Les Merveilles de la science/Phares - Supplément

Furne, Jouvet et Cie (Tome 2 des Supplémentsp. 602-628).

SUPPLÉMENT
aux
PHARES
(LES PHARES ÉLECTRIQUES — LA TOUR EIFFEL)

La description des phares français et étrangers, avec leur matériel, leurs instruments, leur régime administratif et leur distribution sur notre littoral, a été exposée avec beaucoup d’étendue dans notre Notice sur les Phares, des Merveilles de la science, publiée en 1870[1], Depuis cette époque, aucune innovation, digne d’être signalée, n’a été introduite dans le service général des phares, ni dans la construction des appareils optiques servant au signalement lointain et à la reconnaissance de nos côtes ; mais un progrès sensible a été réalisé dans l’espèce du foyer éclairant. La lumière électrique a été substituée, dans un certain nombre de phares, français et étrangers, à l’huile minérale (pétrole) qui avaient été uniquement employée jusqu’à l’année 1863.

Dans notre Notice sur les Phares, des Merveilles de la science, nous avons consacré un chapitre[2] aux premières applications de la lumière électrique dans les phares, et décrit les appareils électriques et optiques qui ont été installés, en 1863, dans les deux phares du cap de la Hève, au Havre. Cette installation avait été faite surtout pour étudier, par un service pratique et quotidien, les avantages de la lumière électrique dans ce cas spécial. On était alors, en effet, encore incertain sur l’utilité de ce nouveau système d’éclairage des lanternes des phares.

Depuis cette époque, la question a été résolue d’une manière à peu près définitive. Dès l’année 1870, un rapport de M. Quinette de Richemont, ingénieur en chef des ponts et chaussées, sur le résultat des services des phares électriques du cap de la Hève, mettait hors de doute les avantages du nouveau procédé.

D’après ce rapport, les navigateurs étaient unanimes à reconnaître les bons services que leur rendaient les phares électriques. L’augmentation de portée des feux, permettait à bien des navires de continuer leur marche et d’entrer au port la nuit, alors qu’ils n’auraient pas pu le faire avec les phares à l’huile.

Grâce au perfectionnement des appareils, la lumière électrique qui, d’abord, laissait à désirer, par sa mobilité, était arrivée peu à peu à être d’une fixité remarquable. D’autre part, les craintes que l’on avait exprimées a priori concernant la délicatesse des régulateurs de la lumière électrique, ne s’étaient pas réalisées. Les extinctions avaient été courtes et peu nombreuses.

Les bons résultats constatés depuis 1870 dans les deux phares électriques du cap de la Hève, ont déterminé l’application de ce même mode d’éclairage à plusieurs phares, français et étrangers. Citons ceux du cap Gris-Nez (Pas-de-Calais), de Planier (Marseille), de la Palmyre (Gironde), de Baleville (île de Ré), de Calais, de Dunkerque et de l’Ailly (France) ; en Angleterre celui du cap Lizard ; en Russie, ceux d’Odessa et de Cronstadt ; en Égypte, celui de Port-Saïd ; au Brésil, celui de Bazza ; en Portugal, celui de Roccas.

Il est nécessaire de faire connaître ici les circonstances dans lesquelles l’éclairage électrique a été substitué à l’éclairage à l’huile minérale dans les phares français dont nous venons de citer les noms.

Après l’introduction de l’éclairage électrique dans les phares de la Hève et du cap Gris-Nez, on voulut attendre que l’expérience eût confirmé les avantages de ce nouveau système d’éclairage, avant d’en étendre l’application. Mais des plaintes s’élevaient sur l’insuffisance du phare de la Palmyre et de celui de Planier, à Marseille. Le phare de la Palmyre est destiné à signaler, concurremment avec celui de la Conche, l’entrée de la Gironde, par la passe du Nord. Il était éclairé à l’huile et, par les temps brumeux, sa portée étant insuffisante, des navires avaient éprouvé des accidents. L’administration décida d’éclairer à l’électricité les phares de la Palmyre et de Planier. En 1880, eut lieu l’allumage électrique de ces deux phares.

Les cinq premiers phares électriques (la Hève, Gris-Nez, la Palmyre et Planier) avaient été établis sans vue d’ensemble, et pour ainsi dire, indépendamment les uns des autres. On courait le risque, en continuant d’agir ainsi, sans plan préalable, d’arriver à des résultats peu concordants. L’administration décida de mettre à l’étude un projet général pour l’installation de la lumière électrique, d’après des préceptes uniformes, dans les phares français qui seraient reconnus comme réclamant cette transformation. Une étude générale fut donc préparée par les ingénieurs du service des phares, au ministère des travaux publics, et le ministre présenta, en 1881, à la Chambre des députés, un projet de loi à ce sujet.

Ce projet de loi avait pour but d’établir l’éclairage électrique dans tous les phares des côtes de France, et d’installer des signaux sonores pour suppléer à l’insuffisance des phares, en temps de brume.

Sur quarante-six phares qui garnissent nos côtes, quatre étaient déjà pourvus d’appareils électriques de grande puissance : ceux de la Hève (phare double), du cap Gris-Nez et de Planier ; il s’agissait d’appliquer le même système d’éclairage aux quarante-deux autres. La dépense était évaluée à 7 millions. On calculait, d’autre part, que l’installation de signaux sonores, produits par des trompettes à vapeur, par les temps de brume, coûterait un million.

La première application aurait lieu, pour les deux ordres de perfectionnements, sur les phares de Dunkerque, Calais, Gris-nez (restauré), et le double phare de la Conche.

Le projet de loi faisait remarquer qu’au prix de cette dépense de 8 millions, relativement faible, on assurerait le capital immense que représentent 225 000 navires environ, qui fréquentent chaque année nos ports de commerce.

Les dispositions générales de ce projet ont servi de principe à tous les travaux qui ont été exécutés depuis, et à ceux qui le seront plus tard pour l’établissement de grands phares électriques.

NOMS
des phares.
DATE
de l’allumage.
DÉPENSE TOTALE
pour la construction des bâtiments et des appareils.
    Fr.
La Hève (deux feux fixes, sud et nord) 
26 déc. 1863. 204 000
1er sept. 1865.
La Palmyre (feu alternativement rouge et vert) 
  3 nov. 1881. 109 100
Plamer (feu scintillant) 
1er déc. 1881. 175 300
Le Baleru (feu scintillant) 
1er oct. 1882. 142 800
Calais (feu scintillant) 
1er oct. 1883.   85 200
La Conche (2 feux fixes) 
15 oct. 1884. 214 000
Gris-Nez (feu scintillant) 
15 sept. 1885. 149 200
Dunkerque (feu scintillant) 
1er oct. 1885. 138 200

Actuellement (1891) dix phares sont éclairés par l’électricité sur le littoral de la France. Le tableau ci-dessus résume les principaux renseignements qui les concernent.

Le phare de Planier est le premier qui ait été établi dans les conditions prévues au projet général. Les machines à vapeur sont du système compound, avec condensation par surface. Leur force est de 5 chevaux-vapeur.

Le phare de Baleru est le second qui ait été exécuté d’après les principes du même projet. Les machines à vapeur sont des locomobiles, et la machine électrique une machine magnéto de M. de Méritens, avec des régulateurs Serrin.

Les phares de Dunkerque, Calais, Gris-Nez, la Conche, ont été transformés conformément au plan général.

Le phare de Calais a deux machines magnéto-électriques Méritens, avec quatre régulateurs Serrin, et deux locomobiles à vapeur.

Les deux phares jumeaux de la Conche ont été transformés en phares électriques. Il y a quatre machines magnéto-électriques de Méritens, avec huit régulateurs Serrin, et deux machines à vapeur locomobiles.

La première installation du phare électrique de Gris-Nez, qui remontait à 1869, n’a pu être conservée. La machine de l’Alliance a été remplacée pas deux machines magnéto-électriques de M. de Méritens. Quant à l’appareil optique, on a dû le remplacer par un autre, d’un plus grand diamètre, devant donner des signaux d’un ordre nouveau.

Le phare de Dunkerque, qui termine la série des phares électriques fonctionnant actuellement, renferme deux machines à vapeur fixes et deux machines magnéto-électriques de Méritens, actionnant quatre lampes électriques.

Dans le projet général des ingénieurs, la dépense de la transformation d’un phare à l’huile en phare électrique, avait été évaluée, en moyenne, à 125 000 francs. La dépense faite pour les huit phares nouveaux ne s’est pas beaucoup éloignée de cette estimation ; car si l’on excepte le phare de la Palmyre, qui est dans des conditions particulières, et celui de Calais, dont l’installation est provisoire, la dépense a été de 125 000 francs, en moyenne.

Quant aux dépenses d’entretien annuel d’un phare électrique français, elle est d’après l’ouvrage de M. Allard sur les Phares, publié en 1890, de 14 628 francs à la Palmyre, de 22 535 francs à Planier ; de 18 602 francs au Baleru ; de 17 000 à Calais ; et de 17 000 à Gris-Nez ; ce qui donne une moyenne de 18 000 francs pour les dépenses d’entretien annuel.

si l’on compare la dépense annuelle d’un phare électrique à celle des phares à l’huile, qui fonctionnaient autrefois, on trouve que le rapport est de 1,7 à la Conche, de 2,3 à Planier, et de 2,4 à Calais. Or, l’intensité lumineuse est augmentée avec le phare électrique dans une bien plus grande proportion[3].

L’éclairage électrique de la lanterne d’un phare, nécessite une machine à vapeur, une machine dynamo-électrique, ou une machine magnéto-électrique et un appareil particulier, qui diffère de la lanterne à échelons, éclairée par une lampe à huile minérale.

La machine à vapeur qui sert, dans les phares électriques, à actionner la machine dynamo-électrique est, dans les phares français, une locomobile. Dans les phares étrangers, c’est le plus souvent une machine compound, horizontale, au sujet de laquelle il serait inutile d’entrer dans aucune explication.

