Les Instruments à vent (Koechlin)/Chapitre I

Presses Universitaires de France (267p. 8-17).

Chapitre Premier

NOTIONS GÉNÉRALES
SUR LES INSTRUMENTS À VENT

Théorie des harmoniques. — Tous les instruments à vent font vibrer une colonne d’air ; ils produisent au moins une note (par exemple, la conque marine, ou le sifflet). Mais la plupart d’entre eux en peuvent donner (successivement) plusieurs : ce qui permet de les utiliser à de la musique.

En effet, l’air contenu dans un tuyau peut vibrer de plusieurs façons différentes, produisant des harmoniques du son fondamental (= note la plus grave donnée par le tuyau). Pour fixer les idées, considérons d’abord une Corde (de violoncelle, par exemple). Elle peut 1o vibrer dans toute sa longueur :

Ex. A
Ex. A

avec ses extrémités fixes (nous les indiquons par N = nœud), et le milieu (V = ventre) correspond aux vibrations de la plus grande amplitude ; 2o vibrer dans la moitié de sa longueur, avec un point fixe (nœud) au milieu, et deux « ventres » :

Ex. B
Ex. B
En vertu d’une loi d’acoustique bien connue, ces vibrations seront deux fois plus rapides, la longueur vibrante étant deux fois plus petite. 3o Si la corde vibre dans le 1/3, le 1/4, le 1/5… le ne de sa longueur, les vibrations seront 3, 4, 5… n fois plus rapides. La suite des sons ainsi obtenus, et dont les nombres de vibrations (dans un même temps) sont entre eux comme 1, 2, 3, 4, 5… n, s’appelle la Série des Harmoniques du son 1, dit fondamental. Prenons comme son 1, par exemple, l’Ut grave du Violoncelle, nous aurons l’échelle suivante :

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      re_9 mi_10 fad_11 sol_12 lab_13 sib_14 si!_15 \bar "" \break
      do_16 dod_17 re_18 red_19 mi_20 s^\markup{"… etc."}
}

1

Les chiffres placés au-dessous des notes numérotent ainsi chaque harmonique, en même temps qu’ils indiquent les nombres de vibrations par rapport à la fondamentale, son 1.

Il importe de se bien rappeler cette échelle, nous aurons souvent l’occasion d’y revenir ; on dira communément : le son 1, le son 2, le son 3, etc.

Or, ce que nous exposons au sujet des Cordes vibrantes s’applique exactement aux tuyaux des instruments à vent de forme conique. Ils donnent, eux aussi, la série complète des Harmoniques (si l’exécutant les peut faire entendre, ce n’est pas toujours le cas, notamment aux Cors pour le son 1, en général trop grave pour que l’émission en soit possible ; et certains cuivres ne donnent pas les harmoniques 9, 10, 11, 12…, trop aigus pour eux).

Nous parlerons plus loin des instruments de tube cylindrique, lesquels ne produisent que les sons impairs : 1, 3, 5, 7, etc.

I. Instruments de longueur invariable. — Vous concevez déjà, rien qu’à voir l’échelle des harmoniques, qu’avec les seules ressources de ces notes on peut jouer des airs : car, depuis le son 8 on y trouve (plus ou moins justes) toutes les notes de la gamme diatonique. C’est ainsi que J.-S. Bach utilise ses Trompettes à d’éclatantes fanfares, d’une tessiture fort élevée (elle va du son 8 au son 16, ou même au son 18), et qui resplendissent comme des fonds d’or par-dessus tout l’orchestre (cf. Messe en Si, Magnificat, etc.). Et, sans même dépasser le son 12, les Trompes de chasse répandent au loin des sonneries très caractéristiques, lesquelles à n’en pas douter sont de la musique. Enfin, les Clairons et Trompettes militaires, rien qu’avec les sons 3, 4, 5, 6, ont un répertoire infiniment plus riche qu’on ne croirait a priori ; et qui n’a pas senti, ne fût-ce qu’obscurément, la beauté réelle de l’Extinction des Feux ?

