Les Missives/Epitaphes (1)

Les Missives de Mesdames Des Roches de Poitiers Mère et Fille
Paris, Abel L’Angelier.

EPITAPHES

1.


PAssant je ne dy point quelle a esté ma vie :
Car ma guerriere main l’escrit en plusieurs lieux,
Non seulement du stil sur l’escorce polie,
Mais en tous les esprits sagement curieux.

Je ne diray nom-plus la mort infortunee
Qui trop hastivement tranche mon dernier fil.
La mort est le recueil de toute chose née,
Un fillet dure moins quand il est plus subtil.

Je n’ay senti la mort : on ma bien veu paroistre
Ainsi que le Soleil doucement esclairant,
Qui nous semble en un jour naistre, grandir, descroistre,
Puis au sein de Thetys aller soudain mourant.

Mais le matin suivant sa belle face claire
Enflamme l’orison, chassant de toutes pars
La tenebreuse nuit, qui craint de se desfaire,
Et suit comme Python le feu de ses regards.

Ainsi est il de moy : car mon ame vivante
Reluit dedans les cieux d’un esclair nompareil,
Et de mon corps massif la despouille nuisante,
Estoit ceste Thetys estouffant mon Soleil.

Si entre les mortels une immortelle fame
Bien-heure les esprits, je ne me plains de voir

Que mon corps soit enclos souz ceste froide lame,
Et mon beau jour finy mesmes devant le soir.

Si estre reveré d’une espouse loyalle
Qui regrete sans fin nostre doux Hymené :
Si Estre soupiré d’une bouche royalle
Rend l’homme bien-heureux, je fuis bien fortuné.

Si estre tant aymé d’une sœur excellente,
Qui tient en son esprit tous les tresors des cieux :
Si estre deploré par sa voix eloquente
Rend un nom immortel, je suis entre les Dieux.

Si voir depeint au vif son pourtrait agreable
Au frond de son enfant doit l’homme contenter,
Je me contente aussi, ma Fille m’est semblable
Nature en elle veult mes traits representer.

Six lustres j’ay vescu illustré des loüanges
Que la vertu merite : or je suis en ce lieu,
Esleu pour les Eleus, où compagnon des Anges
Je retrouue mon heur en la face de Dieu.

2.

J’ay vescu, veu, vaincu, noble, prudent, adextre,
Atré, Ulysse, Hector, ne pouvoient pas mieux estre
Jeune, rusé, vaillant, mon œil, mon cueur, mon sein,
Sont fermé pris, blessé, d’une fatale main
De Mars, d’Amour, de Mort : le pris, le soing, la rage,
Ont honoré, cheri, & retranché, mon âge.

3.

Puis que le parler est simulacre de l’ame,
Arrestez vous Passant & ma voix escoutez :
Bien que mon foible corps soit souz la dure lame,
Mon esprit est au ciel entre les deitez.

Ce n’est la voix d’un Mort, qui maintenant resonne :
Echo resonne ainsi aux caverneux rochers.
Le superbe Aquilon tonne, estonne, & entonne,
Ses menaceans propos aux timides Nochers.

Mais ma debile voix ne sera point si forte :
Il me suffit Passant de vous dire comment
Je suis vive, non vive, & suis morte non morte,
Gisant desouz la terre & sur le firmament.

Le nom de saint Gelais monstre que j’estois sainte,
Prenant celuy d’Esrac je m’affranchis aussi.
La sœur de Lachesis par ma despouillee estainte
Veut m’affranchir de mal, de peine, & de souci.

Le trait qui m’a blessee, a laissé sa pointure
Au cueur de mon espoux, & je souffre pour luy,
Ne pouvant m’exempter d’une telle blessure,
Vivant en mon repos, je meurs en son ennuy.

Las si quelque pitié vous espoint le courage,
Passant, soupirez moy, aiez l’eprit marri,
Voyant que le destin en la fleur de mon âge
Me desrobant me laisse au sein de mon mary.


Fin des escris de la Mere.