaincre. Ces figures, au moins six fois plus grandes que celles de la châsse, n’ont pas le même charme, mais elles parlent bien mieux. Ce n’est plus de la calligraphie et comme un badinage de pinceau ; point de manière, rien de banal, rien de conventionnel : autant de portraits que de têtes, et des portraits ou respire un certain idéal, bien qu’on les sente étudiés sur nature. Le sujet du panneau principal est le mariage de sainte Catherine, la mystique légende que tant de peintres ont traduite chacun à sa façon. Ici l’ordonnance est austère et le ton solennel comme les arceaux gothiques sous lesquels nous sommes introduits. La sainte, qui reçoit l’anneau de la main du divin enfant, est à genoux devant lui, au pied du riche dais sous lequel sa mère-est assise. En face d’elle est sainte Barbe, qui tient un missel à la main et semble lire à haute voix. Toutes deux sont vêtues comme les grandes dames de la cour de Bourgogne. Des deux côtés du dais, deux anges aux ailes déployées sont les témoins du mariage, et derrière eux, debout, en méditation respectueuse devant le mystère qu’ils contemplent, deux nobles figures de saints, les deux saints Jean, patrons de l’hôpital et du peintre lui-même. Sur la face intérieure des volets, encore les deux saints Jean : l’évangéliste d’un côté, dans l’île de Pathmos ; de l’autre, le précurseur mis à mort ; à l’extérieur enfin, des figures peintes plus librement, avec moins de recherche, mais peut-être plus vraies et plus nobles encore, deux frères de l’hôpital, à genoux, en prière, sous l’assistance de leurs patrons, saint Jacques et saint Antoine ; puis, vis-à-vis, deux sœurs hospitalières, agenouillées aussi et protégées par sainte Claire et sainte Agnès, deux têtes admirables dont je renonce à décrire l’ineffable expression.

Pour moi, c’est dans cette grande page et dans deux autres compositions où les figures sont à peu près de même taille, et dont bientôt je vais parler, qu’Hemling m’apparaît sous son aspect le plus puissant et le plus original. Je reconnais que le petit triptyque, de dimension moyenne, représentant l’Adoration des Mages, est une œuvre plus achevée, plus harmonieuse, et que de très bons juges lui peuvent donner la palme. Les dissonances y sont plus rares, la raideur archaïque s’y laissé moins sentir : la touche en est plus fine et plus égale ; on dirait la limpidité d’un Metzu ou d’un Gérard Dow ; seulement les figures sont encore trop petites pour se prêter à cette étude approfondie des caractères qui fait d’Hemling un peintre à part au milieu de ses contemporains. Dans ces petites têtes, il y a sans doute un charme extrême : j’admets qu’elles sont d’un style déjà plus franc et plus individuel que les figures de la châsse ; mais, comparées à celles du grand triptyque, elles manquent de cachet et de distinction. Si d’abord on se passionne pour l’Adoration des Mages, parce qu’elle est plus irréprochable, on ne veut plus quitter le Mariage de sainte Catherine quand une fois on y revient ; on s’y attache, on s’en pénètre ; sans cesse on y découvre quelque chose de plus. C’est une de ces symphonies qui semblent plus nouvelles à mesure que l’oreille les entend plus souvent.

