Les Origines de la sculpture romane

LES ORIGINES
DE
LA SCULPTURE ROMANE

Pendant les cinq premiers siècles du moyen âge on a cessé presque complètement en Europe de faire des statues. C’est là un fait considérable et les historiens l’ont signalé avec raison comme une des preuves les plus certaines que la culture antique était bien morte. A partir du Ve siècle, les écoles artistiques qui se partagent le monde ne font plus de place à la statuaire ; elle n’a pu vivre ni dans l’art byzantin, ni dans l’art musulman, ni à plus forte raison chez les peuples barbares d’Occident. Le bas-relief, destiné à la décoration des édifices ou du mobilier, fut désormais la seule survivance admise d’un art plastique.

Puis brusquement, au XIIe siècle, des écoles de statuaire reparaissent en Occident : des statues sculptées dans l’espace sont adossées aux piliers des cloîtres monastiques ou aux pieds-droits des églises romanes. Alors que l’Orient reste réfractaire à la sculpture en ronde bosse, la statuaire trouve dans les écoles provinciales de France, d’Italie, d’Espagne, d’Angleterre, d’Allemagne, un terrain merveilleux où elle développe de profondes racines. La tradition interrompue se renoue pour toujours et, malgré tout ce qu’elle emprunta à l’antiquité gréco-romaine au cours de la Renaissance du XVIe siècle, la statuaire moderne n’en est pas moins issue des œuvres lointaines dues à nos imagiers romans et gothiques. C’est en grande partie à ses écoles de statuaire que l’art occidental doit sa physionomie propre ; c’est grâce à leur développement qu’il a réussi à se dégager de l’imitation orientale, et c’est justement au XIIe siècle, au moment de la renaissance de la statuaire, qu’il commence à manifester son originalité.

Il y a donc là un double problème qui a été souvent aperçu, mais qui ne parait avoir encore reçu de solution satisfaisante. Pourquoi la statuaire a-t-elle disparu au Ve siècle et pourquoi, après une longue éclipse, reparaît-elle soudain dans notre art roman ? De quel ordre sont les raisons qui poussèrent les hommes à abandonner un art si familier aux anciens, et comment se fait-il qu’à cette répulsion ait succédé au XIIe siècle un véritable engouement pour les statues ? L’histoire de l’art présente peu de questions plus attachantes et aussi plus mystérieuses. Il est possible que l’ignorance où l’on fut longtemps de l’art du moyen âge, et de l’art oriental en particulier, ait contribué à en obscurcir les données. Mais les découvertes archéologiques de ce dernier demi-siècle ont augmenté singulièrement nos connaissances et peut-être est-il possible aujourd’hui de proposer une explication.


I

De ces deux termes du problème, c’est le premier qui a surtout attiré l’attention. L’opinion courante attribue la disparition de la statuaire à des causes religieuses, et l’on n’hésite pas à soutenir que sa décadence est en fonction même des progrès du christianisme. Un des plus récens historiens de notre art du moyen âge attribue à l’Eglise une hostilité systématique contre les statues. « Ce sont, déclare-t-il, les conceptions religieuses des clercs qui proscrivirent pendant de longs siècles la statuaire[1]. »

Il est bien certain que l’aversion pour l’idolâtrie est un des caractères essentiels du christianisme à ses origines. Dans leurs traités de morale ou d’apologétique, les Pères de l’Eglise rappellent souvent la prohibition rigoureuse du Décalogue : « Vous ne ferez point d’image taillée, ni aucune figure de tout ce qui est en haut dans le ciel et en bas sur la terre, ni de tout ce qui est dans les eaux sous la terre. » (Exode XX, 4.) Hostiles à l’art en général, saint Clément d’Alexandrie, Tertullien, Origène, saint Irénée s’attaquent en particulier aux statues, qui sont à leurs yeux comme le symbole de l’immoralité païenne. La condamnation de l’idolâtrie n’était pas d’ailleurs quelque chose de nouveau dans le monde ; sans parler des Juifs, dont la haine des idoles était telle que les Romains avaient renoncé, au moment de l’occupation de la Judée, à faire pénétrer les aigles d’argent de leurs légions dans l’enceinte de Jérusalem, on trouve, et c’est là un fait moins connu, un véritable courant iconoclaste chez les philosophes païens eux-mêmes. Six cents ans avant l’ère chrétienne, l’anthropomorphisme est condamné par les Ioniens, comme Xénophane ou Héraclite, et l’on a la preuve que le culte sans statues était aussi un des articles de foi de la communauté religieuse fondée par Pythagore. Il n’est pas rare d’ailleurs de voir les apologistes chrétiens trouver dans les œuvres des auteurs grecs et latins des argumens contre l’idolâtrie, et c’est même ainsi que beaucoup de ces opinions nous sont parvenues. C’est par saint Justin que nous connaissons un passage des comédies de Ménandre hostile aux idoles[2], et saint Augustin nous a conservé de curieuses discussions, dues à Varron, sur le même sujet[3]. Plus tard des stoïciens comme Dion Chrysostome ou des néoplatoniciens comme Maxime de Tyr entreprirent, à l’aide de leur méthode allégorique, de justifier le culte des idoles : le caractère apologétique de leurs dissertations prouve suffisamment qu’ils avaient à réfuter des contradicteurs.

Le paganisme a donc eu sa querelle des images : à plus forte raison la sculpture, condamnée par la loi mosaïque, devait choquer les premiers chrétiens, et même lorsque l’art eut acquis droit de cité dans le christianisme, des protestations ne cessèrent d’être formulées contre les abus auxquels donnait lieu l’usage des icônes. On a cité bien souvent celle d’Eusèbe qui détourne une princesse impériale de se faire fabriquer une image du Christ, celle de saint Épiphane qui ne craint pas de lacérer un tissu où l’on voyait une représentation de ce genre, celle du concile d’Elvire en Espagne (300), qui interdit formellement de peindre des images sur les murs des églises. Dans des régions très différentes, des évêques témoignèrent parfois d’une véritable ardeur iconoclaste comme Xenaïas, évêque monophysite d’Hiérapolis en Phrygie, à la fin du Ve siècle, et quelques années plus tard, Serenus, évêque de Marseille. Ces tendances aboutirent au mouvement formidable, dont les empereurs byzantins prirent l’initiative au VIIIe siècle, et qui mit en question l’existence même de tout l’art chrétien. Il est exact, d’autre part, que l’Islam, comme le christianisme, fut à sa naissance une réaction contre l’idolâtrie séculaire des Arabes : Mahomet renversa les idoles qui ornaient la Caaba, et le Coran condamne formellement la représentation de toute figure animée.

On sait que les chrétiens comme les musulmans durent atténuer par de nombreux tempéramens cette doctrine trop rigoriste. Il n’en est pas moins vrai que la haine de l’idolâtrie, commune à la chrétienté et au monde musulman, était une condition très défavorable au développement de la statuaire. Mais peut-être est-ce aller trop loin que de chercher dans la seule prohibition religieuse la cause unique de sa disparition.

Il faut remarquer en effet que les proscriptions iconoclastes, chrétiennes ou musulmanes, atteignent non seulement la statuaire, mais toute espèce de représentation religieuse, qu’elle soit peinte, sculptée ou gravée. Il a été surabondamment démontré, par exemple, que l’art arabe lui-même connaît non seulement le décor animal, mais même la figure humaine. Il s’agit donc d’expliquer comment les autres arts, tels que la mosaïque, le bas-relief, la fresque, ayant pu traverser la crise iconoclaste, la statuaire seule aurait été condamnée. Est-il possible d’admettre qu’elle fut particulièrement proscrite parce qu’elle rappelait davantage le culte des faux dieux ? Mais d’abord on ne peut citer un seul texte juridique, soit chrétien, soit musulman, qui condamne formellement cet art. Lorsque le second concile de Nicée proclama en 787 la légitimité du culte des images, il spécifia qu’il s’agissait des images « en couleur, en mosaïque ou en toute « autre matière, » et il autorisa par là implicitement la statuaire aussi bien que les autres arts.

Est-il besoin d’ailleurs de rappeler qu’il s’était développé aux IVe et Ve siècles une école de statuaire chrétienne ? Sans parler du groupe légendaire de bronze vu par Eusèbe dans la ville de Panéas et dont on attribuait l’érection a l’Hémorrhoïsse, la célèbre statue de saint Hippolyte au musée de Latran, celle de saint Pierre au Vatican, ont, malgré leurs rapports avec l’art antique, un caractère chrétien incontestable. La statuaire chrétienne est encore représentée par plusieurs effigies du Bon Pasteur, au Vatican ou au. Musée impérial Ottoman, analogues sans doute à celles dont Constantin avait, au témoignage d’Eusèbe, orné les places publiques de Constantinople. Le même empereur avait érigé une statue de bronze du Christ au-dessus de la porte de la Chalcé qui servait de vestibule au palais impérial de Byzance ; d’autres statues de la Vierge et de l’Enfant-Jésus avaient été placées par ses soins auprès de la Colonne de porphyre[4]. Il suffit enfin de considérer certains sarcophages romains ou artésiens pour comprendre que le modelage et le haut-relief ne sont pas entièrement étrangers à l’art chrétien : les personnages sculptés sur leurs panneaux se détachent parfois aux trois quarts du fond auquel ils sont adossés. La tradition de la sculpture religieuse parait même s’être conservée à Rome assez longtemps et la chronique ; officielle des papes mentionne au VIIIe et jusqu’au IXe siècle l’érection dans les basiliques romaines de statues d’argent doré dédiées au Rédempteur et à la Vierge[5]. Bien que ces œuvres « ornées de pierres précieuses, » et sans doute de petites dimensions, relèvent autant de l’orfèvrerie que de la sculpture, elles n’en sont pas moins une survivance de la statuaire.