Toutes ces sonneries, mélodies, arpèges, résultent d’un tube de longueur fixe.

II. Instruments de longueur variable. — Mais en allongeant ou en raccourcissant le tube on peut faire en sorte d’en obtenir toutes les notes de la gamme chromatique (en effet, plus un tube est court, et plus haute est la note produite). Cette variation de longueur s’obtient : 1o soit par les Pistons (tubes ajoutés à celui de l’instrument, et par lesquels au moyen d’un déclic on fait passer l’air vibrant) : Cornets, Cors, Trompettes, et toute la famille des Saxhorns ; 2o soit par une Coulisse qui, se tirant plus ou moins, allonge plus ou moins le tube vibrant : système ingénieux dont l’inconvénient est le manque d’agilité, mais l’avantage, de pouvoir obtenir une justesse par faite, notamment la distinction entre Ut dièze et Ré bémol. C’est le cas des Trombones à coulisse (il existe aussi des Trompettes à coulisse et des Flûtes à coulisse, mais d’un usage plutôt rare).

III. Tubes percés de trous. — Dès la plus haute antiquité, l’homme avide de musique discerna qu’au moyen tube percé de trous il obtenait des notes différentes. En effet, si l’on bouche tous les trous, à l’exception des orifices d’entrée et de sortie, l’instrument donne sa note la plus grave (le tube vibrant alors dans toute sa longueur) ; en laissant ouvert le dernier trou seul, la partie vibrante du tube est un peu plus courte ; donc le son un peu plus haut, etc. On le constate dans les plus rustiques des flûtes aussi bien que dans les plus perfectionnées du « système Boehm ». En perçant des trous dans un tube, aux endroits qu’il faut (et c’est là tout un art) on construit de la sorte un instrument qui peut donner toutes les notes de la gamme diatonique.

Il y a d’ailleurs toutes sortes de doigtés possibles, et diverses combinaisons pour réaliser les intervalles chromatiques, soit que l’on bouche un orifice à demi, soit qu’on laisse ouvert un trou, entre deux fermés (= doigté de fourche), etc. En outre, dans la plupart de ces sortes d’instruments on peut utiliser les sons 2, parfois les sons 3, ou même des harmoniques plus élevés. C’est ainsi que l’on obtient, par des doigtés appropriés, les notes suraiguës de la flûte, du hautbois, du basson, tous instruments de forme conique donnant des sons 1, 2, 3, 4, 5, 6, etc.

Quant à la clarinette, elle ne produit que les harmoniques impairs, les sons 1, 3, 5, 7… (se reporter au tableau de l’Échelle des Harmoniques). Cette curieuse particularité tient à ce que le tube de la clarinette étant cylindrique, il vibre à la manière d’un tuyau qui serait fermé à l’une de ses extrémités. Les caractéristiques de ces tuyaux sont les suivantes :

1o Ils font entendre, comme son fondamental, l’octave grave du son fondamental produit par un tuyau ouvert de même longueur ;

2o Ils ne donnent que les harmoniques impairs. Cela s’explique par les figures suivantes :

Son fondamental
Ex. C Ex. D
Tuyau fermé Tuyau ouvert
donc l’air reste immobile
sur le fond
donc : « Nœud »
l’air vibre aux deux extrémités
donc « Ventres » à ces extrémités
et « Nœud » au milieu

(La distance N — V du tuyau fermé étant le double de la distance N — V du tuyau ouvert, le nombre de vibrations dans un temps donné est deux fois moindre, le son est donc à l’octave grave.)

Harmoniques
Ex. E Ex. F
Tuyau fermé, son 3 Tuyau ouvert, son 2

(On voit que la division en deux serait impossible au tuyau fermé puisqu’il faudra toujours V a l’extrémité ouverte et N à l’extrémité fermée.)

