Les Grandes Chroniques de France/III/Introduction

Texte établi par Jules ViardÉdouard Champion, libraire de la Société de l’histoire de France (tome 3p. i-xxvi).
Introduction
INTRODUCTION


Le développement donné par les Grandes Chroniques à l’histoire du règne de Charlemagne est la preuve du prestige dont cet empereur jouissait au moyen âge. Ce qu’il accomplit sous son règne, ses luttes contre les Saxons et les Sarrasins, le rétablissement de l’Empire d’Occident, la renaissance littéraire, ses relations avec l’Orient, les capitulaires qu’il édicta pour régir son immense empire jusque dans ses moindres détails, tout cet ensemble frappa fortement les générations qui suivirent. Il les frappa même d’autant plus qu’avant Charlemagne la France était livrée à l’anarchie et qu’après lui le pouvoir échappa également aux faibles mains de ses successeurs. Le grand empereur fut donc, aux yeux des chroniqueurs du moyen âge, l’homme inspiré par Dieu, destiné à soutenir son Église et à lui ramener les nations païennes sur lesquelles il lui assura le triomphe.

Ses contemporains qui furent témoins de ses actions, qui jouirent du fruit de ses victoires et des effets de sa bonne administration eurent déjà pour lui une admiration dont l’écho s’est répercuté jusqu’à nous à travers les annales du ixe siècle. Lorsque, après sa mort, ses successeurs eurent laissé son œuvre s’effondrer, lorsque surtout les générations qui suivirent eurent assisté au démembrement de son empire et subi les horreurs des invasions des Normands et des guerres de la féodalité, le règne de Charlemagne, pendant lequel l’Empire romain fut restauré, les arts et les lettres cultivés avec succès, et la paix et la justice assurées aux peuples groupés sous son sceptre, leur apparut comme dans un rêve. Aussi, dès que le tumulte des guerres et des révolutions se fut apaisé, l’imagination du peuple et des poètes s’empara de ce règne et de ses principaux épisodes ; de là naquit le Charlemagne de la légende, dont la Chronique du faux Turpin nous a conservé le portrait.

Ce n’est certainement pas dans les poèmes éclos aux xie et xiie siècles que Primat puisa les éléments de son histoire de Charlemagne. Il savait trop, comme au reste ses contemporains lettrés, combien ces poèmes, fruits de l’imagination, étaient mensongers, et avec quel soin on devait les bannir de toute œuvre historique sérieuse. Néanmoins, d’une manière indirecte, la légende influença fortement les esprits même les plus pondérés et les plus éclairés du moyen âge. Vivant dans un monde imprégné de surnaturel et dans lequel on attribuait habituellement, comme le témoigne la Légende dorée, les faits les plus extraordinaires et même les plus invraisemblables aux héros et aux saints, il leur était difficile de faire une exception pour un homme comme Charlemagne. C’est cette mentalité qui peut seule expliquer comment des intelligences cultivées, tels que Vincent de Beauvais dans son Speculum historiale[1] et Primat dans les Grandes Chroniques, acceptèrent les fables du Voyage à Jérusalem et de la Chronique du faux Turpin. Avant de les étudier et de montrer comment Primat fut amené à les insérer dans son œuvre, nous passerons d’abord en revue les sources les plus importantes auxquelles il puisa pour composer son histoire de Charlemagne.

Celles qu’il utilisa le plus et celles qui dans l’ensemble lui fournirent les renseignements les plus précis et les plus nombreux sur ce souverain sont, sans contredit, la Vita Karoli magni imperatoris d’Éginhard et les Annales royales ou Annales Laurissenses qui, pendant longtemps, furent attribuées à cet écrivain et qui sont encore connues sous le nom d'Annales d’Éginhard[2].

Né dans le Maingau[3] à une date que l’on ne saurait préciser, vers 770, disent la plupart des critiques[4], et au plus tard vers 776, Éginhard fut élevé à l’abbaye de Fulda où on le trouve remplissant les fonctions de scribe de 788 à 791. Remarqué pour son intelligence et ses aptitudes littéraires par l’abbé Baugolf, il fut envoyé à la cour. Charlemagne y groupait alors, sous la direction d’Alcuin, un certain nombre de jeunes gens de bonne famille, ou qui s’étaient distingués par leurs études, pour y former une pépinière d’hommes politiques et d’administrateurs. Si dans ce milieu on rit quelquefois de l’exiguïté de sa taille, ce qui lui valut les sobriquets de « Nardus » et de « Nardulus » et le fit comparer à la fourmi[5], son intelligence et la vivacité de son esprit lui conquirent l’estime de tous et l’amitié de Charlemagne et de ses enfants[6].

Du surnom de Beseleel qui lui fut encore donné, on essaya de conjecturer qu’il aurait rempli auprès de Charlemagne un rôle analogue à celui d’un directeur des Beaux-Arts ; mais aucun témoignage positif ne vient corroborer cette hypothèse[7]. Rien non plus ne peut nous permettre de lui donner les titres d’archichapelain, de chancelier, de notaire de Charlemagne[8].

Si nous ne sommes pas bien fixés sur le rang qu’il occupa à la cour de cet empereur, nous pensons, néanmoins, qu’il est peut-être exagéré de ne lui attribuer qu’un rôle effacé et secondaire. L’amitié et l’estime que lui témoigna Charlemagne, le talent et l’activité que lui reconnaissent ses contemporains, la mission dont il fut chargé à Rome en 806, le rôle qu’il remplit en 813 dans l’association de Louis à l’empire, et enfin, j’ajouterai, la grande place qu’il tint ensuite à la cour de Louis le Débonnaire, me semblent être des preuves qu’il ne fut pas sans influence à celle de Charlemagne. En effet, si Louis le Débonnaire, fils respectueux et sans personnalité bien accusée, donna à Éginhard une haute situation auprès de lui, c’est qu’en cela il suivit probablement les traces et l’exemple de son père. Nous estimons donc qu’Éginhard fut suffisamment bien placé pour retracer dans sa Vita Karoli un portrait de son héros que nous puissions, dans l’ensemble, considérer comme fidèle.

Tenu en haute estime par Charlemagne, il fut comblé d’honneurs et de dignités par Louis le Débonnaire, et en 817 l’empereur le chargea de veiller sur la personne de son fils aîné Lothaire qu’il venait d’associer au trône impérial. Les dissensions qui éclatèrent ensuite entre Louis et ses fils, les troubles qui bouleversèrent l’empire pendant les dernières années du règne incitèrent Éginhard à s’éloigner de la scène politique et à se retirer dans la solitude. Le 11 janvier 815, l’empereur lui avait donné ainsi qu’à sa femme Imma le domaine de Mülinheim[9] ; il y fonda une abbaye de Bénédictins et changea le nom de Mülinheim en celui de Seligenstadt. Ce fut dans cette retraite qu’il chercha souvent le calme et le repos au milieu des troubles qui agitaient l’empire[10], et qu’après sa mort, survenue le 14 mars 840, il fut enseveli auprès de sa chère Imma morte déjà depuis 836.