Il est pourtant à Bruges une autre œuvre d’Hemling que je préfère encore à celle-ci. J’en aime la couleur autant que la pensée ; elle est claire, argentine et chaude en même temps. Le faire en est moelleux, bien que ferme et précis. C’est encore une étude de haute psychologie dans un délicieux tableau. Les figures, sans être des plus grandes, sont d’une proportion qui permet de tout exprimer. C’est un triptyque aussi. Le sujet du panneau central est le divin baptême dans les eaux du Jourdain. Pas l’ombre de couleur locale, je n’ai pas besoin de le dire. le Jourdain coule dans de vertes prairies, de vraies prairies flamandes ; il est limpide et profond. La tête du Sauveur, son corps surtout laissent à désirer. Le nu est toujours recueil de la peinture de ce temps, surtout dans les pays du nord. La tête, sauf qu’elle n’est pas divine, ne manque cependant pas de beauté ; mais le saint Jean, quelle sublime figure ! quelle sainte humilité ! quelle austère componction dans ces traits amaigris ! quel regard soumis et prophétique ! Puis, vers le premier plan, voyez cet ange qui vous tourne le dos, à genoux sur le bord du fleuve, préparant le précieux tissu qui tout à l’heure, au sortir des eaux, va couvrir le corps du Sauveur. Avec quelle attention, quel respect, quelle joie il accomplit son ministère ! Comme il contemple le divin baptisé ! comme il l’adore ! quelle foi et quel amour ! Cet ange est une des belles figures qui aient jamais été peintes. Sa tête, sa chevelure, le riche vêtement, la chape pontificale qui couvre ses épaules, tout est exécuté avec une hardiesse et une perfection que Jean van Eyck lui-même, a rarement égalées. Et maintenant regardez les volets, votre admiration va peut-être s’accroître : vous n’y trouvez pourtant que de simples portraits, un père et son fils d’un côté, une mère de l’autre avec ses quatre filles ; mais ces figures agenouillées sont disposées avec tant d’art dans un fond de paysage qui va se rattachant aux rives du Jourdain, elles encadrent si bien la scène principale en même temps que par leur ferveur elles y sont comme associées, ces jeunes filles ont des regards si limpides et si modestes, leur mère les recommande à Dieu de si bon cœur, le père est si loyal et le fils si honnête, ils sont tous à la fois si pleins de vie et si bien vus sous leur plus noble aspect, que cette simple scène de famille s’élève à la hauteur d’un poétique tableau. Il n’y a pas jusqu’aux arbres, aux rochers, aux gazons qui ont aussi ce double caractère de vérité et de noblesse. Il faut recommander aux peintres de paysage l’étude de ces volets : ils ont tous des leçons à y prendre, aussi bien ceux qui veulent reproduire tous les accidens du feuillage et tombent dans la découpure que ceux qui, barbouillant leurs arbres, font de la mousse au lieu de feuilles. Ils apprendront de ce vieux maître que, pour tout rendre, il faut savoir choisir. Que manque-t-il à ces grands hêtres s’élevant en bouquet dans cette gorge de rochers ? Quel détail, quel brin d’herbe le peintre a-t-il oublié ? Et cependant quelle harmonie ! Le grand Ruysdaël et Hobbema lui-même, ce merveilleux faiseur de feuilles, ont-ils mieux compris la nature ? Qu’ont-ils fait de plus vrai, de plus mystérieux, de plus rêveur que cet intérieur de forêt ?

Ce n’est pas à l’hôpital Saint-Jean qu’il faudra chercher ce chef-d’œuvre : je crois l’avoir déjà dit, c’est au musée ou, pour mieux dire, dans le local modeste où se tient à Bruges l’académie de dessin. C’est là que tout à l’heure nous avons déjà vu la Vierge au vieux Chanoine de Jean van Eyck[3]. Les deux tableaux sont dans la même salle, suspendus à la même muraille ; on veut que nous les comparions. Il y en a d’autres alentour qui peut-être sont bons ; on ne saurait le dire, tant on est peu tenté de leur donner la moindre part du temps dont on dispose. Tout semble médiocrité en regard de telles œuvres. Ne songez qu’à les comparer : ce parallèle en dit plus que toutes les théories sur la question du réalisme et du spiritualisme dans l’art. Voilà deux hommes qui sont tous les deux coloristes ; tous deux, à des nuances près, portent dans la peinture la même exactitude, le même soin la même conscience ; ils imitent tous deux, et du plus près qu’ils peuvent, en traits aussi précis, tous les détails de la nature : d’où vient donc que je remarque entre eux un si profond contraste ? Ils sont aux antipodes l’un de l’autre ; la distance n’est pas plus grande de M. Ingres à M. Delacroix, chez lesquels tout diffère, crayon, pinceau ; couleurs aussi bien que les yeux. Jean van Eyck n’éveille en nous que des idées terrestres, même quand il fait des saints ; chez Hemling, tout nous enlève au ciel, lors même qu’il ne veut peindre que les choses de la terre. Ce ne sont donc pas les moyens matériels qui font la différence, c’est l’âme de l’artiste. Ne dites plus que la couleur, la peinture ferme et solide, n’appartiennent qu’aux réalistes, que c’est un monopole qu’on ne peut leur ravir : ils ne l’ont point ; allez à Bruges, vous vous en convaincrez.