Il est à noter que sur certains instruments anciens de grande dimension, destinés aux Basses, les doigts ne pouvaient pas atteindre tous les trous. Alors on se servit de clefs, sortes de leviers dont la fonction est d’ouvrir (ou de fermer) un trou éloigné où les doigts n’arrivent point. Par la suite, d’autres clefs sont venues perfectionner les instruments ; elles ont permis l’adjonction de trous supplémentaires destinés à certains demi-tons, ou facilité des trilles trop gauches avec le doigté normal, etc. Aujourd’hui la forme et le maniement de ces Bois sont quasi définitifs, et de tels progrès furent réalisés en la matière qu’une grande agilité, même pour le Basson, est chose tout à fait courante chez les bons instrumentistes.

Mais la manœuvre de tous ces leviers reste délicate, la construction d’autre part en est des plus minutieuses. C’est tout un art, pour le facteur d’instruments, de réaliser les meilleures proportions, le meilleur bouchage des trous, etc. C’est tout un art, pour le bassoniste, de manœuvrer les multiples clefs que commande le pouce. Quoi qu’il en soit, outre d’excellentes dispositions naturelles, des années d’un travail opiniâtre sont nécessaires aux jeunes musiciens qui veulent « décrocher », au Conservatoire, le premier prix. Ils n’y sont arrivés qu’au prix d’un effort soutenu dont on ne saurait trop apprécier la valeur. L’habileté magistrale, l’incomparable sonorité de nos Bois français, notamment, sont au dessus de tout éloge et reconnues du monde entier.

Attaque du son. — Sauf pour la Flûte — dont les notes sont émises, soit par les lèvres appuyant sur un trou (flûte traversière), soit par le souffle passant à travers un sifflet (flûte à bec) — on utilise, pour produire le son, deux sortes d’intermédiaires : les Anches et les Embouchures.

Les Anches sont de petites lamelles de roseaux, tantôt réunies en anche double (deux lamelles l’une contre l’autre : Hautbois, Basson, Sarrussophone, etc.) tantôt fonctionnant comme anche simple : celle-ci vient alors vibrer contre une partie fixe, le Bec (Clarinette, Saxophone). L’anche est un accessoire de première importance : de sa fabrication plus ou moins réussie dépendent, dans une certaine mesure, les qualités ou les défauts du son. (Selon toute apparence, elle est d’invention très ancienne.)

L’Embouchure consiste en un petit cône de métal, plus ou moins évasé (selon les instruments, et selon le goût des instrumentistes), où viennent s’emboîter les lèvres, et qui se fixe en général sur les Cors, Trompettes, Trombones et autres Cuivres. La forme de l’embouchure intervient sans aucun doute pour déterminer le Timbre du son produit : c’est ainsi qu’une Trompe de chasse jouée avec une embouchure de Cor d’harmonie perd les caractéristiques de la Trompe et gagne celles du Cor. Ajoutons que les plus larges et les plus évasées des embouchures conviennent mieux aux sons graves d’un instrument, les plus étroites et les plus allongées étant plutôt destinées à l’aigu.

Deux instruments à trous présentent la particularité d’émettre le son par des embouchures : 1o Le Serpent, rustique et vénérable, devenu (au début du xixe siècle) l’Ophicléide (= Serpent à clefs), dont les trous sont fermés par des tampons que commandent des clefs ;

2o Le Cornetto, très usité du temps de Monteverdi, et même encore au xviiie par J.-S. Bach. Ce Cornetto est d’un timbre moins cuivré, moins éclatant que la Trompette. Le son, un peu rauque, n’est pas sans analogie avec celui d’une conque marine.