Si tous les critiques sont d’accord pour classer la Vita Karoli d’Éginhard parmi les œuvres les plus remarquables de la renaissance carolingienne, l’accord cesse d’exister au sujet de la date à laquelle elle fut composée. L’écrivit-il peu de temps après la mort de Charlemagne, vers 815 ou 816, et avant 820, comme le prétend A. Teulet[11], ou vers l’année 830, plutôt même après qu’avant cette date, comme le dit L. Halphen[12] ? Nous croyons qu’il serait téméraire, au moins maintenant, de chercher à être précis. Il la composa certainement après le décès de Charlemagne, et comme elle est mentionnée dans une lettre de Loup de Ferrières écrite au plus tôt à la fin de 829 et au plus tard à la fin de 835, on peut donc dire seulement qu’elle ne fut pas écrite avant l’année 814 et pas après les années 830 à 835[13].

Le soin que prit Éginhard de donner à son œuvre toute la perfection littéraire désirable, son souci constant d’imiter Suétone dans ses Vies des Césars et surtout dans sa Vie d’Auguste[14] ne diminuent pas la valeur du fond de son œuvre ; mais il ne faut pas y chercher plus qu’il ne s’est proposé de nous donner. Il dit formellement[15] que dans la Vita Karoli il voulut faire connaître plutôt la vie du roi que les détail de ses guerres ; et vraiment, malgré les défauts que l’on peut y relever, c’est grâce à cette œuvre que nous pouvons « mieux pénétrer dans l’intimité du grand empereur franc[16] » et mieux connaître cette grande figure qui domine les premiers siècles du moyen âge[17].

Comme on pourra s’en rendre compte en parcourant le troisième volume des Grandes Chroniques, la Vita Karoli d’Éginhard est presque le seul ouvrage auquel recourut Primat pour écrire les trois premiers chapitres du premier livre de l’histoire de Charlemagne, un paragraphe des chapitres iv, v, vi et vii[18] du livre II et les trois premiers chapitres du livre III. Les chapitres iv à xiii du livre premier et la majeure partie du livre II furent traduits presque exclusivement des Annales longtemps attribuées à Éginhard et que l’on désigne aujourd’hui sous le nom d’Annales royales[19]. Ces annales qui vont de 741, date de la mort de Charles-Martel, à 829, constituent par leur étendue comme par leur précision la source fondamentale de l’histoire de Charlemagne[20]. Aussi, depuis de longues années, on peut même dire depuis plusieurs siècles, les érudits exercent leur sagacité pour arriver à en connaître l’auteur, à savoir où et quand elles furent écrites. Hélas ! après bien des recherches, des hypothèses plus ou moins ingénieuses et plus ou moins vraisemblables, nous devons avouer que sur tous ces points, on ne peut présenter encore aucune solution définitive[21].

Selon Gabriel Monod et la plupart des érudits allemands[22], ces Annales, dans lesquelles on reconnaît trois parties[23] auxquelles auraient pu collaborer des auteurs différents, seraient, principalement pour la première partie (741-788), une compilation faite surtout à l’aide des « Petites Annales » de l’époque carolingienne ; ces « Petites Annales » auraient formé comme la trame et le fond du récit.

À partir de 789 pour aller jusqu’à 829, on reconnaît aux Annales le caractère d’un récit contemporain. Gabriel Monod pense que cette partie, et en particulier celle qui va jusqu’en 801, aurait été écrite à la cour par des clercs de la chapelle royale. À partir de 801, pour aller jusqu’à la fin (829), les Annales, tout en conservant le caractère d’un récit contemporain, s’attachent à nous renseigner plus particulièrement sur ce que fait l’empereur, sur les assemblées qu’il préside, les ambassadeurs qu’il reçoit, etc. On aurait alors des « Nouvelles du Palais ». Ce serait cette dernière partie qu’un grand nombre d’érudits attribueraient à Éginhard, ainsi que le remaniement des Annales qui en transforma le texte de 741 à 800[24].

Le dernier érudit qui s’occupa de la question des Annales, M. Louis Halphen, renverse tous les systèmes échafaudés jusqu’à présent et fait table rase des divisions proposées par ses devanciers. Selon lui, et en cela il se met d’accord avec Gabriel Monod, les Annales furent écrites « par des hommes qui vivaient au centre même de la vie politique et qui avaient entre leurs mains des documents officiels[25] ». « Elles ont donc le caractère impersonnel d’une historiographie officielle »[26] et « on est amené à les regarder comme une histoire officielle du règne de Charlemagne et de Louis le Pieux[27] ». Dans ces conditions, M. Halphen conclut que toutes les divisions proposées sont arbitraires, car, dit-il, on a affaire « à une œuvre qui s’est développée sous la dictée des événements d’une façon si lente, si continue, qu’un même écrivain a pu voir plus d’une fois au cours de son travail ses formules, son vocabulaire, ses habitudes de style se modifier et sa pensée même évoluer[28] ». Quelle que soit l’hypothèse qu’ils adoptent au point de vue des divisions, de la composition et des auteurs des Annales, tous les historiens sont d’accord pour considérer cette œuvre comme la source la meilleure et la plus sûre des règnes de Pépin le Bref, de Charlemagne et du début du règne de Louis le Débonnaire[29].

L’emploi que Primat fit de cet ouvrage pour la première partie de l’histoire de Charlemagne comme au reste le choix qu’il fait en général de ses sources sont la preuve de son esprit judicieux et critique. On pourra lui reprocher d’avoir accueilli les fables du Voyage à Jérusalem et de la Chronique du faux Turpin, mais, comme nous l’avons expliqué, le reproche doit s’appliquer surtout à son époque plutôt qu’à lui en particulier.

Il faut d’abord constater que déjà, à la fin du xe siècle, la légende du voyage de Charlemagne à Jérusalem était accréditée. Benoît, moine de Saint-André sur le mont Soracte, qui écrivait entre 998 et 1001, dit que Charlemagne alla au saint sépulcre et l’orna d’or et de pierres précieuses[30]. Dans la suite, non seulement les manuscrits[31], mais encore les vitraux[32], propagèrent cette légende en même temps que celle de l’Historia Tilpini. Il ne faut donc pas être surpris qu’au xiie siècle on ait demandé l’insertion de ces légendes, en même temps que celle de la vie de saint Gilles, dans les chroniques de France[33].

On comprend très bien, d’après cela, que Vincent de Beauvais, dans son Speculum historiale[34], ait résumé l’Iter Hierosolymitanum et publié l’Historia Tilpini, et qu’à son tour Primat, dans ses Grandes Chroniques, ait traduit ces deux œuvres. Il ne pouvait même pas agir autrement, puisqu’elles étaient mises au rang de monuments officiels de l’histoire de France[35].

