Les Nicandres, ou Les Menteurs qui ne mentent point/Acte II

Les Nicandres, ou Les Menteurs qui ne mentent point
Théâtre de feu M. BoursaultLa Compagnie des LibrairesTome I (p. 308-333).
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ACTE II

SCENE PREMIERE.

Le premier NICANDRE seul
Le premier NICANDRE.

La charmante Hipolite a pour moi de l’estime,
Et je n’ose répondre au beau feu qui l’anime !
A mon cruel serment tous mes sens occupés…

SCENE II.

ISMÉNE, le premier NICANDRE.
ISMÉNE en habit d’homme.

Ou je vois l’infidéle, ou mes yeux sont trompés.
C’est lui-même, le traître ! A quoi rêve Nicandre ?

Le premier NICANDRE.

Et par quelle raison souhaiter de l’apprendre ?

ISMÉNE.

Vous m’aimiez autrefois, & j’ai dû présumer…

Le premier NICANDRE.

Si je vous ai connu, j’ai bien pu vous aimer ;
Où vous ai-je pû voir ? tirez-moi d’une peine.

ISMÉNE.

A Lyon.

Le premier NICANDRE.

A Lyon.A Lyon ! votre nom c’est…

ISMÉNE.

A Lyon.A Lyon ! votre nom c’est…Isméne.

Le premier NICANDRE.

J’ai beau pour vous connoître employer mes efforts…

ISMÉNE.

Je ne vous parois pas ce que j’étois alors,
Vous sçavez que l’on change.

Le premier NICANDRE.

Vous sçavez que l’on change.Il est indubitable,
Mais c’est beaucoup changer qu’être méconnoissable ;
A Lyon j’ai pû faire un passable séjour,
Mais…

ISMÉNE.

Mais…Mais, quoi qu’il en soit vous rêviez à l’amour ?

Le premier NICANDRE.

J’y rêvois, je l’avoue, une Dame si belle…

ISMÉNE.

Vous l’aimez ?

Le premier NICANDRE.
ISMÉNE.

Vous l’aimez ?Si je l’aime ?Et vous êtes fidéle ?

Le premier NICANDRE.

Vouloir toute ma vie adorer ses appas…

ISMÉNE.

Ingrat, c’est le paroître, & c’est ne l’être pas.
Ouvre les yeux.

Le premier NICANDRE.

Ouvre les yeux.Monsieur…

ISMÉNE.

Ouvre les yeux.Monsieur…Dis mon nom, si tu l’oses.
De ton frere, perfide, as-tu sçû quelques choses ?

Le premier NICANDRE.

Un langage si haut me rend tout interdit…

ISMÉNE.

Ta maîtresse, infidéle, est dessous cet habit.
Vois Isméne, vois traître ; & que l’œil te dessille.

Le premier NICANDRE.

Quoi ! dessous cet habit j’aperçois une fille !
Ah ! Madame…

ISMÉNE.

Ah ! Madame…Volage, à quoi m’obliges-tu ?
Ta honteuse inconstance a trahi ma vertu :
Sont-ce là ces huit jours ? est-ce là cette flamme…

Le premier NICANDRE.

Expliquez cette énigme, & de grace, Madame…

ISMÉNE.

Cet énigme ? volage : ah cruel, plût aux Dieux !
Mais ton crime visible a-t-il rien de douteux
Infidéle ?

Le premier NICANDRE.

Infidéle ?Mon crime !

ISMÉNE.

Infidéle ?Mon crime !Ame double, & traîtresse,
Est-ce donc ta vertu que trahir ta Maitresse ?

Le premier NICANDRE.

Moi, trahir ma Maitresse ?

ISMÉNE.

Moi, trahir ma Maitresse ?Oüi, toi, lâche.

Le premier NICANDRE.

Moi, trahir ma Maitresse ?Oüi, toi, lâche.Moi ?

ISMÉNE.

Moi, trahir ma Maitresse ?Oüi, toi, lâche.Moi ?Toi.

Le premier NICANDRE.

Je ne vous connois pas, & j’ignore pourquoi…

ISMÉNE.

Tu ne me connois pas ? toi, perfide ? toi, traître ?
Hé bien, je veux t’apprendre à pouvoir me connoître ;
Et te faire toi-même à toi-même avoüer
Que tu m’as oubliée, & n’ai pû t’oublier.
Prens-y garde.