On doit comprendre maintenant comment ce nom d’Hemling, une fois sorti de l’hôpital Saint-Jean, ne devait pas rester longtemps obscur. Ce n’est pas seulement en Flandre, c’est dans toute l’Europe qu’il est aujourd’hui connu et vénéré. L’effet inévitable de ce brusque retour de fortune était de faire éclore non moins subitement une effrayante quantité de soi-disant Hemling. Partout on s’est hâté de baptiser ainsi les vieux tableaux flamands d’attribution douteuse. Il faut se défier, même à Bruges, de ces Hemling improvisés. Il en est à la cathédrale, il en est au musée, il en est même à l’hôpital, et par exemple on vous y montrera une petite Descente de Croix qui n’est pas sans mérite, mais apocryphe évidemment. Et quant à ce portrait en buste d’une femme coiffée du vieux bonnet flamand, quoique peint avec finesse et transparence, il y a tout à parier qu’Hemling n’en est pas l’auteur. Je crois pouvoir réduire à cinq les œuvres authentiques qu’il a laissées à Bruges. C’est d’abord le triptyque du musée, puis, à l’hôpital, la Châsse de sainte Ursule, le Mariage de sainte Catherine, l’Adoration des Mages, et deux petits panneaux, se repliant l’un sur l’autre, dont nous n’avons parlé jusqu’ici qu’en passant, et qui ne sont pas le moins intéressant morceau de cette admirable collection. Le côté droit de ce diptyque représente la sainte Vierge, et l’enfant Jésus dans ses bras. Sur le panneau de gauche, on voit le donateur en prières. Ce sont des figures à mi-corps, mais de même proportion que celles du grand triptyque. Les deux Vierges ont même pose, même costume, mêmes traits ; c’est presque une répétition, ou tout au moins une même pensée. Quant au donateur, il n’est pas anonyme ; nous avons et son âge et son nom : une inscription du temps l’atteste, il a vingt-trois ans et se nomme Martin van Newenhoven. Il appartient à une famille qui donna, dit-on, vers ce temps-là, des bourgmestres à la ville. Ce jeune homme est sérieux, ses traits sont énergiques et d’une individualité fortement accentuée. Rien de plus délicieux que les détails de son ameublement ; il y a surtout des vitraux peints dont on ne peut détacher ses yeux ; ce n’est ni sec ni minutieux, c’est de l’imitation vive, hardie, spirituelle, à la façon de Pieter de Hooghe. Je ne sais si, comme facture et comme souplesse de pinceau, ce n’est pas dans ce diptyque que l’artiste est le plus passé maître. C’est aussi le dernier ouvrage que nous ayons de lui. Les deux triptyques de l’hôpital sont datés de 1479, la châsse de 1480[4] ; on lit sur le diptyque : 1487.