Quant à la machine destinée à produire le courant électrique, comme les bougies Jablochkoff (c’est-à-dire sans régulateur) sont seules employées dans les phares français, et que les bougies Jablochkoff ne peuvent fonctionner qu’avec des courants électriques alternatifs, les machines magnéto-électriques, qui produisent des courants alternatifs, sont de rigueur.

On sait qu’une machine magnéto-électrique résulte de l’emploi des aimants, naturels jouant le rôle d’inducteurs.

Ainsi qu’il a été dit dans la Notice sur les Phares, des Merveilles de la science, l’ancienne machine magnéto-électrique de l’Alliance est la première qui ait été employée dans les phares.

Fig. 458. — Ancienne machine magnéto-électrique de la Compagnie l’Alliance.

Cette machine, que nous représentons dans la figure 458, est composée d’un certain nombre de rouleaux en bronze, C, armés à leur circonférence de 16 bobines d’induction chacun. Ces rouleaux, fixés sur un arbre horizontal, actionné par le moteur, tournent entre huit gros aimants permanents, en fer à cheval B, B. Comme chaque aimant a deux pôles, une série présente 16 pôles régulièrement espacés ; il y a donc autant de pôles que de bobines, de telle sorte que, quand l’une d’elles est en face d’un pôle, les 15 autres se trouvent également en face des pôles correspondants. Le courant produit arrive aux charbons en traversant le régulateur R.

On sait que l’inégalité d’usure des deux charbons, dans la bougie Jablochkoff, est prévenue, comme nous l’avons dit plusieurs fois, par ce fait que la lampe reçoit des courants alternativement positifs et négatifs.

Les machines de l’Alliance furent employées aux phares de la Hève, du cap Gris-Nez, à Cronstadt, à Odessa, mais les variations d’intensité lumineuse furent trouvées trop considérables, et cet appareil est remplacé, de nos jours, par celui que construit en Belgique et en France, M. de Méritens, et qui n’est qu’une heureuse modification de la machine primitive de l’Alliance.

Dans le tome Ier de ce Supplément[4], nous avons donné la description et le dessin de la machine magnéto-électrique de M. de Méritens, appliquée à l’éclairage électrique dans les usines et manufactures. Nous représentons ici (fig. 459) la machine magnéto-électrique de M. de Méritens, en usage dans les phares. Elle se compose d’une série d’aimants permanents A, A′, A″ placés horizontalement, et d’un induit, formé de bobines, bb′, en nombre double des aimants. L’induit est monté sur une roue en bronze, les aimants permanents sont fixés sur deux carcasses également en bronze.

Fig. 459. — Machine magnéto-électrique de M. de Méritens.

Les machines magnéto-électriques employées pour produire le courant avec les bougies Jablochkoff, donnent de très bons résultats dans les phares.

Une des plus intéressantes applications des machines dynamo-électriques de M. de Méritens, a été réalisée pour l’éclairage du pont de Forth, en Angleterre, en 1887.

Le phare de l’île de May, sur le pont de Forth, reçut une installation hydraulique, qui développait une lumière équivalente à 3 millions de bougies. C’est le maximum de ce qui a été obtenu jusqu’ici. Les derniers perfectionnements apportés dans la construction des appareils électriques et optiques par les physiciens et les industriels avaient été employés à réaliser, dans l’île de May, pour cette intéressante application du transport de la force par l’électricité.

La chambre des machines à vapeur et des dynamos employés à la production de la lumière électrique, était placée à 265 mètres du phare, près d’un petit lac, dont la chute d’eau était utilisée pour la condensation de la vapeur de la machine. On y avait placé deux dynamos à courants alternatifs de Méritens, actionnés respectivement par deux machines à vapeur, lesquelles ne devaient fonctionner simultanément que par les grands brouillards. En temps ordinaire, une seule machine marchait et l’autre était en réserve.

Les dynamos se composaient de 60 aimants permanents en fer à cheval, disposés suivant les rayons d’une circonférence et répartis en cinq rangées. Au centre tournait l’armature, formée elle-même de 5 anneaux ; sa vitesse était de 600 tours par minute.

Le courant était conduit au phare par deux tiges de cuivre, de 35 millimètres de diamètre, renfermées dans un conduit de pierre cimentée. Une communication téléphonique reliait le phare et la chambre des machines.

Il y avait deux lampes électriques : l’une était placée au centre de la lentille du phare et fonctionnait chaque nuit ; l’autre était en réserve, et toute prête pour l’allumage, s’il le fallait. Les charbons avaient 38 millimètres de diamètre.

Une autre application intéressante de la machine magnéto-électrique de M. de Méritens à l’éclairage des phares, a été réalisée, en 1888, dans le phare Sainte-Catherine, situé à la pointe méridionale de l’île de Wight. Les charbons, dont le diamètre est de 70 millimètres, ne sont pas cylindriques, mais cannelés, ce qui a pour effet de maintenir l’arc à leur centre, de diminuer leur élévation de température et d’assurer à la lampe une meilleure alimentation d’air. L’intensité lumineuse du foyer est de 60 000 bougies.

Les chaudières, machines à vapeur, dynamos et compresseurs d’air (ces derniers produisant la rotation de l’appareil dioptrique à seize panneaux de verre, placé autour du foyer électrique, et servant au fonctionnement de la sirène) sont logés dans un petit bâtiment, à droite de la tour. Les machines à vapeur sont au nombre de trois, du système compound, d’une force nominale de 12 chevaux chacune, mais pouvant fournir, au besoin, un total de 48 chevaux. Elles sortent des ateliers de M. Robey (de Lincoln. ) Les chaudières sont chauffées au coke.

Le jour de l’inauguration, les trois chaudières étaient en pression, bien qu’une seule machine fût utilisée pour actionner une des dynamos. Prête pour un usage immédiat, avec feu couvert et de la vapeur à la pression de 10k,548 par centimètre carré, la seconde machine était reliée à une dynamo de rechange, n’attendant que le mouvement d’un levier pour fonctionner aussitôt, en cas d’accident dans le premier groupe de machines.

La troisième machine à vapeur sert surtout à comprimer l’air, pour le fonctionnement de la sirène, en cas de brouillard. Cependant des compresseurs d’air spéciaux sont reliés à chacune des trois machines, pour servir, en cas d’urgence ; et d’immenses réservoirs sont constamment maintenus chargés d’air à une pression de 114k,064 par centimètre carré, de sorte que le signal d’alarme peut être donné à toute heure du jour ou de la nuit.

Les deux machines dynamos, construites par M. de Méritens, ont une puissance telle que, si toutes deux fonctionnaient concurremment, la lumière concentrée dans la lanterne équivaudrait à 6 millions de bougies. L’inducteur comprend 60 aimants permanents, formés, chacun, de huit plaques d’acier. L’armature, qui a 0m,762 de diamètre, se compose de cinq anneaux, renfermant chacun 24 bobines, disposées en groupes de 4 en tension et de 6 en quantité.

Dans l’installation, tout est en double, et parfois en triple, pour parer à la possibilité d’une extinction de la lumière, même de courte durée.

L’installation de l’éclairage électrique dans les lanternes à échelons des phares, exige, avons-nous dit, des dispositions particulières différentes de celles des foyers à huile ou à pétrole.

Les appareils optiques des phares électriques sont calculés comme ceux des phares ordinaires, mais en tenant compte de l’énorme réduction de volume du foyer éclairant, dont l’intensité focale est environ 600 fois plus grande que celle d’une lampe à l’huile. C’est d’après cette considération qu’au début, c’est-à-dire dans l’installation des phares de la Hève, on avait cru pouvoir réduire à 30 centimètres le diamètre des lentilles. Mais on a reconnu plus tard qu’il fallait doubler ce diamètre. On a donc donné à l’appareil optique du phare de Planier, 60 centimètres de diamètre, et dans les phares anglais, on le porte même à un mètre.

Pour produire les éclats des feux tournants, on se sert de lentilles verticales qui se meuvent en avant des tambours des feux fixes, disposition qui permet d’augmenter à volonté la durée des éclats, relativement à celle des éclipses, et qui constitue l’un des plus précieux avantages de l’éclairage électrique des lanternes des phares.

MM. Sautter et. Lemonnier, les mécaniciens constructeurs attachés aux travaux des phares français, ont adopté, pour l’installation des phares électriques, tout un ensemble nouveau de dispositions optiques.

On trouve dans le savant ouvrage de M. H. Fontaine que nous avons plusieurs fois cité, l’Éclairage par l’électricité[5], des renseignements techniques sur cette question, renseignements qui ont été fournis à l’auteur par MM. Sautter et Lemonnier, et que nous reproduirons textuellement.

Lorsque le feu doit être fixe, la partie optique de l’appareil se compose d’un tambour lenticulaire, de forme convenable, qui rend les rayons horizontaux dans le plan vertical, en les laissant diverger dans le plan horizontal.

Les dimensions de ce tambour varient suivant les machines. Le diamètre de 0m,50 (appareil de quatrième ordre) est suffisant pour les dynamos de 25 ampères.

Il convient de l’augmenter quand les courants sont plus puissants, afin d’éloigner le verre du foyer et éviter qu’il ne se brise par suite du trop grand échauffement.

Avec des intensités de 45 ampères, il faut des optiques ayant 0m,75 de diamètre, et avec des intensités de 80 ampères, des optiques de 1 mètre de diamètre.

L’augmentation de diamètre des appareils est sensiblement proportionnelle à l’augmentation de diamètre des rayons de carbone entre lesquels se produit l’arc voltaïque, et qui détermine à peu de chose près les dimensions de la lumière électrique ; il en résulte que la divergence verticale reste la même dans les trois types d’appareils.

Lorsque le phare doit être tournant, on enveloppe l’optique de feu fixe d’un tambour mobile formé de lentilles droites verticales dont la forme varie suivant l’apparence qu’on veut donner au feu.

Les phares tournants électriques ont sur les phares tournants à l’huile ce très grand avantage, que l’on peut donner aux éclats une durée égale à celle des éclipses.