SCENE III.

Le premier NICANDRE seul
Le premier NICANDRE.

Prens-y garde.J’ignore à quoi tend sa querelle
A l’entendre, autrefois je soupirai pour elle.
Moi, bons Dieux ! moi pour elle avoir pû soûpirer !
Je ne la vis jamais, & ne puis pénétrer…
Mais à quoi je m’amuse ? à quoi songe mon âme ?
Si j’ai quelques momens je les dois à ma flamme ;
Hipolite… Iacinte en ce lieu se fait voir ;
Iacinte…

SCENE IV.

IACINTE, le premier NICANDRE.
IACINTE.

Iacinte…Il dit mon nom ! qui vous l’a fait sçavoir ?
Vous me démaitressez, maître fourbe.

Le premier NICANDRE.

Vous me démaitressez, maître fourbe.Où s’adresse…

IACINTE.

Dites-moi qui des deux est suivante ou Maitresse ?
Je vous trouve bien faite, est-ce vous qu’elle sert ?

Le premier NICANDRE.

Parlez plus clairement ; avez-vous découvert…

IACINTE.

Rien du tout.

Le premier NICANDRE.

Rien du tout.D’où vient donc que je comprens à peine…

IACINTE.

On connoît…

Le premier NICANDRE.

On connoît…Quoi ? parlez, qui connoît-on ?

IACINTE.

On connoît…Quoi ? Parlez, qui connoît-on ?Isméne.

Le premier NICANDRE.

Je vous entens, Iacinte ; Hipolite sçait bien…

IACINTE.

Que gens faits comme vous ne vaudront jamais rien.
Adieu, passe-volant.

Le premier NICANDRE l’arrêtant.

Adieu, passe-volant.Demeurez & pour cause ;
Au malheureux Nicandre apprenez une chose.
J’allois voir Hipolite…

IACINTE.

J’allois voir Hipolite…Hipolite ! vous !

Le premier NICANDRE.

J’allois voir Hipolite…Hipolite ! vous !Moi.

IACINTE.

C’est bien fait.

Le premier NICANDRE.

C’est bien fait.Croyez-vous…

IACINTE.

C’est bien fait.Croyez-vous…Oüi, sans doute, je croi.
Je croi, si vous osez dans sa chambre paroître
Que vous n’en sortirez que par une fenêtre.
Hipolite piquée…

Le premier NICANDRE.

Hipolite piquée…Elle ?

IACINTE.

Hipolite piquée…Elle ?Non ; qui donc ? moi ?

Le premier NICANDRE.

Et qui l’a pû piquer ?

IACINTE.

Et qui l’a pû piquer ?Votre… je ne sçai quoi ;
Vos discours outrageans, votre langue qui jouë…

Le premier NICANDRE.

Ma langue est imprudente, & je la désavouë ;
Non, je ne prétens pas qu’elle parle jamais,
S’il ne faut d’Hipolite applaudir les attraits.
Me hait-elle, Iacinte ? avoüez.

IACINTE.

Me hait-elle, Iacinte ? avoüez.L’idiote
Pour vous aimer encore est peut être assez sote ;
Mais si j’en étois cruë…

Le premier NICANDRE.

Mais si j’en étois cruë…Elle ne me hait pas !
Pour me bien obliger retournez sur vos pas.
Dites-lui tout l’excès de ma flamme amoureuse ;
Dites…

IACINTE.

Dites…Allez ailleurs chercher une menteuse,
Monsieur.

Le premier NICANDRE.

Monsieur.Mettez ma flamme au degré le plus haut ;
Et ce sera…

IACINTE.

Et ce sera…Mentir justement comme il faut.

Le premier NICANDRE.

Puisque vous refusez d’aller dire que j’aime,
Offrez-moi le moyen de le dire moi-même.
Que je voye Hipolite, & lui puisse parler ;
Qu’un moment…

IACINTE.

Qu’un moment…J’ai bien peur de me laisser aller.
Vous l’aimez ?

Le premier NICANDRE.

Vous l’aimez ?Je l’adore, & l’adore elle seule.
Ou…

IACINTE.