De même la tradition des effigies impériales élevées sur les places publiques, soit au sommet de colonnes triomphales, soit sous la forme de statues équestres, s’est perpétuée à Constantinople et à Rome jusqu’au IXe siècle. L’auteur anonyme d’un guide de Constantinople, qui écrivait à la fin du Xe siècle, nous a laissé l’énumération de toutes ces œuvres : les dernières qu’il mentionne sont celles de l’impératrice Irène et de son fils Constantin VI[6]. Les cochers vainqueurs aux luttes de l’Hippodrome conservèrent même, selon un usage fort ancien, comme en témoigne l’Aurige de Delphes, le privilège d’avoir leurs statues. Enfin nous savons par un grand nombre de sources que les places et les rues de Byzance avaient été transformées par les empereurs en un véritable musée où étaient venues s’accumuler toutes les merveilles arrachées aux temples païens, le Jupiter de Dodone, le colosse d’Apollon dû à Phidias, le groupe de Persée et d’Andromède d’Iconium, les chevaux de bronze qui ornent aujourd’hui la façade de Saint-Marc de Venise et une quantité prodigieuse de chefs-d’œuvre qui furent détruits en grande partie au moment du pillage de Constantinople par les croisés en 1204.

Il en fut d’abord de même en Occident. A Ravenne, Théodoric fit placer sa statue de bronze sur un cheval qui avait été d’abord destiné à supporter l’effigie de l’empereur Zénon. Charlemagne fit transporter plus tard cette œuvre comme un trophée de victoire à Aix-la-Chapelle. Le goût pour la statuaire antique était encore assez grand au VIe siècle pour que le même Théodoric protégeât par des mesures spéciales « le peuple abondant des statues, le troupeau innombrable des coursiers » qui ornaient encore les places et les rues de la Ville éternelle. Un voyageur syrien, venu à Rome dans la première moitié du VIe siècle, nous donne une statistique édifiante des œuvres d’art qui avaient échappé aux pillages de Genséric : 80 grandes statues d’or des dieux, 66 statues d’ivoire des dieux, 3 785 statues de bronze, 22 grands chevaux de bronze, 2 colosses[7].

Tous ces témoignages forment un ensemble qu’il est impossible de récuser. Si la statuaire n’avait éveillé chez les chrétiens que des souvenirs odieux, si l’Eglise avait vu dans son existence quelque danger pour le salut des âmes, on ne comprend pas comment des princes qui se disaient les défenseurs de l’orthodoxie se seraient plu à embellir ainsi leurs capitales au détriment des intérêts religieux de leur peuple. Il semble du moins que des voix courageuses se seraient élevées quelquefois pour condamner cette pratique : or on ne peut citer aucune protestation de ce genre.

Les explications qu’on a proposées jusqu’ici pour rendre compte de la décadence de la statuaire ont donc un caractère trop simpliste. Le seul sentiment religieux ne peut en être rendu responsable. Les iconoclastes, chrétiens ou musulmans, ne se sont pas acharnés plus particulièrement sur les statues que sur les peintures et si, de tous les arts, ta statuaire seule a succombé à leurs attaques, c’est sans doute à la diffusion dans le monde d’une nouvelle doctrine en matière d’art qu’il faut attribuer ce phénomène.


II

Pendant près de mille ans en effet l’hellénisme lit triompher dans l’art sa conception à la fois plastique et naturaliste de la beauté. On sait à quel point la fortune des sculpteurs grecs fut prodigieuse : au service des dynastes asiatiques ou des empereurs romains, appelés au même moment par les cités gauloises ou africaines et par les rajahs hindous du lointain Gandhara, ils fournirent des idoles à toutes les religions, des effigies et des symboles à toutes les puissances. Ils poussèrent jusqu’à la perfection l’art du modelage et presque seuls ils eurent dans l’antiquité la science des proportions du corps humain et le sens delà vérité dans les attitudes. La sculpture dans l’espace domine l’art grec tout entier. Non seulement elle permit de couvrir les villes et les places d’un peuple de statues, mais les édifices eux-mêmes relevèrent de son autorité et le modelage servit à profiler dans l’espace les lignes de l’architecture. Les Grecs eurent de l’art une conception exclusivement plastique.

L’évolution de l’art oriental est toute différente. À l’aurore de son histoire, en Chaldée vers le vingtième millénaire, au temps de Goudea et d’Our-Nina, en Egypte à l’époque de l’ancien empire, l’Orient connut des écoles de statuaire. Des œuvres comme le Scribe accroupi du Louvre ou le « Cheik-el-beled » de Boulacq montrent avec quelle délicatesse et quelle précision les maîtres égyptiens savaient rendre les caractères ethniques de leurs modèles. Mais ces qualités très réelles ne tardèrent pas à être étouffées par la recherche de la pompe et du hiératisme. Loin de se développer et de se perfectionner comme en Grèce, la statuaire orientale perdit de plus en plus tout contact avec le modèle vivant.

Dans ce domaine comme dans les autres, les Orientaux manifestèrent leur préférence pour les gestes symétriques et hiératiques : la statue de majesté assise et immobile, l’orant aux deux bras levés ou l’atlante, dont les épaules supportent une architrave, tels sont les sujets de prédilection de la statuaire égyptienne. Devant l’invasion de l’hellénisme qui se produisit en Orient après les conquêtes d’Alexandre, la statuaire indigène ne fut pas longue à disparaître. Il y eut un compromis entre les. formules artistiques du vieil Orient et les procédés de l’art grec. Telle fut l’origine des ateliers qui couvrirent de leurs œuvres les grandes villes hellénistiques, Alexandrie, Antioche, Rhodes, Pergame, Ephèse. La culture indigène ne fut pas toutefois entièrement détruite, et c’est là un fait que les découvertes de ces dernières années ont contribué surtout à mettre en lumière. Tandis que l’art hybride des grandes villes faisait la conquête de l’Empire romain, dans les régions continentales des pays d’Orient, à l’intérieur du plateau d’Anatolie, en Perse, en Syrie, en Egypte, les procédés de l’ancien art oriental résistèrent à l’invasion de la mode hellénique.

Ce furent justement ces territoires qui devinrent à la fin de l’antiquité les centres d’une vraie renaissance nationale. Au même moment, les langues indigènes reparaissent dans les inscriptions à côté du grec (à Palmyre par exemple), le paganisme est abandonné pour les religions orientales ou le christianisme, enfin il n’est pas jusqu’au domaine de l’art où l’hellénisme ne subisse aussi de profondes défaites. Dès le Ve siècle on trouve en Orient un art national mésopotamien, un art national syrien et un art national copte.

Il est un trait commun à toutes ces écoles : c’est leur aversion pour la sculpture dans l’espace et le modelage. Les arts plastiques n’y sont guère représentés que par des bas-reliefs qui couvrent des panneaux de pierre et de bois ou ornent les nombreux objets d’ivoire en usage à cette époque. La statuaire ne tient plus aucune place dans un art qui devient de plus en plus essentiellement décoratif. Des monumens considérables, comme les églises syriennes ou le palais de Mschatta dans le pays de Moab, étaient dépourvus entièrement de statues. La mode même de constructions en briques qui tend alors à prévaloir en Orient, est réfractaire par nature à toute décoration tirée du modelage. Pour dissimuler l’intrados des coupoles ou pour revêtir les murailles, on employa comme dans l’ancienne Perse les panneaux de faïence émaillée, les grandes compositions en bas-relief, les mosaïques à fond d’or et aussi les étoiles précieuses.

Telle est, à partir du Ve siècle, la nouvelle forme d’art qui tend à se répandre dans le monde entier et à éliminer les traditions hellénistiques. Non seulement Constantinople et l’art byzantin en sont tributaires, mais son influence s’exerce sur les contrées les plus lointaines de l’Occident, comme le prouvent les rapports incontestables que la miniature irlandaise présente avec l’art copte. La rénovation religieuse de l’Islam marqua enfin pour cette conception artistique l’heure du triomphe définitif. Le développement des arts musulmans n’est que le terme de l’évolution séculaire qui éloignait de plus en plus les Orientaux du naturalisme. La meilleure preuve que la nouvelle formule décorative était parfaitement adaptée à leur tempérament, c’est que, depuis ces époques lointaines, ils ne l’ont pour ainsi dire jamais abandonnée et qu’aujourd’hui encore c’est elle qui inspire les productions abâtardies de leurs arts industriels.

Ce fut cette expansion dans le monde de l’« orientalisme » artistique qui condamna la statuaire à une mort irrémissible. Il ne faut pas croire en effet que l’accroissement de la barbarie suffise à expliquer cette disparition. Si le secret du modelage s’est perdu, c’est parce que le goût était ailleurs. Les artistes les plus habiles ne songeaient plus à se perfectionner dans une discipline qui n’excitait plus que l’indifférence, et c’est dans d’autres techniques qu’ils s’appliquaient à déployer toutes les ressources de leur invention. A défaut de la statuaire en effet, la sculpture n’en a pas moins continué à subsister, profondément modifiée, il est vrai, par la destination qu’on lui donnait désormais et par les procédés nouveaux introduits dans sa technique. On assiste au moyen âge à ce développement paradoxal d’écoles de sculpture redevables de leurs procédés à des techniques aussi éloignées que possible des arts plastiques, telles que l’orfèvrerie ou la tapisserie. Le modelage est alors réduit à sa plus simple expression et il finit même par être éliminé tout à fait.

