Les Historiettes/Tome 3/69

Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 3p. 441-443).

LE BARON DE MOULIN.


C’est un gentilhomme de Champagne dont le père a toujours eu bonne table et a fait assez de dépense ; il y a du bien dans la maison. En sa jeunesse, ç’a été un assez plaisant robin. Il alla au Cours avec le derrière masqué qu’il montroit à la portière, comme si c’eût été son visage. Une autre fois, pour se défaire d’une femme qui lui demandoit de l’argent, il mit son c.. hors du lit ; et, comme il avoit la tête entre les jambes, on eût dit que sa voix venoit de dedans le lit c’étoit là voix d’un homme malade il vessoit et toussoit tout à-la-fois, et cette femme disoit « Je vois bien que monsieur est bien mal il a l’haleine bien mauvaise. » Un jour, après avoir bien attendu, dans une boutique de lingère, que des femmes eussent essayé des collets et des mouchoirs au miroir, il vouloit, et il se déboutonnoit déjà pour cela, essayer aussi une chemise au miroir[1]

Il lui prit une vision sur le pont Notre-Dame ; il y rencontra un homme qui lui sembla plus laid que lui. Il l’est étrangement. « Ah monsieur, lui dit-il, qu’il y a long-temps que je vous cherche » L’autre fut assez surpris. « C’est, monsieur, ajouta-t-il, que je cherchois un homme plus laid que moi, et, si je ne

« me trompe, vous êtes cet homme-là. Venez plutôt voir chez ce miroitier. »

Il fit mettre dans sa cornette un moulin à vent,’et le mot Nargue Du Moulin, s’il ne tourne. A propos de cela, M. d’Ablancour dit que c’est de lui qu’il a appris tous les termes de la guerre et toutes les marches, et cela lui a furieusement servi dans ses Traductions. M. Fabert dit que c’est ce qu’il y trouve de plus admirable.

Son père le maria, en dépit de lui, à une laide fille, mais riche, nommée Chenevières elle est fille d’un oncle du baron Du Moulin qui l’a eue d’une de ses plus proches parentes ; cette fille n’a jamais été légitimée. Il n’en vouloit point ; et le jour que le contrat se devoit passer, il se déguisa en lavandière, et se mit à battre la lessive à une fontaine proche de la maison. Un avocat, ami de son père, qui venoit pour le contrat, le rencontra, et le fit résoudre à faire ce que son père souhaitoit. Il en a eu beaucoup de bien et tient bonne table ; c’est un original ; il pette, rotte et pue comme un bouc car, outre ses pets, il mâche toujours du tabac. Il est libre en paroles, et ne prétend se contraindre pour personne. Depuis quelques années,, il s’est mis à aimer les simples, et un jour il mena un curieux, par une gtpsse pluie, en voir un, disoit-il qui étoit unique, acuminatum, olens, recens, etc. C’étoit un étron qu’il venoit de faire dans une planche.

Un huguenot, qui s’appelle quasi comme lui, car il se nomme Des Moulins, Le Coq, frère de feu Le Coq, conseiller au parlement, écrit si mal qu’on ne peut lire son écriture. Quand il a fait une lettre, il la plie brusquement sans y mettre de poudre dessus, et il s’y fait des pâtés, Une fois, qu’il voulut en relire une lui-même, et qu’il n’en put venir à bout : «Que je suis fou ! dit-il ce n’est plus à moi désormais à la lire, c’est à celui à qui je l’envoie. »


  1. D’Ouville a mis ces deux contes parmi les siens.(T.)