Les Pères de l’Église/Tome 1/Épître aux Magnésiens (saint Ignace)


ÉPÎTRE AUX MAGNÉSIENS.

Magnésie, bâtie sur le Méandre dans l’Asie mineure, avait envoyé son évêque Damas porter des secours et des consolations à saint Ignace, qui séjournait à Smyrne. Le saint à ses remerciements mêle de salutaires avis ; il avertit les fidèles de cette Église de s’affranchir de toute cérémonie judaïque, de s’attacher uniquement à Jésus-Christ, dont les patriarches et les prophètes avaient été les disciples avant son avénement. Il montre la foi comme le lien par lequel Dieu a voulu rattacher à lui toutes les nations. Cette épître commence par le salut suivant :


Ignace, surnommé Théophore, à l’Église de Magnésie, près du Méandre, bénie par la grâce de Dieu le père, en Jésus-Christ, notre Sauveur, au nom duquel je la salue et lui souhaite en Dieu le père et en Jésus-Christ toutes sortes de biens.


Quand j’ai su que votre charité était selon l’esprit de Dieu, je me suis empressé, dans le premier transport de ma joie, de vous féliciter de votre foi en Jésus-Christ.

Car, depuis que mes chaînes m’ont rendu digne de porter un nom d’une beauté toute divine, je me plais ainsi à féliciter les Églises, en même temps que je leur souhaite une union semblable à celle de la chair et de l’esprit dans la personne de Jésus-Christ, notre vie éternelle ; une union de foi et de charité à laquelle rien n’est préférable, une union aussi étroite que celle de Jésus-Christ avec son père : union qui élève au-dessus des persécutions du prince de ce monde, qui fait sortir triomphant de l’épreuve et met en possession du Seigneur.

Combien je m’estime heureux d’avoir été jugé digne de vous voir en la personne de Damas, votre évêque si digne de Dieu, et des saints prêtres Bassus, Apollonius, et du diacre Sotion, le compagnon de mes travaux ! Que n’ai-je pu le garder près de moi, lui, aussi soumis à l’évêque et aux prêtres, qu’on doit l’être à la grâce du Seigneur et à la loi de Jésus-Christ.

Au sujet de votre évêque, je dois vous dire qu’il ne faut pas agir envers lui avec hauteur et familiarité, à cause de sa jeunesse. Le pouvoir dont Dieu l’a revêtu vous commande d’avoir pour lui les plus grands égards. J’apprends que telle est la conduite des saints prêtres de son Église. Ils ne considèrent pas la jeunesse apparente de son ordination ; mais ils écoutent la prudence selon Dieu, et se soumettent à lui, ou plutôt à Dieu même, père de Jésus-Christ, qui est l’évêque universel.

Il faut donc lui montrer, en vue de la gloire de celui qui vous le commande, une soumission franche et non mensongère ; autrement c’est tromper, c’est outrager, non pas l’évêque que l’on voit, mais celui qui est invisible ; toute conduite de cette nature s’adresse, non pas à l’homme, mais à Dieu, qui voit le secret des cœurs. Il ne suffit pas d’être appelé Chrétien, il faut l’être en effet et ne pas ressembler à ces personnes pour qui l’évêque n’est qu’un nom, puisqu’elles font tout sans lui. Je ne pense pas qu’elles aient la paix de la conscience. Leur manière de se réunir n’est pas selon la règle, ni de nature à rassurer. Mais, qu’elles y songent, toute chose a sa fin. Deux termes sont là devant nous : la vie et la mort ; chacun trouvera celui qu’il aura mérité.

Deux sortes de monnaie, si je puis ainsi parler, circulent ici-bas : l’une de Dieu, l’autre du monde. Chacune d’elles a son effigie particulière. Les incrédules portent celle du monde ; les fidèles, par la charité, portent celle de Dieu le père en vertu de Jésus-Christ ; d’où nous vient le désir de la mort pour imiter sa passion, désir sans lequel la vie n’est pas en nous.

Comme j’ai pu, dans les personnes dont je viens de parler, contempler la foi et la piété de toute votre multitude, je ne vous recommanderai plus qu’une seule chose, c’est de toujours agir en union avec le Seigneur, regardant l’évêque comme son représentant au milieu de vos assemblées, les prêtres comme formant le sénat des apôtres, et les diacres, objets de ma prédilection, comme dispensateurs des mystères mêmes de Jésus-Christ, qui, avant les siècles, était en Dieu son père, et qui s’est révélé à la terre dans ces derniers jours.

Voilà la vie toute céleste que vous avez tous embrassée ; elle vous commande de vous respecter, de vous aimer constamment les uns les autres, de ne point voir l’homme dans votre frère, mais Jésus-Christ ; de ne rien souffrir en vous qui puisse détruire l’union, de vous attacher étroitement à l’évêque et à ses prêtres, selon le caractère et l’esprit de la doctrine incorruptible que vous professez.

De même que Jésus-Christ n’a rien fait par lui-même ni par ses apôtres sans son père, auquel il est intimement uni, ne faites rien sans l’évêque et sans ses prêtres.

Ne cherchez rien de raisonnable hors de là. Que l’unité se retrouve partout dans vos assemblées : unité de prières, unité de vœux, unité de pensées, unité d’espérance, accompagnée de la charité et de la joie la plus pure.

Jésus-Christ est un, et rien n’est au-dessus de lui. Ne voyez donc plus qu’un seul temple, qu’un seul autel du Seigneur, qu’un seul Jésus-Christ, qui sort d’un seul père, qui existe en lui seul, et qui rentre dans son unité.

