Les Géorgiques chrétiennes/chant premier

Mercure de France (p. 9-36).

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De temps en temps l’un de ces anges touchait terre
Et buvait à la cruche une gorgée d’eau claire.

Sa joue était pareille à la rouge moitié
De la pomme qui est l’honneur du compotier.

Il reprenait son vol, et d’abord sa faucille.
Quelque autre alors foulait l’ombre qui fait des grilles.

Ou tous ils descendaient ensemble, ou bien encor
Ensemble reprenaient avec calme l’essor.

Chacun avait passé le bras à sa corbeille
Dont les tresses formaient comme un essaim d’abeilles.

Clarté fondue à la clarté, ces travailleurs
Récoltaient du froment la plus pure des fleurs.

Ils venaient visiter sur ce coin de la Terre
La beauté que Dieu donne à la vie ordinaire.

S’ils s’élevaient, leurs yeux vers un enclos banal
S’abaissaient où l’aïeul assis lit son journal.

La ferme était massive avec des ombres larges
Que le soleil des blés encadrait de ses marges.

Les ailes rabattues des contrevents épais
Ménageaient au dedans l’ombre, sœur de la paix.

Le bonheur entourait cette maison tranquille
Comme une eau bleue entoure exactement une île.

Là, père, mère, enfants rompaient avec amour
A côté de l’aïeul le pain de chaque jour.

Les mêmes anges dont les moissons s’embellissent
Inspiraient les propos de ces gens sans malice.

Il faut, le blé, disait le père, est abondant,
Faire la part de Dieu plus grande au mendiant.

Il faut, disait la mère, en songeant à sa fille,
Économiser l’or que fait choir la faucille.

Il faut, disait un fils, des chiens qui aient bon pied :
Quand le chaume est nombreux, nombreux est le gibier.

L’une des brus disait : il faudra cette année
Remplacer du salon les étoffes fanées.

Il faut, disait la fille, au goût peu compliqué,
A mon chapeau de paille un champêtre bouquet.

Il faut, disait l’aïeul, quand l’épi ploie la tôle
Et le vieux, que la tombe et la grange soient prêtes.


Au loin le ciel solide au sommet d’un coteau
Tendait un inflexible et lumineux cordeau.

Mais tout était fraîcheur et noirceur à la base
Où l’eau, d’un cours interrompu, creusait son vase.

Une flûte monta la gamme et descendit
Et remonta. Quelque sonnaille répondit.

Puis la sonnaille et sa sœur la flûte se turent.
Il ne resta plus rien que la vision dure :

La ligne nettement qui se continuait
Sous cet azur trop bleu pour qu’il pût remuer.

Les anges moissonneurs à cette heure du somme
Étendirent leurs belles ailes sur les hommes.


Par les échelles d’or que le soleil suspend
Aux fentes des volets l’illusion descend.

L’agriculteur rêva de sa future race,
Des terres qu’elle aurait, spacieuses et grasses.

Sa sieste lui montrait les chariots du soir
De gerbes rayonnants comme des ostensoirs.

Il voyait l’instrument qui par la canicule,
Ailé, griffu, tranchant, dans les sillons circule.

Les femmes de ses fils, le sein gonflé d’amour.
Guettaient par la fenêtre ouverte leur retour.

Elles apparaissaient robustes, encadrées
Par les plantes grimpant aux montants des croisées.

Le soleil saluait ces beaux êtres debout
Sur leurs vivants piliers où l’avenir tient tout.

Une agitation légère du feuillage
Apportait la fraîcheur sans amener l’orage.

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