Dans les phares à l’huile, quand on concentre la lumière sous forme d’éclats, on a deux buts en vue : 1° augmenter l’intensité et par suite la portée du phare ; 2° créer une apparence différente de celle du feu fixe.

On ne peut atteindre le premier de ces buts qu’en donnant à l’éclat une durée beaucoup plus courte que celle de l’éclipse, ou, en d’autres termes, en faisant l’angle du faisceau lumineux une faible partie de l’angle sous-tendu par la lentille. Du reste, cet angle dépend de la dimension du foyer lumineux, et on ne peut l’augmenter, soit en augmentant cette dimension, soit en changeant la distance focale de la lentille, qu’en se condamnant à perdre une partie de la lumière, puisque la divergence se produit non seulement dans le plan horizontal, le seul, dans lequel elle est utilisée pour prolonger les éclats, mais dans tous les sens.

Avec la combinaison de lentilles verticales et d’un tambour cylindrique, qui sert à produire les éclats dans les phares électriques, on peut, en donnant aux lentilles verticales une courbure convenable, augmenter autant qu’on le veut la divergence des faisceaux dans le plan horizontal seulement et diminuer en proportion la durée des éclipses.

La portée d’un phare électrique de la plus petite dimension reste néanmoins très supérieure à celle des plus puissants phares à l’huile.

On peut s’en convaincre par les chiffres suivants :

L’intensité lumineuse d’un phare de premier ordre à feu fixe avec lampe à six mèches équivaut à 1 105 becs carcel.

L’intensité lumineuse d’un panneau annulaire de 45° d’un phare de premier ordre tournant, avec lampe à 6 mèches, équivaut à 9 847 becs carcel. C’est la plus grande intensité lumineuse qu’on puisse obtenir avec un phare à l’huile.

La divergence du faisceau donnée par ce même panneau est de 7° 7′, et la durée de l’éclat est environ le sixième de la durée de l’éclipse qui le précède et qui le suit.

En appliquant au calcul de l’intensité lumineuse des phares électriques les méthodes de M. Allard, et en partant des mesures photométriques, prises dans différentes directions, d’une lampe électrique alimentée par une dynamo Gramme de 25 ampères, on trouve que l’intensité lumineuse d’un phare électrique de 0m,50 de diamètre à feu fixe équivaut au moins à 20 000 becs carcel.

Cette même lumière, concentrée au moyen de lentilles droites mobiles, en faisceaux ayant une divergence telle que la durée des éclipses soit égale à celle des éclats, équivaudra à 40 000 becs carcel, c’est-à-dire qu’elle sera quatre fois plus intense que celle des plus puissants phares à l’huile, avec une durée d’éclipse beaucoup moindre.

Avec une dynamo Gramme de 45 ampères, l’intensité lumineuse d’un phare électrique de 0m,75 de diamètre sera d’environ 60 000 becs ou 100 000 becs pour le feu fixe (suivant que la machine sera couplée en tension ou en quantité) et de 160 000 ou 320 000 becs pour le feu tournant.

Les chiffres donnés pour les feux tournants correspondent, dans les trois types, à une durée d’éclats égale à la durée des éclipses.

On conçoit que, disposant d’une telle quantité de lumière, on n’ait pas à se préoccuper de concentrer plus ou moins les faisceaux, afin d’augmenter ainsi la portée du phare. Le seul objet des lentilles mobiles des appareils tournants est alors de produire des apparences caractéristiques qui distinguent nettement chaque phare des phares voisins.

L’emploi de la lumière électrique et celui des groupes d’éclats (beaucoup plus faciles à réaliser avec cette lumière qu’avec les lampes à huile) fournit un nombre d’apparences suffisant pour que l’on puisse se dispenser de faire figurer parmi les caractères distinctifs d’un phare tournant, la durée de l’intervalle qui sépare les apparitions de deux éclats successifs.

Chaque phare dit son nom plus vite, plus nettement, et sans obliger l’observateur à consulter sa montre.

Enfin si le nombre des apparences réalisées avec la même lumière blanche paraît insuffisant, on peut recourir à la lumière rouge, ou, ce qui est toujours préférable, à une combinaison d’éclats blancs et d’éclats rouges, sans craindre de trop diminuer la portée du feu, qui, même après la perte causée par la coloration, restera supérieure à celle des plus puissants appareils à huile.

Nous venons de faire connaître les dispositions nouvelles, prises dans les phares, pour l’installation de la lumière électrique. Demandons-nous maintenant, quelle est l’utilité précise de ce nouveau mode d’éclairage ?

Et d’abord, si l’on compare, sous le rapport de l’intensité, le foyer électrique d’un phare à un foyer à l’huile, on trouve que l’intensité d’un feu fixe de premier ordre, équivaut seulement à 1 105 becs carcel, tandis que celle d’un feu électrique atteint de 30 000 à 200 000 becs carcel. Pour les éclats, tout ce qu’on peut obtenir avec l’huile, c’est une intensité maxima de 9 850 becs carcel, tandis que la lumière électrique donne de 60 000 à 400 000 becs carcel.

Disons pourtant, qu’en définitive et en dépit de cette augmentation d’intensité, il a été constaté (malgré bien des assertions contraires) que la lumière électrique ne perce pas le brouillard mieux que celle des lampes à huile, à pétrole, et même que la flamme du gaz.

D’autre part, la portée de visibilité n’est pas plus grande avec l’électricité qu’avec les lampes à pétrole, ou même avec la flamme du gaz, qui a été expérimentée dans ce but. Tant que l’on n’aura pas trouvé le moyen d’accroître la distance de visibilité de la lumière électrique, les gouvernements hésiteront à généraliser son emploi dans les phares, car son installation et son entretien sont assez coûteux et ne sont pas toujours justifiés par les avantages.

M. Allard, inspecteur général des phares, de France, a fait une série d’expériences et de calculs, qu’il a consigné dans un mémoire Sur l’intensité et la portée des phares, et qui renferme les comparaisons suivantes :

Si l’on prend à titre d’exemple, un phare de premier ordre, à l’huile minérale, comme celui de Dunkerque, donnant un éclat de 6 250 carcels, et en supposant un appareil vingt fois plus puissant, c’est-à-dire de 125 000 carcels, il est facile, dit M. Allard, de déterminer la portée des deux foyers.

Par une transparence moyenne de l’atmosphère, les portées correspondant à ces deux intensités lumineuses sont 53 kilomètres et 75,40 kilomètres ; on gagne 42 p. 100. La portée est ainsi augmentée dans le rapport de 1 à 1, 42 lorsque l’intensité l’avait été dans le rapport de 1 à 20.

Par un état de l’atmosphère moins transparent, les portées sont de 24 et de 32 kilomètres ; on ne gagne plus que 34 p. 100.

Enfin par un temps de brouillard qui règne pendant dix nuits environ par an, les portées sont respectivement réduites à 3, 7 et 4, 6 kilomètres. On gagne à peine 24 p. 100 en multipliant par 20 l’intensité du phare.

Ainsi, les phares électriques ne dépassent pas en portée les phares à l’huile minérale.

MM. Sautter et Lemonnier avaient eu une idée très ingénieuse pour augmenter la distance de visibilité des feux électriques. Comme la courbure de la terre est le seul obstacle à une portée plus considérable des feux, ils avaient pensé que si l’on éclairait avec puissance les nuages, dans la région du ciel au-dessus du phare, les navigateurs pourraient reconnaître la position de ce même phare, avant que leur œil eût atteint le plan de l’horizon tangent à la courbure de la terre, et passant par le foyer lumineux du phare.

MM. Sautter et Lemonnier firent des expériences dans ce sens, au phare de Berdiansk, aux bords de la mer d’Azow. L’appareil optique était dirigé de telle sorte qu’une partie de la lumière était envoyée verticalement sur les nuages. On constata ainsi que les feux électriques étaient aperçus à une distance beaucoup plus grande. C’est là un résultat très important : il est fâcheux que ces expériences n’aient pas été poursuivies, de manière à amener une application pratique de ce fait intéressant. On a pensé, sans doute, que comme les nuages ne couvrent pas toujours le ciel, dans nos climats, et qu’ils sont fort rares dans les régions méridionales, ce procédé ne serait pas susceptible d’une application générale.

Sauf l’adoption de la lumière électrique dans un certain nombre de phares, français et étrangers, on n’a pas apporté de perfectionnement sensible à leur outillage optique et mécanique, pas plus qu’à leur style architectural, depuis l’année 1870, date de la publication de notre Notice des Merveilles de la science. Mais un monument, héroïque, pour ainsi dire, apparut à l’Exposition universelle de 1889. La tour Eiffel est venue étonner le monde industriel, par la hardiesse de sa construction, par ses proportions extraordinaires, par la nouveauté des principes mécaniques qu’elle a inaugurés, par l’emploi exclusif du fer dans les édifices, enfin par la puissance du foyer lumineux qui la surmonte, et la portée des feux qu’elle promène aux quatre coins du ciel.

Le gigantesque monument du Champ de Mars, n’a pas été édifié uniquement pour la plus grande satisfaction des badauds parisiens, des oisifs, des désœuvrés, des inutiles de ce monde, qui aiment à aller faire des déjeuners à 25 francs par tête, à 60 mètres au-dessus du niveau de la Seine. La tour Eiffel peut être considérée comme un phare appelé à devenir d’une grande utilité en temps de guerre, à servir, en temps de paix, à résoudre beaucoup de questions scientifiques, à montrer enfin les merveilles que peut réaliser aujourd’hui l’art de l’ingénieur et du métallurgiste. À ce titre, ce monument doit trouver place dans le Supplément à notre Notice sur les Phares, et nos lecteurs nous sauront gré, sans doute, de leur donner une description détaillée et précise de cette immense construction de fer, à fondations de granit, qui a fait l’admiration de toutes les nations du monde, et qui a tant contribué au grand succès de l’Exposition universelle de Paris, en 1889.