Or, à quelle époque, où et dans quel but fut composé l’Iter Hierosolymitanum, ou Descriptio, comme on le désigne souvent[36]. D’après l’abbé Lebeuf[37], cette œuvre aurait été composée au xie siècle. Elle ne saurait être antérieure à ce siècle, dit-il, puisque l’abbaye de Saint-Quentin en l’île, qui y est mentionnée, fut fondée à la fin du xe siècle, et elle ne saurait être non plus postérieure à 1085, date de la mort de Grégoire VII, puisque l’auteur s’exprime comme un homme qui voyait encore célébrer les Quatre-Temps vers la deuxième semaine de juin, usage qui ne fut universellement changé en Occident que sous le pontificat de Grégoire VII. Selon le même auteur, elle aurait été écrite par un moine de l’abbaye de Saint-Denis dans le but d’y attirer le plus grand nombre de pèlerins pour y vénérer les reliques qu’elle possédait et qui, disait ce moine, lui avaient été rapportées d’Aix-la-Chapelle par Charles le Chauve.

Gaston Paris[38], qui adopte en général les conclusions de l’abbé Lebeuf[39], constate en effet qu’au xiie siècle[40] l’abbaye de Saint-Denis possédait déjà ces reliques, qu’elle leur assignait cette origine et que la foire du Landit fut probablement instituée pour les montrer aux fidèles[41]. Il ne pense pas, cependant, que toute cette légende ait été écrite à Saint-Denis. D’après lui, la partie du récit où il est parlé de la translation des reliques à Saint-Denis ne serait pas de la même main que le corps de l’ouvrage[42]. Cette légende latine, écrite à Aix-la-Chapelle, aurait été remaniée à Saint-Denis vers 1070[43].

M. Ferdinand Castets[44] reconnaît aussi deux parties dans l’Iter Hierosolymitanum ou Descriptio. « La première vise uniquement la translation des reliques et l’établissement du Landit à Aix-la-Chapelle. La seconde a pour but d’expliquer comment les reliques se trouvent à Saint-Denis et de justifier la légitimité du Landit qui a lieu dans cette ville », et il ajoute[45] : « Il semble donc probable que l’abbaye de Saint-Denis, voulant justifier ses prétentions, sans nier les droits acquis d’Aix et de Compiègne[46], se borna à rééditer la légende composée à Aix, en y ajoutant une seconde partie destinée à expliquer comment les reliques avaient pu être transférées chez elle. »

M. Joseph Bédier qui, dans ses Légendes épiques[47], étudie à nouveau la question de l’origine et de l’âge de la Descriptio, dit qu’elle fut composée seulement après 1110[48] par les moines de l’abbaye de Saint-Denis. Ils voulaient ainsi justifier la prétention qu’ils avaient émise de participer à la fête instituée en 1109, par l’évêque de Paris, pour honorer la relique de la vraie croix qu’Anseau, chantre du Saint-Sépulcre, avait donnée l’année précédente à cette église. Une procession partant de Notre-Dame portait à travers Paris et une partie de sa banlieue nord la relique de la vraie croix, et s’arrêtait sur un terrain de l’évêque voisin du territoire de Saint-Denis. L’abbaye, voulant avoir part aux bénéfices que pouvait procurer cette fête, composa donc la Descriptio, d’après laquelle Charlemagne lui-même aurait établi le Landit « en la IIII fere de la seconde semaine de juim, aus jeunes de IIII tens[49] », date qui coïncide précisément avec celle que l’évêque de Paris avait choisie pour sa procession. L’accord se fit donc entre Notre-Dame et Saint-Denis afin que ce monastère pût montrer ses reliques, le clou et la prétendue couronne d’épines, en même temps que l’évêque montrait le bois de la vraie croix.

En général, Primat a traduit fidèlement la Descriptio. Cependant, il en a écourté la dernière partie ; la manière dont il explique le transfert des reliques d’Aix-la-Chapelle à Saint-Denis n’est pas conforme à celle qui est donnée dans le texte latin[50], et il attribue à Charles le Chauve un acte que précédemment il avait attribué à Clovis II[51].

De ces deux légendes, le Voyage à Jérusalem et l’Histoire de Turpin, la seconde fut incontestablement la plus populaire et la plus répandue au moyen âge ; le nombre des manuscrits qui nous en sont parvenus en est la meilleure preuve[52]. On ne connaît pas l’auteur ou les auteurs de cette légende, et pendant longtemps on la considéra comme une œuvre espagnole. Pierre de Marca, l’un des premiers à lui attribuer cette origine, dit dans son Histoire de Béarn[53] : « On ne doit point remettre en doute que cette pièce n’ait esté forgée en Espagne. » Cette opinion, suivie par l’His''toire littéraire[54], puis par Paulin Paris[55], fut également adoptée, mais en partie seulement, par Gaston Paris[56]. Suivant cet érudit, les cinq premiers chapitres du pseudo-Turpin auraient été rédigés par un moine espagnol de Saint-Jacques de Compostelle, la suite par un religieux de Saint-André de Vienne, et l’abbaye de Saint-Denis aurait ensuite fait quelques additions au texte et lui aurait fait subir des remaniements[57]. Cette théorie prévalut dans son ensemble[58] jusqu’à l’apparition du travail de M. Joseph Bédier sur les Légendes épiques[59]. Ce dernier, discutant l’hypothèse de Gaston Paris, s’attache à démontrer d’abord que la Chronique de Turpin n’est pas l’œuvre de deux ou de plusieurs auteurs, comme on l’admettait généralement jusqu’alors, mais d’un seul écrivain, et d’un écrivain français ; qu’elle fut écrite seulement vers 1140-1150 et non à des dates antérieures[60], et enfin qu’elle ne fut pas écrite séparément, mais qu’elle fait partie d’un tout qu’il désigne sous le titre de Livre de saint Jacques[61]. Cette théorie, fondée sur l’étude d’un certain nombre de manuscrits et en particulier sur celle du Codex Calixtinus qui, conservé aux archives de Compostelle, est l’exemplaire le plus complet et le plus ancien[62] du Livre de saint Jacques, semble prévaloir aujourd’hui.

Quoi qu’il en soit, on ne peut nier que cette chronique latine de Turpin eut un succès énorme au moyen âge. Peintres-verriers, historiens et poètes s’en inspirent et y puisent largement[63]. Il était difficile à Primat de ne pas subir la même influence que ses contemporains et d’exclure d’une vie de Charlemagne une chronique considérée alors comme une des sources principales de l’histoire de ce règne[64].