Ou…Qui dit courtisan dit toujours fort en gueule :
De vous croire moi-même en secret je rougis ;
Cependant sans façon je retourne au logis :
J’allois faire un message, & pour vous je differe ;
A propos, Hipolite accompagne son pere ;
Mais il peut la quitter, il ne faut qu’un instant…

Le premier NICANDRE.

A la prochaine rue un intime m’attend ;

Je m’en vais le trouver ; où vous dois-je reprendre ?

IACINTE.

Dans une petite heure ayez soin de vous rendre…
Où dirai-je ? ici même, en ce coin à l’écart.

Le premier NICANDRE.

C’est assez, & de plus…

IACINTE.

C’est assez, & de plus…Et de plus, Dieu vous gard.

SCENE V.

Le premier NICANDRE seul.
Le premier NICANDRE.

Téméraire serment sors de cette memoire ;
Ne fais pas un obstacle à l’excès de ma gloire.
Depuis plus de six ans je me suis défendu…

SCENE VI.

CRISPIN, le premier NICANDRE.
CRISPIN.

Monsieur, vous ne serez ni roüé, ni pendu ;
Je n’ai vû ni recors, ni bourreau, ni charette.
Tout va bien.

Le premier NICANDRE.

Tout va bien.De quel air ce belitre me traite !
A qui parle ?…

CRISPIN.

A qui parle ?…Pour moi, quoique simple valet,
Dans la peur que j’avois d’être pris au colet,
J’ai joüé de finesse, & l’ai mis dans ma poche
Voyez vous ? Pour l’Hôtesse elle tourne la broche ;
Elle dit qu’en tout cas votre lit sera prêt ;
Que peut-être…

Le premier NICANDRE.

Que peut-être…A cela, je n’ai point d’intérêt.
Où vas-tu ? d’où viens-tu ? dis-le moi toute à l’heure :
Et je croi…

CRISPIN.

Et je croi…Je ne vais, ni ne viens, je demeure,
Comme il fait le gausseur ! d’où je viens, me dit-il ?
Il a crû tout d’abord que j’étais Algoüazil ;
Et qu’en vrai pas de loup je venois le surprendre.

Le premier NICANDRE.

Sçais-tu bien, mon ami, qu’on me nomme Nicandre,
Et que l’on me déplaît quand on fait le badin ?

CRISPIN.

Sçavez-vous bien, Monsieur, qu’on m’appelle Crispin ?

Le premier NICANDRE.

Moi, je sçaurois ton nom ?

CRISPIN.

Moi, je sçaurois ton nom ?Comme je sçai le vôtre ;
Et nous nous connoissons aussi-bien l’un que l’autre.

Le premier NICANDRE.

Camarade !…

CRISPIN.

Camarade !…Pays !

Le premier NICANDRE.

Camarade !…Pays !Dis-moi, traître, es-tu sou ?

CRISPIN.

Mon cher Maître avoüez que vous êtes bien fou.

Le premier NICANDRE.

Moi ton Maître !

CRISPIN.

Moi ton Maître !Et qui donc ?

Le premier NICANDRE.

Moi ton Maître !Et qui donc ?Il a pû se méprendre.
Je t’ai dit, mon ami, qu’on m’appelle Nicandre :
Qu’un sot conte me choque, & qu’enfin…

CRISPIN.

Qu’un sot conte me choque, & qu’enfin…Et qu’enfin…
Je vous ai répondu qu’on me nomme Crispin.

Le premier NICANDRE.

Et ce nom de Crispin suffira pour m’apprendre…

CRISPIN.

Tout comme il me suffit de celui de Nicandre.

Le premier NICANDRE.

Mais de bien te connoître offre moi le moyen ;
Que veux-tu ? quel es-tu ?

CRISPIN.

Que veux-tu ? quel es-tu ?Mon Dieu, je ne suis rien :
Je suis ce que je suis ; qui que je sois, je m’aime.
Et je ne voudrois pas être autre que moi-même.
Je me garantis tel.

Le premier NICANDRE.

Je me garantis tel.Mais pourquoi ?…

CRISPIN.

Je me garantis tel.Mais pourquoi ?…Mais pourquoi…
Puisque vous êtes vous, je puis bien être moi.

Le premier NICANDRE.

Mon valet…

CRISPIN.

Mon valet…Je le suis.

Le premier NICANDRE.

Mon valet…Je le suis.Ta folie est extrême.

CRISPIN.