On a donné bien souvent les dimensions de la tour Eiffel, comparées à celles des monuments les plus élevés sortis de la main de l’homme. Nous croyons pourtant utile de les rappeler en quelques lignes.

La croix du Panthéon, à Paris, n’a pas plus de 80 mètres. La flèche de la cathédrale d’Amiens a 100 mètres ; celle des Invalides a Paris, 105 ; le dôme de la cathédrale de Milan, 109 ; la coupole de Saint-Paul de Londres, 110 ; le clocher neuf de la cathédrale de Chartres, 113 ; la flèche de l’église d’Anvers, 120 ; la coupole de Saint-Pierre de Rome, 132 ; la tour de Saint-Étienne à Vienne, 138 ; le Munster de Strasbourg, 142. La cathédrale de Rouen arrivait à 150 mètres. La cathédrale de Cologne avait conquis le premier rang avec ses 156 mètres.

Combien la tour Eiffel, avec ses 300 mètres bien comptés, dépasse ces dimensions ! C’est pour rivaliser, sous le rapport des dimensions, avec les monuments les plus élevés du globe, que les Anglais et les Américains songèrent, de nos jours, à créer des monuments d’une hauteur prodigieuse. Déjà, en 1833, un des plus grands ingénieurs de l’Angleterre, Trewithick, dont le nom est resté attaché à l’histoire des premiers temps de la locomotive, proposait de construire une tour en fonte, qui aurait eu 1 000 pieds anglais de hauteur et 30 pieds environ à la base ; mais ce projet, que n’accompagnait aucune étude sérieuse, ne fut considéré en Angleterre que comme une excentricité.

Il en fut autrement du monument proposé par les ingénieurs américains en 1848, et qui consistait à construire à Washington un obélisque de pierre, dépassant en hauteur tout ce qui s’était vu.

On se proposait d’abord d’élever une pyramide de 183 mètres de hauteur ; mais, en 1854, quand la maçonnerie arriva à la hauteur de 46 mètres, on s’aperçut qu’elle s’inclinait d’une façon tellement inquiétante, qu’on suspendit les travaux. Ils ne furent repris qu’en 1877 ; mais on fut obligé, pour des raisons de solidité, et pour éviter l’écrasement des matériaux, de réduire la hauteur qu’on avait assignée d’abord au monument, et on la fixa définitivement à 169 mètres.

C’est seulement en 1880, qu’après avoir refait de nouvelles fondations, on reprit les travaux de la partie supérieure, qui marchèrent alors régulièrement, mais très lentement, c’est-à-dire à raison de 30 mètres d’élévation par année. L’ouvrage fut inauguré le 21 février 1885 : il avait coûté 7 100 000 francs.

À Washington, la construction de la tour en maçonnerie avait présenté tant de difficultés, qu’à l’occasion de l’Exposition de Philadelphie, en 1874, deux ingénieurs, MM. Clarke et Reeves, publièrent un projet consistant à élever une tour, non en maçonnerie, mais en fer. Ils proposaient un cylindre en fer, de 9 mètres de diamètre, maintenu par une série de contreforts métalliques, disposés sur tout son pourtour, et venant se rattacher à une base, dont le diamètre était de 48 mètres.

Ce nouveau projet laissait une grande place à la critique. D’ailleurs les Américains, malgré leur esprit novateur et l’enthousiasme national que cette conception excitait, reculèrent devant son exécution. D’autres projets furent conçus, en d’autres pays, pour construire des tours, les unes en maçonnerie, les autres en métal allié à la maçonnerie, enfin en bois. Telle était la tour que l’on destinait à l’Exposition de Bruxelles de 1888. Mais aucun de ces derniers projets n’a été mis à l’étude. Ils sont restés dans le domaine du rêve, et des conceptions aussi faciles à enfanter par un ingénieur, que difficiles à exécuter par un constructeur.

Il en a été tout autrement du projet de notre tour de 300 mètres.

Voici dans quelles circonstances le plan en fut arrêté.

En 1885, après les études que M. Eiffel et les ingénieurs américains avaient eu l’occasion de faire sur de hautes piles métalliques supportant les viaducs de chemin de fer, comme celui de Garabit, M. Eiffel fut conduit à penser que l’on pouvait donner à des piles de viaduc, sans difficultés très considérables, des hauteurs bien plus grandes que celles qui avaient été réalisées jusqu’alors. Avant cette époque, les piles métalliques ne dépassaient pas 70 mètres. Il étudia, pour cet ordre d’idées, une grande pile de viaduc de 120 mètres de hauteur, avec 40 mètres de base.

C’est l’ensemble de ces recherches qui conduisit M. Eiffel, en vue de l’Exposition universelle de 1889, à proposer l’exécution d’une tour de 300 mètres. L’avant-projet avait été préparé par deux ingénieurs d’un mérite hors ligne, MM. Nouguier et Kœchlin, ingénieurs de l’usine Eiffel à Levallois-Perret, et par M. Sauvestre, architecte.

L’idée fondamentale de ces pylônes reposait sur un procédé de construction qui est particulier à M. Eiffel, et dont le principe consiste à donner aux arêtes de la pyramide une courbure telle, que cette pyramide soit capable de résister aux efforts transversaux du vent, sans nécessiter la réunion de ces arêtes par des tiges diagonales, comme on le fait habituellement.

D’après cette idée, on décida de donner à la tour la forme d’une pyramide à quatre arbalétriers courbés, isolés l’un de l’autre, et simplement réunis par des ceintures formant le plancher des étages. À la partie supérieure seulement, et quand les arbalétriers seraient suffisamment rapprochés, on devait employer les diagonales ordinaires.

C’est au mois de juin 1886 qu’une commission, nommée par M, Lockroy, alors ministre du commerce et de l’industrie, et présidée par M. Alphand, accepta définitivement le projet présenté par M. Eiffel. Le 8 janvier 1887 fut signée la convention avec l’État et la Ville de Paris, fixant les conditions dans lesquelles la tour devait être construite.

L’emplacement choisi pour le futur monument fut le Champ de Mars, par cette bonne raison que la tour était née de l’Exposition, qu’elle devait contribuer à son embellissement, et qu’elle ne pouvait, par conséquent, se trouver ailleurs que dans l’enceinte du Champ de Mars.

On a dit souvent qu’au lieu de la placer au Champ de Mars, on aurait dû l’édifier au Trocadéro, pour que sa hauteur fût augmentée de toute l’élévation de la colline du Trocadéro. Mais d’abord, la place aurait manqué ; il aurait fallu démolir le palais même du Trocadéro, et d’autre part, le sol, composé d’anciennes carrières pleines d’anfractuosités, n’aurait donné qu’une base de peu de solidité. D’après M. Eiffel, on n’aurait, du reste, bénéficié que d’une différence de hauteur de 24 mètres seulement ; ce qui n’avait qu’une importance secondaire.

Au contraire, à son emplacement actuel, elle forme une entrée triomphale au Champ de Mars, qui, aujourd’hui, conserve une partie des constructions et édifices de l’Exposition de 1889. Sous ses grands arceaux, on voit, du pont d’Iéna, se découper le dôme central, qui conduit à la galerie des machines, et de chaque côté les dômes des galeries des Beaux-Arts et des Arts libéraux, où ils s’encadrent merveilleusement.

En un mot, au grand étonnement de beaucoup de personnes, la tour encadre tout et n’écrase rien.

À tous ces points de vue, les uns de nécessité pratique, les autres de groupement architectural, on n’aurait pu choisir un autre emplacement.

Fig. 460. — Tour Eiffel de 300 mètres.

Nous nous sommes un peu attardé à des considérations historiques, qui avaient leur utilité. Arrivons maintenant à la description du monument, en nous plaçant à sa base.

Là, ce qui frappe d’abord, et déconcerte quelque peu l’œil et l’esprit du visiteur, c’est la bizarre inclinaison des immenses arceaux qui servent de base à la colonne monumentale. Si vous demandez à un ingénieur la cause, la raison d’être, de ce mode spécial d’inclinaison et d’obliquité des courbes de la base, il vous dira que c’est par le calcul qu’on a été conduit à adopter cette courbe, et que nulle autre n’aurait été propre à supporter l’effort prodigieux du poids de métal que représente ladite masse.

Mais ce n’est pas seulement l’inclinaison et l’évidement de la base qui donnent à la tour toute sa solidité ; cette qualité lui est assurée encore par l’immense profondeur de ses fondations. Ces fondations, ou piliers, au nombre de quatre, sont désignés sous les noms de piliers Nord, Sud, Est et Ouest.

Quand on examine ces quatre supports, on est loin de se douter des travaux vraiment cyclopéens qu’il a fallu exécuter pour les asseoir dans le sol. Il n’est donc pas hors de propos de rappeler tout ce qu’il a fallu faire pour donner aux quatre bases de la tour leur inébranlable assiette.

Les nombreux sondages entrepris par M. Eiffel dans le Champ de Mars, prouvèrent que l’assise inférieure de ce sol est formée d’une énorme couche d’argile plastique, qui n’a pas moins de 16 mètres d’épaisseur, et qui repose sur la craie. Sèche et compacte, cette argile peut supporter des charges de 3 à 4 kilogrammes par centimètre carré.

La couche d’argile, légèrement inclinée depuis l’École militaire jusqu’à la Seine, est surmontée d’un banc de sable et gravier, compact, éminemment propre à recevoir des fondations. Jusqu’aux environs de la balustrade qui sépare le Champ de Mars proprement dit appartenant à l’État, du square appartenant à la Ville, c’est-à-dire à peu près à la hauteur de la rue de l’Université, cette couche de sable et gravier a une hauteur, à peu près constante, de 6 à 7 mètres. Au delà, on entre dans L’ancien lit de la Seine ; et l’action des eaux a réduit l’épaisseur de cette couche, qui va toujours en diminuant, pour devenir à peu près nulle quand on arrive au lit actuel.

