(p. 245-250).


MATINÉE DE BROUILLARD





Srouillard épais, matinée

Chagrinée.

Les pêcheurs restent au port…

Tout s’endort.


Le soleil dans un lointain

Incertain,

Semble une étoile mouillée

Et brouillée.


Les barques flottent ballantes,

Nonchalantes,

Sur le flot d’argent bruni

Tout uni.


Des coups de sifflet pressés

Sont lancés,

Cris de machine embrumée

Enrhumée…


Puis un long flic-flac de roue

Qui s’ébroue :

Le bateau de Saint-Malo

Vient sur l’eau.


Les voyageurs débarqués

Sur les quais

Passent au loin, silhouettes

Fort peu nettes.


Ils marchent tête baissée

Et lassée ;

Leurs membres paraissent pris

Dans du gris.


La cloche, au sourd tintement,

Tristement

Dans le brouillard vibre et pleure

Un quart d’heure.


Des ombres vont qui s’espacent

Et qui passent :

Le bateau repart, tout fuit

Dans la nuit.


Ô Soleil ! ô vieil ami

Endormi,

Qui sous ces flottantes robes

Te dérobes.


Pour demeurer de la sorte

À la porte,

As-tu fait, vieux débauché,

Un péché ?


En courant le guilledou

(Dieu sait où !),

Cette nuit loin de la lune

Importune,


Lutinant quelque planète

En goguette,

Es-tu tombé sur ton né

Fleuronné ?


Ou bien, réveillé trop tard,

Par hasard,

Honteux de ta nonchalance,

En silence,


Restes-tu dans un nuage

Comme en cage,

De peur de te voir puni

Et honni ?


Si telle est ta crainte, eh bien !

Ne crains rien !

Perce la brume maudite !

Viens-nous vite !


On pardonne tout quand même,

Dès qu’on aime,

Et l’on t’aime, tu le sais,

Bien assez.


Ne nous laisse pas te voir

Sans t’avoir !

Grand acteur, sors des coulisses

Où tu glisses,


Et sur la terre fidèle

Qui t’appelle,

Traîne ton manteau vermeil,

Ô Soleil !