A tout autre que vous, je dirois, fou toi-même !
Et je pense…

Le premier NICANDRE. en s’en allant.

Et je pense…Maraud tu veux être battu ;
Et si je n’avois hâte, insolent… où vas-tu ?

CRISPIN.

Où vous-même allez-vous ? J’accompagne mon Maître.

Le premier NICANDRE.

Je dois, si je le suis, te le faire paroître :
Il t’en faut une preuve, impudent ; la voilà !

Il lui donne un soufflet.

SCENE VII.

CRISPIN seul.
CRISPIN.

Il a parbleu raison, il le prouve par là.
Le secret est joli pour se bien faire croire !
De sa chienne de patte enfoncer ma machoire,
Et souffrir sans souffler, qu’il me donne un soufflet,
C’est bien être le Maître, & Crispin le valet.
Quelle peste de preuve il me force de prendre !
Ce bon frere frappart est sans doute Nicandre :
Ce sont là de ses coups, je les sens à leur poids :
J’en reçois reglément près de cent tous les mois ;
Et de tous ses soufflets ce n’est pas là le moindre.

Mais où Diable à présent le pourrai-je rejoindre ?
Sa valise restée au logis d’où je viens,
Où parmi ses habits sont aussi tous les miens.
En tout cas… Le voici la gueule enfarinée,
Le bon traître !

SCENE VIII.

Le second NICANDRE, CRISPIN.
Le second NICANDRE.

Le bon traître !Qu’heureuse est pour moi la journée !
Ah, Crispin ! un ami généreux, bien-faisant,
Et non pas un ami comme ceux d’à présent,
Dont la langue est dorée, & dont l’ame est de bouë ;
Mais un ami sincere, obligeant…

CRISPIN.

Mais un ami sincere, obligeant…Ah la jouë !

Le second NICANDRE.

De me voir Clidimace a les sens tous ravis ;
Dans sa propre maison il me donne un logis.
A tous mes intérêts tout entier il se vouë,
Et je veux ce qu’il veut, pour lui plaire.

CRISPIN.

Et je veux ce qu’il veut, pour lui plaire.Ah la jouë !

Le second NICANDRE.

Quel sujet te fait plaindre, & pourquoi le cacher ?
C’est peut être une dent qu’il te faut arracher ;
Une dent peut suffire à gâter une bouche,
Songes-y. Mais répons sur le fait qui me touche ;
As-tu vû mon hôtesse, aura-t-elle tout prêt ?…

CRISPIN.

A cela, mon ami, je n’ai point d’intérêt ;
Où vas-tu ? d’où viens-tu ? dis le moi tout-à-l’heure.

Le second NICANDRE.

Que me dit ce coquin ! Je t’assomme ou je meure :
Parle ; dois-je tout craindre, ou ne redouter rien ?

CRISPIN.

Mais de bien te connoître, offre-moi le moyen ;
Que veux-tu ? Quel es-tu ?

Le second NICANDRE.

Que veux-tu ? Quel es-tu ?Qui je suis, double traître ?
Je puis facilement te le faire connoître :
Et sans avoir besoin d’être si retenu…

CRISPIN.

Ah ! Démentibuleur ; je l’ai trop reconnu.
De ne pas l’ignorer à présent je me pique ;
Et ma jouë en peut être un témoin authentique.

Faire pleine recette à deux doigts de mon nez
D’un soufflet plantureux, & des mieux assenez ;
D’un soufflet qu’une main bien plus noire que blanche,
Depuis plus de six mois mitonnoit dans sa manche ;
D’un soufflet qui par terre quasi répandu…
Si vous ne le payez je veux être pendu.

Le second NICANDRE.

Est-ce pure gageure : ou bien si tu déterres…

CRISPIN.

C’est gageure.

Le second NICANDRE.

C’est gageure.Gageure :

CRISPIN montrant sa jouë.

C’est gageure.Gageure :On m’en donne des erres.
C’est gageure.Gageure :On m’enIl chante de rage.
Voyez-vous ? Mon cadet… Là, là, là, là, là, là.

SCENE IX.

IACINTE, HIPOLITE, le second NICANDRE, CRISPIN.
IACINTE sortant avec Hipolite.