La couche solide de sable et gravier est surmontée elle-même d’une épaisseur variable de sable fin, de sable vaseux et de remblais de toute nature, impropres à recevoir des fondations.

Certaines considérations administratives ayant dû faire renoncer à implanter la tour dans la partie du Champ de Mars appartenant à l’État, où les fondations n’auraient présenté aucune difficulté, on se décida à la reporter à l’extrême limite du square. Les fondations de chacun de ses pieds sont ainsi séparées de l’argile par une épaisseur suffisante de gravier.

C’est sur ce sol solide qu’on posa les fondations, consistant en quatre piles de maçonnerie. Les fondations ont été faites au moyen de l’air comprimé, à l’aide de caissons en tôle, de 6 mètres de long, sur 16 de large, au nombre de quatre pour chaque pile.

Connaissant bien les bases sur lesquelles repose la tour, nous pouvons en décrire les différentes parties.

Pour arriver à la première plate-forme, qui est à 58 mètres du sol, on peut se passer d’ascenseur. La montée est si douce et si facile, les marches qui conduisent à la première plate-forme, sont si larges et d’une si faible pente, qu’il serait vraiment fâcheux de se priver du spectacle charmant que donne cette ascension. Dix minutes suffisent pour franchir les 350 marches, et l’œil est incessamment charmé du spectacle qu’il rencontre jusqu’à la première plate-forme.

Cette surface est immense, elle ne mesure pas moins de 4 200 mètres carrés. La partie centrale, qui est à jour, sur une étendue de 900 mètres carrés, permet de plonger le regard dans l’intervalle des quatre piliers, et de mesurer la hauteur à laquelle on se trouve, tout en ayant le spectacle des constructions qui ont été conservées dans le Champ de Mars.

On a inscrit sur la frise qui environne le premier étage, les noms des ingénieurs et des savants français qui ont le plus contribué au progrès des sciences, dans notre siècle.

La plate-forme, qui peut recevoir mille visiteurs, se compose d’une partie centrale, où l’on avait installé, pendant l’Exposition de 1889, quatre restaurants : un restaurant français, un bar flamand, un restaurant russe et un buffet anglo-américain. Ces quatre établissements étaient entourés d’une galerie-terrasse, qui recevait les promeneurs.

Aux quatre coins de la plate-forme se trouve le débouché des quatre ascenseurs qui permettent au visiteur timide de gravir sans fatigue cette hauteur.

Nous n’avons rien dit de cet ascenseur, ayant admis que nous ne nous sommes servis pour monter que de l’ascenseur dont nous a gratifié la nature. Nous ne pouvons cependant nous dispenser de décrire les appareils mécaniques qui servent à élever les amateurs, du sol au premier étage.

Deux systèmes différents remplissent cet office : l’ascenseur du système Roux et Combaluzier, et l’ascenseur américain de M. Otis.

MM. Roux et Combaluzier, constructeurs français, ont modifié l’ascenseur hydraulique en usage aujourd’hui dans les maisons particulières et les hôtels, de manière à l’adapter au cas particulier d’un élévateur obligé de suivre certaines inflexions dans sa course, et ne pouvant, dès lors, conserver la rigidité propre au piston des ascenseurs hydrauliques ordinaires.

Le piston articulé de MM. Roux et Combaluzier agit par compression, comme dans les ascenseurs à tige verticale ; seulement la tige est articulée. Il est, en effet, constitué par une série de petits pistons, ayant la forme de tiges à fourches, qui sont, en outre, munis de deux galets en chaque point d’attache.

Quand on introduit ce piston dans un conduit circulaire, il le parcourt sans difficulté, si l’on vient agir sur lui par refoulement. Il se courbe et serpente, en suivant les sinuosités de ce conduit, comme le ferait une chaîne tirée par son extrémité libre. Si l’on fixe ce piston au plancher d’une cabine d’ascenseur, et que l’on actionne ce piston par un moteur à vapeur installé au-dessous de la cage de l’ascenseur, on fera suivre à la cabine le chemin que l’on voudra, pourvu que le conduit dans lequel sera logé le piston suive lui-même le chemin à parcourir. En joignant les deux extrémités de ce piston flexible, on en fait une chaîne sans fin, qui se meut sur deux poulies. La poulie inférieure donne le mouvement, et la supérieure sert de moyen de renvoi.

Du premier étage de la tour, on a déjà sous les yeux un spectacle intéressant ; mais nous ne pouvons nous y attarder, il s’agit de monter plus haut : Excelsior !

Fig. 461. — M. Eiffel.

L’accès de la première plate-forme à la deuxième se fait par un escalier, ou par un ascenseur. Nous vous supposons, cher lecteur, assez déterminé et assez valide pour gravir l’escalier tournant, et nous allons commencer, avec vous, l’ascension par cette voie.

Il est plus pénible de gravir ce deuxième escalier ; car ses marches sont assez étroites, et sa révolution sur son axe est un peu courte ; ce qui oblige à tourner sans cesse. Mais si votre organisation vous a suffisamment prémuni contre le vertige, vous supporterez facilement cet exercice. Du reste, la vue est continuellement arrêtée par l’entrecroisement extraordinaire de poutres métalliques qui servent de cage à l’escalier ; et si l’on veut combattre le vertige, il faut s’appliquer à regarder avec soin le mode d’articulation des pièces, composant la carcasse de la tour.

C’est, en effet, une véritable merveille que cet assemblage de petites poutres de fer, en nombre incalculable, dont le treillis constitue toute la structure de la tour. Quand on se reporte par la pensée à la manière dont ces mille jointures métalliques ont été assemblées et fixées, on ne peut s’empêcher d’admirer la hardiesse de l’homme et les ressources de l’industrie, qui ne recule devant aucune impossibilité apparente.

La première partie de la tour n’offrait pas de difficulté de construction ; mais, pour élever la partie allant de la première plate-forme à la deuxième, on ne pouvait se servir des procédés de montage qui avaient été suivis pour porter la construction métallique à la hauteur de 50 mètres. Les poutres métalliques ne pouvaient, en effet, être posées dans l’espace, où tout appui manquait. Le procédé de construction adopté fut d’une hardiesse remarquable. On éleva quatre grands pylônes, en charpente, de 45 mètres de hauteur ; et sur ces constructions de bois provisoires, on posa les poutres de fer, destinées à relier les quatre faces des montants de la tour. Ces quatre montants furent rapprochés peu à peu, par le moyen employé dans ce cas, et qui consiste à faire écouler une provision de sable qui, par sa chute, soulève les arbalétriers : ce qui rapproche progressivement les piles mobiles des poutres métalliques.

Pour monter le reste de la partie métallique, on fixa sur le plancher, obtenu comme il vient d’être dit, quatre énormes grues. C’est au moyen des cordes attachées à ces grues, que les pièces de fer arrivaient aux ouvriers, qui étaient perchés dans la membrure. C’était un spectacle curieux que ces pièces de fer, levées par les grues, se balançant dans l’air, jusqu’au moment où elles allaient s’abattre, comme d’elles-mêmes, au point précis où elles devaient se placer. Alors, les ouvriers riveurs approchaient les clous rougis au feu des trous percés par avance dans chaque pièce, et à coups de marteau, ils en opéraient la rivure inébranlable.

Ce n’est qu’à partir de 150 mètres que les poutres et les pièces de fer ont été hissées par une locomobile, placée à l’étage inférieur.

Du premier au second étage, il y a 380 marches à gravir ; la montée exige 40 minutes. C’est par l’escalier tournant que nous avons supposé le voyageur aérien parvenu à la deuxième plate-forme ; mais le plus grand nombre des visiteurs, il faut le dire, montent par l’ascenseur.

L’appareil employé ici est l’ascenseur américain Otis, qui fonctionne déjà jusqu’au premier étage, et qui diffère de l’ascenseur Roux et Combaluzier, en ce que le piston hydraulique au lieu d’agir dans un tube divisé en tronçons, fait tourner un arbre, autour duquel s’enroule une corde comme dans les roues hydrauliques du système Armstrong.

Fig. 462. — Une cabine de l’ascenseur de la tour Eiffel.

Que l’on y arrive par l’ascenseur ou par l’escalier, la deuxième plate-forme offre au visiteur un très intéressant spectacle. On est à 116 mètres au-dessus du sol, et la surface totale de ce plancher est de 1 400 mètres environ. La plateforme n’est qu’un simple promenoir, d’une longueur de 150 mètres et d’une largeur de 2m,60, mais du haut de cet observatoire la vue est splendide ; c’est Paris tout entier, avec son enceinte immense, ses monuments, ses avenues, ses grandes places, et les sillons de ses grandes rues. Là toutes les hauteurs s’aplanissent. On voit le Trocadéro tomber au niveau de la Seine, et le Mont-Valérien s’affaisser dans la plaine. Les collines de Montmartre seules produisent comme une tache blanche à l’extrémité de l’horizon. Versailles, avec ses longues avenues, apparaît au loin. C’est comme une ascension en ballon captif. Les objets apparaissent, en effet, avec des dimensions les plus réduites. Les hommes sont comme des mouches, et les édifices ressemblent aux petites maisons de bois qui servent de jouets aux enfants.

L’esprit s’exalte à ce spectacle ; la pensée se transforme et s’agrandit. On voit sous ses pieds la fourmilière humaine. Les dômes et les toits des édifices du Champ de Mars, conservés après l’Exposition, brillent comme des points étincelants au soleil. Les lignes des allées, des chemins, des passerelles et des ponts, ainsi que la Seine, se détachent en blanc sur le fond du tableau, qu’égayent les tons heureux de la végétation environnante.

Mais ne nous attardons pas en si beau chemin. Montons encore : Excelsior !

Ici, quelle que soit la bonne volonté du touriste, il n’y a plus possibilité, pour lui, de se servir de ses jambes, s’il veut continuer sa montée ; il faut qu’il prenne l’ascenseur. Encore faudra-t-il, à moitié chemin, qu’il effectue un transbordement de cabine.