Les différentes œuvres que nous venons de passer en revue forment, comme on pourra s’en rendre facilement compte, la fond de l’histoire de Charlemagne que Primat nous a retracée. C’est en elles qu’il a puisé l’ensemble des renseignements qu’il a donnés sur ce règne, et la suite du récit est composée de leur traduction. Cependant, comme certains épisodes ont été tirés d’autres sources, il sera bon également de les examiner et de signaler au moins succinctement leur valeur. Ainsi, c’est au moine de Saint-Gall que Primat emprunta ce qui concerne Alcuin et les religieux venus d’Écosse pour enseigner en France[65]. Il est probable que, s’il ne donne pas d’extraits plus étendus et plus nombreux tirés de cet auteur, c’est que déjà au xiiie siècle il était tenu en moindre estime que les travaux examinés précédemment. De nos jours, plusieurs historiens se sont efforcés de trouver dans le moine de Saint-Gall quelques traits et quelques éléments propres à éclairer l’histoire du règne, de Charlemagne ; mais la plupart ne lui reconnaissent aucune valeur[66], et M. Halphen conclut le long chapitre qu’il lui consacre dans ses Études critiques sur l’histoire de Charlemagne[67], en disant que les anecdotes formant le fond de son ouvrage « n’ont guère plus de valeur pour l’historien de Charlemagne que les Trois mousquetaires pour l’historien de Louis XIII ».

Si, en général, on est fixé sur la médiocre valeur de l’œuvre du moine de Saint-Gall, on n’a pas autant de certitude en ce qui touche sa personne, et ce n’est que par des analogies, et par l’étude comparative des Gesta Karoli magni et des œuvres de Notker le Bègue, que quelques érudits allemands, et en dernier lieu M. Halphen, ont été amenés à conclure « que l’identification du moine de Saint-Gall avec Notker le Bègue se présente à nous comme l’hypothèse la plus logique et la plus vraisemblable[68] ».

Quel que soit l’auteur des Gesta Karoli magni, nous savons, d’après ses indications, qu’il les composa à la demande de Charles le Gros, entre décembre 883, date à laquelle cet empereur fit une visite à l’abbaye de Saint-Gall, et novembre 887, date de sa déposition. L’ensemble de cet ouvrage n’est qu’une suite d’anecdotes que l’auteur prétend tenir du vieux moine Werimbert et d’Adalbert, père de ce moine, qui, au début du ixe siècle, avait guerroyé sous les ordres du duc Gérold. Le caractère anecdotique des Gesta Karoli Magni en explique ainsi le décousu et le défaut de composition[69].

C’est à la chronique universelle d’Adon que Primat emprunta quelques lignes[70] consacrées aux reliques de saint Cyprien et de saint Sperat offertes à Charlemagne. Adon, né en 799, élevé à l’abbaye de Ferrières en Gâtinais, devint archevêque de Vienne en Dauphiné en 860 et mourut le 16 décembre 875. Il composa, en grande partie d’après la chronique de Bède qu’il continua, une chronique universelle[71] intitulée : Chronicon, sive Breviarium chonicorum de sex mundi ætatibus, ab Adamo usque ad annum 869. Écrite après 860, c’est-à-dire après qu’Adon fut élevé à l’archevêché de Vienne, elle n’est pas sans valeur pour les premiers siècles de la monarchie française[72].

L’incidence des moines de Saint-Martin de Tours, qu’un ange extermina à cause de leur vie trop relâchée[73], ne semble être rapportée par Primat que dans un but pieux. Il n’assigne aucune date à ce fait et le donne même comme probablement antérieur au règne de Charlemagne. C’est d’une vie de saint Odon écrite vers 943 par le moine Jean, un de ses disciples, qu’il le tira. Jean, italien de nation, peut-être originaire de Rome, avait lié connaissance avec saint Odon en 939, lors d’un voyage qu’il fit dans cette ville. Revenu en France avec lui, il embrassa la vie monastique à Cluni et l’accompagna encore dans d’autres voyages. C’est après la mort d’Odon, survenue en 943, qu’il écrivit sa biographie divisée en trois livres[74].

L’épisode relatif à l’attaque de Fritzlar par les Saxons et à leur tentative de destruction de la chapelle élevée par saint Boniface en cet endroit[75] montre que Primat eut à sa disposition la première rédaction des Annales royales, publiées par Pertz sous le titre d’Annales Laurissenses[76]. Si le même fait se trouve rapporté également à l’année 774 dans les Annales royales ou Annales d’Éginhard, les détails donnés par Primat ne sont contenus que dans la rédaction intitulée : Annales Laurissenses[77].

Il est probable aussi que Primat put consulter les Annales Mettenses, compilation écrite vers la fin du xe siècle par un partisan de la dynastie carolingienne. Une phrase que nous avons relevée[78] semble bien en être tirée[79].

Comme nous l’avons déjà signalé dans le volume précédent[80], Primat continue à faire de courts emprunts à la chronique de Sigebert de Gembloux[81]. Nous ne répéterons pas ce que nous avons dit sur cet auteur ; mais nous constaterons, d’après un passage des Grandes Chroniques[82], que Primat connut non seulement la chronique de Sigebert de Gembloux, mais encore au moins une de ses continuations publiée par Bethmann[83] sous le titre d’Auctarium Aquicinense. Sous ce titre, on désigne un certain nombre de notes allant de l’année 651 à l’année 1168, qui, dans le monastère d’Anchin, près de Douai, furent ajoutées au texte primitif de Sigebert de Gembloux. Or, le passage des Grandes Chroniques relatif à un prétendu concile qui se serait tenu à Rome en 774 semble bien être la traduction d’une de ces notes.

Nous ne voulons pas terminer cette étude des sources de l’histoire de Charlemagne sans attirer au moins l’attention sur deux faits. Ils mettront bien en relief le souci qu’avait Primat de n’utiliser que des récits considérés alors comme offrant toute garantie d’authenticité, et en même temps, de ne négliger aucun renseignement qui pouvait mieux faire connaître l’histoire de ce règne.

Au début de ce volume[84], Primat, parlant de l’enfance de Charlemagne, dit : « Car cil ne sont pas en memoire que il fist ou tens de s’esfance en Espagne, entor Gallaffre, le roi de Tholete. » Il fait allusion ici à la légende d’après laquelle Charlemagne, banni de France par ses deux frères bâtards, s’enfuit en Espagne chez le roi Galafre et se mit à sa solde sous le nom de Mainet[85]. À l’époque où Primat composa les Grandes Chroniques, on ne connaissait l’enfance de Charlemagne que par des chansons de geste telles que Le Mainet, poème du xiie siècle. Or, comme nous l’avons déjà dit, Primat savait trop combien ces poèmes étaient surtout des œuvres d’imagination pour tenir compte de ce qu’ils relataient. Cependant, il n’ignorait pas non plus qu’ils pouvaient partir d’un fait positif amplifié ensuite et sur lequel ils brodaient. Aussi, quoique n’ayant pas trouvé « en mémoire », c’est-à-dire dans un document historique ou jugé comme tel, de renseignements sur l’enfance de Charlemagne, il ne veut pas cependant paraître ignorer ou négliger ce que tout le monde admettait alors, que Charlemagne avait été dans son enfance en Espagne chez Galafre, le roi de Tolède ; il y fait alors discrètement allusion en deux lignes.