Il vous attend, Madame, & c’est lui que voilà.
Avancez.
Avancez. A vousà Nicandre.
Avancez.A vous voir je l’ai fait condescendre.
Prés d’une heure Hipolite a voulu s’en défendre,
Mais j’ai tant de vos feux appuyé le parti ;
J’ai tant dit que mes soins vous avoient pressenti ;
Tant de fois répété que toujours pour Isméne
Loin d’avoir de l’amour vous auriez de la haine…

Le second NICANDRE.

De la haine pour elle ! Ah ! je brûle d’amour,
Non, non…

HIPOLITE à Nicandre.

Non, non…De vos mépris vous voila de retour,
Je l’ai sçû d’Iacinte ; Isméne est pourtant belle.

Le second NICANDRE.

Elle est toute charmante, & je n’adore qu’elle ;

Son aimable visage a des charmes si doux…

IACINTE.

Il se moque, Madame ; il n’adore que vous
Il me l’a dit.

Le second NICANDRE.

Il me l’a dit.Moi ?

IACINTE.

Il me l’a dit.Moi ?Vous.

Le second NICANDRE.

Il me l’a dit.Moi ?Vous.En parlant de ma flamme,
Loin de vous avoir dit que j’adore Madame…

IACINTE.

Quoi, vous n’avez pas dit à moi-même en ce lieu…

Le second NICANDRE.

Rien du tout.

IACINTE.

Rien du tout.Rien ! Madame il offense bien Dieu
Le méchant homme !

Le second NICANDRE.

Le méchant homme !Quoi…

IACINTE.

Le méchant homme !Quoi…Quoi, vous-même hypocrite
Quand vous êtes venu pour lui rendre visite…

Le second NICANDRE.

Moi visite ! Crispin pourra dire au besoin…

CRISPIN.

Je vous sers de valet, & non pas de témoin.

Le second NICANDRE.

Mais tu sçais…

CRISPIN.

Mais tu sçais…Je ne sçai si je sçai quelque chose,
Mais je me tais.

HIPOLITE à Iacinte.

Mais je me tais.Tu vois où ton zèle m’expose ?
A ton rapport sans doute il n’a pas consenti.

IACINTE.

J’ai dit vrai, je vous jure ; & Nicandre a menti.
Je n’ai pas, grace à Dieu, la mémoire débile ;
Il falloit que pour lors son valet fût en ville
Lui seul en cette place il faisoit l’idiot.

Le second NICANDRE.

Quand vous m’avez parlé j’étois seul ! Répons.

CRISPIN.

Quand vous m’avez parlé j’étois seul ! Répons.Mot.

Le second NICANDRE.

Où donc, lors qu’Iacinte a commencé sa guerre,
Etois-tu ?

CRISPIN.

Etois-tu ?Dans le monde.

Le second NICANDRE.

Etois-tu ?Dans le monde.En quel lieu ?

CRISPIN.

Etois-tu ?Dans le monde.En quel lieu ?Sur la terre.

Le second NICANDRE.

L’endroit, c’est…

CRISPIN.

L’endroit, c’est…Dans la France ; à Paris, que je croi.

Le second NICANDRE.

En présence…

CRISPIN.

En présence…En présence ? en présence de moi.

Le second NICANDRE.

Mais perfide Crispin, le dessein où tu butes…

CRISPIN montrant sa jouë.

Il ressouvient toujours à Crispin de ses flutes.

Le second NICANDRE.

Ils s’entendent, Madame ; un indice trop grand…

IACINTE.

Si je lui déchargeois un bon moule de gand ;
Madame, laissez-moi lui bailler sur la crête.

CRISPIN à Iacinte.

Ne prends point de conseil que celui de ta tête ;
J’en suis de moitié ; rosse.

HIPOLITE.

J’en suis de moitié ; rosse.Enfin, il m’est honteux
D’avoir pu vous apprendre où j’adresse mes vœux ;
Ne vous souvenez pas qu’Hipolite vous aime ;
Oubliez…

Le second NICANDRE.

Oubliez…Vous m’aimez !

HIPOLITE.

Oubliez…Vous m’aimez !Je l’ai dit à vous-même,
Ingrat ; & ma foiblesse est allée à ce point…

Le second NICANDRE.

En vérité, Madame, il ne m’en souvient point.
Vous m’avez, dites-vous, adorable Hipolite…

HIPOLITE.

Une feinte si basse, & m’outrage, & m’irrite.
Je ne suis pas Iacinte, & vous vous méprenez…

IACINTE.

