Les Métamorphoses (Apulée)/Traduction Bastien, 1787/II/Remarques sur le Livre IX

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REMARQUES

SUR

LE NEUVIEME LIVRE.


(1) Ne peut s’opposer à l’ordre de la providence. Le texte dit, A la fatale disposition de la providence divine ; Divinæ providentiæ fatalis dispositio. Apulée fait voir par cette expression qu’il avoit des Dieux et du destin une idée plus raisonnable que le commun des Payens, puisqu’il nous insinue assez, que ce destin qu’ils considéroient comme une puissance supérieure à celle des Dieux mêmes, n’est que le décret fixe et permanent de la Providence du souverain des Dieux.

(2) Le multier Myrtil. En donnant ce nom à un cocher, il fait allusion à Myrtil, cocher d’Œnomaus, qui fit rompre le col à son maître dans la course de chariots qu’il fit contre Pelops, qui, pour récompense de sa perfidie, le jeta dans la mer appellée depuis Myrtoum, du nom de ce cocher.

(3) Hephæstion le cuisinier. Nom dérivé d’Hephæstos, qui en grec signifie Vulcain, Dieu du feu et de la cuisine.

(4) Apollonius le médecin. On voit assez que ce nom dérivé d’Apollon, Dieu de la médecine, convient à un Médecin.

(5) Nous partîmes au son des castagnettes et des cymbales. Ces espèces de castagnettes des anciens, qu’ils appelloient crotala, étoient bien plus grosses que les nôtres ; c’étoit deux demi-globes de cuivre, ou d’autre matière résonnante, dont ils tiroient le son, en les frappant des deux mains, l’un contre l’autre en cadence. La cymbale est encore aujourd’hui en usage ; c’est un triangle de fer garni de plusieurs anneaux, sur lequel on frappe en cadence avec une verge de fer.

(6) Cet homme réduit dans une grande nécessité. J’ai passé légèrement sur quelques endroits de cette petite histoire, qui sont trop libres dans l’original, pour être mis en françois.

(7) Un vieux tonneau vuide qui étoit au coin de la chambre, à moitié enfoncé dans la terre. Pline remarque, l. 14, chap. 21, que, dans les pays chauds, on mettoit le vin dans ces sortes de tonneaux qui étoient de terre cuite, et qu’on les enfonçoit dans la terre entièrement ou en partie. Il dit aussi un peu après, que les vins délicats doivent être conservés ainsi, et que, pour les vins qui ont de la force, on les laisse dans les tonneaux exposés à l’air. Quand ces sortes de tonneaux étoient enfouis en terre, ils passoient pour une espèce d’immeubles qui étoient censés vendus avec la maison où ils étoient, s’ils n’en étoient nommément exceptés. Ce qui paroît par la loi 76, au digeste, de contrahenda emptione et venditione.

(8) Que je ne me soucie pas de perdre mon argent. Cela est sous-entendu dans le latin ; je l’ai ajouté dans le françois pour le rendre plus intelligible : Le texte dit seulement : Nisi putas æs de malo habere. Si tu ne t’imagines que j’ai acquis mon argent par de mauvaises voies. Cela mis seul n’auroit pas été assez clair.

(9) Par une seule réponse qu’ils imaginèrent, qui pouvoit se rapporter à des événemens différens. Cet endroit fait voir de quelle manière ces sortes de devins abusoient le peuple. Quintilien, dans sa 4e Déclamation, parle ainsi de ces oracles : Voici en quoi consiste la fourberie, non à répondre suivant ce que souhaitent ceux qui viennent à l’oracle, mais par l’obscurité et l’ambiguité des réponses qu’on leur fait, à les renvoyer dans une telle incertitude, que quelque évènement qui leur arrive, ils croient que c’est ce qui leur a été prédit. Tel est cet oracle dont parle Cicéron, rendu par Apollon à Crésus, roi de Lydie. Cræsus Halym penetrans magnam pervertet opum vim.

Si Crésus passe le fleuve Halis pour aller à la rencontre de son ennemi, il renversera un florissant état. Crésus croyoit, dit Cicéron, abatre les forces de ses ennemis, il a abattu les siennes ; que l’une ou l’autre de ces deux choses arrivât, l’oracle se trouvoit toujours véritable. L’oracle que rapporte ici Apulée n’est pas de cette espèce ; il promet toujours un heureux évènement sur quoi que ce puisse être qu’on l’interroge.

(10) Lorsqu’enfermés dans son temple, ils faisoient semblant de célèbrer ses secrets mystères. Ces mystères se nommoient opertanea, cachés. Qui que ce soit n’y assistoit que les Prêtres, de peur, disoient-ils, que la vue des profanes ne les souillât ; mais c’étoit un secret qu’ils avoient trouvé pour commettre toutes sortes d’abominations, sans être vus ni interrompus.