Voilà le compte exact des richesses de Bruges ; mais n’y a-t-il donc que là des Hemling véritables ? Si jeune qu’il ait pu mourir, ce peintre, dans sa vie, n’aura-t-il fait que cinq tableaux ? Je ne le prétends pas, et me garde de contester qu’on puisse ailleurs trouver de ses ouvrages ; mais pour que ceux qu’on lui attribue aient vraiment droit à cet honneur, j’y veux trouver une sérieuse analogie avec ceux qui sont seuls authentiques, avec les Hemling de Bruges. Or, ne l’oublions pas, dans les tableaux de l’hôpital, nous avons reconnu deux genres bien différens. Les perfections qu’on admire dans la Châsse et même dans l’Adoration des Mages, vous pouvez, jusqu’à un certain point, en retrouver des traces chez d’autres miniaturistes de cette époque dont les noms nous sont inconnus. Cette finesse exquise de pinceau n’est pas un attribut d’Hemling assez particulier et assez exclusif pour que partout où on la rencontre, on se permette d’affirmer que l’ouvrage est de sa main, de même qu’elle lui est trop naturelle pour qu’on ait droit de soutenir qu’il ne vient pas de lui. Dans le champ de la miniature, la liberté des conjectures ne peut donc être limitée, de même qu’une certitude ne peut pas être établie. Ainsi je vois au Louvre deux charmans petits fragmens de triptyques, attribués à van Eyck quand ils appartenaient à Lucien Bonaparte, et achetés depuis comme œuvre d’Hemling à la vente du roi des Pays-Bas : qu’en puis-je dire ? sinon que je regarde l’attribution nouvelle comme infiniment mieux fondée que la première, qu’il y a les meilleures raisons pour que ces deux figures, si sveltes, si rêveuses, d’un ton si argentin, et qui évidemment ne sont pas peintes à l’huile, n’appartiennent pas à van Eyck, qu’il y en a même d’excellentes pour supposer qu’Hemling en soit l’auteur ; mais affirmer que lui seul le peut être, que de son temps personne n’aurait pu peindre ainsi, que dans l’école si nombreuse de Rogier van der Weyden, où, selon toute apparence, Hemling avait dû prendre ses premières leçons, il n’avait pas un seul émule qui nous ait pu laisser ces deux petits volets, qui l’oserait ? Notre terme de comparaison, c’est-à-dire le spécimen des miniatures d’Hemling que nous voyons à l’hôpital, n’a pas un caractère assez individuel pour nous tirer d’incertitude. Si au contraire je voyais quelque part des figures de demi-nature, cette proportion presque insolite à cette époque, et si dans le tableau où seraient ces figures je trouvais même touche, même modelé, mêmes expressions, même genre de composition que dans les grands triptyques de Bruges, alors, sans hésiter, je proclamerais l’auteur de ce nouveau chef-d’œuvre, n’y eût-il ni signature, ni tradition, ni aucun autre signe qui me le fît connaître, et dans ce cas l’affirmation me serait aussi facile que, dans l’autre, la réserve me semble obligatoire.

Or j’ai beau parcourir les principaux musées d’Europe et les plus riches cabinets, nulle part je n’aperçois ce frère de nos grands triptyques. Je ne le vois ni à Berlin, ni à Munich, ni dans aucune autre ville ou d’Allemagne ou de Flandre. Les Hemling qu’on me montre avec plus ou moins d’assurance sont tous des nains à côté de celui que je cherche. La taille, bien entendu, ne me suffirait pas pour établir une fraternité certaine ; mais on comprend qu’en cette circonstance elle est un signe de parenté tout à fait nécessaire. Je suis bien loin de contester que sous ce nom d’Hemling il n’y ait dans quelques galeries de délicieux tableaux ; mais tous ou à peu près sont de même famille que nos petits volets du Louvre, ou, s’il en est qui soient plus grands sans atteindre pourtant les proportions de la demi-nature, la manière dont ils sont peints, conçus et exécutés, le style, le dessin, la couleur, viennent détruire toute possibilité de les considérer comme de vrais Hemling. C’est ainsi qu’à Munich certains critiques, non moins éclairés qu’obligeans, voulant concilier les affirmations du livret avec leurs souvenirs de Bruges, en sont réduits à supposer qu’il aurait existé deux Hemling, de talent et de style tout à fait différens, à tel point que l’auteur des tableaux de Munich et le peintre de l’hôpital de Bruges n’auraient rien de commun que le nom. Ce que nous disons là des Hemling de Munich, il faut le dire aussi d’un tableau remarquable et plein de vraies beautés, mais d’une inégalité désolante, qui a récemment été légué[5] à la ville de Douai. On connaît l’origine de cette grande page qui se développe sur une longue série de volets : elle provient de l’ancienne abbaye d’Anchin ; mais l’idée de l’attribuer à Hemling n’a pris naissance que de nos jours, depuis que ce nom est à la mode. J’ai vainement cherché, en étudiant l’œuvre elle-même, une raison plausible de croire à cette attribution.