Un autre passage des Grandes Chroniques[86] est la preuve que Primat ne négligea pas non plus les sources orales qu’il put recueillir. Comme il vient de nous apprendre, d’après les Annales royales, que Charlemagne transporta en France un grand nombre de familles saxonnes, il veut nous indiquer, d’après la tradition admise à son époque, dans quelle région elles furent établies, et il ajoute au texte qu’il vient de traduire : « De cele gent (c’est-à-dire des Saxons) sont né et atrait, si com l’on dit, li Brebançon et li Flamenc, et ont encores aucuns cele meesme langue. » Nous voyons par là, qu’au xiiie siècle, on admettait que les Saxons déportés par Charlemagne furent établis sur les côtes de la mer du Nord où, se multipliant, ils donnèrent naissance aux Flamands. Bien que dans les documents nous ne trouvions aucune confirmation de ce qu’avancent les Grandes Chroniques[87], nous pensons néanmoins que la tradition rapportée par Primat ne doit pas être rejetée. Sans admettre que toute la Flandre fut peuplée par les Saxons transplantés par Charlemagne, rien ne s’oppose à ce qu’il en ait déporté un grand nombre dans ces régions marécageuses et alors presque désertes de cette partie de son empire. Au reste, la langue et le caractère d’une grande partie des populations du littoral du nord de la France et de la Belgique justifieraient la tradition rapportée par Primat.

Il ressort de cet examen des sources utilisées par l’auteur des Grandes Chroniques pour écrire l’histoire de Charlemagne, qu’il a procédé pour ce règne comme pour les périodes antérieures. Il a cherché à faire un choix judicieux des textes à l’aide desquels il voulut retracer les événements survenus pendant le règne du grand empereur. S’il s’égara en donnant les fables du Voyage à Jérusalem et de la Chronique de Turpin, il ne faut pas tant lui en tenir rigueur qu’à son époque où ces légendes et beaucoup d’autres du même genre étaient acceptées comme l’expression de la vérité.

  1. Au tome IV de sa Bibliotheca mundi (éd. de Douai, 1624, in-fol., liv. XXIV, p. 962-971), qui forme le Speculum historiale, Vincent de Beauvais, pour le règne de Charlemagne, donne presque exclusivement des extraits du Voyage à Jérusalem et la Chronique de Turpin.
  2. Voir, dans Gabriel Monod, Études critiques sur les sources de l’histoire carolingienne, p. 155-162, l’examen des arguments invoqués tant en France qu’en Allemagne par différents érudits en faveur de l’attribution des Annales royales à Éginhard. Cf. Louis Halphen, Études critiques sur l’histoire de Charlemagne, p. 66-68.
  3. Cet ancien pays s’étend sur la rive gauche du Mein depuis Francfort jusqu’à la Tauber et comprend presque toute la partie sud du grand-duché de Hesse-Darmstadt (cf. Teulet, Œuvres complètes d’Éginhard, t. II, p. 412, n. 5).
  4. Teulet, op. cit., t. I, p. ii ; P. Jaffé, Bibliotheca rerum germanicarum, t. IV, Monumenta Carolina, p. 487. Cf. L. Halphen, op. cit., p. 69, n. 4. D’après certains témoignages, Éginhard aurait été de famille noble ; son père aurait également porté le nom d’Éginhard et sa mère celui d’Engilfrita (P. Jaffé, op. cit., p. 487, n. 1).
  5. Voici une épigramme d’Alcuin sur Éginhard, publiée par E. Duemmler, Poetæ latini ævi Carolini, t. I, p. 248, dans Mon. Germ. hist., Poetarum latinorum medii ævi, t. I :

    « Janua parva quidem et parvus habitator in æde est.
    Non spernas nardum, lector, in corpore parvum ;
    Nam redolet nardus spicato gramine multum :
    Mel apis egregium portat tibi corpore parvo.
    Parva quidem res est oculorum, cerne, pupilla,
    Sed regit imperio vivacis corporis actus.
    Sic regit ipse domum totam sibi Nardulus istam,
    « Nardule », dic lector pergens, « tu parvule, salve ».

    Theodulphe, dans son Carmen ad Carolum regem, dit aussi en parlant d’Éginhard (Ibid., p. 487) :

    « Nardulus huc illuc discurrat perpete gressu,
    Ut formica tuus pes redit itque frequens.
    Cujus parva domus habitatur ab hospite magno,
    Res magna et parvi pectoris antra colit. »

