Les Moineaux francs/36
MATINÉE DE BROUILLARD
rouillard épais, matinée
Chagrinée.
Les pêcheurs restent au port…
Tout s’endort.
Le soleil dans un lointain
Incertain,
Semble une étoile mouillée
Et brouillée.
Les barques flottent ballantes,
Nonchalantes,
Sur le flot d’argent bruni
Tout uni.
Des coups de sifflet pressés
Sont lancés,
Cris de machine embrumée
Enrhumée…
Puis un long flic-flac de roue
Qui s’ébroue :
Le bateau de Saint-Malo
Vient sur l’eau.
Les voyageurs débarqués
Sur les quais
Passent au loin, silhouettes
Fort peu nettes.
Ils marchent tête baissée
Et lassée ;
Leurs membres paraissent pris
Dans du gris.
La cloche, au sourd tintement,
Tristement
Dans le brouillard vibre et pleure
Un quart d’heure.
Des ombres vont qui s’espacent
Et qui passent :
Le bateau repart, tout fuit
Dans la nuit.
Ô Soleil ! ô vieil ami
Endormi,
Qui sous ces flottantes robes
Te dérobes.
Pour demeurer de la sorte
À la porte,
As-tu fait, vieux débauché,
Un péché ?
En courant le guilledou
(Dieu sait où !),
Cette nuit loin de la lune
Importune,
Lutinant quelque planète
En goguette,
Es-tu tombé sur ton né
Fleuronné ?
Ou bien, réveillé trop tard,
Par hasard,
Honteux de ta nonchalance,
En silence,
Restes-tu dans un nuage
Comme en cage,
De peur de te voir puni
Et honni ?
Si telle est ta crainte, eh bien !
Ne crains rien !
Perce la brume maudite !
Viens-nous vite !
On pardonne tout quand même,
Dès qu’on aime,
Et l’on t’aime, tu le sais,
Bien assez.
Ne nous laisse pas te voir
Sans t’avoir !
Grand acteur, sors des coulisses
Où tu glisses,
Et sur la terre fidèle
Qui t’appelle,
Traîne ton manteau vermeil,
Ô Soleil !