L’histoire de la sculpture byzantine est à cet égard des plus instructives et l’on peut suivre de siècle en siècle sa transformation suivant les formules de l’Orient. Au moment où Constantin fonde sur le Bosphore sa Nouvelle Rome, l’art des grandes villes hellénistiques règne encore, mais fortement imprégné déjà d’ornemens orientaux. La statuaire, religieuse ou officielle, concourt à la décoration de la nouvelle capitale, mais déjà de nouveaux procédés de sculpture apparaissent : les fonds d’ornemens sur lesquels se détachent les statues des sarcophages dits d’Asie Mineure sont obtenus à l’aide du trépan, instrument qui perce la pierre au lieu de la modeler comme le ciseau. Aux masses largement traitées et destinées à se grouper en un profil d’ensemble se substituent des surfaces surchargées de détails qui, cernés en quelque sorte par les trous creusés au trépan, semblent s’enlever en clair sur un fond obscur. L’effet maximum de relief est obtenu ainsi avec le minimum de modelage et cette recherche du trompe-l’œil sera désormais le but de la sculpture. L’ornement au trépan domine l’art byzantin du Ve siècle et caractérise les chapiteaux à feuilles d’acanthe dits théodosiens. Il n’est pas rare de le voir s’allier à l’ornement modelé, en particulier sur les chapiteaux où les volutes d’angle sont remplacées par des êtres animés, aigles, béliers, griffons, anges, etc. Quelques œuvres de cette époque d’incohérence étaient d’abord modelées à l’aide du ciseau, puis reprises dans le détail avec le trépan. Tels sont les curieux chapiteaux de Ravenne et de Saint-Marc de Venise dont les larges feuilles semblent couchées dans la même direction par un vent violent. Chacune de ces feuilles a été modelée par masses, puis sa surface a été ensuite littéralement criblée de coups de trépan.

Plus tard, au VIe siècle, à l’époque de Justinien, un procédé plus savant et plus décoratif, mais destiné à produire le même effet, est employé couramment dans la sculpture byzantine. Sur les admirables tympans qui séparent les arcades dans la nef de Sainte-Sophie, sur les gros chapiteaux cubiques de la même église, sur les chapiteaux plus petits de la petite Sainte-Sophie, de Saint-Vital de Ravenne, de Saint-Marc de Venise, les motifs d’ornement, au lieu d’adhérer au fond, n’y tiennent que par leurs extrémités et sont entièrement découpés comme un grillage de marbre. L’ombre produite par les découpures a pour effet de mettre les motifs, feuilles d’acanthe, oves, rais-de-cœur, en pleine lumière, et l’impression de relief est obtenue d’une manière plus parfaite encore qu’avec la technique du trépan. Les maîtres byzantins de l’âge de Justinien traitèrent cette « sculpture à jour » avec une véritable virtuosité : on peut dire que la décoration intérieure de ; Sainte-Sophie est le chef-d’œuvre de cette technique. L’effet produit est celui d’une admirable étoffe dont les motifs baignés de lumière tranchent de la manière la plus nette sur l’obscurité du fond ; l’impression de douceur est la même que celle que produisent les plus beaux tapis persans,

Comme la technique du trépan, la sculpture à jour se conciliait parfois avec le modelage et nombreux sont les chapiteaux dont la corbeille, imitée d’un travail de vannerie, est surmontée d’oiseaux au repos ou aux ailes éployées. Les traditions helléniques se maintenaient à Byzance, puisque nous savons qu’on y élevait encore des statues. On frémit d’ailleurs en songeant aux formes barbares que devaient enfanter ces sculpteurs dégénérés. Le dessin, fait au XVe siècle, de la statue de Justinien nous laisse voir un corps d’enfant aux formes grêles que semble écraser le poids d’une énorme coiffure en plumes de paon. Quelques bas-reliefs du Musée impérial Ottoman, l’ambon de l’Adoration des Mages, les bustes des Evangélistes, le Baptême du Christ sculpté sur un fût de colonne ont encore un certain accent de vérité. Chaque jour cependant se perdent la science des proportions et le sens de la vie. L’humanité des sculpteurs de cette époque devient de plus en plus monstrueuse : sur des corps lourds et trapus s’élèvent des têtes démesurées et le sourire mais des temps archaïques revient animer les figures de cette sculpture en enfance. On sent que la survivance de cet art est due au seul respect de la tradition : l’intérêt politique que les empereurs avaient à ériger leurs propres statues sur les places publiques prolongea sans doute de quelques siècles l’agonie de la statuaire.

Cette tradition elle-même disparut pendant la querelle des images qui fut pour l’art comme pour la société le point de départ d’une ère nouvelle. Les monumens qui datent d’une manière certaine de cette époque sont malheureusement très rares ; du moins ceux des Xe et XIe siècles sont là pour attester le changement profond qui se produisit alors dans le développement de l’art byzantin. Le mouvement iconoclaste, qui débuta avec l’édit de Léon l’isaurien en 726 et qui trouva sa législation dans les décrets du concile d’Hieria en 753, n’a pas un caractère exclusivement religieux ; ce n’est pas la seule vénération des images qu’il met en cause, c’est la question de la légitimité même d’un art chrétien. Non seulement le culte des images fut condamné, mais les images elles-mêmes furent partout détruites avec acharnement. Il y a des ressemblances réelles entre le point de vue iconoclaste et celui des musulmans, et d’ailleurs on sait aujourd’hui que la doctrine religieuse de Léon l’isaurien vint d’Orient. Envisagé dans ses conséquences artistiques, le mouvement est en réalité une nouvelle invasion d’orientalisme qui faillit emporter pour toujours ce qui restait encore des traditions helléniques.

On sait qu’après avoir été imposée quelque temps par la force, la nouvelle doctrine, qui heurtait trop le sentiment populaire, fut abandonnée une première fois en 780, à l’avènement de Constantin VI et d’Irène ; puis, après un retour offensif qui fut éphémère (813-842), l’église grecque la condamna d’une manière définitive. Mais si la doctrine théologique des iconoclastes fut ainsi ruinée sans espoir de retour, il s’en faut de beaucoup que la révolution artistique tentée par eux n’ait laissé aucune trace. En architecture par exemple, c’est à cette époque qu’à la coupole sur pendentifs succède dans les églises le dôme persan supporté par des trompes d’angle. Mais si nous nous en tenons au domaine de la sculpture, nous constatons des changemens profonds. Et d’abord la statuaire disparaît pour toujours de l’art byzantin : Irène et Constantin VI paraissent être les derniers souverains qui aient orné les places publiques de leurs effigies. La célèbre statue du Christ qui surmontait la Porte de Chalcé au Palais Impérial avait été détruite par ordre de Léon l’Isaurien ; lorsque Irène eut restauré le culte des images, elle fit rétablir à cet endroit une image du Christ, mais qui fut exécutée en mosaïque[8]. Il n’est plus désormais de statue qu’on puisse attribuer à l’art byzantin.

Trois procédés techniques sont usités désormais dans la sculpture byzantine jusqu’au XVe siècle. Le seul qui se rattache aux traditions helléniques est celui de la sculpture en méplat ; malgré la faiblesse de son relief cette sculpture fait encore une certaine place au modelé qu’indiquent soit de simples traits, soit de faibles ressauts. Il y a de grands rapports entre ce travail et celui de l’ivoirier : en fait, beaucoup de ces icônes de pierre, telles que les admirables archanges de la façade de Saint-Marc de Venise, par exemple, ressemblent à des agrandissemens de certaines feuilles de triptyques du XIe siècle.

Une autre catégorie de monumens s’éloigne au contraire franchement des traditions antiques : on y trouve, reproduits sur le marbre et la pierre, les motifs des étoffes précieuses et les dessins de la passementerie qui tenaient une place si importante dans le mobilier civil et religieux. Ce ne sont pas seulement les sujets qui décoraient ces étoffes, animaux affrontés ou adossés, palmettes stylisées, mais jusqu’à leurs détails techniques, jusqu’aux points de broderie qui sont copiés minutieusement. L’engouement pour ces étoffes orientales était tel que l’on allait jusqu’à figurer sur des panneaux de marbre destinés aux églises chrétiennes les inscriptions en caractères coufiques qui encadraient parfois les étoffes musulmanes. In des plus curieux spécimens de ces monumens fait partie du musée byzantin d’Athènes. Il représente deux lions affrontés, la tête renversée, la langue pendante, les grilles posées symétriquement sur le tronc et les feuilles du « hom » ou arbre sacré. On peut reconnaître facilement dans les tresses et les lignes striées qui représentent la racine de l’arbre ou la crinière des lions, les différens points de broderie appartenant au modèle ; une inscription en coufique fleuri court sur les montans ; d’après la forme de ses caractères, l’étoffe ainsi copiée pourrait remonter au début du XIe siècle[9]. Cette « sculpture-broderie, » comme on peut l’appeler, est évidemment la négation même des principes qui régissent les arts plastiques ; elle témoigne de l’importance prise dans l’art byzantin après la querelle des iconoclastes par les élémens orientaux.