  6. « Suberat et alia non inrationabilis, ut opinor, causa, quæ vel sola sufficere posset ut me ad haec scribenda conpelleret, nutrimentum videlicet in me inpensum et perpetua, postquam in aula ejus conversari coepi, cura ipso ac liberis ejus araicitia » (Vita Karoli Magni, éd. Halphen, p. 4).
  7. Voir L. Halphen, Études critiques sur l’histoire de Charlemagne, p. 73 et 74, et Marguerite Bondois, La translation des saints Marcellin et Pierre. Étude sur Einhard et sa vie politique de 827 à 834, p. 82 et 83.
  8. L. Halphen, op. cit., p. 74 ; Marguerite Bondois, op. cit., p. 82, n. 1.
  9. Voir A. Teulet, Œuvres complètes d’Éginhard, t. II, p. 411. Cf. Bréquigny, Table chronologique des diplômes, t. I, p. 149, année 815 ; Böhmer-Mühlbacher, Die Regesten des Kaiserreichs unter den Karolingern, t. I, p. 225, no 549, et Th. Sickel, Regesten der Urkunden der ersten Karolinger, p. 97, no 44.
  10. Marguerite Bondois, dans la Translation des saints Marcellin et Pierre, p. 82 à 112, montre qu’Éginhard ne se retira pas complètement après 830. On voit par ses lettres qu’il restait encore en relations avec la cour où il jouissait toujours d’un grand crédit. Cf. Teulet, Œuvres complètes d’Éginhard, t. I, p. xviii et xix.
  11. Œuvres complètes d’Éginhard, t. I, p. xliv.
  12. Études critiques sur l’histoire de Charlemagne, p. 103. L’opinion de l’Histoire littéraire de la France, t. IV, p. 555, se rapprocherait de celle de M. L. Halphen, mais avec hésitation : « On ignore le temps précis auquel Éginhard composa cet ouvrage. Il semble toutefois qu’il n’y avoit que peu d’années qu’il étoit sorti de ses mains lorsqu’il tomba entre celles de Loup de Ferrières, qui étoit encore jeune et étudiant à Fulde vers l’an 834 ou 835. »
  13. Cf. L Levillain, dans le Moyen-Âge, t. XXIV (1922), p. 185.
  14. Voir, dans édition Halphen, prologue, p. 5 ; Introduction, p. x et xi, et du même auteur : Études critiques sur l’histoire de Charlemagne, p. 93-95.
  15. Chap. vi.
  16. Éginhard, éd. L. Halphen, Introduction, p. xiii.
  17. Les éditions de la Vita Karoli sont très nombreuses. Nous indiquerons seulement les principales. La première, imprimée en 1521 à Cologne chez J. Soter, fut donnée par Hermann de Nuénare sous le titre de Vita et Gesta Karoli Magni ; on y ajouta les Annales : Annales regum Francorum Pipini, Karoli, Ludovici collecti per quemdam Benedictinæ religionis monachum. Après on peut signaler celles de Marquard Freher, Corpus Franciæ historiæ veteris et sinceræ, t. I, p. 433-444 ; — d’André Duchesne, Historiæ Francorum scriptores, t. II, p. 93 à 106 ; — des Acta Sanctorum, janvier, t. II, p. 877-888 ; — de D. Bouquet, Recueil des historiens des Gaules et de la France, t. V, p. 88-103 ; — de Pertz, Monumenta Germaniæ historica, Scriptores, t. II, p. 443-463 : édition reproduite par Migne dans sa Patrologia latina, t. XCVII, col. 25-62 ; dans la collection des Scriptores rerum germanicarum in usum scholarum, en 1829, 1845 et 1863 ; puis par J. L. Ideler, Leben und Wandel Karls des Grossen beschrieben von Einhard, Hambourg et Gotha, 1839, 2 vol. in-8o ; — de A. Teulet, dans ses Œuvres complètes d’Éginhard, t. I, p. 2-115, texte et traduction (fait partie de la collection de la Société de l’histoire de France) ; — de Ph. Jaffé, Bibliotheca rerum germanicarum, t. IV, Monumenta Carolina, Berlin, 1867, in-8o, et de O. Holder-Egger, Hanovre, 1911, in-8o. Les dernières éditions avec traduction sont celle de M. A. J. Grant, Eginhard and the Monk of St. Gall, early lives of Charlemagne, Londres, 1922, in-16, et celle que M. Louis Halphen vient de donner dans la collection des Classiques de l’histoire de France au moyen âge : Éginhard, Vie de Charlemagne, Paris, Champion, 1923, petit in-8o de xxiii-127 p.
  18. Voir p. 118, 125, 129, 139.
  19. Elles furent appelées aussi : Annales Laurissenses majores, du nom de l’abbaye de Lorsch, où l’on supposa qu’elles avaient été écrites (voir Gabriel Monod, Études critiques sur les sources de l’histoire carolingienne, p. 114-116).
  20. Voir L. Halphen, Études critiques sur l’histoire de Charlemagne, p. 1 à 15.
  21. Voir Gabriel Monod, op. cit., p. 102 à 162.
  22. En dehors de Waitz, de Simson, de Sybel, etc., nous citerons en particulier M. Kurze, qui consacra de nombreux articles dans le Neues Archiv der Gesellschaft für ältere deutsche Geschichtskunde, t. XIX (1893), XX (1894), XXI (1895), à l’étude des Annales royales.
  23. La première partie irait de 741 à 788, la seconde, de 789 à 801, la troisième, de 801 à 829.
  24. C’est ce qui fait affirmer par A. Teulet (Œuvres complètes d’Éginhard, Introduction, p. lxvi) que « les Annales sont incontestablement d’Éginhard ».
  25. Gabriel Monod, op. cit., p. 148.
  26. Ibid., p. 149.
  27. Ibid., p. 151. — L’attribution de la partie des Annales comprises entre 820 à 829 à l’archichapelain Hilduin corrobre cette opinion (G. Monod. Hilduin et les Annales Einhardi, dans les Mélanges Julien Havet, p. 57-65).
  28. Études critiques sur l’histoire de Charlemagne, p. 15.
  29. Comme nous l’avons déjà indiqué (p. vii, n. 5), la première édition des Annales fut donnée en 1521 par le comte Hermann de Nuénare à la suite de la Vita Karoli. Cette édition fut en général reproduite par la plupart de celles qui furent publiées après ; par celles de Cologne, 1561 (1562), in-12 ; de Leipzig, 1616, in-4o ; du jurisconsulte Reuber, dans son Syntagma veterum scriptorum rerum germanicarum, Francfort, 1584, et nouv. éd., 1726 ; d’André Duchesne, Historiæ Francorum scriptores, t. II, p. 233 à 272 ; de Leuckfeld (1707) ; de dom Bouquet, Recueil des historiens des Gaules et de la France, t. V, p. 196 à 205, et t. VI, p. 174 à 190. Marquard Freher, dans son Corpus Franciæ historiæ veteris et sinceræ, t. I, p. 381 à 432, donne une édition de ces Annales d’après un manuscrit différent de celui qu’avait utilisé Nuénare, sous le titre de : Adelmi benedictini, vel secundum alios Ademari monachi Annales francorum regum Pipini, Karoli Magni, Hludovici pii, per annos continuos LXXXVII. Pertz, dans les Monumenta germaniæ historica, Scriptores, t. I, p. 133 à 218, en donne une édition dans laquelle il imprime, sous le titre d’Annales Laurissenses, jusqu’à l’année 801 incluse, en face de la rédaction attribuée à Éginhard (Einhardi Annales), la première rédaction de ces Annales. Une nouvelle édition in usum scholarum fut réimprimée à Hanovre en 1845, in-8o. Teulet, dans son édition des Œuvres complètes d’Éginhard, t. I, p. 118 à 401, ainsi que Migne dans sa Patrologia latina, t. CIV, col. 367 à 508, ont reproduit l’édition de Pertz, qui a également servi de base à la dernière édition des Annales, celle de Fr. Kurze, Annales regni Francorum, dans les Scriptores rerum germanicarum in usum scholarum (Hanovre, 1895, in-8o).