(11) Et le jettent en prison. In Tullianum compingunt. Il y avoit dans la prison de Rome un endroit souterrain qui se nommoit Tullianum, parce qu’on croyoit par tradition, que le roi Servius Tullius l’avoit fait bâtir. Apulée se sert de ce nom en parlant de quelque prison que ce soit.

(12) Ils avoient des marques imprimées sur le front. Quand les esclaves avoient commis quelque crime, ou qu’après s’être enfuis, on les avoit repris, leurs maîtres leur faisoient appliquer sur le front un fer chaud qui leur imprimoit des lettres, et quelquefois plusieurs mots qui marquoient la faute qu’ils avoient commise ; par exemple, s’ils avoient volé, on y voyoit ces mots écrits, cave à fure, donnez vous de garde du voleur, et l’on noircissoit ces caractères avec de l’encre, afin qu’ils parussent davantage.

(13) Et la vapeur du feu .... leur avoit mangé les paupières, et gâté entièrement la vue. En ce temps-là les meuniers faisoient aussi le métier de boulanger en même-temps.

(14) Le divin auteur de l’ancienne poésie grecque. C’est d’Homère dont il entend parler, qui commence son Odissée par la description de son héros, telle que notre auteur la donne ici.

(15) Un Dieu qu’elle disoit être seul et unique. On voit assez qu’Apulée qui étoit payen, donne ici un trait de satyre aux chrétiens, en feignant que la méchante femme, dont il parle ici, étoit chrétienne. Les vaines cérémonies qu’il dit qu’elle observoit, et la débauche qu’il lui reproche, sont les couleurs ordinaires dont la calomnie payenne peignoit les assemblées des chrétiens, les hymnes qui s’y chantoient, et ces banquets charitables qui s’y faisoient en faveur des pauvres, et que l’on nommoit agapes.

(16) Ne pouvant se dispenser de la laisser aller quelquefois le soir aux bains publics. Ç’auroit été une trop grande rigueur d’empêcher les femmes d’aller aux bains, il leur étoit presque impossible de s’en dispenser, parce qu’elles n’avoient pas en ce temps-là l’usage du linge.

(17) Prépare du vin délicieux : Vina defæcat, dit le texte, ôte la lie du vin. Les anciens, avant que de boire le vin, le passoient à travers une chausse pour l’éclaircir.

(18) La liqueur dont on boit avant le repas. C’étoit une liqueur composée qui excitoit l’appétit, par où les anciens commençoient leurs repas.

(19) Je jure par Cérès. Il y a dans le texte, Je jure par cette sainte Cérès. Le meunier, en disant cela, montroit apparemment quelque petite figure de Cérès, qui était dans sa maison : j’ai eu peur que cela ne fût pas assez intelligible, si j’avois exprimé, comme dans le latin, par cette Cérés. Ce serment convient fort à celui qui le fait.

(20) L’a saluée la première fois. On voit par ce passage, et par plusieurs autres des anciens, que c’étoit la coutume de saluer ceux qui éternuoient, en leur disant : Jupiter vous assiste, ou les Dieux vous favorisent, comme il se pratique encore aujourd’hui. Non-seulement ceux qui entendoient éternuer faisoient ces souhaits favorables, mais celui qui éternuoit avoit aussi coutume de les faire pour lui-même, lorsqu’il avoit éternué, comme on peut voir par une ancienne épigramme grecque de l’Anthologie fort outrée, contre un homme qui avoit le nez extrêmement grand ; cette épigramme dit, qu’il ne se disoit pas : Jupiter m’assiste, quand il éternuoit, parce que son nez étoit si grand et si éloigné de ses oreilles, qu’il ne s’entendoit pas éternuer.

(21) Ainsi vous passerez ici la nuit, si vous le trouvez bon. Il y a quelques saletés retranchées en cet endroit, aussi-bien que dans ce qui suit.

(22) Le neuvième jour de la mort de son père elle fit, suivant la coutume, les dernières cérémonies de ses funérailles. La coutume étoit de garder les morts jusqu’au huitième jour qu’on les brûloit, et le neuvième on renfermoit leurs cendres dans une urne qu’on mettoit dans un tombeau, avec des cérémonies, et même avec des jeux qu’on célèbroit en leur mémoire, comme on voit au 5e l. de l’Enéide, que Enée en fit faire en Sicile pour honorer l’anniversaire de la mort de son père.

(23) Un soldat des légions romaines. Les armées des Romains étoient composées de deux sortes de troupes de légionnaires et d’auxiliaires. Les soldats légionnaires étoient proprement des Romains, et les auxiliaires étoient des peuples étrangers et alliés aux Romains. On faisoit plus de cas des soldats légionnaires que des autres.