Il en est de même des monumens de la troisième catégorie : la technique dont ils relèvent est familière à l’art arabe et peut être désignée par l’expression de « sculpture champlevée. » Elle est bien l’aboutissement logique de la tendance qui poussait les artistes à renoncer au modelage et à lui substituer, pour obtenir des effets de relief, le contraste entre l’éclairage des motifs et les ombres du fond. Sur les corniches et sur certains chapiteaux de Saint-Marc de Venise, des églises de Daphni et de Saint-Luc en Phocide les contours des motifs, feuilles, palmettes, animaux, sont réservés sur un fond qui, d’abord légèrement creusé, est rempli d’un mastic sombre sur lequel les sujets s’enlèvent en clair. C’est la technique des émaux champlevés, rhénans ou limousins. C’est à peine si l’on peut considérer comme de la sculpture un procédé qui ne laisse plus la moindre place au modelage et ne représente guère que la silhouette des objets. Or c’est après la querelle des images qu’on trouve cette pratique implantée dans l’art byzantin où elle est encore en usage au XVe siècle, comme en témoignent les spécimens si nombreux trouvés a Mistra[10].

Tel est dans ses grandes lignes le développement de la sculpture byzantine : on voit que les procédés inspirés des techniques orientales n’y laissent plus aucune place à la statuaire. La sculpture a perdu sa destination propre, qui est de représenter des objets dans l’espace ; elle ne sert plus qu’à couvrir d’ornemens certaines surfaces et elle est employée au même usage que les mosaïques ou les revêtemens de marbres précieux dont elle forme parfois le cadre.

Les arts musulmans ne connaissent pas davantage la statuaire. Le calife de Cordoue du VIIIe siècle, Abderrhaman, qui, au grand scandale de ses sujets, éleva à sa favorite une statue dans son palais, paraît avoir trouvé peu d’imitateurs, et encore est-il permis de croire qu’il attribua simplement à une statue antique de Flore le nom de celle qu’il voulait honorer. Les seuls exemples d’objets modelés par des musulmans sont fournis par quelques bronzes de petites dimensions, tels que les récipiens en forme d’animaux connus sous le nom d’aquamaniles, assez communs dans les collections. A part quelques chapiteaux traités en méplat, la technique qui domine dans l’art arabe, soit sur les panneaux décoratifs de pierre, soit sur les œuvres de menuiserie comme les chaires des mosquées, est celle de la sculpture champlevée telle qu’elle s’est introduite dans l’art byzantin.

Enfin l’on peut dire que tous ces procédés de sculpture furent importés aussi en Occident dès les temps barbares et y restèrent en usage jusqu’à la période gothique. On retrouve la sculpture au trépan, la sculpture à jour, la sculpture-broderie, et même la sculpture champlevée tant sur les débris qui nous sont parvenus de l’époque mérovingienne que dans les grands ensembles constitués par les chapiteaux et les façades de nos églises romanes. Certains rapprochemens curieux permettent d’affirmer la communauté d’inspiration qui apparaît dans toutes les écoles de sculpture du moyen âge. : Tels oiseaux alternativement affrontés et adossés, avec les queues entre-croisées, sur un chapiteau du musée des Augustins de Toulouse, sont reproduits d’une étoffe persane, dont le dessin devait être très voisin de celle qui inspira les sculpteurs des beaux chapiteaux aux aigles du narthex de Saint-Marc de Venise et ceux du portique sud, à Sainte-Sophie de Trébizonde. Les portes en bois de la cathédrale du Puy sont une œuvre de menuiserie champlevée, où l’on voit dans des compartimens accompagnés d’inscriptions latines toute la vie du Christ. Mais l’encadrement de cette œuvre éminemment chrétienne est formée par une inscription coufique défigurée qui reproduit à peu près la formule si connue : « Il n’y a d’autre Dieu qu’Allah ! » Cette œuvre relève évidemment de la même inspiration que le bas-relief aux lions du musée d’Athènes.

Le fait qui domine toute l’histoire de la sculpture médiévale est donc la substitution au modelage de procédés susceptibles de donner l’illusion du relief. L’aversion pour le naturalisme, la prédilection pour les motifs irréels, le parti pris de « styliser » la nature et de réduire les formes végétales ou animales, et même la figure humaine, à la régularité et à la symétrie, tels sont les principes que l’on trouve appliqués au même moment dans les édifices byzantins, dans les mosquées arabes et dans les églises romanes. Et pourtant, malgré ces élémens communs, le développement de ces trois formes d’art fut différent. L’art musulman n’a cessé de restreindre au minimum le rôle de la sculpture et de la figure humaine. L’art byzantin a dû, au contraire, à la victoire des images la conservation d’élémens helléniques. Enfin dans l’art occidental où ces méthodes de sculpture, importées d’Orient, avaient d’abord trouvé un terrain favorable, une révolution s’est accomplie au XIIe siècle : à côté de la sculpture décorative exécutée suivant les principes de l’Orient, le modelage a reparu et des écoles de statuaire se sont formées. Quelles sont les causes directes de cet événement ? Tel est le second terme du problème que nous avons à examiner.


III

L’art occidental de l’époque barbare vécut presque exclusivement d’importations et d’imitations. Ce n’est pas trop de dire que, du VIe au Xe siècle, le plagiat et la copie du modèle antique ou oriental forment l’unique méthode de travail. La sculpture subit donc la même évolution qu’en Orient : elle atteint même sur certains sarcophages mérovingiens, où les sujets sont simplement gravés au trait, les limites extrêmes de la barbarie. La statuaire ne pouvait donc trouver aucune place dans un pareil milieu et le rôle même de la sculpture se restreignit de plus en plus. Dans le chapitre de son encyclopédie consacré à « l’ornementation des édifices, » Isidore de Séville énumère comme procédés de décoration les plafonds caissonnés, les revêtemens de marbre, les mosaïques, les stucs, la peinture : de statues ou même de sculptures sur pierre il n’est nullement question. Cet éloignement pour les arts plastiques s’est même fait sentir sur les œuvres plus minuscules de la glyptique, et l’on a constaté qu’à partir du Ve siècle on ne trouve plus sur les pierres fines que des représentations informes et barbares[11] ; on prit même le parti de graver simplement sur verre les scènes et les sujets qu’on voyait autrefois sur l’agate, le jaspe ou le cristal.

Malgré ces conditions défavorables, la sculpture décorative ne disparut pas tout à fait, comme en témoignent les panneaux sculptés, chancels, devans de sarcophages, autels, etc., couverts d’une passementerie d’entrelacs ou de rinceaux stylisés et d’animaux symboliques. Les ressemblances frappantes que l’on constate dans ce domaine comme dans celui de la miniature, entre les productions franques, visigothiques, italiennes, anglo-saxonnes, montrent suffisamment la dépendance commune de tous les pays barbares vis-à-vis de l’Orient. Dans l’empire de Charlemagne, les communications fréquentes entre les écoles épiscopales et les ateliers monastiques contribuèrent à sauvegarder l’unité de la culture et du développement artistique : entre les œuvres d’ateliers aussi éloignés que Tours et Saint-Gall, par exemple, il n’y a pas de différences essentielles.

Mais à partir du Xe siècle il ne reste plus rien ni de l’unité politique, ni de l’unité intellectuelle. Les guerres civiles et les invasions normandes ou sarrasines ont ruiné la prospérité économique et rendu très difficiles les communications d’un pays à l’autre. Chaque canton s’est en quelque sorte replié sur lui-même, et l’horizon des hommes s’est rétréci aux limites de leur pays natal. Dans les monastères où s’étaient conservés quelques élémens de culture on continua sans doute à imiter et à copier les modèles dont on disposait, mais ils étaient différens suivant les régions, et parfois même ils vinrent à manquer. Il semble que ces moines-artistes, poussés par une nécessité inéluctable, se soient résolus avec beaucoup de répugnance à puiser dans leur propre fonds. En beaucoup d’endroits, les marbres antiques, dont on se servait pour revêtir les murs des basiliques, firent défaut, et l’on prit le parti d’employer pour les édifices les matériaux mêmes du pays. Les conditions de l’architecture et de l’art ornemental furent bouleversées par ce changement et, à une époque difficile à déterminer dans l’état actuel de nos connaissances, se dessinèrent les premiers linéamens de nos écoles provinciales d’architecture.

Or c’est aux représentans de l’une de ces écoles qu’il faut, à notre sens, faire honneur d’avoir retrouvé le secret de la statuaire. Les premières statues occidentales, sculptées sous les trois dimensions, furent exécutées dans les provinces du centre de la France, et c’est à une l’orme originale prise par le culte des reliques qu’on doit cette innovation.

Il est inutile d’insister sur la place prépondérante que la vénération des « corps saints, » comme on disait alors, tenait dans les préoccupations des hommes depuis les premiers siècles de l’ère chrétienne. Des pèlerins de toute race et de tout pays n’hésitaient pas à entreprendre les voyages les plus périlleux pour aller vénérer les reliques qui reposaient dans les sanctuaires célèbres, à Rome, à Constantinople, en Palestine. Chaque monastère, chaque église cherchait à posséder quelques parcelles de ces trésors, et Charlemagne passait pour avoir envoyé, dans toute l’Europe, des moines chargés d’en récolter. Les corps des saints étaient ensevelis à l’origine dans des sarcophages précieux, mais de très bonne heure on prit l’habitude, blâmée par Guibert de Nogent, d’en séparer certaines parties et de conserver à part quelques pièces de leurs vêtemens. Ces fragmens furent en général déposés dans des chasses (capsæ, arcæ) : c’étaient des sortes de coffres analogues à de petits sarcophages, dont la cuve rectangulaire était surmontée d’un toit à double rampant. Tel est l’usage universel suivi dans la chrétienté depuis une époque très reculée, comme le prouve le curieux reliquaire de Saint-Trophime du musée de Brousse : ce petit monument, que l’on date du IIIe siècle, est la reproduction à très petite échelle d’un sarcophage de type asiatique[12].