De si fréquens mécomptes m’avaient rendu comme incrédule. Aussi, lorsque dans ces dernières années j’entendis raconter qu’il y avait à Bordeaux, chez un vieux serviteur de l’empire, le général d’Armagnac, un tableau qu’il avait rapporté d’Espagne, que depuis quarante ans il gardait dans sa chambre, et qu’il donnait pour un Hemling, j’avoue que j’eus à peine la curiosité de le voir. Je croyais tout au plus à une de ces œuvres estimables et problématiques auxquelles le nom de notre peintre est trop souvent associé. Je fus donc étrangement surpris lorsqu’au premier regard jeté sur ce tableau, je me trouvai en pays de connaissance. Cette sainte Vierge assise sous un dais, c’était la vierge du grand triptyque de Bruges : même figure, trait pour trait ; la taille à peine un peu moins grande, mais la pose, l’ajustement et l’expression complètement identiques. La ressemblance était la même entre les saints patrons représentés sur la face extérieure des grands volets de l’hôpital et ce saint Dominique, ce saint Jacques, que je voyais debout des deux côtés du dais. Je ne parle pas des détails, dont les similitudes me frappaient de toutes parts ; qualité de la touche, travail du modelé, style, couleur et facture, rien n’y manquait.

La chose était donc claire ; pour cette fois, c’était un véritable Hemling, sans problème et sans contestation possibles. Aussi, lorsqu’en regardant de près les bordures du tapis jeté sous les pieds de la sainte Vierge je découvris le monogramme du peintre, tel qu’on le lit à Bruges, et avec cette différence qu’il était là sur le tableau lui-même, et non pas seulement sur le cadre, je n’éprouvai qu’une satisfaction secondaire : la preuve était surabondante ; la signature du maître était partout dans ce tableau.

Ce qui valait mieux pour moi que la découverte du monogramme, ce qui ne m’étonnait pas moins que la beauté de l’œuvre, c’était sa conservation. Le Mariage de sainte Catherine a subi en 1826 une restauration maladroite qui, Dieu merci, n’a pas atteint les parties nobles de la composition, mais qui a laissé des traces trop visibles sur quelques draperies et dans certains accessoires. Ici le bonheur veut que, depuis sa sortie d’Espagne en 1810, ce grand panneau n’ait pas été touché, et rien ne laisse apercevoir des restaurations antérieures.

Il faut pourtant le dire, si ce tableau, maintenant à Paris[6], est identique aux grands triptyques et au diptyque de Bruges par la dimension des figures, par le style et par l’exécution, s’il leur est même jusqu’à un certain point supérieur par un état de conservation plus parfaite, il n’est pas leur égal à tous les points de vue, et ne suffirait pas pour donner une complète idée du génie de l’artiste. Au lieu d’une conception entièrement religieuse et poétique, d’une œuvre d’imagination, c’est un grand portrait de famille ou plutôt le portrait de toute une tribu, tant le père et la mère ont de nombreux enfans. Ils sont dix-neuf, tous en prières, dans le chœur d’une grande église, rangés par sexe selon la coutume, les garçons moins nombreux que les filles, et de chaque côté s’échelonnant par âge. Ce spectacle naïf et un peu trop réel serait d’une symétrie presque anti-pittoresque sans le talent du peintre qui l’anime, l’échauffe et le diversifie à force d’exprimer en traits vivans la variété de ces physionomies ; mais ce qui ennoblit surtout, ce qui relève cette scène de famille, c’est la présence surnaturelle de l’enfant-Dieu, de sa sainte mère et des deux bienheureux, patrons des deux parens. Or cette scène mystique n’est ici qu’accessoire et presque au second plan, tandis que dans le Mariage de sainte Catherine nous ne trouvons aucun mélange de la réalité, pas même sur les volets, car c’est seulement à leurs revers que sont modestement placés les donateurs. De cette séparation de l’idéal et du réel résulte une clarté plus grande, plus d’unité, moins de confusion, une impression plus solennelle et plus profonde. Mais, cette réserve faite et ce chef-d’œuvre mis à son rang, n’est-il pas juste d’ajouter que l’artiste y révèle certains dons naturels à peine aperçus à Bruges, et par exemple une manière à lui de comprendre et d’interpréter les grâces du jeune âge ? Parmi tous ces portraits, il y a des têtes enfantines d’un charme inexprimable. Ce parfum d’innocence, cette fraîcheur souriante, cette souplesse de carnation, je ne vois guère que Greuze, dans un système de peinture absolument contraire, qui parfois les rencontre aussi.

