(p. 75-80).


APRÈS UN DÎNER D’AMIS





Lamitié, cette étoile d’or,
Dans l’âme humaine luit encor ;
Mais, à notre époque de doutes,
Elle n’a plus cette clarté
Qui jadis, dans l’Antiquité,
La faisait briller entre toutes.


Oui ! plus fortunés mille fois
Les anciens qui, dans les grands bois
De l’Italie ou de la Grèce,
Sous les portiques éclatants,
Promenaient, oublieux du temps,
Leur intelligente paresse !

Ils allaient, dès le jour baissé,
D’un pas égal et cadencé,
Roses dans leur tuniques blanches,
Et, pendant qu’ils traitaient entre eux
Quelque problème ténébreux,
Les oiseaux chantaient dans les branches.

Ils allaient… et comme à regret
Un dernier rayon se mourait
Au lointain, dans la mer sonore ;

Et la lune au regard de miel
Dès longtemps argentait le ciel
Qu’on les voyait passer encore !

Libres de temps, libres d’esprit,
Ils causaient… à leur appétit
Avec des lenteurs infinies,
Et, dans ce commerce charmant
Les amitiés, tout doucement,
Naissaient comme des fleurs bénies.

Mais, en notre siècle agité,
Où l’éternelle activité
S’essouffle à poursuivre sa proie ;
Où les temps sont durs, où les jours
Se passent à chercher toujours
La richesse, à défaut de joie,


La douce fleur de l’amitié
Ne s’épanouit qu’à moitié
Aux rayons d’un soleil avare ;
Sous l’indifférence et l’oubli
Tout est bientôt enseveli,
Tant la tendresse se fait rare !

Prenez-y garde, ô vrais amis,
Qui jadis vous êtes promis
Des affections sans limite ;
Soigneusement conservez-les,
Ces chers trésors inviolés
Dont le parfum s’enfuit si vite !

Songez, songez qu’en notre cœur
Après l’Amour, ce dieu vainqueur,
L’Amitié doit tenir sa place ;

Plus pâle et plus frêle que lui
Il lui faut un constant appui
Pour résister au vent qui passe.

Contre un oubli qui le tuerait
Protégez ce culte discret,
Et, soucieux du vieux proverbe,
Amis, vrais amis, par pitié,
Sur le chemin de l’Amitié
Ne laissez jamais pousser l’herbe !