Mais par une innovation qui, nous allons le voir, parut aux contemporains une grande hardiesse, il arriva que, dans certaines provinces reculées du Massif central et du midi de la France, on eut l’idée de conserver les reliques dans l’intérieur de statues qui représentaient le saint même auquel elles appartenaient. Ces statues-reliquaires, exécutées en bois recouvert de métal, sont les premières œuvres qu’on ait modelées dans l’espace depuis la fin de l’antiquité. Par un hasard exceptionnel nous possédons un double témoignage qui nous permet de déterminer les conditions dans lesquelles eut lieu cette renaissance de la statuaire : c’est, d’une part, la célèbre statue de sainte Foy conservée au trésor de Conques en Rouergue, de l’autre, le récit d’un pèlerinage à Conques entrepris au début du XIe siècle par un clerc de Chartres et intercalé par lui dans son Livre des Miracles de sainte Foy[13].

La statue d’or de sainte Foy est célèbre depuis qu’elle a figuré à l’Exposition Universelle de 1900 sous une vitrine du Petit Palais ; mais, si l’on veut comprendre l’influence que cette statuette barbare à figure d’idole exerça jadis sur les préoccupations des hommes, c’est chez elle qu’il faut aller la contempler, dans la basilique, grande comme une cathédrale, qui couvre de son ombre le hameau suspendu au-dessus des gorges sauvages de l’Ouche. Malgré tant de révolutions, le décor n’a pas beaucoup changé depuis les temps lointains où des foules accourues de tous les pays d’Europe campaient au milieu de cette nature pittoresque. La statue d’or règne toujours là, au milieu d’un trésor de légende, où s’accumulèrent au cours des siècles les pièces de massive orfèvrerie, les tables d’autels, les monstrances, les chasses, les reliures d’évangéliaires. L’or, l’argent, l’ivoire, les émaux, les pierres précieuses resplendissent autour de cette œuvre unique au monde et lui composent un cadre à souhait.

Assise sur un trône carré dont le dossier et les montans sont semés de croix symétriques, tandis que des boules de cristal de roche amortissent les bras, la sainte penche légèrement la tête en arrière et lève ses deux bras au même niveau, dans un geste d’orante. Sa tête, grosse et ronde, est coiffée d’une couronne fermée en forme d’hémisphère ; ses yeux de verre bleu et d’émail blanc regardent dans le vide avec une fixité obsédante ; les pieds démesurés, chaussés de souliers pointus, sont posés à plat ; le costume très simple est presque entièrement dissimulé par les somptueux ex-voto d’orfèvrerie de tout âge et de toute provenance qui la couvrent littéralement de la tête aux pieds. Pendans d’oreilles garnis de pierreries, gemmes et camées antiques, cabochons de toute nature, plaques d’or et d’argent travaillées au repoussé, fournissent des spécimens de l’art de toutes les époques. Déjà au temps où les clercs de Chartres vinrent à Conques, on admirait sur la statue cette abondance de joyaux ; on racontait même qu’elle apparaissait en songe aux pèlerins pour leur réclamer leurs bracelets, leurs anneaux, leurs pendans d’oreilles, et ceux qui résistaient à ses demandes ne tardaient guère à s’en repentir.

Cette statue est bien celle qui fut vénérée en l’année 1013 par Bernard, écolier de Chartres, ainsi qu’on peut s’en rendre compte en la comparant à la description pittoresque qu’il en donne : « L’image est faite d’or le plus pur et les diverses parties de ses vêtemens sont séparées par des rangées de pierres précieuses habilement disposées. La tête offre le même mélange remarquable d’or et de gemmes. Des bracelets d’or sont suspendus à ses bras d’or ; sur un escabeau d’or reposent ses pieds en or ; la chaise sur laquelle elle est assise n’offre que pierres précieuses et or le plus pur. » La seule variante consiste dans des colombes d’or, à la place des boules de cristal qui ornent aujourd’hui les appuis du trône.

La statue actuelle de sainte Foy existait donc certainement déjà au début du XIe siècle, mais certains détails du Livre des Miracles permettent d’en faire remonter l’exécution aux temps d’Etienne, qui fut à la fois abbé de Conques et évêque de Clermont, entre 942 et 984. De plus, cette statue précieuse n’est, au témoignage même de Bernard, que le remaniement d’une statue plus ancienne ; comme d’autre part on sait qu’il faut placer vers 883 la translation des reliques de la jeune martyre d’Agen au monastère de Conques, on peut affirmer que l’idée de renfermer son chef dans une statuette date au moins des dernières années du IXe siècle.

L’enquête que l’on fit en 1878 démontra que les plaques d’or repoussé de la statue actuelle reposent sur une âme de bois qui constitue peut-être l’œuvre primitive. L’intérieur est creux et, par une ouverture pratiquée dans le dos, on a pu constater qu’il renferme encore « le crâne entier de la sainte doublé d’une plaque d’argent, quelques sachets d’étoile précieuse et de drap d’or enveloppant de nombreux fragmens de la tête et des lambeaux de tissus d’amiante imbibés du sang de la glorieuse martyre[14]. » La statue d’or de sainte Foy peut donc passer à juste titre pour la plus ancienne statue-reliquaire que l’on possède actuellement, et l’on peut faire remonter sa première exécution à la fin du IXe siècle.

Un siècle plus tard, cette vénération de la « majesté de sainte Foy, » ainsi qu’on la désignait, n’était pas dans le midi de la France un fait isolé. « C’est, nous dit Bernard l’écolier, une antique coutume dans les pays d’Auvergne, du Rouergue et de Toulouse et dans les régions voisines que chacun érige à son saint patron une statue en or, en argent ou en tout autre métal dans laquelle on enferme avec honneur son chef ou une portion plus importante de son corps. » Ces statues de majesté incarnaient aux yeux des hommes la toute-puissance du saint patron de l’église ou du monastère et propriétaire de son domaine. Il suffit de parcourir le Livre des miracles de sainte Foy pour comprendre de quelle vénération on entourait ces effigies. Devant elles allaient prier les malades dans l’attente d’un miracle ; à elles étaient faites les donations de terres ou de joyaux. L’abbaye de Conques, très pauvre à l’origine, devint bientôt, grâce à la renommée de sainte Foy, « répandue dans presque toute l’Europe, » un des monastères les plus riches de la France méridionale.

Un synode ecclésiastique ayant été tenu à Rodez dans les premières années du XIe siècle, chaque congrégation de moines et de chanoines apporta ses corps des saints, « soit dans des châsses, soit dans des images d’or. » Un véritable camp fut dressé dans une prairie, au pied de la montagne sur laquelle s’élève la ville. « Le bataillon des saints y était distribué sous des tentes et des pavillons. » On y voyait la « majesté d’or de saint Marius, » disciple de saint Austremoine, premier évêque de Clermont, et patron de l’abbaye de Vabres en Rouergue ; la « majesté d’or de saintAmand, » deuxième évêque de Rodez ; la « châsse d’or de saint Saturnin, » premier évêque de Toulouse ; l’« image d’or de sainte Marie, mère de Dieu, » et enfin la « majesté d’or de sainte Foy. »

Nous voyons par là que l’usage des statues-reliquaires était déjà à cette époque profondément enraciné dans les habitudes les populations du Massif central. De même deux inventaires du trésor de la cathédrale de Clermont, et dont l’un remonte à l’évêque Etienne II (vers 970), l’autre à Bégon son successeur (980-1010), mentionnent une « majesté de sainte Marie placée sous un ciborium orné d’un cabochon de cristal[15]. » Il n’est pas indifférent de rappeler qu’Etienne II et Bégon furent tous deux abbés de Conques en même temps qu’évêques de Clermont. En Auvergne aussi le cartulaire de Sauxillanges signale en 1095 la destruction d’une « majesté de saint Pierre, » conservée sur une des terres qui dépendaient de cette abbaye[16]. Enfin c’est évidemment à Aurillac qu’était la « majesté de saint Géraud » couverte d’or et de pierreries, dont parle Bernard d’Angers.

Que cet usage ait été particulier aux régions méridionales et qu’il ait paru aux pèlerins du Nord une nouveauté presque choquante, c’est ce que démontre clairement le récit du clerc de Chartres. Nous avons des preuves multiples que l’idée d’enfermer des reliques dans une statue était entièrement étrangère aux pays septentrionaux. En 794, le Concile des évêques francs assemblés par Charlemagne à Francfort rédigea une violente diatribe contre la doctrine des images proclamée au Concile de Nicée en 787. A la différence des Grecs, les Occidentaux se refusaient à attribuer aux icônes une valeur surnaturelle. Ils trouvaient même « insolent » d’établir un parallèle entre les images des saints et leurs reliques. Les reliques, d’après les Livres Carolins, sont vénérables parce qu’elles ont appartenu de quelque manière aux corps des saints qui doivent ressusciter glorieusement un jour : les images au contraire, qui n’ont jamais vécu et ne ressusciteront pas, qui sont exposées à l’incendie et à toutes les injures du temps, ne sauraient être l’objet d’un culte qui n’appartient qu’à Dieu[17].

L’innovation méridionale consista justement à unir de la manière la plus étroite le culte des reliques1 à celui des images. Il est même permis de se demander si cette idée ne vint pas du parallèle établi ainsi dans les spéculations théologiques entre les deux cultes, et dont les Livres Carolins nous ont conservé un écho. Il est possible que cette pratique, malgré son apparence populaire, soit le résultat des méditations compliquées d’un clerc. Le culte des reliques, admis universellement, justifiait suffisamment la vénération réclamée pour ces statues et s’opposait victorieusement au reproche d’idolâtrie.