Paumez-lui moi la gueule, & lui cassez le nez.
Faut-il tant de façons ? J’en enrage d’envie ;
Son valet qui me pousse, à cela me convie.

Le second NICANDRE.

Tu la pousses, perfide ? & ton cœur est si bas…

CRISPIN.

Moi, loin de la pousser je lui retiens le bras.
Elle a menti.

IACINTE.

Elle a menti.Madame, admirez l’autre traître ;
Le valet se goberge aussi-bien que le maître.
Oses-tu ?… Voyez-vous ? il fait signe des yeux…

CRISPIN.

Vous mentez comme un Diable impudente.

IACINTE lui donne un soufflet.

Vous mentez comme un Diable impudente.Moi ?

CRISPIN.

Vous mentez comme un Diable impudente.Moi ?Deux.
C’est le compte tout rond ; & ma jouë applatie…
Ah ! Maîtresse coureuse, ou du moins apprentie…

IACINTE.

Quoi ! bélître…

Le second NICANDRE.

Quoi ! bélître…La belle, il faut moins s’émouvoir.
Votre sexe, & Madame ont ici tout pouvoir.
Essayez, ma petite, à vous rendre plus sage.
Pour vous, c’est à regret que ma voix vous outrage ;
D’avoir pû vous choquer j’ai beaucoup de douleur ;
Et de peur qu’il n’arrive un semblable malheur,
Je sors.

CRISPIN à Iacinte.

Je sors.Je sors aussi ; mais avant que je sorte,
A ton peste de bras qui n’a pas la main morte,

Je souhaite la galle & qui mine ton corps ;
A tes pieds tout crochus je souhaite des cors ;
A ta jambe un ulcere ; à ta cuisse une goutte ;
Que de toi desormais tout chacun se dégoûte ;
Je souhaite à ton ventre une canine faim,
Et que pas un mortel ne te donne du pain ;
Loin d’avoir des appas, & des charmes qui brillent,
Je souhaite à ton sein des tétons qui brandillent ;
A ton bas de visage un menton fort pointu ;
A tes dents une bréche à passer tout vêtu ;
A ton nez la roupie ; aux yeux cire ; au front crasse ;
Et que de tes cheveux dont tu tires ta grace
On fasse des licous au Bourreau de Paris,
Pour pendre les laquais qui sont au Paradis.
Peste de Cagne !

SCENE X.

HIPOLITE, IACINTE.
HIPOLITE.

Peste de Cagne ! bien ?

IACINTE.

Peste de Cagne !Hé bien ?Sans perdre une parole
Dépêchez vîtement de jouer votre rolle ;
Au secours ! à la force ! embrassez l’intérêt…
Tout va le mieux du monde, Isidore paroît ;
Isidore !

SCENE XI.

ISIDORE, HIPOLITE, IACINTE.
ISIDORE.

Isidore !Il s’exhibe où le cri prend son être
Qu’est-ce ?

HIPOLITE.

Qu’est-ce ?Comme un éclair il vient de disparoître ;
Il faut qu’assurément il vous ait entendu.

ISIDORE.

Eclaircis ta matiere à mon individu.
A ma mémoire active à comprendre la chose,
De sa voix attractive incorpore la cause.
Articule tes mots, & divulgue le fait :
Puis après de la cause on descend à l’effet.
Déduis ta malencontre en maniere succincte.

HIPOLITE.

Il est venu… Monsieur, demandez à Iacinte.

ISIDORE à Iacinte.

Oculaire témoin du malheur qu’elle tait,
Toi, qui peut à son pere inculquer son secret,
De le développer j’interpelle ton ame.

IACINTE.

Il est venu… Monsieur, demandez à Madame.

HIPOLITE.

J’appréhende si fort de vous voir indigné,
Qu’enfin…

ISIDORE.

Qu’enfin…Ma géniture, aurois-tu forligné ?

HIPOLITE.

Ah !

IACINTE.

Ah !Ah !

ISIDORE.

Ah !Ah !Dieux des sçavans, l’une & l’autre soupire !
D’où dérive…

HIPOLITE.

D’où dérive…Autre part je sçaurai vous tout dire ;
Et puisqu’un prompt remede est ici de saison,
Vous forcerez le traître à m’en faire raison.

Fin du second Acte.