Poésies de Jules LemaîtreAlphonse Lemerre, éditeur (p. 82-86).
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LES MOUETTES

I


Par les couchants sereins et calmes, les mouettes
Vont mêlant sur la mer leur vol entrecroisé :
Tels des gris souvenirs pleins de douceurs secrètes
Voltigeant dans un cœur souffrant, mais apaisé.

L’une, dans les clartés rouges et violettes
D’un coucher de soleil, fend le ciel embrasé ;
Une autre comme un trait, plonge aux ondes muettes
Ou se suspend au flot lentement balancé.


Nul oiseau vagabond n’a de plus longues ailes,
De plus libres destins, ni d’amours plus fidèles
Pour le pays des flots noirs, cuivrés, bleus ou verts.

Et j’aime leurs ébats, car les mouettes grises
Que berce la marée et qu’enivrent les brises
Sont les grands papillons qui butinent les mers.



II


Vers le grand soleil d’or qui, par l’ombre insulté,
Ramène sur son front sa pourpre qu’il déploie,
Là-bas, vers l’incendie énorme qui flamboie
Sous l’écran violet de l’âtre illimité,

Il vole, il vole, épris d’un désir indompté,
L’oiseau gris qui du gouffre et des flots fait sa joie ;
Dans cette pourpre ardente il s’enfonce, il se noie,
Et qui le voit du bord le voit dans la clarté.


Jamais il n’atteindra l’astre divin : qu’importe ?
— Ainsi vers l’Idéal un saint amour m’emporte,
Heureux si je pouvais, dans mes rapides jours,

Loin des réalités et des laideurs humaines,
Sans l’atteindre jamais m’en approchant toujours,
Apparaître baigné de ses lueurs lointaines !



III


Couchant bizarre. En haut le ciel couleur de brique ;
Plus bas, rayant le mur de l’éternel palais,
Luisent sur une nacre aux chatoyants reflets
De minces traits de feu, d’un éclat phosphorique.

Avec une rigueur quasi géométrique
Se prolongent tout droit ces lumineux filets,
Parallèles entre eux, rouges et violets,
Réglant le ciel ainsi qu’un papier à musique.


Des mouettes là-bas, esprits des flots amers,
Nouant et dénouant des gammes à travers
Cette portée immense aux lignes purpurines,

Dans leur vol cadencé la sèment de points noirs
Et notent le chant triste et divin des beaux soirs,
Lentement déchiffré par les brises marines.



IV


L’eau, répète
Le ciel mat.
Calme plat,
Mer muette.

La mouette,
Qui s’ébat
Sur le mât,
Le complète,


Simulant
D’un vol lent
Et perplexe

Un accent
Circonflexe
En passant.