Les Pères de l’Église/Tome 3/Livre II/Chapitre XXIV


Texte établi par M. de GenoudeSapia (Tome troisièmep. 171-173).

CHAPITRE XXIV.


L’existence de Dieu ne saurait dépendre d’un calcul de lettres, de syllabes et de nombres. Les nombres et toutes les choses créées sont au contraire soumis aux lois invariables de la vérité. Un seul et même Dieu est l’auteur de tout ce qui existe ; et nous ne devons pas nous perdre dans de stériles efforts pour pénétrer la nature de Dieu, qui est trop au-dessus de notre faible intelligence.


Eh quoi ! dira-t-on peut-être, la nature des choses doit donc rester inconnue à l’homme, s’il est vrai qu’il faille rejeter les supputations de nombre, et l’on ne saurait rien savoir ni sur l’élection des apôtres, ni sur la vie miraculeuse de notre Seigneur, ni sur l’œuvre entière de la création ! À cela nous répondons : tout ce qui existe a été coordonné avec une sagesse et une prévoyance infinie par Dieu ; tout ce qui a eu lieu, soit dans les premiers temps, soit dans les temps nouveaux, a été opéré par le ministère du Verbe. Ce n’est pas le nombre trente des Æons qui explique les choses de la création, mais c’est la règle de la raison et de la vérité que Dieu a mise en nous. L’existence de Dieu ne dépend pas non plus des nombres, des syllabes ni des lettres ; mais, au contraire, les nombres et tous les objets créés sont soumis eux-mêmes à certaines lois invariables de la nature. Ce n’est pas le calcul qui naît des nombres, ce sont les nombres qui naissent du calcul : de même que Dieu n’est pas né de la création, mais c’est la création qui est née de Dieu ; tout provient de lui seul.

Tous les objets de la création, malgré leur nombre et leur variété infinie, se trouvent tous en rapport et en harmonie avec un même tout ; tandis que si on les considère séparément, et en les comparant les uns aux autres, ils paraissent contraires et opposés entre eux : c’est ainsi que les sons divers d’une harpe, mariés ensemble, produisent une agréable harmonie. Mais celui qui est charmé par ces sons divers n’ira pas dire que chacun d’eux, parce qu’il diffère des autres, est produit par plusieurs musiciens ; il sait que c’est la même main qui fait vibrer ces sons, depuis les plus aigus jusqu’aux plus graves : ainsi, dans les variétés infinies des œuvres de la création, tout tend à démontrer un même créateur qui a tout fait dans sa sagesse et dans sa bonté infinie. C’est donc à nous, qui jouissons de cette harmonie de la création, à louer et glorifier celui qui en est l’auteur, admirable également dans les choses les plus petites comme dans les plus grandes ; c’est ainsi que nous nous élevons, par l’admiration et la reconnaissance, jusqu’à l’auteur de toutes choses ; que nous pénétrons dans les mystères de ses œuvres, et que nous saisissons et leurs rapports et leur destination ; en nous conduisant ainsi, nous restons fidèles à la loi de la raison et de la vérité, fidèles à notre croyance, dans le seul et unique Dieu qui a créé tout ce qui existe.

Que s’il nous arrive de ne pouvoir nous élever jusqu’à connaître la première raison de tout ce qui existe, nous devrons réfléchir que l’homme est infiniment au-dessous de Dieu, qu’il n’est qu’une créature, et ne peut, par conséquent, être égal à son créateur, et que son intelligence finie et bornée ne saurait concevoir ni comprendre toute chose ; privilége qui n’appartient qu’à Dieu. Et en effet, comment l’intelligence de l’homme, qui est un être créé, et qui ne vit qu’un jour, pourrait-elle égaler l’intelligence de celui qui est incréé, qui est sans commencement et toujours le même. Homme, tu n’es pas incréé, tu n’es pas coexistant avec Dieu, comme l’est son Verbe. Et si peu à peu, et à l’aide de ce Verbe, tu t’élèves jusqu’à admirer l’ordre de la création, c’est uniquement à la bonté de Dieu que tu es redevable de ce nouveau bienfait.

Ainsi, en recherchant la science, ne cesse jamais d’écouter la voix de la raison, et ne deviens pas ingrat envers ton bienfaiteur, en le méconnaissant et en cherchant quelque chose au-dessus de lui. Ton Dieu est immuable, et tu ne peux rien trouver qui soit au-dessus de lui. Il est infini ; tu auras beau chercher la mesure de ses œuvres, en vain voudrais-tu pénétrer dans l’atelier de ses créations ; quand tu parviendrais à connaître la hauteur, la profondeur et la largeur de ses ouvrages, tu ne trouverais jamais que lui pour le créateur de toutes choses ; en cherchant un autre Dieu que lui, tu perdras ta raison, bien loin de perfectionner ton esprit ; et si tu persévères dans cette fausse voie, en persistant à violer la règle que Dieu nous a donnée pour nous conduire, tu en seras puni en tombant dans cette folie de croire que tu es plus grand et que tu vaux mieux que ton Créateur.