Dès lors ne vous laissez pas séduire par des doctrines étrangères, ni par d’anciennes fables entièrement inutiles. Vivre encore selon la loi, c’est dire qu’on n’est pas encore sous la grâce. Mais les saints prophètes eux-mêmes ont vécu selon Jésus-Christ, et ce fût la cause de leurs persécutions. C’est sa grâce qui leur inspirait tout ce qu’il fallait dire à l’incrédule, pour le convaincre qu’il n’y a qu’un seul Dieu ; qu’il s’est manifesté par son fils ; que ce fils, son Verbe éternel, n’a jamais cessé de parler, et qu’il s’est rendu agréable, par toutes ses œuvres, à son père, qui l’avait envoyé.

Ceux qui vivaient sous la loi ont passé à de plus hautes espérances, affranchis désormais des observances légales, pour vivre selon la loi de Jésus-Christ, où se trouve pour nous la vie par la grâce et la passion de ce Dieu, que certains hommes s’obstinent encore à ne pas reconnaître ; car c’est de ce grand mystère que nous viennent le don de la foi et la force nécessaire pour nous montrer dans l’adversité de vrais disciples de Jésus-Christ, notre seul maître. S’il fut toujours l’espérance de l’homme, comment pourrions-nous vivre sans ce Dieu, dont les prophètes étaient les disciples en esprit, et qu’ils attendaient comme leur maître ? C’est parce qu’ils ont toujours su placer en lui leur espérance, qu’il est venu les visiter et les arracher à l’empire de la mort.

Que sa bonté ne trouve jamais nos cœurs insensibles. Si sa conduite envers nous se réglait sur la nôtre à son égard, quel serait notre avenir ? Devenus ses disciples, apprenons à vivre selon son esprit.

Celui qui porte un autre nom que le sien n’est pas à Dieu. Rejetez un reste de vieux levain aigre et gâté ; transformez-vous en un levain nouveau qui est Jésus-Christ, prenez de lui ce sel qui vous préservera tous de la corruption : car on vous jugera d’après l’odeur que vous aurez exhalée.

C’est un contre-sens de parler de Jésus-Christ et de judaïser. Le Christianisme ne s’est pas converti au judaïsme, mais bien le judaïsme au Christianisme, afin que toutes les nations viennent se réunir Dieu à la faveur d’une même foi.

Ce n’est pas, mes bien-aimés, que je croie qu’un seul d’entre vous pense autrement ; je veux seulement, quoique le dernier d’entre vous, vous prémunir contre l’appât trompeur de toute fausse doctrine et rendre votre foi inébranlable sur la naissance, la passion, la résurrection de Jésus-Christ, arrivées sous la préture de Ponce-Pilate, événements qui ne laissent aucun doute, aucune incertitude[1]. Il est notre espérance : puisse aucun de vous n’en être jamais exclu !

Et moi, puissé-je sous tous les rapports être digne de vous ! Quoique dans les fers, je ne mérite pas d’être comparé à un seul d’entre vous, qui êtes libres. Je ne crains pas de vous le dire : je sais que vous êtes sans orgueil, parce que Jésus-Christ habite en vous.

Aussi, plus je vous donne d’éloges, plus je vois la rougeur de la modestie se répandre sur vos visages, selon ce qui est écrit. « Le juste, quand on le loue, s’accuse lui-même. »

Appliquez-vous à vous affermir dans la doctrine de Jésus-Christ et dans celle des apôtres, afin que toutes vos œuvres, selon la chair ou selon l’esprit, dans leur principe et dans leur fin, servent à votre salut par la foi et l’amour concernant le Père, le Fils, le Saint-Esprit ; surtout si vous restez unis à votre digne évêque, aux prêtres qui forment autour de lui comme une couronne spirituelle, et aux diacres dont la vie est toute divine.

Oui, vivez soumis à l’évêque et les uns aux autres, comme Jésus-Christ l’était à son père, pendant sa vie mortelle, et comme les apôtres l’on été à Jésus-Christ, au Père, et au Saint-Esprit ; de sorte que l’union entre vous soit entière, c’est-à-dire selon le corps et selon l’esprit.

Comme je sais que l’esprit de Dieu remplit votre âme, je me borne à cette courte exhortation : Souvenez-vous de moi dans vos prières, afin que je jouisse au plus tôt de mon Dieu.

Souvenez-vous aussi de l’Église de Syrie, d’où je ne suis pas digne d’être appelé pour tant de gloire.

J’ai besoin de la sainte ligue de vos prières et du concours de votre charité, pour que l’Église de Syrie mérite la divine rosée qui féconde la vôtre.

Recevez le salut des Éphésiens qui sont à Smyrne, d’où je vous écris.

C’est pour la gloire de notre Dieu qu’ils se trouvent dans cette ville avec quelques-uns des vôtres.

Ils ont, de concert avec Polycarpe, l’évêque de Smyrne, pourvu à tous nos besoins ; les autres Églises vous saluent en Jésus-Christ.

Fortifiez-vous dans la paix et la concorde selon Dieu, pleins comme vous l’êtes de cet esprit intérieur qui n’est autre que Jésus-Christ.


  1. Combien de pareils témoignages sont propres à affermir dans la foi, quand on les voit à la naissance du Christianisme appuyés sur de pareilles autorités ! Rousseau a donc eu bien raison de dire que les faits de Socrate, dont personne ne doute, sont moins attestés que ceux de Jésus-Christ.