  30. « Ac deinde ad sacratissimum domini hac salvatoris nostri Jesu Christi sepulchrum locumque resurrectionis advenisset, ornatoque sacrum locum auro gemmisque, etiam vexillum aurem mire magnitudinis imposuit ; non solum cuncta loca sancta decoravit, sed etiam presepe Domini et sepulchrum que petierant Aaron rex, potestatis ejus ascribere concessit » (Benedicti sancti Andreæ monachi chronicon, dans Mon. Germ. hist., Scriptores, t. III, p. 710).
  31. Voir ms. lat. 12710 de la Bibl. nat., ancien Saint-Germain, latin 1085. Dom Jacques Doublet, dans son Histoire de l’abbaye de Saint-Denis en France, 1625, in-4o, liv. IV, ch. iii, p. 1205, signale également un manuscrit de Saint-Denis dans lequel était conservé le récit de ce voyage. Cf. Ferdinand Castets, Iter Herosolymitanum, dans Revue des langues romanes, t. XXXVI (1892), p. 418 et 419.
  32. Voir Lassus et Didron, Monographie de la cathédrale de Chartres, pl. LXVIII. Le même vitrail existait aussi à Saint-Denis. Cf. Léon Gautier, Les épopées françaises, t. III, p. 290.
  33. Dans le ms. lat. 12710 de la Bibl. nat., fol. 34, à côté d’une sorte de table des chapitres relatifs à l’histoire de France depuis Priam jusqu’à Philippe Ier, on a mis en note : « Interponendum sancti Egidii, Iter Ierosolimitanum, Historia Tilpini et Hyspania ».
  34. Liv. XXIV, chap. iv et v.
  35. Comme nous l’avons fait remarquer (p. 155, n. 1), le Voyage à Jérusalem ne fut pas traduit sur le ms. lat. 5925 de la Bibl. nat., dans lequel il manque, mais probablement sur le ms. lat. 12710. Il ne faudrait pas cependant croire, d’après une note de Paulin Paris (Grandes Chroniques, t. II, p. 171, n. 1), que le moine de Saint-Denis ne donna place à la traduction de l’Iter Hierosolymitanum, dans les Grandes Chroniques, que dans une version parue au cours du règne de Philippe de Valois. Comme le prouve le manuscrit de la bibliothèque Sainte-Geneviève, cette traduction y prit place dès le xiiie siècle, c’est-à-dire dès la première rédaction. L’assertion de Léon Gautier (Les épopées françaises, 2e éd., t. II, p. 295, en note) : « Dans les Chroniques de Saint-Denis on n’intercale la traduction de l’Iter Jerosolymitanum que pendant le règne de Charles VI », ne peut s’expliquer que par la confusion entre Charles VI et Philippe VI. Pour cette assertion, il renvoie à l’édition de P. Paris, t. II, sans indication de page ou de chapitre.
  36. On a donné au récit latin de l’Iter Hierosolymitanum le nom de Descriptio, d’après le premier mot de son titre : Descriptio qualiter Karolus Magnus clavum et coronam Domini a Constantinopoli Aquis Grani detulerit, qualiterque Carolus Calvus hec ad Sanctum Dyonisium retulerit.
  37. Histoire de l’Académie des Inscriptions et Belles-lettres, t. XXI, p. 149.
  38. Histoire poétique de Charlemagne, p. 55.
  39. Les conclusions de l’abbé Lebeuf sont également adoptées par Léon Gautier, Les épopées françaises, t. III, p. 285-286. Voir aussi : Romania, t. XIII (1884), p. 185-232 ; H. Morf, Étude sur la date, le caractère et l’origine de la chanson du pèlerinage de Charlemagne, en particulier p. 218 et suiv.
  40. Romania, t. IX (1880), p. 1-50 ; La chanson du pèlerinage de Charlemagne, surtout p. 29 et 30.
  41. Gaston Paris, La poésie du moyen Âge, leçons et lectures, t. I, p. 145.
  42. Gaston Paris, Histoire poétique de Charlemagne, p. 55.
  43. Gaston Paris, La poésie du moyen âge, t. I, p. 145.
  44. Revue des langues romanes, t. XXXVI (1892), p. 432 et 433.
  45. Revue des langues romanes, t. XXXVI (1892), p. 433.
  46. Dès le xie siècle, Compiègne possédait le suaire de Notre-Seigneur et la tradition voulait qu’il fût dans l’abbaye de Saint-Corneille depuis 877. Voir U. Chevalier, Étude critique sur l’origine du saint Suaire de Lirey-Chambéry-Turin (Paris, 1900, in-8o), p. 18.
  47. T. IV, p. 121-141.
  48. Joseph Bédier, Légendes épiques, t. IV, p. 139.
  49. Voir supra, p. 193.
  50. Cf. éd. F. Castets, dans Revue des langues romanes, t. XXXVI (1982), p. 468 et 469.
  51. Grandes Chroniques, t. II, p. 188. — Le texte latin de la Descriptio a été publié d’abord par M. Gerhard Rauschen, Die Legende Karls des Grossen im 11 und 12 Jahrhundert (t. VII des Publikationen der Gesellschaft für Rheinische Geschichtskunde), Leipzig, 1890, p. 130, puis par M. Ferdinand Castets, dans la Revue des langues romanes, t. XXXVI (1892), p. 439-474.
  52. Voir Joseph Bédier, Les légendes épiques, t. III, p. 113-114.
  53. Nouv. éd., t. I, livre. II, chap. vi, § 6, p. 201 et 202.
  54. T. IV, p. 207 à 216.
  55. Bibl. de l’École des chartes, 3e série, t. II (1851), p. 315.
  56. De Pseudo Turpino, Paris, 1865, in-8o.
  57. Cf. Joseph Bédier, op. cit., t. III, p. 52 à 55.
  58. Voir Ulysse Robert, Histoire de Calixte II, p. 214-217 ; Ferdinand Castets, Turpini historia Karoli Magni, préface, p. viii-x. Cf. R. Dozy, Recherches sur l’histoire et la littérature de l’Espagne pendant le moyen âge, t. II (1881), p. 374-431.
  59. Nous disons dans son ensemble, car Gaston Paris, tout en maintenant toujours que la Chronique de Turpin était l’œuvre de deux auteurs, modifia dans la suite une partie de sa théorie (Romania, t. XI, p. 419-426. Cf. Joseph Bédier, op. cit., p. 55 à 67).
  60. Marca (Histoire de Béarn, t. I, p. 202) la donne comme antérieure au xiie siècle et peut-être du xe. L’Histoire littéraire (t. IV, p. 207-208) indique comme date de sa composition le xe ou le xie siècle. Gaston Paris, qui avait d’abord assigné aux premiers chapitres, soi-disant composés en Espagne, la première moitié du xie siècle ou 1050 au plus tard, et à la suite la période écoulée entre 1108 et 1119, admit après la publication de l’ouvrage de M. Dozy que la première partie dut, être écrite dans les dernières années du xie siècle ou les premières années du suivant (Romania, t. XI, p. 423) et la suite vers l’an 1140 (Ibid., p. 424).