C’est ce qu’il est facile de voir par le récit tout à fait savoureux que Bernard nous fait de son pèlerinage. Originaire d’Angers, mais élevé dans les écoles de Chartres sous la discipline de Fulbert, il entendit parler des miracles de sainte Foy et, en 1013, il résolut de partir pour le Rouergue avec l’écolâtre Bernier, afin de constater lui-même la réalité des récits merveilleux qu’on en faisait.

Ce fut à Aurillac que le culte des statues-reliquaires se révéla aux voyageurs et leur première impression fut nettement hostile. En voyant sur l’autel la statue d’or de saint Géraud, Bernard ne put s’empêcher de dire à son compagnon : « Que te semble, frère, de cette idole ? Ne conviendrait-elle pas bien à Jupiter ou à Mars ? » Ce culte lui parait alors une superstition toute païenne. « Ce n’est pas à tort, dit-il, que les sages y voient un acte superstitieux ; il semble qu’on ait conservé les rites par lesquels on honorait autrefois les dieux ou plutôt les démons. »

Trois jours après, les voyageurs arrivent à Conques et le premier spectacle qui s’offre à leurs yeux est celui de la crypte étroite où s’entassait la foule prosternée devant la statue d’or. « Sainte Foy, prie mentalement Bernard, loi, dont une partie du corps est enfermée dans le présent simulacre, secours-moi au jour du jugement, » et il se retourne en souriant vers Bernier. Il n’est pas encore converti et regarde comme inepte de voir tant d’êtres raisonnables adresser des supplications « à un objet sans parole et sans vie. » Sa prière prouve cependant que son esprit fertile en ressources a déjà découvert le biais qui lui permettra d’admettre le nouvel usage. Bernard et son compagnon ne tardent pas en effet à revenir à d’autres sentimens : le récit des miracles accomplis par la statue et ceux dont ils sont témoins eux-mêmes suffisent à emporter leur conviction. Quand ils reprennent le chemin de leur pays, Bernard, devenu un apologiste du culte des statues, regrette amèrement les lazzi qu’il a lancés à celle de sainte Foy, qu’il avait comparée avec irrévérence « à un simulacre de Diane ou de Vénus. »

Ce témoignage curieux nous montre quelles traces, plus importantes qu’on ne le suppose d’ordinaire, la querelle des images avait laissées en Occident. Sans aller jusqu’à condamner l’art religieux, la plupart des clercs réprouvaient la doctrine transcendantale des images qui régnait chez les Grecs ; elles ne devaient avoir, selon eux, que la valeur d’une commémoration ou d’un enseignement. Agobard, archevêque de Lyon, avait écrit en 825 un livre « contre la superstition de ceux qui croient qu’il faut rendre hommage aux peintures et aux images des saints. » Si nous en croyons Bernard d’Angers, la crainte de tout ce qui pouvait rappeler l’idolâtrie avait fait condamner en particulier l’usage des statues. On pensait même que l’effigie en relief devait être réservée exclusivement au Christ en croix. « Il paraît nuisible et absurde, dit Bernard, de modeler des statues de plâtre, de bois ou de bronze, exception faite pour celle du Seigneur crucifié. » Quant à des statues de saints, on ne saurait les souffrir en « aucune manière. »


IV

Telle est dans toute sa rigueur la doctrine qui s’est formée dans les pays du Nord pendant l’époque carolingienne, et qui règne encore sans conteste au début du XIe siècle. Les provinces du Midi, au contraire, se sont déjà engagées dans une autre voie : aux yeux de leurs théologiens le culte des reliques sert à justifier celui des statues et, grâce à cette interprétation subtile, les Méridionaux, poussés par une sorte d’instinct ethnique, ont pu satisfaire leurs goûts et retrouver le secret de la statuaire. Les textes et les monumens que l’on peut attribuer à cette époque viennent d’ailleurs confirmer le témoignage de Bernard d’Angers.

Il est d’abord remarquable que les plus anciennes statues-reliquaires, parvenues jusqu’à nous, appartiennent surtout aux provinces du Massif central et du midi de la France. Les reliques de la Vierge ayant été particulièrement recherchées, il est tout naturel que les statuettes de Vierges soient les plus répandues. Or la plupart proviennent de ces régions et elles ont entre elles un air de parenté qui ne laisse aucun doute sur la communauté de leur origine. Bien que beaucoup de ces petits monumens datent du XIIe siècle et même parfois d’un âge plus récent, elles n’en reproduisent pas moins le type traditionnel de majesté qui est celui de la statue d’or de sainte Foy.

Plusieurs de ces Vierges sont aujourd’hui dans des musées du Nord : on en trouve de beaux spécimens au Louvre et au musée de Cluny, mais leur provenance méridionale est incontestable. L’une d’elles, originaire d’une église de Brioude, appartient aujourd’hui au musée archéologique de Rouen. D’autres sont restées dans les sanctuaires de leurs montagnes où elles sont toujours l’objet d’un culte traditionnel ; des foules de pèlerins se pressent encore chaque année dans les Monts Dores autour des antiques effigies de Notre-Dame d’Orcival et Notre-Dame de Vassivières. Le domaine de ces statues-reliquaires comprend exactement les départemens actuels de l’Allier[18], de la Creuse[19], de la Corrèze[20], du Puy-de-Dôme[21], du Cantal[22], de la Haute-Loire[23], de l’Aveyron[24], c’est-à-dire la région où les avait découvertes Bernard d’Angers ; elles se sont propagées cependant vers le Sud, dans le Roussillon[25]et jusqu’en Espagne[26].

La plupart ont des dimensions très modestes (0m, 40 à 0m, 70 de hauteur) ; elles sont taillées dans le chêne ou le noyer, parfois dans le même bloc que leur trône et que l’enfant assis sur leurs genoux. Tantôt, comme la Vierge de Brioude, elles ont été couvertes de peinture, sauf au visage et aux mains (et c’est là peut-être l’explication de la couleur des fameuses vierges noires) ; tantôt, au contraire, elles sont, comme la statue de sainte Foy, revêtues de plaques de métal ornées de gemmes. Toutes sont assises sur un trône carré, dont quatre colonnettes, élevées sur un escabeau, supportent le siège : les bras et le dossier, qui s’arrête aux épaules, sont en général garnis d’arcatures. Les pieds bien écartés et posés à plat comme ceux de sainte Foy, elles sont vêtues de la robe talaire dont les plis dessinent dans le bas une série de godets symétriques ; par-dessus est jeté un voile qui couvre la tête en laissant voir quelques cheveux partagés sur le front en deux bandeaux ; ce voile vient former sous les bras de longues manches pendantes et retombe plus bas que les genoux en formant des plis parallèles à ceux de la robe. Dans le dos s’ouvre en général la porte de la petite armoire aux reliques.

La tête droite et les deux bras jetés en avant, elles soutiennent de leurs mains trop longues l’Enfant Jésus qui est assis bien au milieu entre les deux genoux. C’est en vain que dans ce Christ de majesté, couvert de draperies antiques, bénissant les hommes d’une main et portant de l’autre le livre des Evangiles, on chercherait le moindre caractère enfantin. Il est trop visible que la gravité et la rigidité même de cette attitude n’ont rien à voir avec l’émotion touchante qu’éveillent les gestes maternels de certaines madones. Le type de la Vierge de majesté est une conception enfantée par le cerveau d’un théologien. Marie y est considérée, non comme la jeune mère qui veille sur son enfant, mais comme le trône de Dieu, le siège de la sagesse divine, expressions qui reviennent si souvent dans le langage mystique de tous les temps. « Ses mains, dit saint Jean Damascène dans une homélie, ses mains porteront l’Eternel, et ses genoux seront un trône plus sublime que les chérubins[27]. » Il semble que la statue de la Vierge de majesté ne soit que la réalisation concrète de cette figure.

Cette conception porte bien la marque de l’époque du grand développement théologique qui suivit le Concile d’Ephèse où fut proclamée en 431 la maternité divine de Marie. C’est à partir du Ve siècle en effet que le type de la Vierge de majesté devient banal dans l’art chrétien. C’est celui des madones qui figurent dans la scène de l’Adoration des Mages, ou entourées de donateurs, comme sur une fresque du cimetière de Domitilla, sur le bas-relief de la basilique de Damous-el-Karita à Carthage, sur des briques estampées trouvées au même endroit, sur l’ambon de Salonique au musée de Constantinople, sur plusieurs sarcophages romains, sur les mosaïques de Saint-Apollinaire le Neuf de Ravenne ou de Parenzo en Istrie, sur la fresque de la basilique du cimetière de Commodilla. Ces monumens s’échelonnent entre le IVe et le VIe siècle ; on y trouve des formes variées de sièges, depuis le fauteuil de vannerie à haut dossier jusqu’au trône impérial garni de riches coussins, avec des montans tout constellés de pierreries. Mais ce qui est invariable, c’est l’attitude rigide, rituelle pour ainsi dire, de la Mère et de l’Enfant. Ce groupe de madones se distingue essentiellement des Vierges d’inspiration naturaliste que l’on rencontre dans l’art chrétien dès les premiers siècles.