Je n’ajoute qu’un mot pour indiquer un lien de plus entre l’Hemling de Paris et ses aînés de Bruges. Grâce au diptyque de l’hôpital, deux choses vous sont connues : la date de ces portraits, le nom de cette patriarcale famille. Regardez en effet ce jeune homme, non pas celui qui vient immédiatement après le père, jeune abbé déjà tonsuré, mais celui qui le suit : ’ ne nous souvient-il plus de cette énergique figure ? Elle n’est pas vulgaire, on ne peut l’oublier : regardez bien, c’est Martin van Newenhoven, le donateur du diptyque. Il avait vingt-trois ans en 1487, il peut ici en avoir deux de moins : vous avez donc la date du tableau. Et quant au nom de la famille, ce sont, vous le voyez, les Newenhoven grands et petits, qui ont eu la très heureuse idée de passer à la postérité en posant devant ce grand peintre.

Ainsi, après avoir bien cherché, nous n’avons trouvé hors de Flandre qu’un seul tableau authentiquement d’Hemling, c’est-à-dire évidemment conforme à Bon type le plus original. Un jour peut-être on en trouvera d’autres, surtout en fouillant l’Espagne : tous les chefs-d’œuvre dont Philippe II et les gens de sa cour ont dépouillé les Pays-Bas ne sont pas au fond de la mer ; mais avant qu’un heureux hasard nous cause encore même surprise, il pourra se passer du temps. Jusque-là votre unique ressource pour étudier ce maître merveilleux, ce fondateur d’un style qui par malheur s’est éteint avec lui, c’est un tableau, un seul, et qui n’est pas public. N’avais-je pas raison de dire en commençant que sans aller en Flandre on ne peut pas connaître les Flamands primitifs ?

Et ce n’est pas seulement pour ces grandes figures, pour Hemling et pour les van Eyck, qu’il faut plus d’une fois visiter Bruges et Gand ; sans descendre jusqu’à la foule, jusqu’aux derniers étages de l’archaïsme du nord, il est en Flandre, au XVe siècle et dans les commencemens du XVIe, quelques hommes de premier ordre dont on se fait la plus mesquine idée tant qu’on n’a pas, dans, leur pays, vécu quelque temps avec eux. Je ne parle pas de Lucas de Leyden, ce génie tombé dans sa fleur, qui eut à peine le temps de peindre, dont les tableaux authentiques sont introuvables même dans sa patrie, et qui ne fonde vraiment sa gloire que sur ses immortelles gravures, ce qui donne à tous les pays un droit égal à le connaître ; mais Rogier van der Weyden, ce successeur de Jean van Eyck, comment comprendre le crédit, l’immense renommée dont il jouissait au XVe siècle, sans avoir vu au musée d’Anvers l’admirable triptyque légué par M. Ertborn ? J’en dis autant de Quintin Matsys. Ce forgeron devenu peintre, dont en Europe on ne connaît qu’un seul tableau, toujours le même, cet éternel peseur d’or à la figure grimaçante, le voilà à Anvers, dans ce triptyque immense, aussi fécond, aussi hardi, aussi souple que les plus grands maîtres, et sur le volet de gauche, ce jeune page qui verse à boire à la table d’Hérode, il faut, pour l’avoir créé, être à la fois Rubens et Jean y an Eyck. On ne perd donc pas sa peine à parcourir ainsi les Flandres à la recherche des vieux maîtres flamands ; mais gardez-vous d’aller trop loin dans le XVIe siècle, n’en passez pas le seuil au-delà de la vingtième année ; vous ne trouveriez plus que des flamands bâtards, de faux italiens, des singes de Raphaël, lourds, pesans, sans esprit : les Bernard van Orley, les Mabuse, les Coxcie, les Floris, les Martin de Vos, je n’en finirais pas si je les nommais tous ; la Belgique en est inondée. Ils sont pleins détalent sans doute, mais dans les arts la bâtardise est le pire de tous les péchés. Ces soi-disant flamands, on les connaît assez sans sortir, de chez sol ; je plaindrais ceux qui pousseraient la conscience jusqu’à voyager pour eux. Aussi, quand nous reprendrons cette étude, nous franchirons le XVIe siècle, et passerons de plein saut à cette grande époque qui voit éclore l’art hollandais, et l’art flamand reprendre sa sève originale.