Faisons remarquer que rien n’empêcherait de monter par l’escalier qui existe à l’intérieur de la colonne. Seulement, cet escalier, fort étroit, ne pourrait livrer passage à plus d’une personne, et dès lors, il ne suffirait pas. C’est donc à l’ascenseur qu’il faut avoir recours.

Cet ascenseur est d’un système tout particulier, imaginé par M. Édoux, à qui l’on doit la plupart des appareils d’élévation en usage dans les maisons et hôtels. Il assure une sécurité absolue. Il se compose de deux cabines reliées par des câbles : l’une des cabines effectue le transport depuis la seconde plate-forme jusqu’à un plancher intermédiaire construit à cet effet ; l’autre cabine élève les fardeaux depuis le plancher intermédiaire jusqu’au troisième étage.

Ce plancher intermédiaire, disposé à mi-hauteur entre le second étage et la plateforme supérieure, est le point de départ de l’ascenseur Édoux, c’est-à-dire d’un ascenseur hydraulique vertical à piston plongeur, analogue à celui du Trocadéro, dont la cabine est disposée sur l’extrémité de ce piston. Cette cabine effectue le transport jusqu’à la plate-forme supérieure, soit une course de 80 mètres.

Elle est reliée par des câbles à une deuxième qui forme contrepoids, et qui effectuera le transport des voyageurs du deuxième étage jusqu’à ce plancher intermédiaire, sur une hauteur égale de 80 mètres ; de manière qu’à l’aide de ces deux cabines, voyageant en sens contraire, et par un simple transbordement à mi-hauteur, on effectue une course totale de 160 mètres.

Le guidage de l’ascenseur est constitué par une poutre-caisson, occupant le centre de la tour, d’une hauteur de 160m,40, et par deux autres poutres de section plus petite, l’une, à gauche, allant du second étage au plancher intermédiaire, et l’autre, à droite, allant de ce dernier plancher au sommet de la tour.

La première cabine est portée par deux pistons de presse hydraulique de 0m,32 de diamètre, donnant ensemble une section de 1 600 centimètres carrés, et se déplaçant dans des cylindres en acier de 0m,38 de diamètre. Ces deux pistons sont articulés à leur partie supérieure sur un palonnier, dont le milieu porte la cabine ; de cette façon, celle-ci s’élève toujours régulièrement, sans être influencée en rien par les légères variations de vitesse des pistons, variations ne pouvant résulter, et cela dans une très faible mesure, que de frottements inégaux aux garnitures des pistons.

De la partie supérieure de cette première cabine et des deux extrémités du palonnier partent quatre câbles, qui, passant par des poulies établies au sommet de la tour, soutiennent la deuxième cabine ; deux des câbles s’attachent sur un palonnier, au milieu duquel est suspendue cette cabine ; les deux autres câbles sont fixés directement au corps de la cabine même, et sont destinés à servir de système de sécurité.

Les cabines, qui peuvent élever 750 personnes à l’heure, ont une surface de 14 mètres carrés, et contiennent environ 63 personnes. Chaque cabine ne parcourant que la moitié de la course totale, il en résulte un échange de l’une à l’autre, à la hauteur du plancher intermédiaire ; cet échange se fait par deux chemins distincts et par suite sans perte de temps, La durée d’une ascension avec la vitesse de 0m,90 par seconde, se décompose ainsi : une minute et demie pour la course de chaque cabine et une minute pour le passage de l’une à l’autre, soit 5 minutes pour un voyage aller et retour, ou 4 minutes pour la durée du trajet de la deuxième plate-forme au sommet.

Les deux cylindres moteurs des cabines sont alimentés par un cône distributeur, assurant ainsi dans chacun d’eux une admission égale, et donnant pour le piston des déplacements égaux.

Ce distributeur est alimenté lui-même par un réservoir situé au sommet de la tour, et d’une capacité d’environ 20 000 litres.

Un frein très puissant permet de répondre absolument de tout accident et d’affirmer que, dans le cas de rupture d’un organe important de l’ascenseur, les visiteurs portés par la cabine n’auraient à redouter aucune chute.

Tous les ascenseurs de la tour Eiffel sont mus par l’eau. Ils ont nécessité l’installation de plusieurs systèmes de pompes à vapeur : les unes du système Girard, pour les ascenseurs Roux et Otis ; les autres du système Worthington, pour l’ascenseur Edoux. Ces pompes effectuent un travail continu de 300 chevaux-vapeur.

L’ensemble des ascenseurs de la tour permet d’élever par heure 2 350 personnes au premier et au deuxième étage, et 750 personnes au sommet ; l’ascension totale s’effectue en sept minutes.

On a calculé que 10 000 visiteurs peuvent se trouver à la fois dans la tour, répandus sur les deux plates-formes, les escaliers ou les ascenseurs.

La troisième plate-forme, à laquelle nous voici parvenus, est à 276 mètres au-dessus du sol. Elle ne contient guère qu’une grande salle, de 66 mètres carrés de surface, pouvant recevoir 800 personnes. Tout son pourtour est fermé par des glaces, qui permettent d’observer, à l’abri du vent, qui est souvent très fort à cette hauteur, le magnifique panorama que l’on embrasse circulairement.

Inutile de dire que la vue est toute différente à cette hauteur qu’aux niveaux inférieurs. On aperçoit Paris et ses environs, comme sur une carte de géographie en relief, mais avec une couleur de tons très peu variés : la verdure paraît noire, et les rues ressemblent à des sillons clairs, sur un fond brun et monotone. Aucun bruit ne monte à cette hauteur ; la ville, si fiévreuse et si mouvementée, apparaît comme le séjour du silence et de l’immobilité. C’est un amas de pierres, d’où ne sort aucune rumeur.

Beaucoup de personnes préfèrent la vue du premier étage à cette dernière, l’extrême élévation ne permettant plus de rien discerner, bien distinctement.

On assure qu’à cette hauteur la vue atteint jusqu’à 90 kilomètres, et que, quand le temps est exceptionnellement clair, par exemple après de grandes averses qui ont bien balayé l’atmosphère, la vue peut s’étendre à 200 kilomètres (50 lieues).

Ce sont là toutefois des prévisions de calcul plutôt que des observations réalisées. Ce qui est avéré, c’est qu’on a aperçu les feux nocturnes de la tour Eiffel du haut des collines d’Orléans. C’est un résultat bon à noter ; car il s’agit d’un fait constaté directement, et non d’une évaluation du calcul.

Le public n’est pas admis à monter au-dessus de la troisième plate-forme (276 mètres ) ; mais là ne se termine pas le monument. Sa hauteur totale étant de 300 mètres, ce dernier métrage est occupé par le campanile et la flèche, lesquels, mis bout à bout, complètent les 300 mètres.

Le campanile (fig. 463) est composé de quatre parois à treillis, terminées en arceaux, et supportant un phare d’une puissance et d’une portée visuelle qui surpassent tout ce qui a été vu jusqu’à ce jour. Un petit escalier tournant conduit les personnes de service à l’appareil optique qui constitue le phare.

Fig. 463. — Le campanile de la tour Eiffel.

Le campanile est affecté spécialement à des laboratoires scientifiques, qui sont au nombre de trois. Le premier est consacré aux observations astronomiques, le second à la météorologie et à la physique du globe, le troisième à l’histoire naturelle et à la biologie, ainsi qu’aux études de l’air au point de vue micrographique.

Tout le monde a vu, à Paris, les feux diversement colorés (blanc, vert et rouge) que la sommité de la tour Eiffel lançait chaque soir, pendant l’Exposition de 1889, dans toutes les directions. Il n’est donc pas sans intérêt de donner quelques détails sur l’appareil dioptrique qui produit ces magnifiques éclats.

Il s’agissait de porter les rayons lumineux émanés d’un foyer électrique, dans un cercle de plus de 100 kilomètres. Jamais jusque-là, on n’avait envisagé l’idée d’une pareille portée, et aucun éclairage de phare ne donnait le moyen de comparaison applicable à ce cas.

Au lieu d’un seul foyer électrique, comme dans nos phares, on a pris 48 foyers, d’une égale intensité, que l’on a disposés à trois hauteurs différentes. Cette source lumineuse totale représente 3000 ampères.

La différence de couleur des feux n’est pas produite par des foyers différents : c’est tout simplement un mécanisme d’horlogerie, qui fait tourner devant la source lumineuse une série de plaques de verre diversement colorées, lesquelles, par leur succession et leur interposition, produisent la variation des couleurs. C’est, d’ailleurs, le moyen employé dans les phares de nos côtes pour diversifier les feux qui signalent aux navigateurs l’entrée des ports.

C’est ainsi que, chaque nuit, le phare de la tour Eiffel promenait ses feux colorés aux divers points de l’horizon.

Fig. 464. — Le phare électrique de la tour Eiffel.

Ajoutons que son rayon de projection était trop grand pour que les feux fussent aperçus du Champ de Mars. On ne pouvait les voir que d’une distance de 1 500 mètres, c’est-à-dire des Champs-Elysées, des Invalides ou de la place de la Concorde.

Le phare proprement dit, que nous représentons sur la figure 464, est constitué par deux systèmes superposés d’éléments optiques, comprenant : 1° un système de verres dioptriques, ou tambour (réfracteur simple), destiné à porter la lumière à grande distance. La divergence des rayons est due aux dimensions de la source lumineuse obtenue par un arc voltaïque de 5 500 carcels ; 2° un système d’éléments catadioptriques, ou à réflexion totale. Les éléments ont été calculés pour éclairer les abords de la tour, de 1 500 mètres jusqu’à l’horizon, dans un angle de 11°,5.

Le tambour dioptrique supérieur multiplie la lumière par 13, et la fait passer de 5 500 carcels à 70 000. L’anneau catadioptrique partie inférieure de l’appareil optique, la multiplie dans des proportions moindres, mais suffisantes.