(24) D’un sarment de vigne qu’il tenoit en sa main. La marque qui distinguoit les centurions, étoit un sarment de vigne qu’ils portoient à la main, et dont ils se servoient pour châtier les soldats. Il y a apparence cependant que le soldat, dont il est question ici, n’étoit pas centurion, et qu’il en avoit seulement pris la marque pour se faire craindre davantage par les paysans.

(25) Où il menoit cet âne. Notre auteur met ici un solécisme à la bouche de ce soldat, en lui faisant dire : ubi ducis, au lieu de quo ducis, pour mieux conserver le caractère d’un soldat qui est ordinairement fort ignorant, et fort peu poli dans le langage.

(26) Qui, outre cela, tombe du haut mal. Le texte dit, Morbo detestabili caducus : Qui tombe de la maladie détestable. Ils nommoient ainsi l’épilepsie ou le mal caduc, parce que, quand quelqu’un en tomboit, ceux qui y étoient présens avoient soin de marquer, comme à toutes les autres choses de mauvaise augure l’horreur qu’ils en avoient, par des gestes d’aversion et en crachant sur le malade, pour éloigner d’eux-mêmes les mauvaises suites qu’ils croyoient, que la vue d’un pareil accident pouvoit leur attirer.

(27) Il craignoit encore d’être châtié, suivant les lois militaires pour avoir perdu son épée. Il y a dans l’original, Militaris etiam sacramenti gentium ob amissam spatham verebatur. Il craignoit aussi d’être puni comme parjure pour la perte de son épée. J’ai cru que cela n’auroit pas été si intelligible ainsi que de la manière dont je l’ai exprimé, qui revient au même. Le génie du serment militaire, dont on parle ici, est le génie de l’Empereur, par lequel les soldats juroient, ce qui leur paroissoit un serment plus inviolable, que s’ils avoient juré par tous les Dieux ensemble, comme le remarque Tertullien dans son Apologétique.

Ce serment militaire étoit de ne jamais déserter, de ne refuser point de souffrir la mort pour la République romaine, et d’exécuter courageusement tout ce que le général ordonneroit. Or la perte des principales armes, comme étoient la cuirasse, le bouclier, le casque et l’épée, passoit pour désertion, et étoit punie du même supplice, comme il paroît par la loi, qui commeatus 14 au digeste de re militari, §. 1.

(28) C’est le regard et l’ombre de l’âne. J’y ai ajouté, en parlant d’une affaire, &c. qui n’est point dans le texte, pour donner quelque jour à cet ancien proverbe qui, étant connu du temps d’Apulée n’avoit pas alors besoin d’explication, et qui peut bien avoir pris son origine d’une avanture pareille à celle qu’il conte ici. Cependant plusieurs auteurs donnent d’autres explications du regard et de l’ombre de l’âne, comme de deux proverbes différens, que notre auteur a joints ensemble, pour n’en faire qu’un seul. Pour le regard de l’âne, ils rapportent qu’un jour un âne regardant par une fenêtre dans l’attelier d’un potier, cassa quelques-uns de ses pots ; qu’aussi-tôt le potier fit appeller en justice le maître de l’âne, lequel interrogé par les juges, de quoi il étoit accusé, du regard de mon âne, dit-il ; ce qui ayant fait rire toute l’assistance, passa depuis en proverbe, et se disoit, quand on attaquoit la réputation de quelqu’un sur des choses de peu d’importance, et qui ne valoient pas la peine qu’on y fit attention.

A l’égard de l’ombre de l’âne, ils prétendent qu’on disoit ce proverbe, quand on vouloit parler de ces sortes de gens qui sont curieux de savoir des bagatelles, et qui négligent de s’instruire des choses nécessaires. Voici ce qui y a donné lieu. Un jour Démosthêne plaidant une cause pour un homme accusé d’un crime capital, et voyant que les juges n’avoient aucune attention à son discours, il s’avisa de leur dire : Messieurs, un jeune homme avoit loué un âne pour aller en quelque endroit ; comme il étoit en chemin, il voulut se reposer quelque temps, pendant la grande chaleur du jour, et se coucha à l’ombre de l’âne. L’ânier qui le conduisoit s’y opposa, lui disant, qu’il lui avoit loué son âne, à la vérité, mais qu’il ne lui avoit pas loué l’ombre de son âne ; et, sur cela, il appella le jeune homme en justice. Démosthêne s’arrêta en cet endroit, et remarqua que toute l’assistance étoit fort attentive à ce récit. Quoi ! Messieurs, reprit-il en s’écriant, vous prêtez l’oreille à des bagatelles, et vous n’écoutez pas une affaire où il s’agit de la vie d’un homme.


Fin des Remarques du neuvième Livre.


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