Inutile de dire qu’il faut une grande pratique pour obtenir avec les Anches ou les Embouchures (et sur la Flûte, aussi, par les lèvres seules) une sonorité satisfaisante : la moindre déviation, la moindre pression fâcheuse sur l’anche ou l’embouchure peut donner un son dur, désagréable, voire faux. En outre, les Cuivres, utilisant les sons 2, 3, 4, 5, 6… produisent ces harmoniques successifs par des différences parfois minimes dans la position ou la pression des lèvres : surtout pour le Cor, qui monte parfois jusqu’au son 16, et très souvent fait entendre des notes comprises entre les sons 8 et 12.

Instruments transpositeurs. — Terminons ce chapitre préliminaire en expliquant la théorie et la raison d’être des instruments dits transpositeurs. On l’expose parfois d’une manière assez embrouillée ; au fond c’est très simple et voici de quoi il s’agit.

Prenons en exemple la Clarinette. Il s’en fabrique de diverses tailles, mais de la plus haute à la plus basse les trous, clefs, anneaux, etc., sont disposés de la même manière. On dirait, en langage géométrique, que deux clarinettes sont « semblables », tout comme deux triangles. Seulement, un doigté donné (par exemple, celui qui ferme tous les trous) ne produit pas — pour l’oreille — la même note sur chacune de ces diverses clarinettes. Ainsi, le doigté correspondant à l’ut (2) sur la clarinette en ut, donne le mi bémol (3) sur la petite clarinette en mi bémol, et le la (4) sur la clarinette en la.


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2 3 4

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Cela posé, il a paru logique et souhaitable que les clarinettistes lisent, sur leurs « parties d’orchestre », le même signe pour réaliser le même doigté. On écrira toujours (5) pour le doigté qui donne ce do (à l’oreille) sur la clarinette en ut, le mi bémol (à l’oreille) sur la petite clarinette en mi bémol, le la sur la clarinette en la, etc. En un mot (6)

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signifie : do pour la clarinette en ut, mi bémol pour la petite clarinette en mi bémol, la pour la clarinette en la, etc. Autrement dit, les parties de clarinette se trouvent ainsi transposées à la tierce mineure au-dessus des « notes réelles » pour les clarinettes en la, à la tierce mineure au-dessous des « notes réelles » pour les petites clarinettes en mi bémol, etc.

Ce système peut vous sembler d’une regrettable complication, mais il simplifie infiniment la tâche des musiciens d’orchestre et pour eux il était nécessaire. Cela, évidemment, n’est point pour faciliter la lecture des partitions d’orchestre (car il est d’usage d’y adopter ces transpositions). La meilleure solution serait de les écrire en « notes réelles », c’est-à-dire d’y mettre la note entendue par l’oreille, et non celle lue par l’instrumentiste sur sa partie (que nous appelons « note écrite »). Il faudrait, simplement, que le copiste sût opérer sans erreur cette transposition. Quelques compositeurs s’y sont déjà décidés, notamment Serge Prokofieff. Mais, comme toutes les réformes, celle-ci demandera sans doute un assez long temps pour être admise.

On a classé les Instruments à vent en deux catégories :

1o Les Bois (bien que les Flûtes et les Saxophones soient en métal, ils en font partie). Ils comportent des trous grâce auxquels on obtient toutes les notes de la gamme chromatique. Aux trous s’adaptent des anneaux, des clefs, etc., bref, tout ce qui constitue l’essentiel du système Boehm ;

2o Les Cuivres, instruments à embouchure et à pistons (sauf les Trombones, qui sont en général à coulisse). Pour cette classification nous mettons les Cors dans le groupe des Cuivres, bien qu’en réalité leur timbre diffère nettement de ceux des Trompettes et des Cornets.

Nous étudierons, l’un après l’autre, chacun des instruments qui composent ces groupes. Après quoi, il ne sera pas inutile de parler des Bois et des Cuivres dans la Musique de chambre et dans l’Orchestre symphonique. Enfin, l’on terminera par une étude, forcément assez sommaire, des Orchestres d’Harmonie (formés presque entièrement de Bois, Cors et Cuivres) et des Fanfares (Cuivres et Cors).