La lumière qu’envoient ces anneaux de verre taillé, superposés, est graduée suivant la distance, et augmente à mesure que l’on s’éloigne de l’axe de la tour. L’intensité visible à Paris dans les éclats est de 24 146 carcels à 1 503 mètres de la tour ; elle est de 64 474 carcels, à 1 850 mètres, de 86 711 carcels à 2 194 mètres, de 99 283 carcels à 2 500 mètres. À 4 120 mètres, le tambour mobile commence à faire sentir ses effets : son intensité est de 63 398 carcels dans le feu fixe, et de 516 761 carcels dans les éclats.

Les projecteurs (système Mangin), au nombre de deux, ont été construits par MM. Sautter et Lemonnier. Ils ont 0m,90 de diamètre, et sont formés d’un miroir aplanétique. Le foyer lumineux, placé très près du miroir, est une lampe électrique à arc, de même intensité que celle du phare. Les charbons de cette lampe sont inclinés à 45 degrés. Le projecteur, monté sur un socle, se meut dans tous les sens, à l’aide de deux volants, que l’on manœuvre à la main. L’intensité moyenne du rayon lumineux est de 6 à 8 millions de becs Carcel.

Il a été possible, avec de bonnes lunettes, d’éclairer les objets à 11 kilomètres. On peut éclairer de haut en bas des objets très rapprochés, jusqu’à 275 mètres du pied de la tour.

La portée du phare en ligne droite étant de 203 kilomètres, on peut le voir de très loin quand on est sur un lieu élevé.

Il paraît que le phare de la tour Eiffel a été vu à Bar-sur-Aube, qui est à 190 kilomètres de Paris. L’observateur était sur une colline de 300 mètres d’altitude. Il a encore été vu du haut de la cathédrale de Chartres, à 75 kilomètres de Paris, et du haut de la cathédrale d’Orléans, à 115 kilomètres. À ces grandes distances, on le voit comme un point lumineux.

Outre les feux colorés produits par les verres tournants, on sait que le phare de la tour Eiffel projette circulairement d’énormes faisceaux de lumière blanche. Ces projections sont opérées par le même appareil qui sert, à bord de nos navires cuirassés, à scruter l’horizon, et à éclairer puissamment un point quelconque de la mer ou du rivage, particulièrement quand il s’agit de reconnaître la présence d’un bateau-torpilleur. Les projecteurs électriques servaient à lancer des gerbes lumineuses qui venaient frapper Paris et ses environs, jusqu’à une distance de 8 à 10 kilomètres.

On voit sur la figure 465, l’installation des projecteurs sur la terrasse de la deuxième plate-forme.

Fig. 465. — Installation des projecteurs de lumière électrique sur la terrasse du deuxième étage de la tour Eiffel.

La partie extrême de la tour est une petite terrasse surmontant le phare, et qui se trouve juste à 300 mètres de hauteur. De là part le drapeau, aux couleurs françaises, qui décore triomphalement le monument dû au génie de notre nation.

On arrive du campanile à la terrasse terminale par un petit escalier tournant, placé dans un véritable tuyau métallique, qui n’a que 80 centimètres de diamètre.

Ce sont de simples échelons de fer, ne donnant passage qu’à une seule personne à la fois. C’est par là que M. Eiffel, le 31 mars 1889, à 2 heures 40 minutes, alla hisser le drapeau annonçant le moment de la terminaison de l’entreprise.

Beaucoup de personnes s’imaginent que la hampe qui supporte le drapeau est un paratonnerre. C’est une erreur. La tour Eiffel n’a pas besoin de paratonnerre. Elle est elle-même le plus beau des paratonnerres connus, et elle protège un espace considérable dans son rayon. Cette énorme masse métallique est, en effet, mise en communication constante avec la couche aquifère du sol du Champ de Mars, par des conducteurs métalliques spéciaux, enfouis sous chaque pilier. La conductibilité de cet immense paratonnerre est ainsi suffisamment assurée.

C’est dans la terrasse terminale surmontant le drapeau, que l’on a pu s’assurer, par des observations directes, d’un fait que l’on avait souvent discuté à l’avance, sans avoir aucune autre base que le calcul, à savoir les oscillations que la tour pourrait éprouver par l’effet du vent. On avait calculé qu’au sommet, ces oscillations ne dépasseraient pas 10 centimètres. Les observations faites jusqu’à ce jour, par les plus grands vents qui aient pu survenir, ont confirmé cette prévision du calcul. On peut donc être assuré que la tour, dans les conditions ordinaires de l’atmosphère, sera aussi inébranlable qu’un roc, et cela de sa base au sommet.

Il est intéressant de savoir que la tour de 300 mètres, qui pèse 6 500 tonnes, aurait pu avoir un poids deux fois moindre, s’il n’avait pas fallu tenir compte du vent. Avec 3 000 tonnes de fer elle suffisait aux exigences de sa propre stabilité ; mais on aurait couru le risque de voir la tour tout entière, un jour de bourrasque, s’abattre sur le Champ de Mars. Les violences et les surprises du vent imposent à tous ceux qui bâtissent une excessive prudence. On sait, en effet, ce qui s’est passé en 1884 à l’embouchure de la Tay en Écosse. Un pont de tôle traversait ce bras de mer. Des milliers de trains l’avaient franchi impunément ; mais une nuit la tempête sévit avec tant de fureur que le vent emporta le pont, avec un train de chemin de fer qui le traversait et qu’on n’a plus revu.

Il faut donc que toute construction soit plus forte que le vent. M. Eiffel a voulu prévoir, comme possibles, des cyclones que nos latitudes n’ont jamais connus. Si une de ces terribles trombes vient jamais à se produire, il y aura à Paris bien des ruines, mais le monument du Champ de Mars restera debout : impavidum ferient ruinæ !

On s’est demandé quelquefois ce qu’a coûté le monument de M. Eiffel, et si les péages des visiteurs pendant l’Exposition ont couvert les frais de construction. On a à cet égard des renseignements précis. Les frais de construction ont été les suivants :

  Fr.
Fondations, maçonnerie, soubassements 
900 000
Montage métallique ; fers ; octroi pour les fers 
3 800 000
Peinture ; quatre couches, dont deux au minium 
200 000
Ascenseurs et machines 
1 200 000
Restaurants, décoration des plates-formes de la tour ; installations 
400 000
Total 
6 500 000

Les ascenseurs ont coûté 600 000 francs de plus qu’on ne l’avait prévu.

Sur cette somme de 6 500 000 francs, l’État a donné à M. Eiffel une subvention de 1 500 000 francs et la ville de Paris a concédé le terrain. Mais dans un délai de vingt années à partir de la clôture de l’Exposition la tour appartiendra à l’Etat.

En attendant, la jouissance en appartient à une société financière, qui a été formée par M. Eiffel et deux ou trois grandes maisons de banque, au capital de 5 millions et demi.

On sait aujourd’hui que les recettes de la seule année de l’Exposition ont permis de rembourser intégralement le capital.

Notre visite aux étages de la tour prendra fin ici.

Nous avons parcouru de bas en haut notre monument national. Nous n’avons qu’à redescendre par l’ascenseur, ou plutôt par le descenseur, qui, en peu de minutes, nous ramènera au pied du monument.

Connaissant bien maintenant notre tour de 300 mètres, nous pouvons répondre, en la quittant, à une question qui a été bien souvent agitée, avant et pendant son édification. « À quoi peut servir la tour du Champ de Mars ? »

« À rien ! » disait-on, avant son édification, et de très bonne foi. Les opinions ont singulièrement changé depuis ; car maintenant, on professe qu’elle peut servir à tout.

La science sera appelée à profiter la première de l’existence de cet immense mât métallique, dans une foule de cas que les physiciens, les astronomes et les naturalistes se sont empressés de consigner.

Écoutons, par exemple, pour l’astronomie, l’un des plus illustres représentants de cette science, M, Janssen, directeur de l’observatoire de Meudon.

Il est incontestable, a dit M. Janssen, que c’est au point de vue météorologique que la tour pourra rendre à la science les plus réels services. Une des plus grandes difficultés des observations météorologiques réside dans l’influence perturbatrice de la station même où l’on observe. Comment connaître, par exemple, la véritable direction du vent, si un obstacle tout local le fait dévier ? Et comment conclure la vraie température de l’air avec un thermomètre influencé par le rayonnement des objets environnants ? Aussi les éléments météorologiques des grands centres habités se prennent-ils en général en dehors même de ces centres ; et encore est-il nécessaire de s’élever toujours à une certaine hauteur au-dessus du sol. La tour donne une solution immédiate de ces questions. Elle s’élève à une grande hauteur, et par la nature de sa construction elle ne modifie en rien les éléments météorologiques à observer.

Il est vrai que 300 mètres ne sont pas négligeables au point de vue de la chute de la pluie, de la température et de la pression ; mais cette circonstance donne un intérêt de plus pour l’institution d’expériences comparatives sur les variations dues à l’altitude.

Je n’insiste pas sur les autres usages scientifiques qui ont été signalés, avec raison. Je dirai seulement que la tour pourrait donner lieu à de très intéressantes observations électriques. Il est certain qu’il se fera presque constamment des échanges entre le sol et l’atmosphère par ce grand paratonnerre métallique de 300 mètres. Ces conditions sont uniques, et il y aurait un très grand intérêt à prendre des dispositions pour étudier le passage du flux électrique à la pointe terminale de la tour. Il sera souvent énorme et même d’observation dangereuse ; mais on pourrait prendre des dispositions spéciales pour éviter tout accident, et alors on obtiendrait des résultats du plus grand intérêt.

Je voudrais encore recommander l’institution d’un service de photographies météorologiques. Une belle série de photographies nous donnerait les formes, les mouvements, les modifications qu’éprouvent les nuages et les accidents de l’atmosphère, depuis le lever du soleil jusqu’à son coucher.

Enfin je pourrais signaler aussi d’intéressantes observations d’astronomie physique, et en particulier l’étude du spectre tellurique, qui se ferait là dans des conditions exceptionnelles.

Ainsi la tour sera utile à la science ; ce n’est de sa part que de la reconnaissance, car sans la science jamais elle n’aurait pu être élevée.