Les antiques imagiers qui taillèrent au Xe siècle les premières statues-reliquaires de la Vierge ne peuvent donc être considérés comme les créateurs du type qu’ils reproduisirent ainsi. Mais ce qu’il y eut de vraiment nouveau dans leur œuvre, ce fut l’interprétation dans l’espace d’un motif qui n’avait été traité jusque-là qu’en bas-relief ou en peinture. C’est par là qu’ils firent preuve d’un véritable esprit d’invention : réagissant d’instinct contre l’idéal décoratif importé d’Orient, ils retrouvèrent la statuaire et engagèrent ainsi le développement de l’art religieux dans des voies nouvelles. Peut-être les modèles leur furent-ils fournis par des étoffes précieuses. Des spécimens de tissus attribués à l’époque carolingienne sont couverts d’une série ininterrompue de Vierges de majesté[28]. Peut-être s’inspirèrent-ils de quelque bas-relief ou de quelque ivoire. Quoi qu’il en soit, ils eurent le mérite de traduire à l’aide du modelage un motif qu’ils ne pouvaient connaître que par un dessin linéaire et, quelque barbares que nous paraissent aujourd’hui ces figures, dont le regard fixe et les draperies rigides éveillent tout naturellement l’idée de statues bouddhiques, elles n’en furent pas moins le point de départ d’une révolution artistique.

Par une coïncidence remarquable en effet, les plus anciens spécimens de sculpture monumentale que l’on puisse dater d’une manière certaine appartiennent au midi de la France. Il suffit de rappeler des œuvres comme le linteau de Saint-Genis-des-Fontaines (Roussillon), daté par une inscription de la vingt-quatrième année du règne de Robert le Pieux (1021), et qui est un essai barbare de grande composition, avec un Christ de majesté au milieu des apôtres ; comme les statues d’apôtres adossées aux piliers du cloître de Moissac ou les plaques sculptées du déambulatoire de Saint-Sernin de Toulouse, qui sont antérieures à 1100. Le relief y est encore très faible, la science des proportions et des draperies y paraît enfantine, mais les rapports que présentent ces œuvres avec les statues-reliquaires sont incontestables.

Il est impossible, par exemple, de ne pas saisir l’air de parenté qui relie les madones-reliquaires au Christ de majesté du déambulatoire de Saint-Sernin. C’est le même visage régulier et sans expression : c’est la même simplification des plis qui forment des lignes parallèles et peu accentuées, comme si le vêtement était collé au corps ; c’est la même altitude et la même expression d’hiératisme. De même il y a des ressemblances évidentes entre les statues de saints adossées au portail de l’église Saint-Just de Valcabrère (Haute-Garonne) et certains bustes-reliquaires de bois, tels que le saint Baudime du trésor de Saint-Nectaire (Puy-de-Dôme) ou le saint Chaffre de l’église du Monastier (Haute-Loire). Avec leurs cheveux bouclés et ondulés sur le front, par la fixité de leur regard, les statues de Valcabrère ressemblent à des agrandissemens en pierre des bustes-reliquaires de saints.

C’est à l’Auvergne qu’appartient aussi le moine-sculpteur de la Chaise-Dieu, Guinamond, dont la réputation était telle qu’il fut chargé en 1077 par le chapitre de Périgueux d’exécuter le tombeau de saint Front. Enfin c’est à l’atelier toulousain que l’on doit les premières manifestations d’une sculpture moins barbare. Gilabert, qui sculpta deux des apôtres de l’ancienne porte de Saint-Etienne de Toulouse et qui a transmis son nom avec orgueil à la postérité, peut être regardé comme un des créateurs du naturalisme. Tous ces faits montrent bien que ce fut dans le midi de la France que la statuaire et la sculpture monumentale reparurent tout d’abord.

L’examen des conditions dans lesquelles s’est développée la sculpture dans les pays du Nord entre le VIIIe et le XIIe siècle vient confirmer cette conclusion. Il serait certainement trop absolu de soutenir que le relief y fut complètement abandonné pendant cette période. Nous savons par Bernard d’Angers que les crucifix en relief y étaient en usage. Il est même possible que certains ateliers aient exécuté des statuettes de métal de petite dimension, mais sans aucun caractère religieux. Tout le monde connaît la curieuse statuette de bronze du musée Carnavalet qui provient du trésor de la cathédrale de Metz et passe pour représenter Charlemagne. Bien que l’on ait voulu en faire une œuvre de la Renaissance, la ressemblance qu’elle présente avec les effigies princières des miniatures carolingiennes ou avec la fameuse mosaïque de Saint-Jean de Latran semble bien la dater du IXe siècle. Quelques fragmens du décor de la basilique d’Aix-la-Chapelle, les mufles de lion qui décorent les portes de la chapelle Palatine et la balustrade du triforium ornée de croix symétriques, analogues à celles du fauteuil de la statue de sainte Foy, prouvent qu’il existait un atelier de fondeurs à la cour de Charlemagne.

Les traditions de cet atelier paraissent même s’être perpétuées dans certains monastères saxons, comme le prouvent les curieuses portes de bronze de la cathédrale d’Augsbourg ou la colonne, imitée de la colonne Trajane, de Bernward, évêque d’Hildesheim au XIe siècle. Il en fut de même de l’orfèvrerie en relief. Sur un autel portatif, dont la table est faite d’une plaque de verre antique, Egbert, archevêque de Trêves (977-993), fit représenter en relief le pied de saint André, chaussé d’une sandale dont l’ornementation de gemmes présente les plus grands rapports avec celle des chaussures de sainte Foy. Il est inutile de rappeler aussi le magnifique autel de Bâle conservé au musée de Cluny et exécuté pour l’empereur Henri II (1002-1024). A une autre extrémité de l’Europe, Salomon, roi des Bretons, dans une lettre adressée en 869 au pape Hadrien II, lui annonce l’envoi en offrande d’une statue d’or qui représentait le Pape lui-même monté sur une mule et qui valait « 200 sous d’or[29]. »

Il n’y a rien dans ces faits isolés qui soit comparable au développement de la statuaire religieuse du Midi. Les détails abondans que l’on trouve dans les chroniques sur les trésors des églises, l’ornementation des autels, la translation des reliques, ne laissent aucun doute à cet égard. Ils démontrent que les populations du Nord sont restées fidèles à l’usage d’enfermer les reliques dans des chasses. En 864 par exemple, le chef de saint Riquier est transféré « d’une chasse de bois dans une châsse d’argent ornée d’or et de pierres précieuses, » et des chasses du même genre ornaient les 30 autels des 4 églises de la colonie monastique dont il était le patron[30].

De même dans les détails qu’Helgaud nous donne sur l’ornementation offerte par Robert le Pieux à Saint-Aignan d’Orléans, il n’est question que de châsses ou de tables d’autels ornées de pierres précieuses. Le moine Théophile qui vivait au XIe siècle a écrit une véritable encyclopédie technique dans laquelle passe en revue tous les arts qui peuvent concourir à la décoration d’une église, la peinture, la verrerie, les arts du métal : il est remarquable que la sculpture n’y soit même pas mentionnée.

Lorsque de saintes images étaient exposées au-dessus des autels dédiés à la Vierge ou aux saints, elles consistaient toujours en peintures ou en reliefs d’orfèvrerie. Tous les textes que nous possédons permettent d’établir une distinction fondamentale entre l’usage suivi au même moment dans les provinces du Nord et celles du Midi. Ce fut sans doute sous un bas-relief ou une peinture qu’Hincmar, archevêque de Reims (845-882), lit inscrire un distique de sa composition en l’honneur de la Vierge[31]. De même le Christ de majesté entre saint Pierre et saint Paul, placé, au début du XIe siècle, au-dessus du tombeau de*saint Vanne, par l’abbé Richard, devait être une gravure au trait ou une œuvre de métal repoussé[32].

Il est vrai que l’on trouve, dans certains sanctuaires du nord de la France et de Belgique, des statues archaïques de Vierges très vénérées qui ressemblent aux statues-reliquaires du Midi. Mais lorsqu’on étudie les légendes qui sont le point de départ de ce culte, on voit qu’elles ne remontent pas plus haut que le XIIe ou le XIIIe siècle, comme celle de Notre-Dame de Laval, près de Montbrison, que l’on croit avoir été rapportée d’Orient par saint Louis, ou celle de Notre-Dame de Liesse (arrondissement de Laon), venue aussi de Syrie en 1134. Quant à la célèbre statue de Chartres, détruite en 1793, et qui passait pour avoir été taillée par les druides dans un tronc d’arbre, il est évident que sa légende même exclut l’hypothèse d’une statue-reliquaire, bien que le type qui nous en a été conservé soit bien celui d’une Vierge de majesté. Il est bon d’ailleurs de remarquer que l’étonnement témoigné par Bernard, écolier de Chartres, en 1013 devant les statues méridionales, rend l’existence de cette madone au XIe siècle fort douteuse. Si elle eût été alors à Chartres l’objet d’un culte, on ne s’expliquerait pas que Bernard n’eut pas eu l’idée de la rapprocher des œuvres analogues du Midi. Bien plus, l’existence à Chartres de reliques insignes de la Vierge et en particulier du fameux « Voile » est certaine depuis la fin du IXe siècle ; or, jusqu’à la Révolution, ce voile fut toujours conservé dans une châsse, et c’est devant cette châsse, et non devant la statue qu’ont lieu les faits racontés dans les anciens recueils de « Miracles de Notre-Dame de Chartres[33]. » On peut donc affirmer qu’aux environs de l’an mille, l’usage des statues-reliquaires était entièrement inconnu dans le nord de la France.

En était-il de même de la sculpture monumentale ? En 1035, Gérard, archevêque de Cambrai, tint à Arras un concile dirigé contre une secte de manichéens qui attaquaient l’usage des images dans les églises. Dans la profession de foi qu’il oppose à ses adversaires, il est question des « linéamens de la peinture » qui permettent aux illettrés de contempler le Christ et les saints[34] : la sculpture n’est pas mentionnée et nous avons par là une preuve certaine qu’elle ne tenait pas encore une place très importante dans l’ornementation iconographique des églises.