  61. Les légendes épiques, t. III, p. 75 et suiv. et p. 105 et suiv.
  62. Il fut écrit entre 1139 et 1173 (J. Bédier, op. cit., t. III, p. 76).
  63. J. Bédier, op. cit., t. III, p. 112 à 114. La lettre à Léoprand, doyen d’Aix-la-Chapelle, par laquelle débute la chronique du pseudo-Turpin, dut beaucoup contribuer à donner un grand crédit à cette œuvre. Dans cette lettre l’auteur, qui s’intitule Turpin, archevêque de Reims, se donne comme le compagnon de Charlemagne en Espagne et affirme qu’il raconte ce qu’il a vu de ses yeux (propriis oculis intuitus sum) pendant les quatorze années qu’il parcourut l’Espagne et la Galice avec lui et avec ses armées. C’est une imitation du Prologue de la Vita Karoli Magni, dans lequel Éginhard dit qu’il n’a pas cru devoir renoncer à écrire cet ouvrage, puisqu’il pouvait y apporter plus de vérité que personne, ayant participé aux événements qu’il rapporte et en ayant été le témoin oculaire. Aussi, Primat nous apprend qu’il s’appuie sur Éginhard pour écrire la vie de Charlemagne « jusques aus faiz d’Espagne » et que le surplus « jusques en la fin de sa vie » il l’emprunte à l’archevêque Turpin, « certains des choses qui avindrent, come cil qui toz jors fu presenz avec lui ».
  64. La première édition de la Chronique de Turpin qui, d’après Potthast (Bibliotheca historica medii ævi, t. II, p. 1075), aurait été un des livres les plus populaires du moyen âge, fut publiée à Francfort en 1566 par Schard dans son receuil intitulé : Germanicarum rerum quatuor celebriores vetustioresque chronographi, p. 1-13. Viennent après celles de Reuber, dans son Syntagma veterum scriptorum rerum germanicarum, Francfort, 1584, p. 67 ; — de Sebastiano Ciampi, De vita Caroli Magni et Rolandi historia, Florence, 1822, in-8o ; du baron de Reiffenberg, donnée à la suite de la Chronique de Philippe Mouskes, Bruxelles, 1836, t. I, p. 489-518, dans laquelle il reproduit le texte Reuber ; — de Ferdinand Castets, Historia Karoli Magni et Rotholandi, Paris, 1880, in-8o de xii-92 p., fait partie des publications spéciales de la Société pour l’étude des langues romanes, 7e publication.
  65. P. 155 et 157.
  66. Voir Recueil des historiens des Gaules et de la France, t. V, p. x ; Histoire littéraire de la France, t. V, p. 616-618.
  67. P. 104-142.
  68. Études critiques sur l’histoire de Charlemagne, p. 142. Ce serait Goldast de Heiminsfeld qui, le premier, dans ses Rerum Alamannicarum scriptores, t. II, p. 195, § 2, aurait attribué les Gesta Karoli Magni à Notker le Bègue.
  69. La première édition des Gesta Karoli Magni du moine de Saint-Gall fut donnée par Henricus Canisius dans son Antiquæ Lectionis tomus I (1601), p. 360-428, sous le titre de Caroli Magni libri 2 scripti a monacho Sancti Galli, quem nonnulli Notkerum balbulum putant, ex relationibus Werinberti sacerdotis et Adalberti militis. Après, viennent celles d’André Duchesne, Historiæ Francorum scriptores, t. II, p. 107-135 ; — du Recueil des historiens des Gaules et de la France, t. V, p. 106-135 ; — de Hahu (Simon Friedrich), dans sa Collectio monumentorum veterum et recentium ineditorum ad codicum fidem restitutorum, t. II (1726), p. 534-596 ; — de Pertz, dans Monumenta Germaniæ historica, Scriptores, t. II, p. 731-763 ; — de Migne, dans Patrologia latina, t. XCVIII, col. 1371-1410 ; — de Ph. Jaffé, dans Bibliotheca rerum germanicarum, t. IV, Monumenta Carolina, p. 631-700 ; — et enfin de A.-J. Grant (voir plus haut, p. viii, n. 5 de la p. vii).
  70. P. 96.
  71. On a aussi de lui un martyrologe très célèbre et souvent cité au moyen âge.
  72. Le premier éditeur de la Chronique d’Adon est Guillaume Petit, qui en 1512 (Paris, in-fol.) la donna à la suite de Grégoire de Tours. Viennent après les éditions de Guillaume Morel, Paris, 1561, in 8o ; — de Laurent de la Barre, Historia christiana veterum patrum, Bâle, 1585, in-fol. ; — celles des Bibliothecæ patrum de Paris (1589, 1644, 1654), de Cologne (1618), de Lyon (1677) ; celle de Rome (1745, in-fol.) ; celle de Migne, dans la Patrologia latina, t. CXXIII, col. 23-138. Des extraits en ont été donnés dans le Recueil des historiens des Gaules et de la France, t. II, p. 666-673 ; t. V, p. 316-323 ; t. VI, p. 190 ; t. VII, p. 44, et dans Pertz, dans Monumenta Germaniæ historica, Scriptores, t. II, p. 315-326.
  73. P. 159.
  74. La vie de saint Odon fut publiée par André Duchesne dans Bibliotheca Cluniacensis, p. 13-56 ; Mabillon, Acta sanctorum ordinis sancti Benedicti, sæc v, p. 150-186 ; — Migne, Patrologia latina, t. CXXXIII, p. 43-86.
  75. P. 30.
  76. Monumenta Germaniæ historica, Scriptores, t. I, p. 134-174 (années 741-788).
  77. Les principales éditions des Annales Laurissenses, qui furent appelées aussi Annales Loiseliani, ou Annales Plebeii, et vont de 741 à 788, puis de 789 à 814, ont été données par André Duchesne : Historiæ Francorum scriptores, t. II, p. 24-49 ; par le Recueil des historiens des Gaules et de la France, t. V, p. 32-62 ; par Pertz, dans Mon. Germ. hist., Scriptores, t. I, p. 134-174 (années 741-788) et p. 174-218 (années 789-814).
  78. P. 15.
  79. La première édition des Annales Mettenses fut donnée par André Duchesne dans ses Historiæ Francorum scriptores, t. III, p. 262-333. Elles furent rééditées par fragments aux t. II, V, VI, VII, VIII du Recueil des historiens des Gaules et de la France ; par Pertz, pour les années 687 à 768, dans les Monumenta Germaniæ historica, Scriptores, t. I, p. 316-336, et par Waitz pour les années 769 à 805 (ibid., t. XIII, p. 26 à 33).
  80. Introduction, p. xxix et xxx.
  81. Voir p. 27, 29, 33, 49.
  82. P. 28.
  83. Monumenta Germaniæ historica, Scriptores, t. VI, p. 392-398, et Migne, Patrologia latina, t. CLX, col. 269 à 280.
  84. P. 4.
  85. Voir sur cette légende : Gaston Paris, Histoire poétique de Charlemagne, p. 227 à 246, et Léon Gautier, Les épopées françaises, 2e éd., t. III, p. 30 à 52.
  86. P. 100.
  87. Voir Louis Halphen, Études critiques sur l’histoire de Charlemagne, p. 210, et Ferdinand Lot, Les migrations saxonnes en Gaule et en Grande-Bretagne, dans la Revue historique, t. CXIX (1895), p. 21-22.