En ce qui touche les observations astronomiques proprement dites, la pureté de l’air à cette grande hauteur et l’absence des brumes basses qui recouvrent le plus souvent l’horizon de Paris permettront de faire un grand nombre d’observations d’astronomie physique, souvent impossibles sous le ciel de Paris.

La tour du Champ de Mars sera, en outre, un observatoire météorologique merveilleux, dans lequel on pourra étudier utilement, au point de vue de l’hygiène et de la physique, la direction et la violence des courants atmosphériques, l’état et la composition chimique de l’atmosphère, son électrisation, son hygrométrie, la variation de température à diverses hauteurs, l’étude de la polarisation atmosphérique, etc.

Un astronome attaché à l’observatoire de Paris, M. Pierre Puiseux, a écrit ce qui suit, à propos des services que la tour Eiffel rendra aux astronomes :

Il est hors de doute que la tour pourra recevoir des applications utiles aux études astronomiques. La mobilité de la plate-forme sous l’influence du vent exclut sans doute les observations qui ont pour but de fixer la position précise des astres, mais elle laisse le champ libre à la plupart des recherches d’astronomie physique. Des spectroscopes destinés à analyser la lumière du soleil et des étoiles, à constater les mouvements propres des astres par le déplacement des raies, fonctionneraient mieux à 300 mètres de hauteur qu’au niveau du sol. L’élimination des poussières et des brumes locales permettrait de suivre le soleil plus près de l’horizon. De là un sérieux avantage pour l’étude des raies telluriques dues à l’absorption de la lumière solaire par l’atmosphère.

Un appareil à photographie lunaire ou solaire serait aussi d’un bon usage ; son emploi serait surtout indiqué dans le cas de passages de Mercure ou d’éclipses s’effectuant près de l’horizon. Les photographies d’étoiles ou de nébuleuses, exigeant une pose appréciable, seraient plus exposées à être contrariées par le vent et devraient être réservées pour les nuits calmes. Il faut faire attention cependant qu’une translation latérale de l’instrument n’a pas d’influence nuisible ; l’essentiel est que l’axe optique reste parallèle à lui-même. Il semble difficile de décider avant l’expérience si les mouvements causés par le vent seront bien de cette nature. En tout cas, les aspects physiques de la lune, des planètes, des nébuleuses, pourront être étudiés et dessinés dans des conditions favorables.

Un chercheur ou un télescope de grande ouverture, installé au sommet de la tour, permettra de suivre les astres qui n’atteindraient qu’une faible hauteur sur l’horizon de Paris. Ces observations ne sauraient rivaliser d’exactitude avec celles des observatoires fixes, mais elles pourraient être effectuées dans des cas où celles-ci deviennent impossibles. Or, on sait que, pour les astres nouvellement découverts, il est important d’obtenir le plus tôt possible des mesures même approchées.

Une étude également intéressante pour la météorologie et l’astronomie sera celle de la variation de la température avec l’altitude. Toutes les théories de la réfraction données jusqu’à présent reposent sur des hypothèses gratuites et souvent démenties par l’expérience. »

En ce qui concerne la physique du globe, on disposera, pour la première fois, d’un poste aérien d’observation parfaitement fixe, ce qui est autrement avantageux que la nacelle d’un ballon, toujours secouée par les vents, dans une ascension. Il est évident que l’on pourra poursuivre ainsi, par tous les temps, des travaux depuis longtemps commencés sur la loi de la chute des corps, la résistance de l’air à différentes vitesses, les lois de l’élasticité, de la compression des gaz ou des vapeurs, etc. On pourra mesurer directement les épaisseurs d’une atmosphère de mercure dans les pressions très élevées, au lieu de les évaluer par le calcul, comme on a été forcé de le faire jusqu’ici.

Quant à la météorologie, on étudiera la direction du vent et la force des courants atmosphériques, la décroissance de la densité de l’air, son état d’hygrométrie, l’électricité atmosphérique, la loi de la décroissance, de la température, etc.

C’est ce que Hervé Mangon expliquait fort bien, dans une communication adressée, le 3 mai 1888, à la Société météorologique de France.

La tour Eiffel permettra, selon Hervé Mangon, d’organiser un grand nombre d’observations et d’expériences météorologiques du plus haut intérêt, parmi lesquelles nous citerons au hasard les suivantes :

La loi de décroissance de la température avec la hauteur serait facilement observée, et les variations dues aux vents, aux nuages, etc., fourniraient certainement de nombreux renseignements, qui nous font jusqu’à présent complètement défaut.

La quantité de pluie qui tombe à différentes hauteurs sur une même verticale, a été très diversement estimée. Cette question, si intéressante pour la théorie de la formation de la pluie, serait résolue par quelques années d’observations faites au moyen d’une quinzaine de pluviomètres, régulièrement espacés sur la hauteur de la Tour.

La brume, le brouillard, la rosée, forment souvent à la surface du sol, des masses de moins de 300 mètres de hauteur ; on pourrait donc observer ces météores sur toute leur épaisseur, faire des prises d’air à diverses hauteurs, mesurer le volume d’eau à l’état globulaire tenu en suspension dans chaque couche. Ce volume liquide est beaucoup plus considérable que celui qui répond à la vapeur d’eau, et sa connaissance expliquerait comment des nuages d’un faible volume versent quelquefois sur le sol des quantités d’eau si considérables.

L’état hygrométrique de l’air varie avec la hauteur. Rien ne serait plus facile que d’étudier ces changements, si l’on pouvait observer au même instant des instruments placés à d’assez grandes distances les uns au-dessus des autres.

L’évaporation donnerait également lieu à de très utiles expériences.

L’électricité atmosphérique, sur laquelle on ne possède encore que des notions si imparfaites, devrait faire à l’observatoire de la tour l’objet des recherches les plus actives. La différence de tension électrique entre deux points situés à 300 mètres de distance verticale est probablement très considérable et donnerait lieu à des phénomènes du plus grand intérêt.

La vitesse du vent croît, en général, avec rapidité, quand on s’écarte de la surface du sol ; la tour permettrait de déterminer la loi d’augmentation de cette vitesse jusqu’à 300 mètres, et probablement un peu plus haut. Cette détermination, indépendamment de son intérêt théorique fournirait à l’aérostation d’utiles renseignements.

La transparence de l’air pourrait être observée, sur la tour, dans des conditions exceptionnellement favorables, soit suivant la verticale, soit suivant les lignes d’une inclinaison donnée.

Indépendamment des observations météorologiques que nous venons de citer, la tour du Champ de Mars permettra encore de réaliser un grand nombre d’expériences qu’il est impossible de tenter aujourd’hui, On pourra, par exemple, établir des manomètres allant jusqu’à 400 atmosphères, qui pourront servir à graduer expérimentalement les manomètres des presses hydrauliques, et à établir des pendules dont chaque oscillation durerait plus d’un quart de minute, etc., etc.

Grâce à sa hauteur, on pourra répéter sur une échelle grandiose la célèbre expérience de Foucault pour la démonstration de la rotation de la terre. Un pendule, composé d’une masse de fer suspendue à un fil de 200 mètres de longueur, venant heurter de chacune de ses oscillations des sacs de terre disposés autour de la circonférence tangente au fil, permettra de montrer avec une ampleur, imprévue jusqu’ici, le phénomène de la rotation de notre globe sur son axe.

En résumé, on peut assurer qu’à l’heure qu’il est, il est peu de savants qui ne pensent à réaliser, à l’aide de la tour Eiffel, une expérience quelconque, se rattachant plus spécialement à l’objet de leurs études.

Ce sera donc pour tous un observatoire et un laboratoire tels qu’il n’en aura jamais été mis à la disposition de la science. Au point de vue de l’art de la guerre, la tour Eiffel est appelée à rendre des services réels. On pourra observer les mouvements de l’ennemi dans un rayon de plus de 60 kilomètres, et cela par-dessus les hauteurs qui entourent Paris, et sur lesquelles sont construits nos plus beaux forts de défense. Si on eût possédé la tour Eiffel pendant le siège de Paris, les chances auraient peut-être autrement tourné. En effet, cet observatoire stratégique mettra en communication constante Paris et la province. Ce sera l’investissement annihilé, et le mot d’ordre envoyé jusqu’à de prodigieuses distances. La télégraphie optique, grâce à la tour Eiffel, permettra de communiquer de Paris à Rouen, à Alençon, à Beauvais, etc., en passant par-dessus la tête de l’assiégeant.

L’ennemi tenterait sans doute d’envoyer des obus au Champ de Mars ; mais nos forts sont situés à une si grande distance de la ville qu’ils garantissent la tour des coups de l’artillerie ennemie. Il faudrait prendre un fort, et un fort une fois pris, c’en est fait de la capitale. Mais un obus n’aurait aucune prise sur la tour ; le projectile n’y produirait aucun autre effet que quelques fers cassés, qui seraient assez vite réparés.

Aux premiers temps de la découverte des ballons, on disait, non sans quelque mépris, devant l’illustre Franklin : « À quoi peuvent servir les ballons ? » Le philosophe américain répondit : « À quoi peut servir l’enfant qui vient de naître ? » On pourrait rééditer à propos de la tour de l’Exposition, la belle parole du physicien de Philadelphie ; mais il n’est pas nécessaire de s’en rapporter à l’avenir pour préciser les emplois utiles que pourra recevoir l’admirable édifice qui se dresse au Champ de Mars. Il est certain, d’ores et déjà, qu’il rendra de grands services à la science et qu’il sera très utile en cas de guerre.

fin du supplément aux phares.
  1. Tome IV, pages 415-528.
  2. Pages 453-460.
  3. Allard, les Phares, 1 vol. in-4o, avec figures et planches. Paris, 1890, chez Rothschild (p. 383).
  4. Supplément à l’électro-magnétisme (p. 449-450 ; fig. 389).
  5. 1 vol. in-8o, chez Baudry, 1886 (p. 638-940).