LOUIS VITET.

  1. Les deux volets ne sont pas tout entiers au musée de Berlin. Des huit panneaux dont ils se composaient, deux sont retournés à Gand, je ne sais comment. Ils représentent Adam et Eve. Ces deux figures sont cachées au public, faute d’être assez vêtues ; on les garde sous clé dans la sacristie, scrupule un peu tardif, puisqu’il n’est né qu’après plus de trois siècles. Rien n’est d’ailleurs plus chaste en général que les nudités archaïques.
  2. Je pourrais cependant soumettre une objection assez sérieuse, ce me semble, à ceux qui tranchent aujourd’hui cette question alphabétique au détriment de l’H et en faveur de l’M. À les en croire, la lettre initiale de la signature du peintre, dont la forme équivoque est la cause du débat, se trouve employée comme M majuscule dans plusieurs documens anciens, notamment dans un registre indicatif des biens de l’hôpital Saint-Jean en 1466, et jamais, ajoutent-ils, cette même lettre n’est employée comme un H. Notice des Tableaux du Musée impérial, p. 151. C’est cette dernière assertion que je me permets de contester, et cela sur la foi du meilleur des témoins dans la cause, c’est-à-dire des inscriptions elles-mêmes sur lesquelles on argumente, inscriptions tracées sur les cadres des deux triptyques de Bruges, et dont personne ne conteste l’authenticité. Dans ces deux inscriptions, le mot HEMLING est précédé de ceux-ci : OPVS JOHANIS, et l’H dans le mot Johanis est identiquement de même forme que la première lettre du mot Hemling, d’où il suit que si, comme on le prétend, nous devons lire Memling, il nous faudrait par la même raison lire Jomanis, ce qui est évidemment impossible. Dira-t-on que la lettre qui est un H dans le mot Johanis devient un M dans le mot Hemling, parce que dans celui-ci elle est majuscule et que dans l’autre elle ne l’est pas ? Je demanderais alors quels sont les alphabets, morne les plus barbares, qui se permettent de telles amphibologies. Que dans un même mot la même lettre affecte deux formes différentes par la raison que l’une des deux est majuscule, cela se conçoit ; mais que cette majuscule devienne dans un mot voisin une tout autre lettre, c’est quelque chose de si étrange qu’il faudrait, pour y croire, des preuves qu’on ne donne pas. Ce qui est certain au contraire malgré l’assertion déjà citée plus haut, c’est que la lettre initiale du mot Hemling, telle qu’elle est figurée dans les deux inscriptions de Bruges, était au XVe siècle employée comme un H, témoin le mot Johanis.
  3. Il existe au musée d’Anvers dans la collection van Erthorn une reproduction de ce tableau qui a la prétention d’être l’original. Je crois la prétention mal fondée. Pour moi, l’original est incontestablement à Bruges.
  4. Il parait résulter de recherches récemment faites dans les comptes de l’hôpital qu’en 1480 la châsse fut seulement commandée, mais qu’elle ne fut achevée qu’en 1486. L’exposition publique en fut même retardée jusqu’en 1489. La commande avait été faite par Adrien Reims, alors président de l’hôpital, et le peintre, entre 1480 et 1486, fit deux fois le voyage de Cologne dans l’intérêt de son travail. Il est aisé de reconnaîtra qu’il a dû étudier sur place la silhouette des monumens de Cologne.
  5. Par M. le docteur Escalier.
  6. Il appartient à M. le comte Duchâtel.