Faut-il croire cependant, comme vient de le soutenir M. Marignan[35], que son rôle ait été entièrement nul et que même les chapiteaux historiés n’apparaissent pas dans les églises « avant le dernier tiers du XIIe siècle ? » Des faits nombreux, nous l’avons vu, démentent cette théorie pour le Midi. Le Nord lui-même a connu, avant le XIIe siècle, des rudimens de sculpture monumentale. Flodoard cite l’inscription qui accompagnait les effigies de Louis le Pieux et d’Etienne III au portail de la cathédrale de Reims, sculpté sous l’épiscopat d’Ebbon (816-821). La vérité est que la sculpture employée dans l’ornementation des édifices du Nord, s’inspirait surtout de la formule décorative. Des chapiteaux couverts de feuillage en méplat ou d’ornemens géométriques, des têtes décoratives, des animaux réels ou fantastiques, voilà ce qu’on devait voir surtout dans les églises du Nord avant le XIIe siècle. Tel est par exemple le caractère des chapiteaux si barbares qui furent sculptés par Hunald entre 1016 et 1018 dans la crypte de Saint-Bénigne de Dijon ; les faces de leurs corbeilles sont ornées d’oiseaux à gros bec, de têtes fantastiques, de torsades, d’entrelacs.

Un essai de décor iconographique apparaît même sur les chapiteaux de Saint-Germain-des-Prés conservés au palais des Thermes, où l’on peut voir un Christ de majesté entouré d’anges. Toutes ces figures d’un style très barbare montrent que la sculpture monumentale n’était pas inconnue dans le Nord dès le début du XIe siècle, mais elle y était restée engagée dans les voies de l’art décoratif venu d’Orient à la fin de l’antiquité. Les sculpteurs septentrionaux n’eurent véritablement la notion du relief que lorsqu’ils eurent été initiés à leur tour aux méthodes de la statuaire méridionale.

Dès le milieu du XIe siècle les rapports de tout genre qui s’établirent entre le Nord et le Midi rendirent cette pénétration possible. Les pèlerinages tels que ceux de Bernard d’Angers, qui fit trois fois le voyage de Conques et vint aussi à Notre-Dame du Puy, eurent sans doute sur ce mouvement une influence décisive. L’écolier de Chartres nous raconte lui-même les efforts qu’il fit à son retour dans le Nord pour répandre autour de lui le culte de sainte Foy. Il n’est pas interdit de supposer que l’usage des statues-reliquaires pénétra dans le Nord par cette voie, et il ne faut pas s’étonner de l’y trouver implanté dès la fin du XIe siècle. C’est évidemment au cou d’une statue de la Vierge que la comtesse Godiva de Malmesbury suspend le collier de pierres précieuses dont parle son chroniqueur[36]. Une Vierge de majesté en bois peint, du début du XIIe siècle, est conservée à Gassicourt (Seine-et-Oise). Des statues du même genre et de la même époque existent à Foy et à Scherpenheuvel en Belgique, à Maria-Zell en Allemagne. La fameuse madone de la crypte chartraine, reproduite sur le tympan Sud du Portail Royal, parait avoir été aussi créée au même moment. Grâce aux colonies de Cisterciens, ces statues pénétrèrent jusque dans les pays Scandinaves. On a pu en voir à l’exposition d’art religieux tenue à Strängnas (Suède) en 1910 un certain nombre d’exemplaires[37]. Enfin, cette représentation de la Madone fut accueillie dans le Nord avec une telle faveur, qu’elle servit parfois à orner les chapiteaux et devint un motif courant sur les tympans des portails.

En même temps que l’usage des statues-reliquaires la sculpture monumentale pénétrait dans les principales écoles provinciales du Nord ; au Midi elle franchissait les Alpes et les Pyrénées et par delà la Méditerranée on retrouve ses œuvres dans les monumens élevés par les croisés en Syrie et dans l’île de Chypre. A la fin du XIIe siècle, l’évolution était terminée. Tandis que l’ancienne formule décorative allait continuera régner dans l’art byzantin et dans l’art arabe, l’Occident était conquis pour toujours à la statuaire. C’est l’époque où les provinces du Nord prennent à leur tour la direction du mouvement artistique : c’est alors que le frère Martin sculpte l’admirable tombeau de saint Lazare d’Autun et que « le maître des deux Madones » embellit le portail royal de Chartres et le portail Sainte-Anne de Paris. Au même moment, la statuaire prend une place prépondérante dans l’ornementation des églises et produit les ensembles des grands portails de Chartres, Saint-Denis, Senlis, Bourges, etc. Sans doute son épanouissement, si magnifique qu’il fût, laissa subsister tout d’abord les anciens procédés de sculpture décorative. L’art roman continue à user en plein XIIe siècle de la sculpture à jour, de la sculpture-broderie, de la sculpture champlevée ; il reste longtemps fidèle aux motifs stylisés, feuillages et animaux irréels, qu’il devait à l’art oriental. Mais, avec ces élémens qui représentent le passé, coexiste désormais un élément nouveau qui est la sculpture dans l’espace. Pour la première fois depuis la fin de l’antiquité on recommence à décorer les édifices avec des statues, et, pour assurer à cet art un avenir illimité, il ne restait plus qu’un pas à faire : en abandonnant la copie des œuvres du passé pour le modèle vivant, en remplaçant les draperies irréelles par la reproduction exacte du costume de leurs contemporains, les maîtres gothiques engagèrent l’art dans les voies du naturalisme d’où il était sorti depuis huit cents ans.

Les destins de la sculpture occidentale étaient ainsi fixés, mais il ne faut pas oublier les débuts modestes qui rendirent possible sa brillante évolution. L’histoire doit rendre justice à ces moines obscurs des montagnes d’Auvergne et du Rouergue qui, désireux de propager le culte de leurs reliques, réinventèrent avec l’audace de la jeunesse le procédé du modelage dans l’espace. Ce n’est pas trop de dire que leurs œuvres, d’une saveur toute barbare, se présentent au début de l’histoire de notre sculpture comme les statues taillées dans des troncs d’arbre, comme les « xoana » à l’aurore des temps helléniques.


LOUIS BREHIER.

  1. Marignan, Histoire de la sculpture en Languedoc, Paris, 1902, p. 5.
  2. Justin, Apolog., 1, 22, 5.
  3. De Civil. Dei, IV, 31 ; VII, 5.
  4. Banduri, Imperium orientale, I, p. 9, 60.
  5. Liber Pontificalis, éd. Duchesne, I, p. 418, 46 ; II, p. 144.
  6. Banduri, I, 8.
  7. Zacharias le Rhéteur. (Guidi, Bull, della Commiss. archeol. di Roma, 1884.)
  8. Banduri, I, p. 9.
  9. Voyez nos Études de sculpture byzantine, Paris, 1911, p. 38.
  10. G. Millet, Monumens byzantins de Mistra, Paris, 1910.
  11. Babelon, Séances de l’Académie des Inscriptions, 1895, p. 408.
  12. Mendel, Catalogue du Musée de Brousse, Athènes. 1908, n° 102.
  13. Liber Miraculorum Sancte Fidis, Paris, 1897.
  14. Bouillet, l’Église et le trésor de Conques, p. 37.
  15. Archives départementales du Puy-de-Dôme. Voyez nos Études archéologiques, Clermont, 1910, p. 40.
  16. Cartulaire de Sauxillanges, édit. Doniol, n° 485.
  17. Patrologie latine, 98, 1165.
  18. Moulins. — Saint-Germain-des-Fossés. — Saint-Léon (N. -D. de. Montéroux). — Vernouillet. — Cusset (restaurée). — Toulon-sur-Allier (château de Colombier). — Château de Montaiguet-Quirielle.
  19. Grandbourg (granit). — Evaux. — Saint-Quentin.
  20. Beaulieu.
  21. Clermont (Notre-Dame du Port, d’un type différent ; vierge du couvent de la Providence ; vierge du musée). — Châteauneuf. — Marsat. — Mailhat (2 statuettes de N. -D de la Montgie. — Orcival. — Saint-Nectaire (N. -D. du Mont Cornadore). — Saint-Rémy de Chargnat. — Beaume-l’Église. — Grandrif. — Saint-Gervazy. — Vertolaye. — Saint-Victor-Montvialleix.
  22. Bredons (au-dessus de Murat). — Molompize.
  23. Le Puy (Vierge Noire qui passait pour avoir été rapportée par saint Louis, détruite en 1793. — Sainte-Marie des Chazes. — Saugues. — Monistrol d’Allier. — Sorlhac.
  24. Marcillac.
  25. N. -D. de Thuir. — Perpignan. — Serrabonne.
  26. N. -D. de Montserrat. — N. -D. de los Reyes. — Salamanque (N. -D. de la Vega).
  27. Patrologie grecque, t, 96, 676.
  28. Dupont-Auberville, l’Ornement des tissus, Paris, 1817, p. 19.
  29. Dom Bouquet, II. F. VII, 596.
  30. Hariulph, Chronique de Saint-Riquier, éd. Lot, p. 120.
  31. Flodoard, Patrologie latine, t. 135, 144.
  32. Monumenta Germaniæ. Scriptores, VIII, 373-375.
  33. Thomas, les Miracles de N. -D. de Chartres. (Biblioth. École des Chartes, 1881, 509).
  34. Patrologie latine, t. 142, ch. XIII-XIV.
  35. Les Méthodes du passé dans l’Archéologie, Paris, 1911, p. 58 et 77.
  36. Guill. de Malmesbury, Rolls Series, t. 52, p. 311.
  37. Revue de l’Art chrétien, 1911, p. 293.